Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les lignes prioritaires de la prochaine présidence française de l'Union européenne, notamment la poursuite de la construction d'une Europe au service des citoyens et la préparation de l'élargissement de l'Union européenne, Paris le 21 mars 2000.

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Circonstance : Séance plénière de la Commission Coopération-Développement à Paris le 21 mars 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher Charles,
Monsieur le Président, cher Jean-Louis,
Mesdames et Messieurs, chers Amis,
C'est un plaisir pour moi d'être appelé aujourd'hui, pour la première fois, à m'exprimer devant la Commission Coopération Développement. Je remercie vivement Charles Josselin de m'offrir cette occasion de rencontre et de dialogue avec les représentants des associations qui travaillent dans le domaine de l'aide au développement et de l'aide humanitaire.
Depuis mon arrivée au ministère des Affaires européennes, j'ai toujours accordé la plus grande importance au dialogue avec le monde associatif qui, dans le domaine de la construction européenne comme de la coopération et de l'aide aux pays tiers, est d'une diversité, d'une activité, et d'une compétence remarquables. J'ai notamment eu l'occasion de rencontrer nombre d'entre vous - ceux particulièrement impliqués dans l'action européenne -, lors d'un dîner débat, au ministère des Affaires étrangères, il y a quelques semaines. J'ai apprécié, une fois de plus, à cette occasion, l'apport des associations à la présence européenne et internationale de notre pays.
Je suis donc particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée, aujourd'hui, de poursuivre ce dialogue, alors que nous nous approchons maintenant, à grands pas, du début de la Présidence française, le 1er juillet prochain. Sa préparation est largement engagée.
J'aimerais que nous ayons, malgré le temps malheureusement limité dont je dispose, la possibilité d'un échange direct. Je vais donc brosser à grands traits les lignes prioritaires de la prochaine présidence française, en évoquant les domaines qui vous intéressent plus particulièrement, ceux de l'action européenne en faveur du développement.
1 - Le premier objectif de la présidence française sera, dans la continuité de nos efforts depuis près de trois ans, de construire une Europe qui soit véritablement au service de ses citoyens.
Cinquante ans après la déclaration Schuman et le début de l'aventure européenne, nous connaissons les immenses réalisations de l'Europe, mais nous en voyons également les limites. Nous percevons - et le monde associatif est au premier rang pour le constater - les interrogations de nos concitoyens sur les complexités et les lourdeurs des mécanismes communautaires et, plus globalement et plus sérieusement, les doutes qui s'expriment sur les raisons d'être de la construction européenne.
Tel est bien l'enjeu des prochaines années : donner plus de sens politique à l'Europe, accentuer sa dimension citoyenne, c'est-à-dire faire que l'Europe réponde aux véritables préoccupations quotidiennes de ses habitants. Ce sera l'ambition première de notre présidence.
- En premier lieu, cela signifie la poursuite de l'effort en faveur d'une Europe de la croissance et de l'emploi.
En trois ans, le gouvernement français a contribué à réinscrire l'ambition sociale au cur des priorités européennes. Il y a eu, d'abord à Amsterdam, en juin 1997, l'adoption de la résolution sur la croissance et l'emploi, puis nous avons obtenu que se tienne, pour la première fois, à Luxembourg, à l'automne 1997, un Conseil européen entièrement consacré à la coordination de la lutte contre le chômage. Depuis lors, tous les Conseils européens, sans exception, ont abordé la question de la lutte pour l'emploi. A Cologne, sous l'impulsion de Gerhard Schroeder, nous avons ouvert la piste d'un Pacte européen pour l'emploi.
Aujourd'hui, la croissance est de retour en France, mais aussi de manière plus ou moins affirmée chez la plupart de nos partenaires européens. Ceci ne doit pas nous conduire à relâcher nos efforts. Le retour de la croissance ne doit pas être et ne sera pas le prétexte à remiser l'approche volontariste sur l'emploi en Europe. Bien au contraire. La croissance européenne doit s'amplifier encore, être entretenue et durable, et profiter à tous en termes d'accès à l'emploi comme de revenus. C'est le défi majeur qui mobilisera l'attention du Conseil européen, jeudi et vendredi, à Lisbonne.
Pour Antonio Guterres, le Premier ministre portugais, ce Sommet doit aussi marquer, à l'orée du nouveau millénaire, l'entrée résolue de l'Union européenne dans l'ère de l'innovation et des technologies de l'information.
Mais, comme la présidence portugaise, nous sommes convaincus que ce progrès n'a de sens que s'il est vraiment au service des salariés. C'est pourquoi nous appuierons sans réserve les efforts de la présidence portugaise. L'Union européenne doit créer les conditions favorables à l'éclosion de la société de l'information en Europe, tout en veillant à la consolidation de son modèle social particulier, auquel nous sommes foncièrement attachés.
Nous sommes convaincus que ce modèle social doit pouvoir s'appuyer aussi sur une mobilité croissante en Europe, pour les chercheurs, pour les universitaires, pour les étudiants et pour les personnes en formation, y compris celles qui exercent déjà une activité professionnelle. C'est dans cette perspective que nous souhaitons que notre Présidence de l'Union, au second semestre de cette année, soit un moment fort pour le développement d'un "espace européen de la connaissance" : trop d'obstacles demeurent encore à la possibilité de se former et de circuler d'un pays européen à l'autre, et les citoyens attendent effectivement de nous que la mobilité en Europe ne soit plus seulement celle des capitaux et des marchandises.
- L'Europe citoyenne doit, ensuite, être capable d'apporter une réponse aux principales préoccupations de ses habitants, telles qu'elles s'expriment de plus en plus nettement aujourd'hui. Je citerai plusieurs exemples :
. En premier lieu, l'environnement. Il s'agit typiquement d'une dimension qui ne peut être traitée efficacement qu'à un niveau européen. Et il sera d'autant plus opportun de prendre des initiatives, lors de notre Présidence, que nous serons suivis, au 1er semestre 2001, par la Suède qui, elle aussi, a de grandes ambitions dans ce domaine. Il y aura d'abord la mise en uvre du protocole de Kyoto : à cet égard, la conférence de La Haye, en novembre 2000, sera une étape importante pour renforcer la lutte contre l'effet de serre. Mais, parallèlement, nous devrons essayer d'encourager l'adoption de mesures communautaires de réduction des émissions, notamment à travers la fiscalité.
Dans le même ordre d'idées, je veux également évoquer la question de la sécurité des transports maritimes : le naufrage de l'Erika et l'ampleur de ses conséquences écologiques sur nos côtes ne peuvent, naturellement, que nous inciter à agir lors de notre présidence pour prendre, comme l'ont souhaité le président de la République et le Premier ministre, des initiatives fortes dans le domaine de la sécurité des transports maritimes.
C'est dans cet esprit que nous allons faire des propositions précises et cohérentes, notamment celle d'un dispositif européen de surveillance maritime, un renforcement des contrôles communautaires des navires et un système d'autorisation préalable à l'entrée des ports européens, sans oublier, naturellement, la délicate question de la responsabilisation des opérateurs.
. Deuxième exemple : la sécurité et la justice. J'évoquerai dans un instant la promotion de nouveaux droits dans le cadre du projet de Charte européenne des droits fondamentaux. Mais je veux aussi mentionner des éléments plus concrets, plus immédiats, notamment la mise en place d'un espace judiciaire européen, inscrit dans le traité d'Amsterdam et dont le Conseil européen de Tampere, en octobre dernier, a précisé les contours.
Nous souhaitons progresser de manière décisive dans ce domaine. Je ne citerai que quelques exemples : d'abord la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile, très attendue en particulier par nos entreprises, mais aussi par nos concitoyens concernés, par exemple, par des procédures de divorce ; ensuite, l'aide aux victimes. Comme vous le savez, c'est une priorité du gouvernement au plan national et nous nous réjouissons qu'elle soit également une priorité au plan européen ; enfin, en matière pénale, je citerai la lutte contre la criminalité financière transfrontière, qui devrait faire l'objet d'un texte de type conventionnel.
. Dernier exemple parmi les thèmes qui intéressent nos concitoyens : une plus grande préoccupation à l'égard de la santé et de la protection des consommateurs. La Commission européenne a publié un Livre blanc sur la sécurité des aliments. Comme elle le suggère, nous devons travailler à la mise en place d'une "autorité alimentaire européenne indépendante" et à l'approfondissement de la réflexion sur la mise en oeuvre du principe de précaution qui, comme vous le savez, alimente plusieurs différends tant au sein de l'Union - je pense bien entendu au maintien de l'embargo français sur le boeuf britannique - qu'entre l'Union et ses partenaires commerciaux - je pense à la question de l'embargo européen sur la viande américaine traitée aux hormones ; je pense, enfin, aux mesures concrètes que nous devons prendre pour renforcer l'étiquetage des OGM et la traçabilité des filières.
Voilà pour le premier objectif, celui d'une Europe citoyenne, qui sera la "signature" française de la présidence de l'Union.
2 - Notre second objectif, au cours de cette prochaine présidence, c'est de préparer l'Union au grand défi des prochains élargissements, c'est à dire de l'Europe réunifiée de demain : je veux parler, bien sûr, de la réforme de ses Institutions mais aussi du projet de Charte européenne des droits fondamentaux.
- En ce qui concerne l'élargissement, comme vous le savez, il est programmé depuis 10 ans, et il concerne directement 12 pays candidats avec lesquels les négociations d'adhésion ont été engagées.
Une fois achevé, il aboutira donc un quasi-doublement du nombre de membres de l'Union. Mais nous percevons aussi qu'au terme de ce saut quantitatif, cette Union n'aura sans doute plus grand-chose à voir avec celle que nous connaissons. A nous, donc, d'essayer de créer dès à présent les conditions d'une mutation sur le long terme de cette Union.
C'est pourquoi nous avons travaillé, depuis trois ans, à la maîtrise politique de ce processus d'élargissement.
Vous vous souvenez que la France a signé le Traité d'Amsterdam, en 1997, tout en mettant l'accent sur ses insuffisances graves dans le domaine de la réforme des institutions. Nous avions ainsi assorti cette signature d'une déclaration, avec nos amis italiens et belges, dans laquelle nous indiquions qu'une vraie réforme institutionnelle constituait, pour nous, le préalable aux futurs élargissements, condition que le parlement français a lui-même rappelée ensuite, dans l'article 2 de la loi de ratification du traité. Grâce à cela, grâce à cette persévérance, à notre effort collectif de persuasion, cette idée s'est finalement imposée à nos partenaires. Et c'est pourquoi cette conférence intergouvernementale, cette CIG, qui devrait nous permettre de préparer l'Union à ses prochains élargissements, a été ouverte le 14 février dernier.
Cette CIG ne pourra sans doute pas doter l'Union de tous les outils qui lui permettront de fonctionner une fois qu'elle aura 30 membres ou plus. Quoique certaine, cette perspective est encore trop lointaine pour qu'on puisse, dès à présent, avoir une vision aussi précise des instruments qui seront alors nécessaires.
Ce que nous voulons aujourd'hui, parce que nous pensons que l'urgence est là, c'est tout simplement restaurer et accroître la capacité de l'Union à fonctionner, à décider : une Commission plus homogène et mieux structurée et si possible, moins nombreuse, qui continue d'incarner l'intérêt général ; mais aussi un système de décision qui reflète mieux le poids de chaque Etat membre dans l'Union, c'est ce qu'on appelle la repondération ; et, enfin, des décisions qui, partout où cela est possible, soient prises à la majorité qualifiée. Cela, c'est, pour nous, le minimum à attendre de cette CIG, et c'est déjà beaucoup en termes de fonctionnement de nos institutions.
Il y a d'autres questions, que nous allons également examiner, parce qu'elles seront fondamentales demain, quand nous serons 20 et plus : je pense naturellement aux coopérations renforcées, qui sont un des outils indispensables pour que les quelques Etats qui le souhaiteront et qui seront prêts puissent aller de l'avant dans l'approfondissement de leurs relations à l'intérieur de l'Union, tout en laissant aux autres la possibilité de les rejoindre plus tard.
- Enfin, cette Europe politique, c'est aussi et - je dirai même d'abord - des valeurs communes : nous allons avoir l'occasion de les décliner très prochainement dans une Charte européenne des droits fondamentaux dont l'Union a décidé de se doter, et sur laquelle je souhaite vous dire quelques mots, dans le cadre de cette présentation rapide des grands chantiers politiques de notre présidence, car je sais l'importance qu'y attache, à juste raison, le monde associatif.
Lors du Conseil européen de Cologne en juin 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement ont, en effet, décidé de confier à une enceinte ad hoc le soin de rédiger une charte des droits fondamentaux qui sont garantis dans l'Union. Cette initiative mérite d'être soulignée à plus d'un titre. Tout d'abord dans la méthode retenue, puisque sont membres de cette enceinte, qui s'est dénommée "convention", à la fois des représentants des Gouvernements des Quinze mais aussi des Parlementaires européens et surtout des Parlementaires nationaux.
Quel est l'objectif de cette initiative ? La mission de la convention est de réunir dans un même texte trois grandes catégories de droits : les droits civiques et politiques, tels que ceux énoncés, dans un autre cadre, par la Convention européenne des Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe ; les droits inhérents à la citoyenneté européenne - je pense notamment à la liberté de circulation et d'établissement sur le territoire des Etats membres mais aussi au droit de vote et d'éligibilité - ; et enfin les droits économiques et sociaux, qui constituent, à nos yeux, une dimension essentielle des valeurs de l'Union. Cette Charte permettra ainsi aux citoyens de disposer de façon lisible d'un "référentiel de valeurs", qui précise en quelque sorte le contrat fondamental de notre construction européenne, et qui faisait jusqu'ici défaut.
La Charte devrait pouvoir être proclamée par les trois institutions communautaires lors du Conseil européen de Nice, qui conclura notre présidence. J'ajouterai, sur ce point, que les événements politiques autrichiens et la constitution, totalement inacceptable, d'un Gouvernement intégrant un parti d'extrême-droite, ont démontré plus encore la nécessité de disposer d'un tel texte, consacrant les valeurs politiques et morales qui fondent notre Union.
3 - J'en viens maintenant aux domaines qui vous intéressent tout particulièrement dans vos activités quotidiennes, je veux parler de l'action européenne en faveur du développement et de l'action humanitaire.
- Tout d'abord, je peux vous assurer que la future présidence française entend bien être ambitieuse dans le domaine de la coopération au développement, dans le sens de l'amélioration et du renforcement de l'action européenne.
Sans entrer trop dans le détail - car nous pourrons en discuter dans un instant, et Charles Josselin reviendra certainement sur ces points - je dirai simplement que notre premier devoir sera de gérer avec soin le suivi de la nouvelle convention de Lomé qui vient d'être adoptée, afin qu'elle puisse entrer en application le plus efficacement et rapidement possible, car elle demeure un instrument majeur de la politique européenne de coopération au développement.
Ensuite, nous souhaitons poursuivre l'effort engagé pour renforcer l'efficacité de l'aide européenne, notamment en ce qui concerne la complémentarité entre aide communautaire et aides nationales. Vous savez qu'à la suite de l'évaluation de l'aide communautaire qui a été faite l'an dernier, un projet de déclaration de politique générale a été élaboré par la Commission et soumis pour avis aux ONG européennes. La France considère que cet exercice est d'une importance majeure et elle entend bien, si jamais le texte ne pouvait être adopté sous présidence portugaise, qu'il le soit au second semestre.
Enfin, nous entendons bien insister, sur le plan communautaire, sur plusieurs thématiques du développement qui sont chères aux autorités françaises, comme le rôle du co-développement, sur lequel nous souhaitons sensibiliser nos partenaires, la coordination des aides humanitaires - pour lesquelles les catastrophes récentes, notamment au Mozambique, ont montré que des progrès restaient à faire - ou encore la sécurité des personnels humanitaires, qui est un sujet qui vous préoccupe, à juste titre.
- Je terminerai en évoquant la question importante du partenariat entre les ONG et la Commission européenne, sur laquelle vous souhaiterez certainement revenir.
Sachez que nous considérons - et ce n'est pas Charles Josselin qui me contredira - comme essentiel l'apport des ONG à l'effort européen de coopération au développement et d'aide humanitaire. En conséquence, il faut que les conditions d'un partenariat confiant entre vos associations et la Commission soient remplies.
Je sais que des problèmes sont apparus récemment à la suite de la réforme des procédures de gestion des programmes communautaires de coopération. Les commissaires Patten et Kinnock travaillent actuellement sur ce sujet et, après avoir diffusé un document de discussion, préparent une communication sur ce thème. Vous pouvez compter sur les autorités françaises pour peser, dans ce débat, en faveur de la confirmation du rôle spécifique et déterminant que jouent les ONG dans l'aide au développement : ce rôle ne doit pas pâtir des efforts - légitimes - de rationalisation de l'aide communautaire. Dans cette perspective, il est important que soit maintenu un dialogue étroit entre vos associations et le gouvernement. Notre rencontre d'aujourd'hui en fournit une occasion utile.
* * *
Vous le voyez, qu'il s'agisse de l'aide européenne au développement ou des autres domaines de l'action communautaire, ni les ambitions, ni le travail ne manqueront à la présidence française. Nous ne réussirons qu'avec la participation de tous les acteurs, notamment le secteur associatif, afin de promouvoir une conception qui nous est largement commune d'une construction européenne s'adressant prioritairement aux citoyens et largement ouverte sur le monde.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à répondre à toutes vos questions./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2000)