Texte intégral
Entretien du ministre de la défense, avec les correspondants de la presse française
(Washington, 10 décembre 1997)
Q - (Sur le problème du contrôle des système de cryptage)
R - On laisse à chaque utilisateur de système chiffré le choix, pour ceux qui ont un niveau de chiffrement le plus intégré, d'un tiers, qui peut être une profession légale, libérale, ou une autre entreprise chargée de gérer, et d'ouvrir à une autorité légale l'accès à ce système chiffré. La loi de 1996 a permis ce système. Nous sommes en train de finir un décret qui l'organise, il a donné lieu à un avis un peu frais des autorités européennes. Nous allons le soumettre au Conseil d'Etat pour apprécier si le conseil estime qu'il est bien dans le système légal française, et si c'est le cas on prendra le décret.
Q - Mais concrètement, comment cela se passe--il. Par exemple sur America On Line (AOL), j'utilise des programmes cryptés. Est-ce que vous allez demander à AOL de remettre des clés de cryptage ?
R - Ce sont des textes d'application territoriale. Ceux qui organisent un service en France sont chargés de respecter ces obligations...
Q - C'est le cas d'AOL, qui est fournisseur d'accès en France. C'est même le premier. Il devra remettre ses clés à quelqu'un ...
R - A un mandataire, qu'il choisit lui même...
Q - Y a-t-il un accord au sein du G8 à ce sujet ?
R - Non, mais la concertation doit se poursuivre sur ce sujet. Tous les Etats se disent qu'ils ont des lois pour donner accès à des représentants de la Police judiciaire à ces codes. On est en plein dans la contradiction liberté d'usage-liberté de commerce et liberté d'expression versus capacité des forces de sécurité publique et de maintien de la loi de percer éventuellement le code d'un système délictueux.
Q - Monsieur le Ministre, les experts américains officiels estiment qu'il y a eu en 1996 250000 tentatives de pénétration des ordinateurs du Pentagone. Est-ce que vous pouvez nous dire si en France il a été constaté depuis que vous êtes en poste des tentatives de pénétration pour le ministère de la Défense, comme pour le Quai d'Orsay, et à quelle fréquence ?
R - Je n'ai pas de chiffre. Je ne pense pas du tout qu'il y ait en France le caractère mythique et donc tout l'enjeu qu'il peut y avoir ici au Pentagone. Donc, je ne pense pas du tout que ce soit du même ordre de grandeur. Mais il est clair que, pour des raisons soit ludiques soit plus intéressées, il y a régulièrement des tentatives d'accès.
Q - Sur la création d'un programme sur les atteintes informatiques à la sécurité nationale.
R - L'organisation de ce programme repose sur les textes de 1959 qui assurent les fonctions de défense dans chaque ministère civil. C'est une des grandes fonctions du Secrétariat général de la Défense nationale. Le SGDN est sous la responsabilité du Premier ministre.
Q - Au sein de l'armée elle-même, existe t-il, ce type d'unité ?
R - Bien sûr.
Q - (Sur l'aspect protecteur du Minitel)
R - Je ne dis pas que le Minitel nous met plus à l'abri, parce que cela va être plus compliqué avec Internet. Il faut que les gens soient conscients qu'il y a un risque pour ne plus avoir de frayeur de bande dessinée. En petit, mais sur une grande échelle en ce qui concerne les transactions bancaires, le Minitel est vraiment devenu un outil de communication sur lequel des pressions délictueuses peuvent être exercées. Le système de partenariat, entre autorité publique, gestionnaire de réseau et serveurs privés pour assurer la sécurité a donné finalement de bons résultats. Même s'il y a toujours un aspect discutable dans la répression des utilisations pornographiques du Minitel, ce qui fait des histoires maintenant c'est essentiellement l'affichage. L'accès au Minitel pornographique nous parait correctement régulé. On se dit que lorsque nous allons passer à l'échelle Internet avec à la fois la variété d'application et l'extraterritorialité nous allons vers des problèmes beaucoup plus difficiles. C'est d'ailleurs l'intérêt de réunions comme celle-ci. On peut être fier parce que le groupe qui sert de noyau de travail s'appelle le Groupe de Lyon, parce qu'il a été mis en place au Sommet de Lyon. Le travail d'experts et de coordination des services est de valeur.
Q - A partir du moment où il n'y a pas de consensus au niveau du G8 pour créer un bureau central international, ne pensez-vous pas que les pirates ont de beaux jours devant eux ?
R - Le bureau ne doit pas être dans un lieu central. Il faut plutôt un système de permanences reliées entre les huit pays. Nous avons des unités qui fonctionnent en permanence. Il faut que le système global de permanence du ministère de la Justice, pas encore très riche en termes de personnel spécialisé, englobe une cellule de veille permanente. Mais l'information de base viendra forcément d'un pays qui aura détecté une action délictueuse. Il y a aussi une volonté de ne pas surdimensionner les outils publics, de ne pas bureaucratiser le système.
Q - (Sur l'idée américaine d'un Interpol du crime électronique)
R - Mme Reno n'a pas insisté dans ce sens aujourd'hui. L'idée générale était plutôt celle d'un système en réseau, ce qui se défend assez bien. D'où l'importance du système du groupe d'experts avec ses sous-groupes.
Q - (Sur l'adaptation de la France à ce système)
R - Un de nos problèmes est qu'en France, nous avons des règles de procédure qui reposent sur un concept de ressort géographique, avec un OPJ qui, du département de la Drôme au département du Vaucluse, n'a plus le droit de s'occuper d'une affaire. Les capacités humaines vont être limitées. Il faudra qu'on imagine des systèmes de mise en solidarité. Il ne faut pas non plus mythifier l'affaire : ce n'est pas une énorme nouvelle criminalité qui est en train d'apparaître, ce sont des circuits d'escroquerie, de vol, de détournement, qui passaient par la voie manuelle avant et qui vont passer par le réseau maintenant.
Q - (Sur le sentiment de vulnérabilité des Américains)
R - C'est là qu'une affaire comme le Minitel nous sert beaucoup. Nous avons déjà mis en place des systèmes d'échange, via cette espèce de connivence française grâce à laquelle le secteur privé et le secteur public ne sont pas à couteaux tirés. Il est de bon ton de critiquer cela, mais en l'occurrence, cela nous sert. Quand vous êtes dans une société libérale plus étendue géographiquement avec des antagonismes beaucoup plus forts l'idée d'une collaboration entre monde privé et l'autorité publique ne va pas de soi. C'est vrai que lorsqu'on passe à l'international, où les gens n'ont pas de relations du travail, c'est beaucoup plus compliqué.
Q - Y a-t-il des cas de serveurs racistes mis sur Internet depuis un pays étranger ?
R - Il suffit que dans le groupe il y ait un élément matériel de sa compétence pour que la police française puisse s'en emparer. Il ne faut pas croire que la législation française soit sans possibilité d'action.
Q - (Sur l'extradition au sein du G8)
R - Il est vrai qu'il faut qu'on aligne vers le haut les clauses des traités d'extradition des uns et des autres et nous sommes en train d'achever une renégociation du traité d'extradition franco-américain.
Q - (Sur l'Iraq)
R - Nous souhaitons que M. Butler réussisse. La position commune de la France et des Etats-Unis sur l'Iraq est que nous souhaitons la poursuite des inspections, car nous estimons qu'il y a matière à poursuivre les inspections pour réaliser un désarmement complet de l'Iraq au regard des armes de destruction massive. L'objectif commun est de faire en sorte que les inspections reprennent avec des capacités réelles de vérification. Nous essayons de traiter ce problème en rappelant à l'Iraq qu'il a des obligations internationales.
Q - (Sur l'attitude américaine en Iraq).
R - Il y a un mois, l'attitude américaine extrêmement était offensive, puis ils ont d'eux-mêmes rectifié un peu le tir.
Q - (Sur la position française).
R - Si M. Saddam Hussein avait comme premier but le bien-être de son peuple, d'abord cela ferait une vingtaine d'années que l'on s'en serait aperçu. Deuxièmement il aurait un moyen assez simple d'arriver au bien-être de son peuple, en faisant immédiatement la transparence sur l'ensemble des dispositifs de destruction massive qu'il a installés, et que, avec beaucoup de difficultés en six ans la commission d'inspection des Nations unies a fini par tester en constatant à chaque fois les fausses déclarations des Iraquiens. Car la source du problème est là. La parole de la France est engagée sur les résolutions des Nations unies et l'attitude générale que nous avons sur les armes de destruction massive est de ne pas faire d'exception en faveur de Saddam Hussein... Notre attitude est d'admettre qu'il y a des résolutions des Nations unies qu'il faut appliquer et que ceci n'est pas de pure forme, et d'appeler les Etats-Unis a une certaine retenue. Je ne suis pas sûr que ce soit notre appel qui ait conduit a la politique actuelle mais il se trouve que cela coïncide.
Entretien du ministre de la défense, avec les correspondants des médias audiovisuels français
(Washington, 10 décembre 1997)
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que l'on est passé de l'ancienne criminalité, celle du XXème siècle, à celle du XXIème ?
R - Non, parce que n'oubliez pas que l'année dernière, au Sommet de Lyon présidé par la France, on avait déjà fait un gros de travail de rassemblement des énergies des huit grandes puissances pour s'organiser contre le crime en général, contre tous les aspects internationaux de la criminalité. Cette fois-ci, en fonction d'ailleurs de décisions prises l'année dernière, l'ordre du jour était la criminalité liée à l'informatique, au réseau, et nous étions satisfaits, la France comme nos partenaires européens, d'être dans cette conférence parce qu'il y a déjà eu beaucoup de travail préparatoire de fait à l'échelon européen. Nous sommes heureux de voir que les autres grands partenaires, Etats-Unis, Russie, Japon, Canada, convergent avec nous pour harmoniser les lois, et trouver des moyens et des procédures qui permettent d'agir en temps réel, en tous cas de faire en sorte que l'action des forces de l'ordre et de la loi puisse rattraper efficacement celle des trafiquants.
Q - Faut-il changer les lois ou les adapter ?
R - Pour la partie "qu'est-ce qui est criminel, qu'est-ce qui est interdit", beaucoup de nos pays ont déjà fait les adaptations nécessaires. En France, c'est fait aussi. Nous avons du travail très délicat sur les règles de procédure "qu'est-ce que c'est qu'une interpellation pour crime informatique, qu'est-ce qu'une saisie, comment demande-t-on l'autorisation d'un juge si on doit saisir une opération alors qu'elle est presque en train de se dérouler, qu'est-ce qui vaut preuve lorsqu'une opération s'est faite uniquement par voie informatique", ce sont sur ces questions là que nous cherchons à être le plus efficace possible en nous donnant des délais de travail.
Q - Et quels sont les grands dossiers qu'il faut traiter en ce moment ?
R - Les dossiers les plus importants sont la criminalité économique sur les réseaux, y compris son aspect de chantage éventuellement, la criminalité liée aux moeurs et au respect de la dignité de la personne, à travers la prostitution et la pédophilie par les réseaux internationaux.
Q - Est-ce que les ordinateurs en France, à la Défense, aux ordinateurs des grandes sociétés, sont bien protégés ?
R - Dans l'ensemble, oui. Et la tradition française d'une bonne coordination entre le monde industriel et les services publics fait que nous avons travaillé très en amont sur ces questions et la préoccupation est bien partagée. Je disais d'ailleurs aux collègues, ce matin, qu'avec l'expérience du Minitel qui est un peu, même si c'est récent, l'ancêtre de ces grands réseaux la capacité de se partager les responsabilités entre les intervenants privés qui font du commerce sur le réseau et le gestionnaire public de celui-ci et la loi, cette coopération a obtenu d'excellents résultats. On notait que pour une transaction bancaire qui passait par le Minitel, il y avait quinze fois moins de plaintes ou de réclamations que pour une transaction bancaire qui se porte sur l'Internet depuis quelques années chez les autres partenaires. Donc c'est aussi un message optimiste, qui est que par une bonne coopération entre acteurs privés et autorités publiques, on arrive à surmonter la plupart des formes de criminalité ".
Q - Vous pensez qu'on exagère la menace terroriste sur les ordinateurs ?
R - Il ne vaut mieux pas dire qu'on l'exagère, parce qu'il vaut mieux en être conscients. Mais il est clair que si on ne travaille pas de façon très anticipée dès la conception, les grands réseaux sont des lieux vulnérables dans lesquels on peut introduire des faiblesses, on peut introduire des vulnérabilités, et c'est la source de menaces, de chantages, soit financiers, soit politiques.
Q - Et vous pensez qu'il y a une bonne prise de conscience en ce moment en France de ce phénomène ?
R - C'est à vous d'y veiller. Nous, on essaie d'émettre des messages, c'est vous qui les faites passer. Je crois pas que les Français, justement à cause du Minitel qui concerne les deux tiers ou les trois quarts des Français, soient ignorants de cela. Ils n'ont simplement pas encore vu toute la gamme des atteintes possibles, des menaces possibles. C'est à nous de leur expliquer.
Q - Le fait que les Français ne soient pas véritablement en avance au niveau des ordinateurs, est-ce que c'est un handicap, ou est-ce que c'est plutôt une chance ?
R - Je crois que vraiment le sujet est secondaire, parce que lorsque l'on passera, - ce qui va se produire -, de l'ère Minitel à l'ère Internet, en réalité ce sont les mêmes phénomènes qui vont se produire. Les Français qui vont passer à Internet vont en réalité passer à un Minitel qui a des performances beaucoup plus grandes et ne vont pas découvrir le sujet. Nous sommes, à bien des égards au contraire, en avance dans les esprits.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2002)
(Washington, 10 décembre 1997)
Q - (Sur le problème du contrôle des système de cryptage)
R - On laisse à chaque utilisateur de système chiffré le choix, pour ceux qui ont un niveau de chiffrement le plus intégré, d'un tiers, qui peut être une profession légale, libérale, ou une autre entreprise chargée de gérer, et d'ouvrir à une autorité légale l'accès à ce système chiffré. La loi de 1996 a permis ce système. Nous sommes en train de finir un décret qui l'organise, il a donné lieu à un avis un peu frais des autorités européennes. Nous allons le soumettre au Conseil d'Etat pour apprécier si le conseil estime qu'il est bien dans le système légal française, et si c'est le cas on prendra le décret.
Q - Mais concrètement, comment cela se passe--il. Par exemple sur America On Line (AOL), j'utilise des programmes cryptés. Est-ce que vous allez demander à AOL de remettre des clés de cryptage ?
R - Ce sont des textes d'application territoriale. Ceux qui organisent un service en France sont chargés de respecter ces obligations...
Q - C'est le cas d'AOL, qui est fournisseur d'accès en France. C'est même le premier. Il devra remettre ses clés à quelqu'un ...
R - A un mandataire, qu'il choisit lui même...
Q - Y a-t-il un accord au sein du G8 à ce sujet ?
R - Non, mais la concertation doit se poursuivre sur ce sujet. Tous les Etats se disent qu'ils ont des lois pour donner accès à des représentants de la Police judiciaire à ces codes. On est en plein dans la contradiction liberté d'usage-liberté de commerce et liberté d'expression versus capacité des forces de sécurité publique et de maintien de la loi de percer éventuellement le code d'un système délictueux.
Q - Monsieur le Ministre, les experts américains officiels estiment qu'il y a eu en 1996 250000 tentatives de pénétration des ordinateurs du Pentagone. Est-ce que vous pouvez nous dire si en France il a été constaté depuis que vous êtes en poste des tentatives de pénétration pour le ministère de la Défense, comme pour le Quai d'Orsay, et à quelle fréquence ?
R - Je n'ai pas de chiffre. Je ne pense pas du tout qu'il y ait en France le caractère mythique et donc tout l'enjeu qu'il peut y avoir ici au Pentagone. Donc, je ne pense pas du tout que ce soit du même ordre de grandeur. Mais il est clair que, pour des raisons soit ludiques soit plus intéressées, il y a régulièrement des tentatives d'accès.
Q - Sur la création d'un programme sur les atteintes informatiques à la sécurité nationale.
R - L'organisation de ce programme repose sur les textes de 1959 qui assurent les fonctions de défense dans chaque ministère civil. C'est une des grandes fonctions du Secrétariat général de la Défense nationale. Le SGDN est sous la responsabilité du Premier ministre.
Q - Au sein de l'armée elle-même, existe t-il, ce type d'unité ?
R - Bien sûr.
Q - (Sur l'aspect protecteur du Minitel)
R - Je ne dis pas que le Minitel nous met plus à l'abri, parce que cela va être plus compliqué avec Internet. Il faut que les gens soient conscients qu'il y a un risque pour ne plus avoir de frayeur de bande dessinée. En petit, mais sur une grande échelle en ce qui concerne les transactions bancaires, le Minitel est vraiment devenu un outil de communication sur lequel des pressions délictueuses peuvent être exercées. Le système de partenariat, entre autorité publique, gestionnaire de réseau et serveurs privés pour assurer la sécurité a donné finalement de bons résultats. Même s'il y a toujours un aspect discutable dans la répression des utilisations pornographiques du Minitel, ce qui fait des histoires maintenant c'est essentiellement l'affichage. L'accès au Minitel pornographique nous parait correctement régulé. On se dit que lorsque nous allons passer à l'échelle Internet avec à la fois la variété d'application et l'extraterritorialité nous allons vers des problèmes beaucoup plus difficiles. C'est d'ailleurs l'intérêt de réunions comme celle-ci. On peut être fier parce que le groupe qui sert de noyau de travail s'appelle le Groupe de Lyon, parce qu'il a été mis en place au Sommet de Lyon. Le travail d'experts et de coordination des services est de valeur.
Q - A partir du moment où il n'y a pas de consensus au niveau du G8 pour créer un bureau central international, ne pensez-vous pas que les pirates ont de beaux jours devant eux ?
R - Le bureau ne doit pas être dans un lieu central. Il faut plutôt un système de permanences reliées entre les huit pays. Nous avons des unités qui fonctionnent en permanence. Il faut que le système global de permanence du ministère de la Justice, pas encore très riche en termes de personnel spécialisé, englobe une cellule de veille permanente. Mais l'information de base viendra forcément d'un pays qui aura détecté une action délictueuse. Il y a aussi une volonté de ne pas surdimensionner les outils publics, de ne pas bureaucratiser le système.
Q - (Sur l'idée américaine d'un Interpol du crime électronique)
R - Mme Reno n'a pas insisté dans ce sens aujourd'hui. L'idée générale était plutôt celle d'un système en réseau, ce qui se défend assez bien. D'où l'importance du système du groupe d'experts avec ses sous-groupes.
Q - (Sur l'adaptation de la France à ce système)
R - Un de nos problèmes est qu'en France, nous avons des règles de procédure qui reposent sur un concept de ressort géographique, avec un OPJ qui, du département de la Drôme au département du Vaucluse, n'a plus le droit de s'occuper d'une affaire. Les capacités humaines vont être limitées. Il faudra qu'on imagine des systèmes de mise en solidarité. Il ne faut pas non plus mythifier l'affaire : ce n'est pas une énorme nouvelle criminalité qui est en train d'apparaître, ce sont des circuits d'escroquerie, de vol, de détournement, qui passaient par la voie manuelle avant et qui vont passer par le réseau maintenant.
Q - (Sur le sentiment de vulnérabilité des Américains)
R - C'est là qu'une affaire comme le Minitel nous sert beaucoup. Nous avons déjà mis en place des systèmes d'échange, via cette espèce de connivence française grâce à laquelle le secteur privé et le secteur public ne sont pas à couteaux tirés. Il est de bon ton de critiquer cela, mais en l'occurrence, cela nous sert. Quand vous êtes dans une société libérale plus étendue géographiquement avec des antagonismes beaucoup plus forts l'idée d'une collaboration entre monde privé et l'autorité publique ne va pas de soi. C'est vrai que lorsqu'on passe à l'international, où les gens n'ont pas de relations du travail, c'est beaucoup plus compliqué.
Q - Y a-t-il des cas de serveurs racistes mis sur Internet depuis un pays étranger ?
R - Il suffit que dans le groupe il y ait un élément matériel de sa compétence pour que la police française puisse s'en emparer. Il ne faut pas croire que la législation française soit sans possibilité d'action.
Q - (Sur l'extradition au sein du G8)
R - Il est vrai qu'il faut qu'on aligne vers le haut les clauses des traités d'extradition des uns et des autres et nous sommes en train d'achever une renégociation du traité d'extradition franco-américain.
Q - (Sur l'Iraq)
R - Nous souhaitons que M. Butler réussisse. La position commune de la France et des Etats-Unis sur l'Iraq est que nous souhaitons la poursuite des inspections, car nous estimons qu'il y a matière à poursuivre les inspections pour réaliser un désarmement complet de l'Iraq au regard des armes de destruction massive. L'objectif commun est de faire en sorte que les inspections reprennent avec des capacités réelles de vérification. Nous essayons de traiter ce problème en rappelant à l'Iraq qu'il a des obligations internationales.
Q - (Sur l'attitude américaine en Iraq).
R - Il y a un mois, l'attitude américaine extrêmement était offensive, puis ils ont d'eux-mêmes rectifié un peu le tir.
Q - (Sur la position française).
R - Si M. Saddam Hussein avait comme premier but le bien-être de son peuple, d'abord cela ferait une vingtaine d'années que l'on s'en serait aperçu. Deuxièmement il aurait un moyen assez simple d'arriver au bien-être de son peuple, en faisant immédiatement la transparence sur l'ensemble des dispositifs de destruction massive qu'il a installés, et que, avec beaucoup de difficultés en six ans la commission d'inspection des Nations unies a fini par tester en constatant à chaque fois les fausses déclarations des Iraquiens. Car la source du problème est là. La parole de la France est engagée sur les résolutions des Nations unies et l'attitude générale que nous avons sur les armes de destruction massive est de ne pas faire d'exception en faveur de Saddam Hussein... Notre attitude est d'admettre qu'il y a des résolutions des Nations unies qu'il faut appliquer et que ceci n'est pas de pure forme, et d'appeler les Etats-Unis a une certaine retenue. Je ne suis pas sûr que ce soit notre appel qui ait conduit a la politique actuelle mais il se trouve que cela coïncide.
Entretien du ministre de la défense, avec les correspondants des médias audiovisuels français
(Washington, 10 décembre 1997)
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que l'on est passé de l'ancienne criminalité, celle du XXème siècle, à celle du XXIème ?
R - Non, parce que n'oubliez pas que l'année dernière, au Sommet de Lyon présidé par la France, on avait déjà fait un gros de travail de rassemblement des énergies des huit grandes puissances pour s'organiser contre le crime en général, contre tous les aspects internationaux de la criminalité. Cette fois-ci, en fonction d'ailleurs de décisions prises l'année dernière, l'ordre du jour était la criminalité liée à l'informatique, au réseau, et nous étions satisfaits, la France comme nos partenaires européens, d'être dans cette conférence parce qu'il y a déjà eu beaucoup de travail préparatoire de fait à l'échelon européen. Nous sommes heureux de voir que les autres grands partenaires, Etats-Unis, Russie, Japon, Canada, convergent avec nous pour harmoniser les lois, et trouver des moyens et des procédures qui permettent d'agir en temps réel, en tous cas de faire en sorte que l'action des forces de l'ordre et de la loi puisse rattraper efficacement celle des trafiquants.
Q - Faut-il changer les lois ou les adapter ?
R - Pour la partie "qu'est-ce qui est criminel, qu'est-ce qui est interdit", beaucoup de nos pays ont déjà fait les adaptations nécessaires. En France, c'est fait aussi. Nous avons du travail très délicat sur les règles de procédure "qu'est-ce que c'est qu'une interpellation pour crime informatique, qu'est-ce qu'une saisie, comment demande-t-on l'autorisation d'un juge si on doit saisir une opération alors qu'elle est presque en train de se dérouler, qu'est-ce qui vaut preuve lorsqu'une opération s'est faite uniquement par voie informatique", ce sont sur ces questions là que nous cherchons à être le plus efficace possible en nous donnant des délais de travail.
Q - Et quels sont les grands dossiers qu'il faut traiter en ce moment ?
R - Les dossiers les plus importants sont la criminalité économique sur les réseaux, y compris son aspect de chantage éventuellement, la criminalité liée aux moeurs et au respect de la dignité de la personne, à travers la prostitution et la pédophilie par les réseaux internationaux.
Q - Est-ce que les ordinateurs en France, à la Défense, aux ordinateurs des grandes sociétés, sont bien protégés ?
R - Dans l'ensemble, oui. Et la tradition française d'une bonne coordination entre le monde industriel et les services publics fait que nous avons travaillé très en amont sur ces questions et la préoccupation est bien partagée. Je disais d'ailleurs aux collègues, ce matin, qu'avec l'expérience du Minitel qui est un peu, même si c'est récent, l'ancêtre de ces grands réseaux la capacité de se partager les responsabilités entre les intervenants privés qui font du commerce sur le réseau et le gestionnaire public de celui-ci et la loi, cette coopération a obtenu d'excellents résultats. On notait que pour une transaction bancaire qui passait par le Minitel, il y avait quinze fois moins de plaintes ou de réclamations que pour une transaction bancaire qui se porte sur l'Internet depuis quelques années chez les autres partenaires. Donc c'est aussi un message optimiste, qui est que par une bonne coopération entre acteurs privés et autorités publiques, on arrive à surmonter la plupart des formes de criminalité ".
Q - Vous pensez qu'on exagère la menace terroriste sur les ordinateurs ?
R - Il ne vaut mieux pas dire qu'on l'exagère, parce qu'il vaut mieux en être conscients. Mais il est clair que si on ne travaille pas de façon très anticipée dès la conception, les grands réseaux sont des lieux vulnérables dans lesquels on peut introduire des faiblesses, on peut introduire des vulnérabilités, et c'est la source de menaces, de chantages, soit financiers, soit politiques.
Q - Et vous pensez qu'il y a une bonne prise de conscience en ce moment en France de ce phénomène ?
R - C'est à vous d'y veiller. Nous, on essaie d'émettre des messages, c'est vous qui les faites passer. Je crois pas que les Français, justement à cause du Minitel qui concerne les deux tiers ou les trois quarts des Français, soient ignorants de cela. Ils n'ont simplement pas encore vu toute la gamme des atteintes possibles, des menaces possibles. C'est à nous de leur expliquer.
Q - Le fait que les Français ne soient pas véritablement en avance au niveau des ordinateurs, est-ce que c'est un handicap, ou est-ce que c'est plutôt une chance ?
R - Je crois que vraiment le sujet est secondaire, parce que lorsque l'on passera, - ce qui va se produire -, de l'ère Minitel à l'ère Internet, en réalité ce sont les mêmes phénomènes qui vont se produire. Les Français qui vont passer à Internet vont en réalité passer à un Minitel qui a des performances beaucoup plus grandes et ne vont pas découvrir le sujet. Nous sommes, à bien des égards au contraire, en avance dans les esprits.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2002)