Déclaration de M. François Patriat, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le métier d'agriculteur, sur la formation agricole, sur la politique de transmission des exploitations agricoles, Toulouse le 6 mars 2002.

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Circonstance : Colloque "L'accès au métier d'agriculteur" organisé par le CNASEA et la CCMSA à Toulouse le 6 mars 2002

Texte intégral


Mesdames,
Messieurs,
Je suis heureux que l'un de mes premiers déplacements sur le terrain depuis ma nomination me permette d'être parmi vous, à Toulouse, pour parler du métier d'agriculteur.
Ce colloque vous a mobilisé, en effet, pour échanger sur les moyens de faciliter l'accès à ce métier qui tient une place très particulière au sein de notre société. Comme l'a montré le salon de l'agriculture, la semaine dernière, les métiers de la terre, de la pêche, de la forêt, de l'élevage suscitent un fort intérêt de nos concitoyens. Ils ont une image positive dans notre société même si cette activité est soumise à un questionnement critique, comme toutes les activités, dans notre société démocratique.
L'initiative du CNASEA et de la MSA d'organiser ce colloque sur l'accès au métier d'agriculteur, me donne l'occasion de m'exprimer sur un sujet de la politique agricole qui me tient particulièrement à cur, car il s'agit de l'agriculture de demain. Il s'agit d'ouvrir des perspectives pour celles et ceux qui dans les 20 ou 30 ans qui viennent, exerceront le métier d'agriculteur.
Je voudrais tout d'abord dire ici combien j'ai conscience des bouleversements considérables qu'à connu le métier d'agriculteur depuis un demi-siècle. Peu de métiers ont connu de tels changements.
Les nouvelles orientations de notre politique agricole, fixé par la loi de juillet 1999, définissent sans aucun doute un nouveau profil de l'agriculteur de demain.
Il ne sera plus exclusivement producteur de biens alimentaires, mais aussi acteur du monde rural participant à l'entretien des paysages, de notre patrimoine rural, pleinement intégré dans les projets de développement local et d'aménagement du territoire.
Sans aucun doute, l'enrichissement du contenu proposé à ce métier, à la condition bien compréhensible que les perspectives soient bien claires pour ceux qui en font le choix, lui redonne une nouvelle légitimité auprès de nos concitoyens et un nouveau sens pour ceux qui l'exercent.
Et j'ai la conviction que l'orientation que nous avons prise et qui correspond à des attentes légitimes, constitue la meilleure façon de promouvoir ce métier.
Notre politique publique en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs est toujours une référence.
Nous ne partons pas de rien. La France a la politique d'installation en agriculture la plus ancienne, la plus complète et celle qui mobilise le plus de moyens en Europe. Depuis la création de la dotation jeune agriculteur en 1973, dont nous allons fêter le 30ème anniversaire, cette politique n'a cessé de se développer et de se diversifier.
Comme l'ont voulu ses promoteurs, il s'agit d'une politique publique menée sur l'ensemble du territoire national donnant un rôle important aux organisations professionnelles agricoles.
Elle comporte un ensemble très complet d'outils : aides, incitations fiscales, aménagement des cotisations sociales, accès privilégié aux droits à produire et aux droits à primes. Elle mobilise 200 millions d'euros par an. Ces effets ne sont pas négligeables.
Entre les 2 recensements de 1988 et 2000, les exploitants sont devenus plus jeunes, mieux formés et les exploitations aidées ont une excellente viabilité que nous envient bien d'autres secteurs d'activité.
Mais, cette politique s'est inscrite sans l'infléchir dans le mouvement de réduction du nombre d'exploitations de 1 million en 1988 à 660 000 en 2000, les installations aidées se réduisant également de 12 000 en 1990 à 6 000 en 2000.
Nous entrons dans un contexte démographique nouveau
Le contexte démographique dans lequel on vient d'entrer et qui va se poursuivre dans les 15 prochaines années offre à la fois des opportunités mais présente aussi quelques risques.
Tout d'abord les opportunités. Elles sont liées à l'arrivée d'une période de plus grande stabilité démographique. Les immatriculations se stabilisent, en effet, à 18 000 par an, les sorties devraient poursuivre leur diminution en deçà de 30 000 par an et donc faire passer le rythme de réduction du nombre de chefs d'exploitation autour de 1,5 % par an à partir de 2004.
Le taux de renouvellement qui était d'une installation pour quatre départs en 1993, d'une installation pour deux départs en 1999, est en train de se rapprocher de 2 installations pour 3 départs.
Ce contexte stabilisé permet de rendre plus efficaces des politiques volontaristes d'installation en agriculture et faciliter le renouvellement des générations.
Mais, nous nous situons également dans un contexte de plus grande concurrence pour l'accès au foncier et le risque de démantèlement d'exploitations viables va s'accroître. Les analyses présentées au colloque par le CNASEA, le SCEES, la MSA donnent un éclairage particulièrement pertinent sur ces questions.
De nouveaux publics porteurs de nouveaux projets
Le vivier des futurs agricultrices et agriculteurs se situera plus encore que dans le passé chez des personnes non issues du monde agricole. Il faut donc impérativement les aider à concevoir leur projet avec passion et audace et à le concrétiser avec réalisme et pragmatisme.
Cette situation rend nécessaires des actions de communication donnant une image positive de ce métier, mettant en valeur l'utilité sociale et économique de l'agriculture en termes d'emploi, de production de qualité et de zones rurales et périurbaines vivantes.
Ces actions de communication doivent inciter les parents à transmettre leur exploitation à leurs enfants et sensibiliser les agriculteurs sans successeurs à l'intérêt d'accueillir des personnes hors du cadre familial ou agricole. Il s'agit de communiquer sur la fierté de transmettre et de trouver un nouveau prolongement à une vie professionnelle en passant le relais.
Cela suppose aussi, de donner toute leur chance à des projets moins conventionnels puisqu'ils seront moins issus de reprises de l'existant.
Il faudra admettre, par exemple, que dans l'Hérault viticole, on s'installe en production de pommes de terre et volailles fermières sur 80 ares, 1 ha de parcours boisé et 4 poulaillers de 45 m².
Ce projet que je cite permet actuellement à son auteur de bénéficier d'un excédent brut d'exploitation de 17 000 euros.
Dans ce vivier, il y a aussi les salariés agricoles. En effet, comment ne pas penser que parmi les 1,5 millions d'actifs agricoles salariés dont 400 000 permanents, nous avons de futurs chefs d'exploitation. Les salariés de groupements d'employeurs et des services de remplacement notamment disposant d'une expérience diversifiée acquise sur plusieurs exploitations et plusieurs productions.
J'ai la conviction que l'agriculture doit faire une meilleure place et accorder une meilleure considération au salariat agricole qui est en progression depuis 1997. Des salariés agricoles fidélisés, mieux formés sont une chance pour notre agriculture. Je compte notamment sur la MSA pour uvrer dans ce sens.
Je me félicite que les femmes prennent toute leur place dans cette dynamique, qu'elles soient filles d'agriculteurs ou qu'elles s'installent hors du cadre familial. Cette mixité progressive du métier lui garantit à la fois sa modernité et sa pérennité.
Le métier d'agriculteur aura un avenir s'il s'appuie sur l'ensemble de ses composantes : les chefs d'exploitation, hommes et femmes, les conjoints, les salariés agricoles.
Notre appareil de formation agricole constitue un atout de premier plan dans notre politique en faveur de l'installation
Je considère en effet que notre appareil de formation agricole qui recrute bien au delà du milieu agricole puisque les fils ou filles d'agriculteurs ne représentent que 20% des élèves, constitue un des maillons essentiel pour promouvoir l'accès au métier.
Dès ce stade, les élèves sont sensibilisés à la nouvelle orientation de notre agriculture et la rénovation des formation qui a été engagée au cours des derniers mois permet incontestablement à mieux les préparer à leur métier.
Ces nouveaux publics auront des parcours plus diversifiés
Cette situation correspond au soutien à des parcours progressifs d'accès au métier d'agriculteurs souhaité par les parlementaires lors de l'examen de la loi d'orientation agricole.
On peut donc mieux combiner les différents statuts sociaux, les différents outils de la politique de l'installation qu'ils soient spécifiques à l'agriculture ou relèvent de la politique de l'emploi, qu'ils soient mis en uvre par l'Etat ou par les collectivités locales.
Il existe donc aujourd'hui des combinaisons très variées pour accéder au métier d'agriculteur et il faut s'en féliciter. Je suis particulièrement attaché à ce que le parcours de l'installation hors du cadre familial soit pris en compte à sa juste mesure. Ce type d'installation est en train de prendre une place croissante dans l'ensemble des installations, or c'est précisemment ce type de parcours qui présente le plus d'écueils.
La rénovation des outils de la politique de l'installation a été faite pour l'essentiel. A l'issue des travaux d'un groupe de travail Ministère-profession, mon prédécesseur et ami, Jean Glavany, avait annoncé 21 mesures lors de la journée pour l'installation organisée par les jeunes agriculteurs à Etalans dans le Doubs en mai 2000. Actuellement, ces mesures sont mises en place. Mais, elles n'ont pas encore donné tout leur potentiel :
La DJA a vu ses conditions d'accès élargies. Elle demeure un outil central de la politique de l'installation.
Avec 3 700 contrats signés par des jeunes agriculteurs, le CTE s'affirme comme un excellent moyen de conforter l'installation en agriculture et de reconnaître et de soutenir les projets innovants dont je parlais précédemment. Mais, son utilisation pour les jeunes agriculteurs est très inégale sur le territoire : si le Lot articule systématiquement installation avec CTE, je constate que ce n'est pas un choix qui a été fait partout. C'est pourquoi je souhaite qu'on puisse tirer rapidement les premiers enseignements de ce couplage systématique, pour voir si les réticences observées ici ou là sont justifiées.
Le CTE installation progressive a une mise en uvre trop modeste à ce stade. Si le dispositif emplois jeunes agriculteurs a connu ses premières signatures en Vendée, dans l'Orne, l'Ille et Vilaine, la Sarthe, les Alpes Maritimes et le Finistère, il est trop peu utilisé.
Cette excellente idée des jeunes agriculteurs permet en effet d'utiliser les crédits et les outils de la politique de l'emploi en agriculture.
Des aides simplifiées et rendues plus cohérentes
En matière d'aide à l'installation, je crois qu'il ne s'agit plus d'en créer de nouvelles mais de mieux utiliser et de mieux coordonner les multiples instruments. Dans quelques semaines, le ministère va publier le recueil actualisé de toutes les dispositions réglementaires relatives à l'installation.
Cette compilation permettra à nos services comme aux acteurs de cette politique de disposer d'un seul document qui se substituera à de multiples circulaires publiées au cours des 30 dernières années. Cet objectif de simplification et de mise en conformité avec la législation européenne doit se poursuivre. La circulaire relative à la clôture des programmes PIDIL et leur financement désormais assurés sur le chapitre de la DJA va être publiée dans les prochains jours.
Certaines mesures aujourd'hui obligatoires gagneraient à être facultatives.
Je serais, pour ma part, favorable à ce que le stage 6 mois, très utile pour que le futur installé découvre d'autres réalités professionnelles, puisse devenir facultatif, tout en demeurant financé par l'Etat, plutôt qu'obligatoire en étant assorti de multiples dérogations.
Notre souci en la matière doit être d'augmenter l'impact des installations aidées.
Car je vous le dis ici, un ministre de l'agriculture ne peut se satisfaire de voir que 30% des installations de nouveaux agriculteurs se font sans l'appui des pouvoirs publics. Il me semble que c'est en simplifiant le parcours de l'installation qu'on va augmenter son impact.
Une politique ambitieuse de transmission
Il est un autre acteur de l'installation vers lequel nous devons concentrer plus d'efforts, c'est le cédant. Il nous faut élaborer une politique de transmission des exploitations plus ambitieuse vis à vis des 25 000 cédants qui vont quitter chaque année le métier.
Le CTE transmission couplé à une éventuelle pré-retraite, l'aide à la transmission d'exploitations sont encore très peu utilisés.
L'action concertée de la MSA d'une part, qui reçoit l'information sur les intentions de prendre la retraite avec 18 mois de délais, les ADASEA gestionnaires des répertoires départs installation qui coordonnent désormais leur intervention avec les SAFER depuis la convention signée le 20 février 2001 par André Thévenot, Jean-Claude Madaule et André Barbaroux peut permettre de mieux utiliser ces outils et de se concerter avec le futur cédant pour lui offrir des solutions de reprise.
Là aussi, je souhaite donner plus de subsidiarité aux CDOA dans l'octroi du CTE transmission afin que cesse de se colporter l'idée, fausse, que le CTE n'est pas accessible aux plus de 55 ans.
L'accès au foncier reste toujours une des conditions de réussite d'une politique d'installation
Le marché foncier va demeurer étroit et la tendance au renchérissement du prix des terres sensible depuis plusieurs années risque de se poursuivre.
Sur ce marché, la volonté individuelle de chaque exploitant agricole de s'agrandir percute l'intérêt général qui recommande de conserver un grand nombre d'exploitations viables, transmissibles et réparties harmonieusement sur le territoire.
Chacun sait que la rentabilité marginale d'un hectare repris en agrandissement est plus élevée qu'en installation. Cette situation est aggravée si cette surface permet de reprendre des droits à produire ou des droits d'épandage.
Aussi, il convient de bien articuler la politique de contrôle des structures mise en uvre par le Préfet après avis de la CDOA et la politique d'orientation foncière de la SAFER.
La pression foncière forte opérée par l'extension urbaine et les achats de propriétés rurales par des non agriculteurs concurrence l'installation.
Dans le cadre des travaux du groupe de travail interministériel décidé par le CIADT lors de sa réunion de juillet 2001, présidé par M. Alain Dassonville, ingénieur général du GREF, il convient de mieux articuler les interventions des établissements publics fonciers et des SAFER et d'examiner avec les collectivités locales le portage foncier qu'elles peuvent consentir pour alléger l'investissement foncier des jeunes agriculteurs.
Dans ces conditions, je pense qu'il est nécessaire de redéfinir les axes d'une politique foncière favorable à l'installation dans trois directions :
en articulant le calendrier de la libération des terres avec celui du montage de projets d'installation notamment par des procédures de stockage des terres et des conventions de mise à disposition ;
en coordonnant le transfert des propriétés avec celui des droits d'exploiter ;
en facilitant le financement du foncier utilisé pour l'installation.
L'installation, une politique plus territoriale
Enfin, je voudrais profiter d'être dans la région Midi-Pyrénées, où le Conseil Régional et plusieurs Conseils Généraux ont une politique active d'installation pour affirmer qu'il convient désormais d'avoir une approche plus territoriale du renouvellement des générations d'agriculteurs.
En effet, il est nécessaire que dans une petite région agricole, dans un pays, une communauté de communes, un parc naturel régional, les élus définissent avec le représentant de l'Etat et les responsables professionnels agricoles la place dévolue à l'agriculture et qu'ils puissent mobiliser les différents outils adaptés à leurs objectifs.
Je salue à ce titre toutes les initiatives qui consistent à mettre en place ici ou là des " comités locaux d'installation " . Je pense qu'il s'agit là d'une bonne façon de mettre en place des dynamiques locales en faveur de nouveaux exploitants.
D'une façon plus large, je serais favorable à ce que la charte de l'installation puisse donner lieu à une actualisation en lui donnant une déclinaison régionale plus marquée, en cohérence avec les projets agricoles départementaux, avec les différents projets de territoires qui se mettent en place ici et là, mais aussi avec programmes d'activité des Safer.
Je conclurai ces propos en indiquant que ce colloque a contribué incontestablement à alimenter la réflexion sur notre politique d'installation à un moment tout à fait opportun.
Je souhaite, en effet, que les éléments de vos débats soient remis au groupe de travail sur l'installation en agriculture mandaté par le conseil supérieur d'orientation de l'agriculture lors de sa réunion de novembre. Ce groupe, coprésidé par Marianne Dutoit, vice-présidente des Jeunes Agriculteurs et Christian Dubreuil, l'un de mes directeurs, tient une réunion mensuelle depuis décembre et remettra ses propositions en juillet prochain.
J'attache une importance toute particulière à ces propositions qui ont pour ambition de donner un nouvel élan à notre politique d'installation pour les dix prochaines années.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 13 mars 2002)