Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale présentée par M. Robert Badinter, Paris, Sénat, le 12 février 2002.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs
1. La proposition de loi que vous allez examiner a été présentée par Monsieur Robert Badinter. Avant toute chose, je voudrais lui exprimer ici ma gratitude. Non seulement, Monsieur le Président Badinter, vous avez bien voulu porter ce texte ici, mais surtout, vous avez joué un rôle essentiel tout au long des discussions qui ont présidé à la naissance de la Cour pénale internationale, et dans les débats d'idées qui ont contribué à l'évolution que nous connaissons aujourd'hui dans l'approche des Etats à l'égard de la justice internationale.
2. La proposition de loi présentée aujourd'hui est un texte de toute première importance.
En effet, en mettant en place un système de coopération entre la France et la Cour pénale internationale, ce texte marque la volonté de notre pays de donner à la Cour les moyens concrets de son fonctionnement.
Le traité sur le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome en juillet 1998 a été signé par 139 Etats et ratifié par 52 d'entre eux. Il crée la première Cour de justice permanente pour juger les crimes les plus graves : crimes de guerre, génocides, crimes contre l'humanité.
Ainsi, contrairement aux deux tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie et le Rwanda, la compétence de la Cour n'est pas limitée aux crimes commis au cours d'un conflit, dans une région du monde ou pour une période données.
3. La Cour pénale internationale a une seconde caractéristique importante : sa compétence repose sur l'engagement à coopérer des États parties au Statut.
La qualité de cette coopération sera d'autant plus essentielle qu'en vertu du principe de subsidiarité posé par le Statut, la compétence de la Cour ne s'exercera que pour suppléer la carence des États.
Elle constituera ainsi en quelque sorte l'ultime recours contre l'impunité des auteurs des crimes prévus au Statut, et la dernière voie pour que les victimes puissent être entendues et leur préjudice réparé, si tant est qu'il puisse l'être.
4. La mise en place de ce système de coopération avec la Cour est devenu urgent. En effet, alors qu'il y a encore quelques années seuls quelques-uns croyaient à l'avènement de cette Cour, il s'est créé un mouvement en sa faveur qui a fait évoluer l'attitude des Etats à son égard. Le rythme des ratifications s'est sensiblement accéléré, en particulier depuis la dernière commission préparatoire qui s'est tenue au mois d'octobre dernier. Je le disais il y a un instant, nous comptons aujourd'hui 52 ratifications sur les 60 qui sont nécessaires à l'entrée en vigueur du Statut. Si bien que l'on peut raisonnablement estimer que la Cour ouvrira ses portes dès l'année prochaine.
L'imminence de cette échéance appelle à l'évidence une accélération de nos propres travaux de préparation. En particulier, il nous faut rapidement mettre en place le système de coopération avec la Cour. C'est l'objet de la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui.
C'est cette même urgence qui justifie que nous procédions en deux temps : nous discutons aujourd'hui une première étape pour la mise en place des modes de coopération ; une seconde étape consistera à adapter notre droit pénal au fond : j'y reviendrai.
5. Je le disais, la définition des modes de coopération avec la Cour pénale internationale traduit la mise en uvre des engagements que nous avons pris en signant le Statut, aux premières heures de son existence, le 18 juillet 1998, et en le ratifiant après modification de notre constitution, au mois de juin 2000.
Je souhaiterais revenir sur le contenu des obligations de coopération que nous impose le Statut de la Cour pénale internationale.
6. L'article 86 du Statut prévoit que " les États coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence ".
Il convient d'insister sur l'expression " pleinement ", car elle fournit une indication essentielle sur la nature de la coopération qui est attendue.
On pourrait en effet entendre le terme de coopération dans le sens d'une négociation d'égal à égal entre la Cour et l'État destinataire de la demande de coopération, suivant ainsi le modèle de référence des coopérations entre États. Mais ce modèle n'est pas applicable en l'espèce, dans la mesure où la Cour ne peut être assimilée à une autorité étrangère. De ce fait, la coopération avec la Cour ne souffrira pas des obstacles liés à la souveraineté de l'État requis, que l'on rencontre habituellement dans le cadre de l'entraide judiciaire entre deux pays.
En ratifiant le Statut, les Etats reconnaissent la validité du système de la Cour. Ils ne peuvent en conséquence refuser de coopérer pour des motifs non prévus au Statut.
Un Etat qui rencontrerait une difficulté pour coopérer est tenu de consulter la Cour pour trouver une solution. En cas d'échec de ces consultations, la Cour peut saisir l'Assemblée des États parties ou le Conseil de sécurité des Nations unies du refus de coopérer.
C'est ce principe du "dernier mot" laissé à la Cour en matière de coopération, qui a été repris dans le texte qui vous est soumis.
7. L'article 88 du Statut de Rome précise pour sa part que "les États parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation de toutes les formes de coopération".
Les États parties doivent donc prendre des dispositions de droit interne afin de se mettre en conformité avec les obligations résultant du Statut en matière de coopération : le Statut de Rome n'est pas un texte d'application directe. Il nécessite une adaptation du droit interne.
Ces dispositions nationales doivent envisager toutes les formes de coopération prévues au Statut, notamment en ce qui concerne
- l'arrestation et la remise des personnes recherchées par la Cour,
- le transit des personnes remises à la Cour par un autre État,
- l'exécution des peines prononcées par la Cour et des mesures de réparation accordées aux victimes.
Elles doivent être également conformes au Statut en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux des personnes.
La proposition de loi que vous allez examiner s'attache à respecter ces obligations, conformément tant à la lettre qu'à l'esprit du Statut qui a pour objectif de permettre de trouver, dans tous les cas, un juge pour les crimes les plus graves. C'est précisément en raison de la gravité des infractions visées par le Statut et de la menace qu'elles constituent pour la paix et la sécurité, qu'il appartient aux États de ne pas faire écran entre l'ordre juridique international et l'individu responsable de tels actes.
8. Concernant le texte de loi lui-même, je voudrais revenir sur ce que j'indiquais tout à l'heure quant à la démarche en deux temps qui a été retenue pour mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux.
Le titre de la proposition de loi indique clairement cette volonté d'avancer en deux étapes, puisqu'il parle de " proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale " et non de loi d'adaptation au Statut.
C'est le premier volet de la démarche qui vous est présenté aujourd'hui ; c'est un premier pas dans l'adaptation de notre droit.
Il est motivé par l'urgence de mettre la France en mesure de coopérer avec la Cour dès son installation.
Mais il ne signifie en rien que le Gouvernement se désintéresserait de l'adaptation de notre droit au fond. Je tiens au contraire à préciser que les services de la Chancellerie ont largement engagé les travaux de rédaction de ce second texte dont la tâche sera de réviser et d'adapter les différents codes : le code pénal bien entendu, mais aussi le code de justice militaire.
Ce travail est cependant très long et difficile, si bien qu'à attendre qu'il soit achevé pour examiner en bloc les procédures et le fond, nous aurions pris le risque de laisser se créer une situation de vide juridique au moment de l'entrée en fonctionnement de la Cour. Cela n'était pas envisageable.
A l'inverse, en soutenant dès maintenant la proposition de loi présentée par M. Badinter, le Gouvernement opte pour la voie de la sagesse, c'est-à-dire pour la voie de la coopération.
9. Concernant le texte lui-même, je voudrais préciser qu'il s'inspire en grande partie des lois de 1995 et 1996 qui adaptent notre législation au statut des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, sous réserve naturellement des particularités de la Cour, que j'ai déjà évoquées.
Deux points me semblent cependant devoir être soulignés :
D'une part le problème de l'exécution des peines d'emprisonnement ; la proposition de loi anticipe sur ce qui devrait être également adopté pour le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, en conséquence de l'Accord signé le 25 février 2000 entre la France et celui-ci pour l'exécution en France des peines prononcées par le TPI.
D'autre part, je souhaite appeler votre attention sur les mesures de réparation en faveur des victimes, qui constituent une nouveauté par rapport aux lois d'adaptation concernant les deux tribunaux pénaux internationaux, puisque ces derniers n'ont pas, contrairement à la Cour pénale internationale, compétence pour les indemniser.
J'insiste sur cette question : le Statut de la Cour pénale internationale constitue une avancée majeure sur ce point. Non seulement la victime va pouvoir être associée au procès, mais elle va pouvoir également solliciter une indemnisation auprès de la Cour.
Cette conquête est le résultat d'une bataille constante de la France, tout au long des négociations, pour faire reconnaître la victime comme une partie au procès, et une partie disposant de droits. Ainsi, la victime n'est plus seulement victime, voire témoin : elle devient un acteur à part entière du procès.
La proposition de loi de coopération qui vous est présentée permettra d'exécuter les décisions en matière de réparation rendues en faveur de ces personnes.
10. Après un article 1er,introductif, qui fixe le champ d'application de la loi, le texte de la proposition s'articule en deux grandes parties :
- Un premier titre consacré à la coopération judiciaire
- Un second, consacré à l'exécution des peines et des mesures de réparation prononcées par la Cour pénale internationale
Ce faisant, l'ensemble des engagements pris par la France à l'égard de la Cour en matière de coopération pourront être tenus.
La ratification du Statut a constitué une première étape. Il convient à présent de donner à la Cour les moyens de son action et de son efficacité.
La proposition de loi qui vous est présentée aujourd'hui par Monsieur Robert Badinter, que je tiens à remercier une nouvelle fois d'avoir bien voulu porter ce texte avec toute sa conviction et son savoir-faire, est le premier pas fondateur de notre participation à la mise en uvre effective de la Cour pénale internationale, qui pourra compter avec la coopération de la France.
Je souhaite que votre Haute Assemblée puisse l'adopter.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 18 février 2002)