Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, sur la lutte contre la pédophilie, la prostitution des mineurs, le tourisme sexuel, et l' exploitation sexuelle des enfants dans les médias, Yokohama le 17 décembre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, Yokohama le 17 décembre 2001

Texte intégral

Je suis heureuse de participer au 2ème congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, au nom de la France, en ma qualité de ministre déléguée à la famille et à l'enfance, après avoir participé à la réunion régionale de Budapest, qui nous a permis d'avancer grâce aux travaux du Conseil de l'Europe.
Le Premier ministre français, Lionel Jospin, a insisté, lors de la tenue des Etats généraux de la protection de l'enfance que j'ai organisés le 15 novembre dernier, sur toute l'importance que la France attachait à cet événement.
La France souhaite que le congrès de Yokohama puisse renforcer un plan d'action pour aligner les législations vers le haut, faire définitivement de la protection de l'enfance une cause mondiale. Mais la tenue de ce congrès est déjà un succès, les réunions qui l'ont précédé aussi. Depuis un an, de nombreux pays se sont mobilisés pour mettre en oeuvre des actions concrètes.
De Stockholm à Yokohama, nous sommes passés de la prise de conscience à la volonté politique d'agir.
Aujourd'hui, nous devons faire de notre congrès un nouveau tremplin pour entraîner les pays qui hésitent encore à agir, sous le poids des inerties, des indifférences, de habitudes ou mêmes des pressions de nature financière, et pour combattre les mêmes causes d'inaction à l'intérieur de chacun de nos pays où rien n'est jamais définitivement acquis.
L'esclavage d'un enfant, traité comme un objet sexuel, est incompatible avec le respect de la dignité humaine et de l'intégrité physique des personnes tels qu'ils sont proclamés dans la déclaration universelle des droits de la personne humaine.
La valeur de l'enfant est également universelle, quel que soit son pays, et la protection doit s'imposer jusqu'à l'âge de 18 ans comme l'affirme la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Les inégalités Nord-Sud doivent se réduire et l'accès de l'enfant à l'éducation et à la santé permettra ainsi de faire reculer l'exploitation sexuelle des enfants. La France agit dans cinq directions :
1- Lutte contre l'inceste et la pédophilie :
Parce que l'exploitation sexuelle ne se réduit pas à l'aspect commercial, et pour renforcer la protection des enfants victimes, la lutte contre les atteintes sexuelles au sein de la famille ou au sein des institutions qui accueillent des enfants (éducation, activités de sport et de loisirs, structures d'accueil des enfants handicapés ou placés, institutions religieuses) a été conduite avec énergie, grâce notamment à l'élaboration d'outils de prévention dans les écoles (passeport pour le pays de prudence) et d'éducation (mallette pour l'éducation sexuelle à l'école). Dans le même ordre d'idée, le bizutage a été interdit par une loi mettant fin à toutes les dérives auquel il pouvait donner lieu.
Cette action s'appuie sur la loi du 17 juin 1998 qui a procédé à une refonte générale des aspects juridiques de la prévention et de la répression des infractions sexuelles. Elle instaure la protection du mineur victime ainsi que le suivi socio-judiciaire de l'auteur de l'infraction à caractère sexuel.
Le Gouvernement a fait adopter des mesures complémentaires telles que l'interdiction d'exercer une activité bénévole ou professionnelle impliquant un contact habituel avec des mineurs. La protection des salariés qui signalent les faits de maltraitance contre les mesures de rétorsion qu'il peuvent subir a été également instituée. Des conventions locales de traitement des signalements avec l'enregistrement du témoignage des enfants par caméra pour leur éviter le traumatisme de la répétition sont mises en place. Le numéro 119, appel téléphonique national pour l'enfance maltraitée, est renforcé. Je reçois personnellement, toutes les semaines, le relevé des appels et je veille au suivi et au traitement des signalements.
2- La lutte contre l'exploitation sexuelle dans les médias :
La France a créé - et nous sommes le premier pays d'Europe à l'avoir fait - un site internet institutionnel qui permet à tout internaute de signaler un site ou d'autres services à caractère pédophile. Ce site a permis de recueillir depuis le début du mois de décembre plus de 300 signalements. Il fait l'objet d'une démonstration cet après-midi. Il permet aussi la prévention en informant les parents.
Une nouvelle incrimination contre les détenteurs de matériel pornographique mettant en scène des mineurs vient d'être adoptée, ainsi que le renforcement de la lutte contre la banalisation de la pornographie en imposant le rappel écrit sur le support même (vidéo, jeux, internet, etc) de l'interdiction de sa diffusion à tous les mineurs de moins de 18 ans.
La possession de matériel pédopornographique est ainsi érigée en infraction pénale. Car si nous voulons éliminer la pédopornographie, réelle ou virtuelle, il importe de rendre ce commerce moins lucratif en réduisant la demande.
La disponibilité de matériel, quel que soit le support emprunté, conçu pour des adultes recherchant le plaisir sexuel mettant en scène les enfants perpétue l'idée abominable que les enfants sont des objets sexuels.
3- La lutte contre la prostitution des mineurs et contre la traite des êtres humains :
L'esclavage sexuel est incompatible avec les principes fondamentaux, le respect de la dignité humaine et de l'intégrité physique, reconnus dans les engagements internationaux.
La question du consentement des mineurs de 18 ans ne doit pas entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de crimes en rapport avec l'exploitation sexuelle, tels que la prostitution des enfants, la pornographie impliquant des enfants et la traite d'enfants à des fins sexuelles, car tous sont préjudiciables au développement de l'enfant et doivent être différenciés des circonstances ordinaires de la découverte de la sexualité par un adolescent de plus de 15 ans.
A cet égard, il faut être sans faiblesse pour maintenir la protection jusqu'à 18 ans, âge fixé par la Convention des droits de l'enfant, à ce jour ratifiée par 191 pays. Les enfants en-dessous de cet âge doivent être totalement protégés contre l'exploitation sexuelle, qu'ils aient donné ou non leur consentement. L'âge de la majorité sexuelle (15 ans en France) ne doit en aucun cas être confondu avec l'obligation de protection jusqu'à 18 ans. La répression du client jusqu'à cet âge de la victime, comportant des peines pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison, constitue la nouvelle loi française.
De façon plus générale, la condition inhumaine de la prostitution est connue de tous, l'exercice de cette activité n'est pas tolérable en ce qu'il conduit à accepter que le corps soit une marchandise. Le commerce du corps et l'atteinte à la dignité humaine qu'il induit ne permettent pas de laisser supposer qu'un quelconque consentement pourrait être possible.
Le mineur prostitué est par définition une victime et mérite d'être traité comme victime, qui a un droit à un statut de victime et qui a besoin d'aide.
4- La lutte contre le tourisme sexuel :
Le renforcement du rôle des secteurs public et privé dans la lutte contre le tourisme sexuel doit être l'une des actions directes de Yokohama afin de compléter l'action entreprise par les ONG dont la vigilance a permis la dénonciation et la poursuite de ceux qui commettent ces crimes à l'étranger, comptant sur l'impunité.
Le secteur du tourisme, en coordination avec l'ECPAT, s'est de son côté fortement mobilisé pour sensibiliser les voyageurs et les professionnels : code du tourisme, livret d'information, formation des professionnels, campagne d'affichage, diffusion de vidéos de bord, sont autant d'exemples concrets qui, s'ils sont multipliés, peuvent avoir un impact important. La France a de son côté décidé de rappeler la loi dans la formation des étudiants en tourisme.
Ces activités mériteraient d'être généralisées à l'ensemble des compagnies aériennes, aux compagnies de transport routier ou aux compagnies maritimes, aux postes de douane aux fins d'étendre la diffusion de messages rappelant que le tourisme sexuel est un crime et les différentes peines encourues.
Plus généralement, la mise en commun de nos outils dans le cadre d'un espace commun, qu'ils soient pédagogiques ou autres, est un moyen pour nous d'améliorer les moyens de lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants.
5- La coopération policière, judiciaire, sociale et familiale :
Au-delà des dispositions nationales, le législateur, les tribunaux et les forces de police doivent envisager au plan international une coopération dans les domaines suivants : juridiction extraterritoriale et extradition, communication et échanges d'informations entre les services de police, Interpol, Europol et les ONG, entraide judiciaire relative aux procédures concernant l'exploitation sexuelle, transfert des procédures de poursuite, recueil des témoignages à l'étranger.
C'est cette reconnaissance du principe d'extraterritorialité et l'application de ce principe pour poursuivre ceux qui exploitent les enfants à l'étranger qui vient d'être adopté au plan européen lors du sommet de Laeken dans le cadre du mandat d'arrêt européen.
La prévention, la protection et la prise en charge des victimes sont des éléments importants. Il faut d'abord agir au niveau des politiques générales car la prévention de la prostitution passe aussi par l'amélioration de la situation de droit et de fait des femmes, l'égalité des chances entre hommes et femmes et par la lutte contre le sexisme (les mutilations sexuelles sous prétexte de tradition qui constituent une violence intolérable faite aux filles ainsi que les pratiques de mariage précoce).
Nous oeuvrons également à la mise en place de structures d'accueil entre pays pour faciliter la réadaptation des mineurs victimes des réseaux dans leurs pays d'origine. Le développement de programmes d'assistance et d'échange de modules de formation pluridisciplinaire pourrait répondre à ce besoin, comme nous le mettons en place avec la Roumanie.
Il est également nécessaire de mettre en place une politique de soutien à la promotion familiale et de faire participer les enfants et leurs familles à la définition des politiques et des stratégies de lutte et intégrer cette problématique dans les programmes éducatifs en France.
La lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants va de pair avec la promotion de la vie familiale, le renforcement du droit de l'enfant d'accéder à l'éducation et la promotion plus générale de l'égalité entre homme et femme.
Mais il faut également assurer un suivi à nos actions.
La création d'un observatoire, en priorité au plan national, pourrait répondre à cet impératif. J'entends pour ma part mettre en place prochainement un observatoire de la protection de l'enfance.
Enfin, je crois que nous devons décider de nous rencontrer à intervalles réguliers au niveau inter-régional, peut être tous les deux ans, pour donner au suivi de ce congrès une dimension supplémentaire. En tous cas, les Chefs d'Etat et de Gouvernement devront forcément tenir compte, en mai, mors du sommet mondial de l'enfance qui a dû être reporté, de ce que nous disons ici.
Tout enfant à le droit d'être éduqué et protégé par sa famille, l'école et par la société. Les violences qui lui sont faites, notamment les violences sexuelles, brisent en lui et en elle l'innocence et l'envie de grandir et donc le fondement même de l'Humanité. En ce sens, c'est un crime contre l'Humanité.
C'est pourquoi nous défendons ici un modèle de civilisation, une vision de l'Humanité, celle qui refuse que tout devienne marchandise, y compris le corps des enfants, qui refuse que le plus vulnérable - les enfants et les adolescents - ne soient les jouets des caprices d'adultes négligents, pervers, ou assoiffés d'argent, bref de tous ces voleurs de l'Enfance que nous sommes ici pour combattre.
(source http://www.ambafrance-jp.org, le 3 janvier 2002)