Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'évolution du secteur bancaire, la place du Crédit agricole dans l'aménagement du territoire, son ancrage local et sur la nécessité d'augmenter la concurrence et de défaire les monopoles, notamment en matière de distribution du Livret A et de dépôts des placements notariaux, Vichy le 23 octobre 1998.

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Circonstance : Congrès annuel de la Fédération nationale du Crédit agricole à Vichy le 23 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Préfet,
Mes chers collègues,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Vous avez bien voulu, Monsieur le Président, souligner le fait que ma présence aujourd'hui parmi vous constituait l'une de mes premières interventions publiques. Il faut y voir, outre bien sûr l'amitié fidèle qui nous unit, cher Marc Bué, l'intérêt que porte le Sénat de la République à l'évolution du secteur bancaire en général et du Crédit agricole en particulier.
Le Sénat est en effet le représentant naturel des collectivités locales. Et, à ce titre, il est donc normal qu'il s'intéresse à l'activité de l'un des acteurs bancaires les plus impliqués dans l'aménagement du territoire.
Mais le Sénat est également une Chambre de réflexion, un laboratoire d'idées tourné vers l'avenir et la prospective. A cet égard, le Sénat a montré, à plusieurs reprises, l'intérêt qu'il portait aux évolutions de votre secteur. J'en veux pour preuve le rapport de mon collègue et ami Alain Lambert sur la situation et les perspectives d'évolution du secteur bancaire. C'est la deuxième raison de ma présence ici.
Je profiterai donc de cette occasion pour vous dire, tout d'abord, en quoi le secteur bancaire coopératif me semble particulièrement important et, ensuite, pour vous faire part de deux ou trois réflexions que m'a inspiré votre discours.
Le secteur coopératif bancaire revêt à mes yeux une importance particulière, en raison, d'une part, de son rôle dans l'aménagement du territoire et, d'autre part, de sa place au sein de l'industrie bancaire.
Les banquiers coopératifs jouent en effet un rôle déterminant dans l'aménagement du territoire. Vous avez rappelé quelques éléments concernant le Crédit agricole qui est effectivement une des premières banques des collectivités locales. Et c'est bien naturel puisque vous comptez parmi vos membres, qu'ils soient élus ou techniciens, 6.800 conseillers municipaux, 2.000 maires, ainsi qu'une centaine de conseillers généraux ou régionaux. Mais ce qui est vrai de votre Institution l'est également, dans une moindre mesure, des autres banquiers coopératifs.
Je vois dans cet ancrage local une donnée très importante car, comme vous, cher Président, je considère que le service public ne doit pas être le dernier rempart contre la désertification. L'aménagement du territoire est en effet l'affaire de tous et, en premier lieu, des entreprises privées. C'est pourquoi, je suis tout à fait réticent à l'idée de faire jouer au réseau de La Poste un rôle qui excède largement ses missions naturelles de service public.
Mais, afin d'éviter de telles extrémités, l'initiative privée doit, plus que jamais, faire la preuve qu'elle n'est pas défaillante en milieu rural. Et c'est en montrant votre présence sur l'ensemble du territoire, que vous priverez d'arguments tous ceux qui estiment qu'il convient de multiplier les initiatives de La Poste en matière de services financiers.
S'agissant de l'importance des banquiers coopératifs au sein de l'industrie bancaire, vous avez fait allusion, au tout début de votre intervention, au débat en cours sur l'idéal mutualiste et coopératif. Où va-t-il ? A quoi sert-il ? A-t-il encore un sens ?
Ces questions sont sans doute pertinentes si l'on considère le secteur coopératif dans son ensemble et j'ai eu l'occasion, d'en discuter tout récemment avec les responsables de l'Alliance coopérative internationale réunis à Paris pour leur Congrès annuel.
Mais s'agissant du secteur bancaire, et sans trop remonter dans le temps, si j'en juge par ce qui s'est passé en 1998 au travers du rachat du CIC par le Crédit Mutuel, de Natexis par les Banques Populaires et, enfin, de Sofinco par votre propre groupe, je serais plutôt inquiet pour l'avenir des banques non coopératives !
Je ne vois pas dans ces succès l'effet de quelconques privilèges, mais au contraire le fruit d'une alchimie propre aux mutuelles bancaires. Ce sont en effet vos spécificités qui expliquent dans une large part votre réussite : la proximité, l'enracinement local, la connaissance de vos clients et donc de vos risques, la décentralisation dans la prise de décision, le pragmatisme érigé en principe ou encore le bénéfice mutuel que vous tirez de la mixité entre des personnalités élues et des professionnels de la banque.
Au total, les banques coopératives contribuent à l'enrichissement du tissu économique et social national et participent à ce que l'on pourrait appeler son " écodiversité ".
Pour autant, si cette diversité statutaire constitue un plus, elle ne doit pas s'étendre aux conditions d'exercice du métier. Car si le marché bancaire est un marché sur lequel il peut - et même il doit - y avoir pluralité d'acteurs, c'est aussi un marché unique sur lequel il doit y avoir égalité des conditions de concurrence. Ce qui m'amène au second point de mon intervention : les distorsions de concurrence.
Les distorsions de concurrence constituent en effet une atteinte à l'exercice effectif de la liberté du commerce et comme telles doivent être combattues.
La forme la plus évidente que prennent ces distorsions est bien sûr celle des monopoles.
De ce point de vue, la question du monopole de distribution du livret A est la plus épineuse et il faut sans doute aux hommes politiques beaucoup de courage pour la traiter avec sérénité.
Pourtant, il s'agit d'une question de bon sens : en quoi, le fait d'autoriser la distribution du livret A par tous les réseaux bancaires réduirait-il le montant des dépôts ainsi effectués et, partant, le financement du logement social ? C'est un peu comme si on disait que l'accroissement du nombre des concessionnaires Renault aurait pour effet de faire baisser les ventes... Soyons sérieux !
Le problème, il ne faut pas le dissimuler, est qu'effectivement la banalisation du livret A risque d'occasionner des difficultés aux Caisses d'épargne. Mais on ne peut tout de même pas rejeter la fin d'un monopole au seul prétexte que cette disparition provoquerait des difficultés au monopoleur !
C'est pourquoi, la banalisation du livret A nécessite, préalablement, une préparation, une transformation des Caisses d'épargne qui se fasse en étroite concertation avec elles. La commission des finances du Sénat, en 1996, avait dit cinq ans. De ce point de vue, le projet de loi qui sera examiné en février respecte cet échéancier. Et, à mon avis, il faut y voir, quoiqu'en dise le Gouvernement, une étape transitoire vers la banalisation du livret A.
Je ne suis donc pas, sur ce premier point, aussi pessimiste que vous.
La question du livret bleu est apparemment plus facile à régler, puisque le bénéficiaire de ce monopole est un établissement qui se porte fort bien, et qui n'aura pas de difficultés pour survivre à la banalisation.
Mais l'on peut difficilement régler la question du livret bleu, sans avoir préalablement réglé celle du livret A. C'est pourquoi, il vous faudra sans doute attendre.
Reste, enfin, la question du monopole de la collecte des dépôts des notaires. Si j'ai bien compris, Cher Président, le Gouvernement français se serait résigné à modifier le système existant, mettant ainsi fin au duopole du Crédit Agricole et de la Caisse des Dépôts, duopole dont je n'oublie pas qu'il trouve une contrepartie fort appréciée dans le FAC (fonds d'allégement de la charge financière des agriculteurs). La Commission des finances du Sénat avait, dès 1996, fait des propositions très claires sur ce sujet. Ne soyez donc pas fâché, si je vous dis que la balle est maintenant dans le camp du Gouvernement.
Mais, il est une seconde question, que vous avez évoquée sous l'angle des distorsions de concurrence et au sujet de laquelle je souhaiterais vous donner mon sentiment : c'est celle du fonds de garantie interbancaire.
Je sais bien que vous n'êtes pas favorable à la constitution d'un tel fonds. Vous estimez que vos propres formes de solidarité mettent vos clients à l'abri de toute défaillance d'une caisse régionale et que, partant, vous n'avez pas à payer pour les mauvais élèves de la classe, surtout s'il s'agit de banques AFB.
Mais, très sincèrement, ces querelles m'apparaissent dépassées à l'heure de l'Europe et, pour tout dire, ne me semblent pas être à la hauteur des défis qui attendent notre industrie bancaire.
Ce qui vous sépare aujourd'hui des autres formes d'établissements bancaires me semble en effet moins important que ce qui vous rassemble : l'exercice d'une activité bancaire. Et si le texte de l'actuel Gouvernement aboutit effectivement à une meilleure sécurité financière, je le voterai. Bien entendu, il serait préférable à tous égards, que, dans ses modalités, ce projet fasse l'objet d'un consensus des banques qui serait le meilleur garant de son efficacité.
Quoiqu'il en soit, je ne vous cacherai pas cependant, que je nourris quelques doutes sur le projet en cours de préparation. J'entends en effet parler d'un renforcement de la spécificité de l'actionnaire bancaire, au travers d'un renforcement des pouvoirs de la Commission bancaire, dans un sens tout à fait exorbitant de la responsabilité de droit commun normalement limitée aux apports. Je crains que l'on fasse ainsi resurgir l'idée folle selon laquelle les banques sont immortelles.
Les banques ont - il est vrai - une mission spécifique, particulièrement importante : le financement de l'économie. Elles jouent de ce point de vue, un rôle analogue à celui des poumons : elles apportent l'oxygène à l'ensemble du corps social. Elles ont par ailleurs des responsabilités particulières par rapport aux déposants.
Mais pour le reste, les banques sont des entreprises comme les autres. Et, ce n'est pas en tordant indéfiniment le cou à l'actionnaire bancaire et en inventant je ne sais quelle bizarrerie dont le "génie financier français", du moins celui que l'on enseigne à l'école nationale d'administration, est si friand, que l'on résoudra le problème de la sécurité financière.
Le contrôle des banques repose d'abord et avant tout sur une conception exigeante et constructive du rôle des actionnaires ou des sociétaires. De ce point de vue, le Crédit agricole me semble pouvoir être pris en modèle. Recevez, tous mes encouragements à poursuivre votre action en ce sens.
(source http://www.senat.fr, le 18 février 2002)