Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les enjeux du sommet des pays francophones de Moncton dans un contexte de mondialisation et sur la complémentarité de la coopération et de la francophonie, à Hourtin le 24 août 1999.

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Circonstance : 20ème Université d'été de la communication à Hourtin (Gironde) du 23 au 27 août 1999

Texte intégral

Moncton, au Nouveau Brunswick accueillera, du 3 au 5 septembre prochain le rendez-vous biennal des chefs d'Etat et de gouvernement de la Francophonie.
En m'invitant, ici à Hourtin, dans cette désormais traditionnelle et très fréquentée université de la communication à parler du Sommet et de la Francophonie, son délégué général, Marcel Desvergnes, s'est probablement rangé du côté de ceux qui inclinent à penser que la Francophonie n'est pas uniquement une dimension de la présence internationale de la France. Mais que dans une mondialisation dont Hourtin examine à la loupe les effets sur la transformation de l'homme d'aujourd'hui (le numérique, Internet, une approche profondément renouvelée des échanges des savoirs, des valeurs, des moeurs, des représentations), la Francophonie est une voix, et pour la France un engagement plus contemporains, plus utiles voire plus nécessaires qu'on ne le suppose parfois.
C'est naturellement ma perception des choses.
Mais pour vous dire comment la France et son gouvernement voient la Francophonie aujourd'hui, comment nous avons préparé le Sommet de Moncton, quels enjeux nous lui prêtons, j'ai besoin si vous le voulez bien d'un petit détour, celui que j'ai fait personnellement, depuis deux ans que je coordonne le dossier francophone au gouvernement.
On m'a souvent demandé comment se justifiait le regroupement des deux responsabilités, naguère disjointes que sont la Coopération et la Francophonie. Et j'y ai répondu d'abord simplement avec trois arguments :
- beaucoup de pays bénéficiaires de notre coopération sont des pays francophones et l'Afrique francophone notamment demeure le coeur de notre zone de solidarité prioritaire, même si celle-ci ne s'y résume pas,
- ensuite, la coopération bilatérale et la coopération multilatérale sont étroitement mêlées chez nous, cela se comprend puisqu'il n'y a pas une action de la coopération française dans le monde qui ne soit par essence francophone,
- enfin le ministère des Affaires étrangères est de très loin le plus gros contributeur à la Francophonie des Sommets.
Mais ces arguments de bon sens ne répondent pas exactement à la question. Je crois que mes interlocuteurs, notamment les médias, qui reflètent l'opinion, manifestent encore une certaine perplexité devant la Francophonie : oserais-je dire que c'est l'un des engagements internationaux de la France que notre pays et nos compatriotes vivent comme une évidence tout en percevant difficilement son articulation, et voire sa cohérence avec l'ensemble de notre politique extérieure ? Jusqu'à se demander pour certains si la Francophonie est bien une idée actuelle et moderne ?
Cette impression, je l'ai vérifiée bien des fois et vous me permettrez d'essayer de comprendre avec vous cette sorte de brouillage du concept de Francophonie dans l'opinion, pour vous faire toucher du doigt la façon dont nous avons essayé de reprendre la question.
Je me situerai à trois niveaux :
- Celui du terme d'abord : entre l'acception linguistique et l'extension géographique du mot Francophonie, on ne sait pas toujours où l'on est, au point que la Francophonie est encore souvent assimilée à une défense crispée de la langue, ce qui lui nuit, quand dans le monde actuel tout montre qu'elle rassemble des pays et des peuples qui autour du français, oserai-je dire grâce au français mais dans un souci de dialogue et d'ouverture, organisent peu à peu leur concertation sur des thèmes et des valeurs qu'ils estiment essentiels.
Celui du contenu et je me situe là au plan politique : c'est vrai, la Francophonie véhicule encore des restes de mauvaise conscience : certains la suspectent d'être une version moderne et aseptisée d'un esprit néocolonial ou impérial qui n'a pas complètement renoncé.
D'autres - à l'inverse - estiment que la France avec la Francophonie, peut tenir tête à une forme d'hégémonie anglo-saxonne, non sans soupçonner d'ailleurs que certains de nos partenaires, de moindre importance en tirent un meilleur parti que nous.
Comment s'étonner alors que de ces clivages naissent toute une série de paradoxes apparents entre Francophonie et d'autres grands engagements internationaux de la France ?
- Alors qu'on parle au quotidien de mondialisation, ce qui suppose que les anciennes frontières et les vieilles alliances sont tombées, la Francophonie reconstituerait une zone de connivences nostalgiques.
- Comment la France, si engagée dans le grand chantier européen, pourrait elle en même temps intéresser les français à la Francophonie et à son organisation, alors que ses atouts leur paraissent beaucoup moins sensibles pour notre avenir ?
- Comment enfin rendre évidente l'homogénéité de l'espace francophone quand, parmi les 49 pays membres, beaucoup n'ont qu'un usage minime du français ? Et comment se convaincre d'une unité francophone quand des concepts aussi fondamentaux que le droit, la démocratie, restent dans cette organisation si mal partagés et pour beaucoup de peuples un horizon encore lointain ?
Si je voulais résumer :
Voilà un mouvement qui compte 49 Etats et gouvernements, en gros 500 millions d'habitants répartis sur tous les continents qui n'est pas un ensemble géopolitique, qui n'est pas un ensemble économique et qui pourtant s'est érigé depuis Hanoi en organisation internationale, nouant des alliances avec l'ONU, l'OUA, l'Union Européenne qui lui font une place et l'écoutent. A Moncton, M. Koffi Annan au demeurant assez bon francophone interviendra à la séance d'ouverture.
Voilà une organisation voulue à l'origine par le Sud, dont l'Afrique, le Sud-Est asiatique, l'Est de l'Europe attendent visiblement beaucoup si l'on en juge par le nombre de candidats et qui formulent explicitement leurs attentes : ce sont les Vietnamiens qui, au Sommet de Hanoi, nous ont dit que dans leur contexte de développement économique, la Francophonie était un atout ; c'est l'Afrique anglophone et lusophone qui, dans les recompositions sous régionales de ce continent, tellement bouleversé par l'après guerre froide, décrit la Francophonie comme un lien, un facteur d'échange, une plus value dans la formation de ses jeunes, de ses cadres et décideurs. C'est le flanc est de l'Europe pour qui la Francophonie et sa relation à la France sont le premier ciment avec l'Europe, la porte d'une entrée en force en Europe.
Et il y a enfin nous, Français, élément important de ce mouvement : nous sommes en plein dans la mondialisation, qui transforme notre économie, notre regard sur la relation internationale - et la réforme de notre coopération en a pris acte - ; nous sommes engagés à fond dans la construction européenne qui modifie notre paysage politique et social ; et nous sommes par nature plus francophones que tous nos autres partenaires acteurs de premier rang de la Francophonie par le nombre, l'importance de nos contributions, le poids de notre parole.
Et pourtant nous sommes partagés! A la veille d'un Sommet comme celui-ci on m'interroge : certains sont sceptiques, d'autres me demandent pourquoi tout cela ne va pas plus vite, plus loin ; pourquoi les acquis politiques - paix, démocratie, liberté - ne sont-ils pas plus substantiels ? Y aura-t-il un bloc francophone qui se fera entendre au moment où s'ouvre le cycle de négociations de l'OMC ? etc...
Alors, cette Francophonie, est-elle vraiment une voix qui naît, ou un leurre ?
Et d'un autre côté, peut-être plus instruit que d'autres par une longue expérience de responsable d'une collectivité territoriale, j'ai été enclin à faire le trajet inverse que celui qu'on fait d'habitude, en prêtant attention à un désir de Francophonie à la base qui se confond étroitement avec le besoin d'extériorisation de la société française : 6000 collectivités territoriales françaises interviennent aujourd'hui dans 120 pays du monde et y apportent sur leurs ressources 1,5 milliards de francs. Pour elles France, Francophonie et Coopération c'est un tout. Elles exportent leur identité, notre langue, nos entreprises, nos savoir faire. C'est cela aussi, la Francophonie en France, quelque chose d'effervescent, d'atomisé peut-être, mais un formidable élan de solidarités personnelles, d'intérêts économiques, et de volontés qui s'adressent à l'Etat comme à une entité dont on attend qu'elle accompagne, coordonne, valorise, sans jamais se substituer à l'initiative du terrain.
Voilà le contexte qui trace l'action francophone du gouvernement et a déterminé notre approche du Sommet de Moncton :
- D'un côté, moderniser les institutions francophones, souvent décriées, et j'y reviendrai, pour leur inadéquation aux attentes. Ce travail de fond a été entrepris à Hanoi et il est loin d'être négligeable dans les résultats. J'ai cru constater d'ailleurs que les médias n'y étaient pas indifférents même si en termes de communication, c'est un travail un peu obscur.
- De l'autre, rapprocher la Francophonie des populations : car dans le monde actuel caractérisé par le marché, l'échange, la fluidité et la compétition, l'effacement des frontières, ce n'est ni sur une base géopolitique, ni sur un principe de bloc économique qu'on redécouvre la spécificité de la Francophonie : son "territoire" ce sont la langue et les langues, les cultures comme vecteurs des identités, au coeur de la problématique des ressources humaines. C'est un enjeu culturel commercial et politique considérable qui touche à l'influence des pays membres dans la mondialisation, et qui redonne tout son sens à une pratique de solidarité active dans un ensemble profondément marqué par les inégalités nord-sud. Sur ce dernier point la France a naturellement un rôle moteur à jouer. L'espace francophone doit être un espace de développement, sinon le premier enjeu ne sera pas atteint et nous retrouvons bien ici la coopération y compris au sens que lui donnait la rue Monsieur hier encore..
* * *
1 - Rénover les institutions pour accroître la capacité de concertation et de coopération
Je ne vais pas devant vous refaire le Sommet de Hanoi, vous en connaissez les grandes conclusions : vous vous souvenez notamment que la création d'un secrétariat général, tenu aujourd'hui par M. Boutros-Ghali, avait à l'époque fait l'événement.
Cette décision évidemment capitale en recouvre en réalité bien d'autres dont les principes sont dans la charte de la Francophonie. J'en retiendrai ici deux auxquels j'ai moi-même prêté une attention particulière dans la mesure où elles touchent à deux points faibles de la Francophonie.
La première concerne la montée en puissance d'une Francophonie politique :
Si la personnalité de l'actuel Secrétaire général illustre mon propos - et nous nous louons quant à nous de l'esprit d'entreprise de M. Boutros-Ghali qui a su en moins de deux ans faire de la Francophonie une voix écoutée et reconnue - la préoccupation des francophones pour que leur solidarité renforce chez eux les principes du droit, des libertés, fondamentaux de la démocratie est plus ancienne. Certains se souviennent peut-être que le président de la République l'a lui-même relancée à Hanoï autour de l'idée et du projet d'un observatoire des libertés et de la démocratie. On ne pouvait pas mieux dire qu'il était temps, si l'espace francophone prétend exister dans la globalisation, de traiter à la racine les phénomènes qui y font le plus obstacle et, que n'admet plus la communauté internationale parce qu'ils sont l'un des freins les plus regrettables au développement.
Au regard des derniers mois et des crises graves notamment en Afrique mais pas seulement, certains ironiseront peut-être sur le chemin à faire. Nous faisons le choix quant à nous de nous attacher d'autant plus à la tâche, en partant du principe que si pour des raisons historiques, politiques, économiques, certaines parties de l'espace francophone peinent à s'accoutumer à des pratiques démocratiques pourtant essentielles et partagées par la communauté internationale, il n'est que temps de remédier à cette situation.
La partie émergée de ce dispositif, ce sont les missions de médiation ou de bons offices entreprises par le secrétaire général, en coordination la plupart du temps avec les instances internationales, comme au Togo ou en République démocratique du Congo.
Derrière tout cela, une active coopération dans les domaines juridiques et judiciaires vise, en complémentarité des initiatives bilatérales, à consolider ou parfois construire l'Etat de droit.
Notre sentiment était malgré tout qu'on ne peut avancer sur ce terrain sans un large accord politique des Etats et gouvernements sur la stratégie à suivre. Ce sont après tout leurs affaires et l'expérience montre que si on veut prévenir les ruptures et les crises, cela ne peut se faire que sur un agrément des sociétés, des institutions, des politiques sur la marche à suivre. J'ai donc moi-même, à la conférence ministérielle de Bucarest proposé un grand symposium de bilan et de propositions sur les pratiques en matière de droits, de liberté et de démocratie pour l'an 2000, où la question de l'alternance, du statut de l'opposition, du devenir matériel des anciens responsables, de la relation du politique et de l'argent public serait évoquée sans réticence de principe. J'observe à ce stade que cette idée fait son chemin et qu'un consensus se fait pour prendre à bras le corps ce qui nous apparaît comme un préalable à tout dialogue international constructif.
Mais on ne peut progresser qu'avec des outils de coopération efficaces.
Si j'enchaîne immédiatement sur ce point c'est qu'en écoutant les uns et les autres, il m'est très tôt apparu que la crédibilité de la Francophonie souffrait depuis longtemps d'une image altérée de ses outils de coopération : opacité, gestion centralisée, empilement des programmes, insuffisante coordination entre opérateurs, entre la Francophonie et les autres coopérations multilatérales et bilatérales, visibilité modeste voire confidentialité des résultats...voilà les critiques pèle mêle qu'on entendait. J'ajoute que la France est particulièrement bien placée pour avoir depuis longtemps vérifié que les moyens - importants mais somme toute relatifs de la Francophonie, 1 milliard de FF/an en moyenne - devaient être aussi étroitement coordonnés que possible avec les autres coopérations, ce qui suppose des choix d'orientation et une exigence accrus.
Nous souhaitons donc à Moncton insister sur 3 types de mesures :
- D'abord renforcer les mécanismes de concertation pour que, à l'instar de toutes les grandes instances multilatérales, la Francophonie s'appuie, là où elle veut agir, sur des convictions rassemblant les meilleures expertises, validées au meilleur niveau politique.
La méthode a été expérimentée à Monaco les 14 et 15 avril dernier avec la conférence des ministres de l'Economie et des Finances dont la préparation, coordonnée par l'agence intergouvernementale de la Francophonie a été incontestablement le gage d'une réunion de très haut niveau. Pour ces négociations, si importantes de l'OMC qui vont s'ouvrir à Seattle, on a bien noté l'intérêt de créer un dispositif d'information économique des pays francophones propice à forger des positions éventuellement communes. La question de la diversité culturelle en est une, avec des implications commerciales considérables et pourrait si le prochain Sommet le décide, et la France le souhaite vivement, faire l'objet des prochaines concertations.
- Développer ensuite les relations entre opérateurs : la coopération francophone est finalement récente. Et ses opérateurs se sont créés et développés au fur et à mesure. Les liens qu'ils entretiennent sont insuffisants pour aborder des questions complexes, exigeant justement la réunion de leurs savoir faire : par exemple entre l'agence intergouvernementale et l'agence universitaire, mais aussi TV5. Autour des questions de langue, de formation, d'usage des nouvelles technologies, le moment est venu d'agir ensemble avec des projets communs.
- Evaluer : c'était peut être la plus grande faiblesse du multilatéral francophone. Faute d'évaluation suffisante, on ne sait pas réorienter et redéployer les programmes. La Charte donne donc au Secrétaire général toute latitude pour évaluer.
Il a manifesté la volonté de le faire en prenant pour premier exemple la coopération universitaire et de recherche, confiée à l'Agence universitaire de la Francophonie (AUPELF-UREF). La presse est visiblement bien informée puisqu'elle a fait assez largement état des conclusions de ces rapports. Je m'y arrête donc quelques instants.
La France souhaitait particulièrement que cette évaluation soit conduite et elle n'était pas la seule : comme je l'ai dit tout à l'heure, la production intellectuelle et la vitalité de nos réseaux universitaires et de recherche sont au coeur de la préoccupation francophone. Nous souhaitions donc vérifier les performances de l'Agence qui est chargée de cette coopération.
Je crois que la Francophonie a réussi là un exercice d'évaluation externe auquel elle n'était pas accoutumée et qui servira pour la suite. Un Comité d'évaluation multilatéral composé d'une dizaine d'experts a observé les choses de façon approfondie et sans concession.
Le Sommet de Moncton, sur la base de ce rapport et de celui qui examine les comptes de l'Agence universitaire prendra les mesures qui lui semblent appropriées.
Mon sentiment à ce stade, c'est d'abord que l'évaluation est une pratique saine et nécessaire car elle introduit du débat, de la transparence et qu'elle permet de progresser. Dans le cas présent, complexe puisqu'il touche un réseau associatif très important d'établissements universitaires et de recherche, le moment est certainement venu de se pencher sur son fonctionnement sans qu'il soit question de revenir sur son rôle d'opérateur des Sommets et bien entendu sur la priorité qu'on accorde aux échanges universitaires en Francophonie. La France y contribue, je vous le rappelle, pour une large part (plus des 4/5) et n'entend pas relâcher son effort.
2 - J'en viens maintenant aux thèmes de Moncton et, reprenant mon analyse de tout à l'heure, j'insisterai sur ceux qui ont pour objet de promouvoir une Francophonie plus participative, plus attractive plus sensible aux préoccupations du terrain. Moncton tout d'abord est le Sommet de la jeunesse.
- Thème important pour un ensemble de pays dont beaucoup, au sud, du fait de la crise économique et des taux de croissance démographique connaissent des difficultés considérables pour former leurs jeunes et leur donner accès aux biens culturels, à l'emploi, à l'autonomie.
- Thème évocateur de solidarités par conséquent entre pays, entre générations et en tout cas utile pour faire le point sur des programmes de coopération francophone qui ne s'adressent pas toujours suffisamment aux jeunes.
- Thème enfin participatif et il l'a été tout au long de la préparation, puisque des consultations ont été organisées dans chaque pays et que des réunions plus larges de réflexion et de synthèse ont été organisées, notamment à Bamako en février 1999, à Genève en mars, mais aussi au Canada Nouveau-Brunswick et au Burkina Faso.
Les synthèses de ces travaux seront présentées aux chefs d'Etat et de gouvernement et mettent en évidence quatre grands champs de priorités : les progrès de la citoyenneté et de la démocratie ; la mobilité des jeunes francophones et les échanges ; l'insertion professionnelle ; l'accès aux nouvelles technologies de la communication.
Plusieurs de ces préoccupations correspondent à des priorités de la coopération francophones et le plan d'action du Sommet - la feuille de route de la Francophonie - prévoit que les opérateurs veilleront à y accueillir de façon réelle les propositions des jeunes. Pas d'annonce pour l'annonce donc, mais un travail de fond qui, d'ici la conférence ministérielle de programmation de novembre, en aval du Sommet, se concrétisera par un réaménagement des programmes.
Les priorités thématiques de Moncton ont été activement soutenues par la France.
- J'ai au début de ma présentation traité du politique, tout simplement parce qu'il est, au plan international très lié au rôle du Secrétaire général. Mais j'y reviens en deux mots pour vous rappeler que pour nous, cette priorité n'est de premier rang pour la Francophonie qu'en tant qu'elle contribue à consolider les principes du droit, de la vie démocratique, des libertés, qui sont autant de conditions préalables, indispensables au développement dans un contexte de paix et à l'initiative, dans des contextes qui doivent être respectueux des droits : droit des personnes, droit des affaires... Pour nous, j'y insiste, la Francophonie politique ne peut s'entendre comme un substitut ou une concurrente de ce que font les grandes organisations internationales en la matière. Mais c'est, bien en amont, ce que certains de nos interlocuteurs appellent une façon de prendre ensemble, à bras le corps, "en famille" la question, ce qu'en effet personne ne peut vraiment faire à la place des francophones.
- Naturellement, la Francophonie comme espace privilégié de coopération en matière d'éducation, de formation et d'insertion professionnelle garde toute son importance. Je dirai même que c'est un des fondamentaux de notre mouvement.
Quelles sont ici les orientations ?
Le gouvernement, vous le savez a pris une forte initiative pour ce qui est de la présence de notre pays sur le marché international de la formation. Si j'emploie à dessein ce terme (pour certains grinçant) de marché, c'est tout simplement parce que pour beaucoup de nos partenaires et concurrents c'est ainsi que la chose est traitée : il est clair que pour les Etats-Unis, plus récemment l'Australie par exemple, cela représente un flux financier considérable et par conséquent un enjeu d'influence : les USA quant à eux reçoivent 500 000 étudiants étrangers, ce qui représente chaque année 7 milliards de dollars et c'est pour eux le 4ème poste d'exportation.
Nous ne pouvions rester indifférents, nous qui accueillons 123 000 étudiants étrangers dont la moitié d'Afrique subsaharienne mais qui ne sommes qu'au 4ème rang après les USA, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Nous voulons voir croître ce chiffre et c'est la raison pour laquelle dès juillet 97 le Premier ministre donnait toutes les instructions nécessaires pour lever les obstacles les plus graves à ce flux, notamment la politique restrictive des visas, qu'on reprochait à juste titre à notre pays.
Mais cela ne suffisait pas et il fallait par des mesures incitatives inverser la tendance dangereuse d'une désaffection des étrangers, non pas qu'ils n'estimeraient pas notre système universitaire mais parce que celui ci ne serait pas comparativement attractif.
Voilà pourquoi Edufrance a été créé par les deux ministères de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie et des Affaires étrangères. Structure de prospection, de mobilisation et de réponse aux appels d'offre internationaux, cette agence fédère nos établissements autour d'une offre compétitive de formation.
Bien évidemment, cette initiative française n'est aucunement incompatible, contrairement à ce que certains se plaisent à dire, avec l'action de la Francophonie dans ces domaines. Pourquoi ?
D'abord parce que l'espace francophone est un espace de liaison indispensable entre des systèmes éducatifs historiquement, profondément reliés par la langue, les structures, les accords, la validation des diplômes. C'est un espace spécifique de production, de validation et de circulation des savoirs.
Ensuite parce que c'est la France qui avec le Canada-Québec a très tôt perçu l'intérêt d'une agence universitaire francophone qui sur le double principe de la solidarité et de l'association entre établissements universitaires, s'emploie à créer puis développer ce réseau intellectuel de production d'enseignement et de circulation des savoirs francophones dans la Francophonie.
Voilà pourquoi nous y prêtons tant d'attention, et voilà pourquoi nous l'avons évalué comme je l'ai dit et souhaitons que juste après Moncton, toutes les dispositions de fond soient prises pour que ce réseau, mieux organisé, mieux finalisé et mieux géré, réponde à l'attente de ses mandants. C'est un chantier, je le répète, essentiel, complémentaire de notre action bilatérale, auquel nous veillerons avec la plus grande attention et qui est suivi par nos plus hautes autorités.
Deux autres domaines sont dans ce vaste secteur également privilégiés :
- l'éducation de base, concept qui recouvre toute la problématique de l'école primaire et de l'alphabétisation, et la formation professionnelle ;
- la Conférence des ministres de l'Education et de la Francophonie (Confemen) et l'agence intergouvernementale traitent de ces questions et construisent des systèmes d'information et de concertation entre pays membres qui permettent à ces derniers de nourrir leurs politiques nationales et d'augmenter leur capacité de dialogue avec les coopérations multilatérales, comme la Banque mondiale par exemple.
Bien entendu la langue française, sa relation aux autres langues et la culture demeurent la base du mouvement francophone. La plupart des programmes en cours se rejoignent sur cette préoccupation : qu'on parle de droit et de citoyenneté, d'éducation, de création et de diffusions culturelles, d'environnement et donc de réglementation, tout revient au fonctionnement de la langue dans toutes les situations où elle crée du droit, de la règle, des structures et des institutions... Pour les francophones qui en partagent pour beaucoup l'héritage et s'appliquent à l'adapter au monde contemporain, c'est un enjeu majeur s'ils souhaitent que leur vision du monde, l'identité de leur point de vue, la spécificité de leurs contextes, la personnalité de leurs multiples cultures soient respectés. C'est une tâche difficile et c'est un enjeu suffisamment important pour qu'ils accentuent leur propre capacité de persuasion dans la conjoncture internationale.
La France, qui entretient dans le monde le réseau le plus vaste d'établissements culturels (191 centres et instituts culturels, 1098 comités d'alliances françaises dont 313 subventionnés par le ministère des Affaires étrangères) et d'établissements d'enseignement (410 écoles et lycées scolarisant 400 000 élèves) y est évidemment sensible et souhaite que le multilatéral francophone contribue à renforcer la présence du français dans le monde.
Elle le fait dans un esprit d'ouverture et dans une claire conscience que la Francophonie doit être plus compétitive. L'ouverture nous renseigne sur la diversité culturelle : si le Sommet en admet le principe, la concertation devrait le développer pour que ce thème qui touche au traitement spécifique des biens culturels et notamment audiovisuels (dans le respect de l'autonomie des Etats et gouvernements à définir librement leurs politiques culturelles) soit approfondi. La Francophonie est pour cela un espace important où l'information doit mieux circuler et où il est indispensable que les pays les moins armés pour affronter la concurrence s'assurent du concours de la réflexion collective. A ce stade, je parle bien de concertation et d'échange, qui ne préjugent pas les positions qui s'élaboreront peu à peu.
Quant à la compétitivité, c'est dans notre esprit la promotion de produits de qualité dans un domaine où la concurrence est vive et où la Francophonie doit être présente ou alors elle n'aura plus d'écho ! Je veux parler de l'audiovisuel. C'est ici toute la problématique de TV5 qui est en jeu. Vous savez la dynamique que la France a souhaité donner à cette chaîne : en l'associant étroitement à CFI, en déclinant régionalement sa présence et en renouvelant sa grille, le plan STOCK a permis de marquer des points dont tous nos partenaires conviennent. Le prochain biennum sera celui du développement de TV5.
S'agissant de la langue et de son rapport aux autres langues, car nous vivons dans un monde multilingue et la plupart des francophones vivent intimement leur multilinguisme, le moment viendra probablement d'une initiative dans ce domaine. Beaucoup de programmes y concourent déjà, notamment dans la formation au français dans toutes les situations d'apprentissage : filières bilingues à l'école et au lycée, enseignement à distance, apprentissages spécifiques.
D'autres sont conçus pour augmenter la présence du français dans les instances de négociation, je pense ici à la présence accrue de jeunes fonctionnaires francophones dans les enceintes internationales, programme qui vient d'être mis en oeuvre.
Faudra-t-il un jour structurer, articuler toutes ces initiatives ? Peut-être. On sent bien en tout cas que l'espace francophone est d'abord un espace de communication, d'apprentissage, d'initiatives, de production et de circulation dont l'ouverture au monde exige une ouverture linguistique, sur la base d'une grande langue internationale, le français, qui est notre premier dénominateur commun et dont la richesse vient de l'incroyable diversité des situations où elle est parlée.
Mesdames et Messieurs,
Je ferai ici une rapide mais indispensable observation sur l'accès des francophones aux technologies de l'information et de la communication qui constituait à Hanoï une attente forte. Vous vous souvenez qu'avait été décidée la création d'un fonds Inforoutes, qui puisse par co-financement, multiplier les projets d'accès à ces technologies sur la base de projets élaborés non par l'institution francophone mais par les bénéficiaires eux-mêmes.
Le succès a passé l'espérance : plus de 300 projets déposés en 1998, 45 retenus, 17 projets agréés en 1999 pour des montants oscillant entre 30 000 FF et 2 millions de FF. C'est la raison pour laquelle Moncton devrait renouveler l'expérience en faisant une plus large place aux projets soumis par les jeunes.
Ce panorama ne serait pas complet si je ne faisais allusion à un point du débat de Moncton : l'espace francophone doit-il s'élargir ou doit-il préférer approfondir la relation entre les 49 Etats et gouvernements qui le composent ? Nos chefs d'Etat et de gouvernement trancheront, notamment sur la base des expertises que le Secrétaire général leur a transmises. Nous savons à ce stade que la Lituanie, la Slovénie et la République tchèque sont candidats au poste d'observateur et que l'Albanie et la Macédoine déjà observateurs souhaitent accéder au statut de membres associés. Quelle que soit la décision au regard notamment des critères d'adhésion (nombre de locuteurs, usage du français dans les instances internationales), elle revêt un caractère politique qui revient au Sommet. La France, elle, n'est pas indifférente au voeu de ces pays dont on pourrait imaginer que la Francophonie, et notamment sa coopération leur adressent des signes concrets d'intérêt en les associant notamment à quelques actions qui justement fassent chez eux progresser l'usage de notre langue.
Hanoï a été un Sommet institutionnel.
Le biennum écoulé a été celui de la mise en oeuvre et de la mise en ordre interne : agence intergouvernementale réorganisée profondément dans ses méthodes par son administrateur général, notre ami Roger Dehaybe, agence universitaire évaluée, discussion du plan STOCK à TV5, mise en oeuvre d'une relation internationale d'un nouveau type par le Secrétaire général.
Moncton sera probablement le Sommet du premier bilan, des ajustements et d'une réorientation des programmes sur la base des enjeux les plus actuels : droits et démocratie en Francophonie, refondation de l'échange universitaire et réflexion sur la formation, accès aux nouvelles technologies, concertation sur la diversité culturelle.
C'est un Sommet pour la jeunesse. C'est celui aussi d'un coup de jeune pour l'idée francophone.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 1999)