Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur l'évolution des compétences de la profession infirmière en concertation avec les personnels paramédicaux, aides soignants et auxiliaires médicaux, et sur la révision au niveau européen des modalités de délivrance du diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique, Paris le 27 mai 1998.

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Circonstance : Inauguration du 11ème salon infirmier à Paris le 27 mai 1998

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Le patient est la raison d'être de votre profession. C'est à vos côtés que le patient souffre, se plaint, vit, mais aussi espère et guérit.
Cette préoccupation, que je sais constante, du patient est partagée, de plus loin c'est vrai mais très fort, par Martine AUBRY et moi-même. Nous avons affirmé à plusieurs reprises, notre souci de placer le patient au coeur de notre système de soins, au coeur des préoccupations des professionnels de santé. Les décisions que j'ai prises en matière de lutte contre la douleur et de soins palliatifs, par exemple, traduisent dans les faits ce souci du patient et la conviction du rôle essentiel de l'infirmier, car majoritairement c'est vous qui serez en charge.
L'infirmier est le coordonnateur des soins. Il est responsable de la bonne organisation autour du malade. Il assume pleinement ce rôle à l'hôpital. Il devra l'exercer également en ville, principalement dans les réseaux de santé qui se mettent en place progressivement.
La technicité croissante de la médecine participe également à ce mouvement : les médecins font de plus en plus d'actes hautement techniques et demandent de plus en plus aux infirmiers de les y aider. Votre profession, en conséquence, chaque jour, devient plus technique.
Mais dans le même temps, les infirmiers ont de plus en plus de soins à faire ou à surveiller, à coordonner.
Lorsque j'étais Ministre de la Santé en 1992-1993, les préoccupations statutaires des infirmiers étaient au premier plan. J'ai, je crois, alors bien répondu à la plupart de vos préoccupations.
Celles-ci, aujourd'hui, portent beaucoup plus votre exercice professionnel et ce salon infirmier, dont je salue ici l'importance, sera pour vous l'occasion de les réaffirmer.
L'exercice professionnel des infirmiers est encadré par le décret de compétence que j'avais élaboré en 1992. A l'époque ce décret a marqué, de l'avis unanime, une importante avancée pour la profession infirmière.
Je pense toutefois qu'il doit aujourd'hui, être revu, conformément à vos attentes pour tenir compte à la fois de l'évolution technique et de l'évolution dans le mode de dispensation des soins.
La profession infirmière n'est d'ailleurs pas la seule concernée par ces évolutions dont il conviendra de tenir compte pour l'ensemble des personnels paramédicaux.
Les principes qui présideront à la réforme du décret de compétence infirmier devront, dans toute la mesure du possible, être transposés aux autres professions.
Le premier axe de cette réforme doit entraîner une réflexion sur la répartition au sein du décret de compétences entre les actes relevant du rôle délégué, c'est-à-dire accomplis sur prescription médicale, et ceux qui relèvent du rôle propre c'est-à-dire peuvent être accomplis par l'infirmier de sa propre initiative. Il convient, dans le respect de la sécurité des patients, de transférer au rôle propre tout ce que l'infirmier, compte tenu de la formation qui est la sienne réalise, en pratique, de son propre chef.
Le second axe pour tout ce qui concerne le rôle de délégué, doit permettre d'établir un nouveau mode de relations entre médecins et infirmiers qui pourrait se fonder sur l'établissement de protocoles de soins. Ces protocoles établis par les médecins, en collaboration avec les infirmiers permettraient d'élaborer une stratégie de soins. L'infirmier pourra alors, selon l'évolution de l'état du malade, accomplir les actes nécessaires sans en référer à chaque fois au médecin, dès lors que ces actes s'inscrivent dans le protocole.
L'un de ces protocoles doit concerner la lutte contre la douleur. Dans tous les services, d'urgence et de chirurgie dans un premier temps, devront être affichés des protocoles de prise en charge de la douleur. Ces protocoles, affichés comme les consignes en cas d'incendie, délégueront la prescription et la distribution, par les infirmiers, des antalgiques y compris majeurs, sans que l'intervention d'un médecin soit nécessaire. L'infirmier mesurera la douleur du malade, la notera sur le dossier ou la pancarte, et décidera, d'après le protocole affiché, de l'antalgique à donner et de sa posologie.
Enfin le dernier point fort de la réforme, qui concerne d'ailleurs l'ensemble des professions paramédicales, une réflexion sur les compétences partagées doit être engagée. Le malade ne peut se découper en secteurs autonomes, dont chacun relèverait d'une profession bien définie. Une prise en charge globale implique nécessairement des zones de recouvrement dans les compétences reconnues à chaque catégorie de paramédicaux. C'est la notion de compétence partagée, aujourd'hui mal acceptée par chaque profession, qui considère trop souvent qu'il ne peut y avoir de compétence qu'attribuée à titre exclusif.
Cette réforme doit être enfin l'occasion de conforter l'infirmier dans un rôle d'acteur à part entière de la santé publique, en matière de prévention et de dépistage de masse en particulier.
La réforme du décret de compétence infirmier dans laquelle je m'engage doit permettre d'aborder la question des relations entre infirmiers et aides soignants.
Cette question a soulevé beaucoup d'émotion dans votre profession à propos des aspirations endo-trachéales par exemple.
Le projet de décret qui a suscité tant de questions est réclamé depuis plus de deux ans par des associations de malades et des malades trachéotomisés qui doivent être placés en long séjour faute de pouvoir bénéficier d'aspirations endo-trachéales dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ou à leur domicile par des services d'aides à domicile.
Le texte préparé par mes services n'est ni un décret d'actes des aides soignants, ni même une ébauche d'un futur décret d'actes, comme le montre sa rédaction. Il n'est en effet pas dans les intentions du Gouvernement d'autoriser l'exercice libéral de la profession d'aide soignant.
Il s'agit simplement, pour un problème circonscrit, de résoudre une difficulté considérable pour les malades concernés. Je vous indique en outre que l'Académie de médecine a donné un avis favorable sans réserve sur le principe d'une telle mesure.
Des protocoles de soins analogues à ceux dont je propose l'établissement dans les rapports entre médecins et infirmiers devraient être établis entre infirmiers et aides-soignants. C'est dans ce cadre que pourrait être traitée la question de la distribution des médicaments sur laquelle il est absolument nécessaire de faire évoluer la réglementation actuelle en total décalage avec la pratique.
En plus de votre décret de compétence, il me parait essentiel de réfléchir, avec vous bien sûr, d'une manière plus générale à l'exercice des auxiliaires médicaux qui s'est profondément transformé au cours des dernières années pour répondre aux besoins de la population et à l'évolution de la science et des techniques. En témoignent le développement de la prise en charge à domicile des malades chroniques et des personnes dépendantes mais aussi la place prise par la rééducation des enfants en difficulté. Pour que cette adaptation se poursuive dans des conditions satisfaisantes, il manque une perspective de long terme dans laquelle chaque professionnel puisse inscrire son projet.
Les représentants des auxiliaires médicaux ont exprimé des attentes fortes à cet égard et manifesté le souci légitime d'être étroitement associés à la définition des orientations prises pour l'avenir du système de santé. Nous sommes convaincus Martine AUBRY et moi-même que ces orientations doivent être le fruit d'une réflexion collective, mobilisant l'analyse et l'expérience de l'ensemble des partenaires concernés.
C'est pourquoi nous avons décidé d'associer des représentants des auxiliaires médicaux à la concertation entre médecins que nous avons demandé à M. STASSE de coordonner et qui porte notamment sur la régulation des dépenses et le partage de l'information dans le secteur de la santé.
Par ailleurs, nous avons décidé d'engager une concertation particulière avec les représentants des infirmières et infirmiers, des masseurs kinésithérapeutes, des orthophonistes et des orthoptistes exerçant en ville. Cette concertation portera sur les difficultés que rencontrent aujourd'hui les auxiliaires médicaux pour assurer leur mission, afin de dégager les évolutions propres à favoriser une prise en charge sanitaire de qualité. Nous désirons que soient examinés les moyens d'améliorer l'adéquation des réponses apportées aux besoins des malades en renforçant la continuité et la coordination des soins et en précisant le rôle des professions concernées. Trois thèmes seront plus particulièrement développés :
- l'adaptation des compétences professionnelles aux progrès de la science et des techniques,
- l'évolution de la démographie des professions et des conditions de leur exercice, compte tenu des transformations de l'organisation du système de santé,
- les conditions de gestion des nomenclatures des actes professionnels et d'encadrement des pratiques, nécessaires à la promotion de la qualité des soins.
Je souhaite que ce groupe aborde également les questions concernant les instances de concertation dans lesquelles les auxiliaires médicaux sont ou devraient être représentés, pour l'ensemble de ces questions, au niveau national et au niveau régional, en s'attachant notamment aux missions, à la composition et au mode de fonctionnement de ces instances.
Je voudrais également évoquer le malaise, le sursaut de dignité compréhensible des infirmiers psychiatriques. Leur lutte est devenue un symbole du malaise de la psychiatrie des années 1990. Ils craignent la perte de spécificité de la psychiatrie, sinon sa disparition. Je me suis, dès mon arrivée, attaché à régler leurs difficultés, à ma mesure, car le problème n'est pas français mais seulement bien européen.
La Commission européenne avait déjà fait part de son opposition aux modalités de délivrance du diplôme d'Etat d'infirmier prévues par la réglementation, et cette réglementation avait fait l'objet d'une décision d'annulation par le Conseil d'Etat. Je me suis efforcé, notamment en me déplaçant à Bruxelles à plusieurs reprises pour y rencontrer le Commissaire européen en charge du dossier, Monsieur Mario Monti, de trouver les voies d'une solution permettant de sauvegarder les intérêts des infirmiers de secteur psychiatrique.
Sur la base des discussions menées avec la commission, des mesures qui auront bientôt, très bientôt, je l'espère, une traduction législative, ont été élaborées et viennent de lui être présentées. Ce texte vise à créer un diplôme d'Etat d'infirmier psychiatrique, à légaliser l'élargissement des lieux d'exercice des infirmiers de secteur psychiatrique fixé à l'heure actuelle par l'arrêté du 2 mai 1996 et, enfin, à fixer de nouvelles modalités de délivrance du diplôme d'Etat aux infirmiers titulaires du diplôme de secteur psychiatrique. Il prévoit la création d'une commission régionale chargée d'examiner pour chaque candidat, compte tenu de sa formation initiale et de son cursus professionnel le contenu de formation complémentaire nécessaire préalablement à l'obtention du diplôme. Le diplôme est délivré par le préfet de région, sur proposition de cette commission dont la composition offre toutes garanties d'impartialité, et qui comprend bien des représentants des infirmiers psychiatriques.
Ce dispositif, s'il reçoit, l'aval de la commission, devrait permettre de mettre un point final à un problème qui n'a que trop duré. Il convient, je le souhaite, que toutes les parties intéressés fassent preuve dans l'intérêt de la profession, de modération et d'esprit constructif.
J'ai également mis en place un groupe de travail regroupant différents représentants des infirmiers psychiatriques. Ce groupe est chargé de deux missions : surveiller les conditions de délivrance du diplôme d'Etat d'infirmier aux infirmiers psychiatriques lorsque la loi sera votée et réfléchir à la possibilité de créer une spécialisation en psychiatrie et à la façon d'organiser l'adaptation à l'emploi en particulier lors du passage des soins généraux à la psychiatrie et inversement.
Je veillerai personnellement à ce que les infirmiers psychiatriques ne soient victimes d'aucune discrimination. Je souhaite, je veux, je leur demande de me faire confiance.
Je ne saurais interrompre mon propos sans aborder votre vie à l'hôpital, dont vous percevez parfaitement la moindre des évolutions et dont vous ressentez pleinement les nécessaires changements.
J'ai eu l'occasion de dire combien l'hôpital devait évoluer dans son comportement en faisant du malade le coeur du système et en donnant ainsi un véritable sens aux réformes hospitalières, en réformant son fonctionnement.
Devant quel autre public pourrais-je mieux m'exprimer aujourd'hui à ce propos.
La modification de l'activité, vous connaissez ! L'évolution des comportements professionnels, l'adaptation constante auprès du patient, la prise en charge globale, vous pratiquez ! Devrais-je rappeler que vous avez compris et que vous n'avez pas été les derniers à le faire, que la technologie des soins devait s'accompagner d'une dimension humaine dont plus que jamais les patients ont besoin.
C'est donc naturellement que vous avez travaillé sur la qualité des soins et la qualité relationnelle avec les malades. Aujourd'hui plus de 80 % des malades ont montré leur satisfaction dans les contacts qu'ils ont avec vous ; en 1994, les mêmes bases ont établi qu'ils étaient moins de 70 %.
Ce travail vous a conduit à vous rapprocher des autres professions hospitalières et à vous insérer naturellement dans une logique de réseaux, avec les autres professionnels non hospitaliers au travers du suivi des patients.
Parallèlement, vous avez développé des orientations qui se sont inscrites dans la modernisation de l'hopital et vous avez été au rendez-vous de tous les grands enjeux hospitaliers, en matière de sécurité notamment. Les établissements, maintenant, bénéficient des services des infirmiers hygiénistes, des infirmiers qui sont intéressés à l'épidémiologie, comme les techniciens d'étude clinique et vous fréquentez le champ de l'expertise.
Je n'ignore pas les efforts faits quotidiennement pour satisfaire cette dimension nouvelle de votre rôle à l'hôpital. Je souhaite particulièrement remercier l'encadrement infirmier pour son rôle moteur dans cette évolution.
Je ne saurais non plus oublier de redire ici l'importance que nous attachons aux aides-soignants à propos desquels très prochainement des mesures favorables seront annoncées.
Vous avez été de tous les grands changements récents à l'hôpital. Vous accompagnerez pareillement les évolutions à venir qu'il s'agisse des réflexions sur l'organisation des conditions de travail, sur la modernisation des structures hospitalières, sur la réduction du temps de travail dont vous le savez les hôpitaux ne seront pas les oubliés.
Je sais pouvoir compter sur vous pour être présents à tous ces rendez-vous.
Je sais aussi que les personnes en situation de précarité pourront elles aussi compter sur votre compétence et votre dévouement.
De ce point de vue, la loi de prévention et de lutte contre l'exclusion, qui sera définitivement votée par le Parlement début Juillet, sera une occasion supplémentaire de reconnaître la valeur de votre travail entrepris depuis longtemps en faveur des plus démunis.
Là encore, nous parlons le même langage car un même idéal nous anime. Je vous remercie.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 4 octobre 2001)