Texte intégral
Ce n'est pas nouveau : la droite accorde, en période de campagne électorale, une grande importance à la réforme de l'Etat.
Dénonçant dans un même élan les gabegies d'un Etat glouton et la perte d'autorité d'un Etat affaibli, la droite réclame à hauts cri LA réforme de l'Etat et dénonce inlassablement l'immobilisme de la gauche. Mais qu'en est-il réellement de son projet en la matière ? A regarder de plus près le programme des partis de droite et les déclarations publiques de leurs principaux dirigeants, on est frappé par le grand écart permanent entre leurs positions officielles, de bon sens quoique sans grande envergure, et les positions des uns et des autres, beaucoup plus radicales, et donc beaucoup plus dangereuses. Entre l'apparence faite pour plaire et la réalité susceptible de déplaire, la droite n'assumerait-elle pas son libéralisme ?
L'apparence : entre la dénonciation, l'invocation et un réformisme de bon sens
Dénoncer l'inefficacité de l'Etat et la gabegie qui en résulte est l'un des sports favoris de la droite. A l'en croire, l'Etat coûterait de plus en plus cher et n'assumerait plus ses fonctions (éducation, sécurité, justice) : " alors que nos dépenses publiques continuent à augmenter, les Français constatent chaque jour que l'Etat assume mal ses principales fonctions ". Pire, l'Etat est accusé de " décourager les énergies " . Il n'en continuerait pas moins à s'étendre : " C'est en s'immiscant dans les domaines de responsabilité des autres acteurs que l'Etat tente aujourd'hui de faire oublier ses propres faiblesses ". Résultat : des " citoyens mécontents ", qui ont le sentiment de " ne pas en avoir pour leurs impôts " ; mais aussi, campagne électorale oblige, des " agents inquiets () mal employés et non considérés ".
Ce constat dressé, la droite donne uramment dans l'invocation et l'imprécation. " L'urgence est à la réforme de l'Etat ", déclare le RPR dans son projet. " Je vais mettre la réforme de l'Etat au cur de ma campagne électorale comme elle est au cur de mon action depuis toujours, notamment dans les fonctions ministérielles que j'ai exercées ", promet le candidat Madelin . L'UDF, quant à elle, veut " en finir avec l'arlequin de la réforme de l'Etat ".
Ce faisant, nos adversaires oublient un peu vite leurs propres faits d'armes : car qu'a fait la droite au pouvoir entre 1993 et 1997 pour réformer l'Etat ? RIEN. Bien au contraire, les leçons qu'elle ne cesse d'adresser au gouvernement Jospin prêtent à sourire : L'Etat géré par la gauche serait, à les croire, " incapable d'anticiper les départs à la retraite ". Mais jamais la gestion de la fonction publique ne fut plus chaotique que sous le Gouvernement Juppé :
- 1993-1997 : blocage des formations d'infirmières, qui crée une pénurie sans précédent et obligé le Gouvernement de Lionel Jospin à prendre des mesures exceptionnelles (recrutement d'infirmières étrangères, retour à l'emploi d'infirmières ayant cessé leur activité).
- 1996 : le Gouvernement Juppé annule le concours annuel de recrutement à l'école nationale des greffes, créant une pénurie sans précédent.
- 1993-1997 : la hausse mécanique et prévisible des départs à la retraite dans la police nationale n'a jamais été anticipée par la droite au pouvoir.
De la même façon, les leçons de la droite en matière de simplification administrative (qui a connu, soit dit en passant, un élan sans précédent depuis 2000), d'administration électronique (inexistante en 1997), de modernisation de la fonction publique, de décentralisation ou d'organisation gouvernementale (sans doute la droite a t-elle tiré les leçons du premier Gouvernement Juppé, fort de 41 ministres ; on est loin des 16 ministres préconisés par l'UDF), dénotent une redoutable amnésie. Quel meilleur aveu d'échec que cette phrase de Jacques Chirac, le 14 juillet 1996 : "En ce qui concerne les rapports entre l'Etat et les administrés, il ne faut pas croire que les réformes donnent leurs résultats comme cela, comme si on avait une baguette magique. Il faut un certain temps pour qu'elles donnent leurs résultats". Ces résultats, nous les attendons toujours.
A défaut de passer à l'acte, la droite propose. Et que propose-t-elle ? Rien que de bon sens, mais rien de grande envergure. Pire, ou mieux, je ne sais, plusieurs des propositions de la droite sont actuellement mises en uvre par le Gouvernement de Lionel Jospin.
La prudence de l'expression frappe, surprend, jusque chez Démocratie Libérale :
" Vouloir réformer l'Etat, ce n'est pas tant vouloir moins d'Etat que mieux d'Etat ", lit-on ainsi dans le projet du RPR. " La réforme de l'Etat n'a pas pour objet de frustrer ou de brimer les agents publics, mais elle doit au contraire répondre à leurs attentes ", ajoute François Baroin . Immédiatement repris par Jacques Chirac, qui n'hésite pas à s'ériger en défenseur du statut de la fonction publique : " les règles de la fonction publique sont souvent critiquées. Il est juste qu'elles évoluent. Mais n'oublions pas tout ce que notre service public doit à l'existence de ces règles. L'égal accès de tous les Français aux emplois publics, sans autre distinction que celle de leurs talents, par la voie du concours. L'impartialité et l'absence de favoritisme dans l'Etat. Des principes qui permettent de prendre en compte la manière de servir et le mérite individuel dans les rémunérations et les promotions. Et aussi l'exigence de la continuité du service public, même si toutes les conséquences n'en sont pas suffisamment tirées " .
Même sens du consensus chez François Bayrou : " repenser l'action de l'Etat, c'est d'abord réaffirmer le rôle nécessaire qui est le sien ". Et même méconnaissance de ce qu'a fait la gauche depuis cinq ans : 6% de personnes handicapées dans la fonction publique comme dans les entreprises ? L'idée est tellement bonne que nous l'avons mise en oeuvre
Plus surprenants encore, les propos récents d'Alain Madelin sur la réforme de l'Etat, ou comment mettre de l'eau dans son vin à l'approche des élections : " Je ne propose pas de remettre en cause [le statut de la fonction publique] () Je n'ai aucunement l'intention de supprimer les avantages acquis () Mais je ne sais pas quel est le nombre optimal de fonctionnaires ! () Je ne veux pas blâmer les fonctionnaires ".
La réalité : affaiblir l'Etat pour faire place nette au marché et/ou ne rien faire
La droite aurait-elle viré sa cuti ? Certes non, mais elle sait qu'il lui faut modérer ses ardeurs pour ne froisser personne. Nicolas Sarkozy en parle mieux que personne : " Nous devons d'autant moins le contester que l'attachement collectif des Français à la puissance publique est fort, ne peut être éradiqué par la loi ou le décret et n'obéit pas toujours à l'ordre de la raison () L'Etat reste pour une majorité de nos concitoyens une référence. La France n'est pas une page blanche sur laquelle on peut plaquer un schéma idéologique. C'est d'ailleurs bien pour cela que notre tâche est plus complexe que dans bien des démocraties voisines " . Il faut rendre hommage à une si grande - et si rare- sincérité !
Aussi habile soit-elle, cette stratégie faillit parfois, et les vraies intentions de la droite refont malencontreusement surface : il en va ainsi de l'idée de privatiser des entreprises publiques, au premier rang desquelles EDF et GDF, pour financer la réforme de l'Etat, portée par Nicolas Sarkozy . Jugée sans doute trop à droite, cette idée est d'abord reprise de façon vague dans le pré-projet du RPR : " La libéralisation de ces services publics au niveau européen rend aujourd'hui nécessaire l'ouverture plus large de leur capital. C'est la raison pour laquelle le RPR propose la poursuite de la politique de privatisation, notamment à l'égard d'EDF et de GDF. Cela présenterait, par ailleurs, l'intérêt de financer largement les investissements que réclame la réforme de l'Etat, investissements de départ qui doivent permettre à terme une rationalisation de son fonctionnement ". Avant de disparaître totalement du projet officiel du RPR.
Disparue également, la proposition phare de Michèle Alliot-Marie, visant à " ne recruter qu'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux ". Position difficile à tenir, en effet : 4800 policiers partent aujourd'hui à la retraite chaque année. Ne remplacer qu'un départ à la retraite sur deux, c'est donc réduire les effectifs de la police nationale de 2400 chaque année. Où ? Comment ? Est-ce là le remède de la droite pour lutter contre l'insécurité ?
Introuvables dans les documents officiels, ces déclarations à l'emporte-pièce d'Alain Juppé : "Depuis 20 ans, deux grandes erreurs stratégiques : la retraite à 60 ans et les 35 heures, ont été commises à partir des promesses électorales du PS" . Oubliés, les propos de Jacques Chirac, le 14 juillet 1998 : " L'administration est trop omnipotente et omniprésente ".
Chez Alain Madelin, aussi, les précautions oratoires font parfois place à des éclairs de lucidité : " administration par administration, service par service, on va donc pouvoir procéder à un reengineering de l'Etat : créations d'agences, mise en concurrence, privatisation ou délégation de service public ". Ou encore : " Avec la suppression de la carte scolaire, ce sont les parents qui distingueront tout naturellement les bonnes écoles des mauvaises " . Ou enfin ce reproche fait au Gouvernement Jospin de " n'avoir pas saisi l'opportunité démographique pour réduire le nombre de fonctionnaires " .
Ce grand écart entre les positions affichées, teintées au mieux de réformisme mou, au pire d'immobilisme, et des positions individuelles beaucoup plus radicales est la preuve de l'hypocrisie de la droite. Les vraies intentions de la droite libérale transparaissent derrière ces déclarations. Les projets officiels ne sont qu'un paravent à des idées cachées beaucoup plus droitières, beaucoup moins consensuelles, une illustration supplémentaire du double-jeu de la droite.
Ce grand écart reflète aussi la coexistence de deux droites, marquées par deux visions très différentes, presque antinomiques de l'Etat. Entre les libéraux et les conservateurs, qui ne veulent rien changer, pas même l'Etat, la droite peine à s'accorder, d'où des programmes ternes et sans relief. Et il y a fort à parier que le programme de l'Union en mouvement sera plus insignifiant encore.
La droite a peur de faire peur. Elle a raison.
Une fois encore, la droite veut tromper les Français. Derrière des programmes paravents, brevets de respectabilité, elle dissimule mal ses vraies ambitions : réduire l'Etat à sa portion congrue, pour faire place libre au marché, pour les uns ; ne rien changer, pour les autres.
C'est tout l'inverse que nous voulons faire : répondre au besoin d'Etat, en réaffirmant la nécessité face au marché d'un Etat fort et efficace ; mettre l'Etat en mouvement, car un Etat immobile est un Etat inefficace, qui perd sa légitimité et se délite. C'est alors que la droite sans complexes - elle s'exprime au sein du MEDEF - verrait ses désirs devenir des réalités, et le marché envahir tous les domaines de la vie et de la société, qu'il s'agisse de l'école, de la santé ou des retraites. Et ça, nous n'en voulons pas.
(source http://www.socialisme-et-democratie.net, le 16 avril 2002)