Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur l'importance de la simplification du langage administratif pour dispenser les aides de l'Etat et aider les citoyens dans leurs démarches administratives, Paris le 5 mars 2002.

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Circonstance : Réunion du Comité d'orientation pour la simplification du langage administratif (COSLA) à Paris le 5 mars 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Le rôle de l'Etat est un des thèmes forts du débat national qui s'ouvre aujourd'hui. Dans cette période traditionnellement riche en imagination et en créativité, les propositions affluent de toutes parts. Elles ne sont pas dénuées d'une certaine démagogie. Tout le monde veut tout et son contraire : moins de fonctionnaires mais plus de policiers, d'infirmières et d'enseignants ; plus d'Etat mais moins de dépenses publiques...
A tous ceux qui, en ces temps de campagne électorale, dénoncent l'incapacité de l'Etat à se réformer, nous répondons aujourd'hui par des actes, du concret, du tangible. La campagne se déroule, mais pour nous les travaux continuent.
Oui, l'Etat fonctionne. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux formulaires sur lesquels nous avons travaillé pour constater qu'aujourd'hui en France, de nombreuses aides sont délivrées par l'Etat et les partenaires sociaux aux citoyens qui en ont besoin. Vous n'êtes plus couvert par la sécurité sociale et vous n'avez pas de quoi la financer ? Vous venez d'avoir un enfant et vous êtes abandonnée par votre conjoint ? Votre enfant est gravement malade et vous devez réduire votre activité professionnelle pour rester à ses côtés ? Votre ancien conjoint ne vous verse plus de pension alimentaire ? Vous êtes handicapé et vous avez besoin de quelqu'un pour vous aider dans votre vie quotidienne ? A toutes ces situations difficiles, l'Etat apporte une réponse. Cette réponse est parfois insuffisante, incomplète, tardive, mais force est de constater qu'elle existe, et tous les pays ne peuvent en dire autant.
Oui, l'Etat doit fonctionner mieux, il doit être plus simple, plus proche, plus efficace au jour le jour. Ne voyez dans mon discours aucune satisfaction béate. Bien au contraire, je suis le premier à m'insurger contre les lourdeurs de l'administration, contre ces excès de bureaucratie qui pèsent aussi bien sur les citoyens que sur les agents, qui y perdent un temps précieux pour le service public. Je me souviens avoir cité devant certains d'entre vous, lors de l'installation du Comité d'orientation pour la simplification du langage administratif, le COSLA, le 3 juillet dernier, le rapport 2000 de l'observatoire de la pauvreté et des exclusions. D'une enquête conduite par cet observatoire, il ressortait qu'une personne sur deux avait le sentiment de ne pas bénéficier de toutes les aides auxquelles elle pense avoir droit, et qu'une sur cinq avait renoncé à faire valoir ses droits à une aide publique au cours des derniers mois.
Ces chiffres reflètent la difficulté de tout un chacun à se repérer, à s'orienter dans un univers administratif complexe, codé, angoissant parce que difficile à appréhender. On renonce parce que l'on manque d'information sur telle ou telle prestation, parce que les dossiers sont trop difficiles à comprendre et à remplir, parce que les formalités administratives sont trop lourdes, les justificatifs à fournir trop nombreux : moins vous avez de ressources, plus on vous demande de les justifier ! Tout cela est inadmissible, et c'est bien parce que nous ne l'admettons pas que nous avons décidé d'agir.
Oui, l'Etat est en mouvement : au-delà des déclarations d'intention des uns et des autres, nous apportons aujourd'hui la preuve que l'Etat, lorsqu'il est conscient de ses défaillances (et c'est le rôle des associations d'usagers que de nous alerter sur ces défaillances), s'attache à y remédier. Ceux qui disent à qui veut les entendre que l'Etat ne bouge pas, qu'il ne le peut pas et ne le veut pas, au mieux se trompent, au pire font preuve de démagogie. L'Etat est en mouvement, tous les jours des initiatives sont prises pour améliorer le service aux citoyens. C'est sans doute encore trop lent, mais le fait est que le mouvement existe, et notre réunion d'aujourd'hui en est une illustration.
Nous poursuivons d'abord la réécriture en langage courant des formulaires administratifs. Lors de notre dernière réunion, le 27 novembre 2001, nous avons présenté cinq formulaires réécrits dans une langue simple et claire. Ces formulaires sont en train d'être imprimés par les ministères et seront mis en circulation dans le courant de ce mois. Comme nous nous y étions engagés, nous avons poursuivi notre travail au-delà de ces cinq premiers formulaires : six nouveaux formulaires ont été réécrits par le COSLA depuis décembre dernier.
Dans le choix de ces formulaires, nous avons, comme pour la première vague, apporté une attention toute particulière aux usagers fragiles : en simplifiant la demande d'aide juridictionnelle et la demande d'aides pour personnes handicapées, nous avons simplifié plus de 2 millions de démarches annuelles. Deux des formulaires sur lesquels nous avons travaillé, l'inscription au BAFA et le préavis d'appel à la journée de préparation à la défense, s'adressent plus particulièrement aux jeunes : toutes les jeunes femmes et tous les jeunes hommes âgés de 16 à 25 ans recevront la lettre de préavis à la journée de préparation à la défense dans sa nouvelle version ; ce sera sans doute, pour une grande partie d'entre eux, l'un de leurs premiers contacts avec l'administration. La présentation extrêmement sympathique qui y est faite de cette journée est de nature, j'en suis persuadé, à modifier l'image que nos enfants ont des services publics. Nous avons également travaillé pour les entreprises, en réécrivant la déclaration annuelle des données sociales. Nous avons, enfin, fait un gros et difficile travail de pédagogie en réécrivant, en langage plus simple à défaut d'être réellement courant, la notice de la déclaration de succession. Montaigne ne se demandait-il pas, à la fin de XVIème siècle dans ses Essais, " pourquoi est-ce que notre langage commun, si aisé à tout autre usage, devient obscur et non intelligible en contrat et testament " ?
En présentant aujourd'hui ces 6 nouveaux formulaires, nous apportons je crois la preuve que la réécriture des formulaires administratifs est une bien une oeuvre de long terme, et pas un simple coup médiatique sans lendemain. Ce travail de longue haleine, engagé lors de la création de ce comité le 3 juillet dernier, se poursuivra après le mois de mai. La troisième vague de formulaires sur lesquels vous serez amenés à travailler comprendra notamment les formulaires de taxe d'habitation, la demande de bourse de collège et le formulaire de validation des acquis professionnels. Je compte pour cela sur les membres du COSLA et sur l'ensemble des administrations qui ont travaillé avec vous, avec beaucoup d'enthousiasme, sur ces formulaires. Le zèle de certaines administrations les honore, et je tiens à remercier tout particulièrement la Caisse nationale d'allocations familiales, qui a pris l'initiative de simplifier, sur le modèle de la déclaration de situation présentée en novembre dernier, l'ensemble de ses formulaires - soit une quinzaine de formulaires. J'y vois la preuve que nos efforts depuis bientôt 9 mois, notre travail d'impulsion commencent à porter ses fruits. Ils portent leurs fruits jusque dans certains pays voisins, puisque nos amis québécois et belges suivent avec grand intérêt nos travaux et s'en inspirent dans leurs propres initiatives.
Mais les formulaires ne sont pas tout. Comme nous l'avions demandé, Catherine TASCA et moi-même le 3 juillet dernier, le COSLA a également travaillé sur le langage utilisé par l'administration dans ses courriers. Le résultat de son travail est tout à fait impressionnant : en moins d'un an, il a donné naissance à un guide de la rédaction administrative, à un lexique des 2000 principaux termes et expressions du jargon administratif, à un logiciel de la rédaction administrative alliant, sous forme informatique, les règles du guide et les données du lexique.
Le guide de la rédaction administrative : Composé de règles simples, étayé d'exemples concrets issus de véritables courriers administratifs, c'est l'outil de base pour rédiger plus clairement. 10 courriers administratifs sont intégralement réécrits dans le respect des règles à la fin du guide. Rédigé par l'équipe de linguistes du Centre de Linguistique Appliquée de Besançon, il est le fruit de nombreux entretiens avec des agents rédacteurs et des usagers de l'administration.
Le lexique administratif : Il recense les mots et expressions dont la compréhension peut être difficile pour les usagers et propose, soit de les remplacer par des mots ou expressions plus simples, soit d'insérer au courriers de courtes définitions des termes incontournables. Chaque recommandation s'accompagne d'exemples concrets de réécriture extraits de courriers administratifs réels. Une liste de sigles administratifs, qui ne doivent pas être utilisés sans être d'abord expliqués, figure à la fin du lexique. Ce lexique a été élaboré par les linguistes des Dictionnaires Le Robert sur la base d'un corpus de plus de 3000 courriers administratifs.
Lara, le logiciel d'aide à la rédaction administrative : Lara (acronyme de Logiciel d'Aide à la Rédaction Administrative) est un logiciel qui s'intègre à votre traitement de texte. Elle vous signale notamment :
- les termes et expressions complexes : elle vous indique alors les recommandations formulées dans le lexique administratif
- les phrases trop longues : au-delà de 40 mots, une phrase est difficile à comprendre
- les sigles : tout sigle doit être expliqué
- les références juridiques : le rédacteur doit veiller à ne pas encombrer son courrier de références juridiques obscures pour le lecteur. Ces références seront généralement renvoyées en note de bas de page
- les formules de politesse pompeuses ou compliquées : Lara repère l'emploi de ces formules de politesse et propose au rédacteur deux formules plus simples : " Bien respectueusement " ou " Restant à votre disposition ".
Lara a été élaborée par les équipes de Vivendi Universal Education France.
Merci à tous les agents qui ont accepté de tester les outils à différents stades de leur élaboration : agents du département du Doubs, les agents de la mairie de Paris, les secrétaires de mon cabinet, les agents de la délégation générale à la langue française et aux langues de France et de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, les élèves de l'institut régional d'administration de Lyon, qui nous ont montré tout l'intérêt que de futurs fonctionnaires portent à nos travaux. Fort de cet intérêt, j'ai pris l'initiative de réunir, le 26 mars, l'ensemble des professeurs qui, dans les écoles administratives, forment nos futurs fonctionnaires à la rédaction administrative, pour leur présenter votre travail et combattre ainsi les mauvaises habitudes à la source.
Ces produits ne sont pas gravés dans le marbre : ce que vous avez aujourd'hui devant les yeux est une première version, forcément perfectible, et que nous enrichirons au fil du temps en fonction de ce que nous diront les utilisateurs. Ainsi, le lexique, qui comprend aujourd'hui 2000 mots et expressions, en comprendra en 2003 6000. Dès demain, 10000 bagages seront adressés aux agents des fonctions publiques qui rédigent des courriers à l'attention des particuliers. Pour ceux que nous aurions oubliés, et pour tous ceux que notre projet intéresse, les trois outils sont par ailleurs accessibles sur Internet, sur le site du Ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, www.fonction-publique.gouv.fr. Seul le lexique est réservé aux fonctionnaires, via un identifiant et un mot de passe.
Mesdames, Messieurs,
Les agents avec lesquels nous avons travaillé démontrent avec force ce qu'est le service public : les fonctionnaires sont les plus fervents défenseurs des simplifications administratives car ces simplifications sont pour eux, l'occasion de consacrer davantage de temps au service des citoyens qui en ont le plus besoin. Quand une réforme est voulue par les citoyens, elle est toujours mise en oeuvre par les agents. La réforme que nous avons engagée avec le comité d'orientation pour la simplification du langage administratif est attendue par les citoyens ; pour cette raison, elle sera mise en oeuvre par les fonctionnaires.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 6 mars 2002)