Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences dans la fonction publique, le recrutement et la mobilité des fonctionnaires, Paris le 3 avril 2002.

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Circonstance : Ouverture de la journée d'étude du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat sur le thème "la fonction publique face au défi démographique : comment recruter demain ?" à Paris le 3 avril 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Recruter dans les fonctions publiques pour assurer des missions de service public semble, dans nos cultures administratives, aller de soi. Habituées à une population active structurellement en augmentation et à un fort taux de chômage, nos administrations n'ont que récemment pris conscience des conséquences des évolutions démographiques, économiques et sociales à venir.
Nous connaissons aujourd'hui parfaitement les éléments de diagnostic : depuis la parution des rapports CIEUTAT et VALLEMONT, les travaux de l'observatoire de l'emploi public ont permis de connaître très précisément, grâce à l'élaboration de techniques statistiques communes, les pyramides des âges des différentes administrations et de calculer le nombre de départs à la retraite dans les prochaines années.
Des outils de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences ont été de la même façon élaborés. L'exercice de gestion prévisionnelle ne doit pas être limité à une évaluation prospective des besoins en effectifs des administrations. Prévoir, c'est évidemment se livrer à un exercice sur l'évolution des métiers, des compétences, des modes de formation, des besoins quantitatifs et qualitatifs des services publics en ressources humaines.
Prévoir, c'est également réfléchir aux capacités de notre système de formation. Nous connaissons les pyramides des âges des différentes administrations et nous sommes donc parfaitement capables de calculer le nombre de départs à la retraite dans les 10 ans à venir. Ce que nous savons moins faire, c'est mettre en relation l'évolution de nos besoins et celle des ressources humaines disponibles pour concevoir des politiques de recrutement qui intègrent la capacité des systèmes de formation à fournir les personnes dont les services publics ont besoin.
Soyons clairs : il n'existe, en France, qu'un seul marché du travail. La capacité des administrations à recruter dépend du développement de la population active et de la compétitivité comparée, sur le marché du travail, des entreprises privées et du secteur public. La période qui s'achève aujourd'hui a été marquée par une forte progression de la population active et un taux de chômage élevé : ces deux caractéristiques ont permis à tous les services publics de recruter facilement, en quantité suffisante, des agents qualifiés, voire surqualifiés.
Cette période est aujourd'hui révolue. D'abord parce que les perspectives de l'emploi ont été singulièrement améliorées depuis 1998, ce qui a pu, pour certains métiers, dans certaines spécialités, rendre moins attractifs les concours de la fonction publique. Ensuite parce que ce que nous appelons le " choc démographique " des années futures ne correspond pas seulement à une accélération du nombre de départs à la retraite, mais aussi à une raréfaction drastique du nombre de personnes recrutables, sortant du système éducatif. Ainsi, si nous continuons à faire valoir une conception traditionnelle du recrutement et de la carrière des agents publics, fondée exclusivement sur un recrutement à la sortie des études pour une carrière consacrée à un seul ministère, une seule administration, une seule collectivité, nous sommes à peu près certains de ne pas être en mesure, demain, de recruter les agents dont nous aurons besoin.
Trois réflexions doivent donc, à mon sens, être conduites pour cerner les conséquences de cette évolution et pour y répondre.
Il faut tout d'abord continuer à affiner la politique de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences que nous avons collectivement mise en place. Les pyramides des âges sont parfaitement bien établies. Nous connaissons également les perspectives d'évolution de la population active. Il faut aujourd'hui ne pas nous limiter à définir prospectivement nos besoins, mais apprendre à mettre ces besoins en relation avec ce que le système de formation peut nous offrir.
Deuxième réflexion : le recrutement dans les fonctions publiques ne consiste pas à sélectionner, à la sortie du système de formation, une certaine proportion d'une certaine classe d'âge pour la porter, à l'issue de la durée statutaire de la carrière dans son corps d'appartenance, à l'indice terminal du dernier échelon. Le CIRE du 15 novembre dernier a arrêté un certain nombre de décisions particulièrement novatrices pour diversifier les modes de recrutement dans les fonctions publiques : généralisation des troisièmes concours, qui permettent de faire appel à des compétences professionnelles déjà acquises et de ne pas reconstituer la bosse démographique dont nous souffrons aujourd'hui, mécanismes de pré-recrutement, concours sur titres, professionnalisation des épreuves des concours, recrutement en échelle II sans concours. Je crois que nous devons continuer à développer cette " boîte à outils ", en respectant le principe d'égalité à l'accès de l'emploi public et en utilisant l'ensemble des possibilités ouvertes par le statut général.
Ma troisième réflexion porte, évidemment, sur la mobilité. La perspective de carrières fondées pour chaque agent sur l'appartenance à un seul ministère, à une seule administration, à un seul corps de fonctionnaire n'est ni un gage d'attractivité pour de futurs candidats, ni un gage d'efficacité pour le fonctionnement des administrations et la qualité de leur travail. La polyvalence des métiers, l'animation de réseaux de formation continue, le suivi individualisé de parcours professionnels peuvent nous conduire à décloisonner les viviers de recrutements et de compétences. Le gouvernement a arrêté en CIRE un certain nombre d'orientations : celles-ci, comme la très importante réforme du décret de 1985 sur les positions des fonctionnaires, sont en voie de finalisation. Il sera indispensable d'en exploiter, demain, toutes les potentialités.
Les travaux de cette journée vont vous permettre, d'abord, d'échanger sur l'expérience que vous avez pu acquérir, dans vos services respectifs, sur les perspectives de recrutement et les premières difficultés que vous avez, déjà, pu rencontrer.
Ils vous permettront également de réfléchir à des solutions concrètes pour compléter les boîtes à outils déjà élaborées.
Lorsque l'on prend la peine, comme vous avez choisi de le faire aujourd'hui, de réfléchir et d'échanger sur une question aussi cruciale que la capacité de recrutement des services publics dans les années à venir, il est indispensable de raisonner sans tabous, sans exclusive, sans schémas préétablis. Il ne faut en particulier pas hésiter à confronter ses expériences avec celles vécues par les entreprises du secteur privé, il ne faut pas non plus hésiter à intégrer les expériences étrangères je salue à ce propos la présence parmi nous d'une importante délégation canadienne, conduite par M. Richard GAGNON, directeur de la formation et du perfectionnement au sein de la commission de la fonction publique du gouvernement canadien- ou à réfléchir au comportement de ceux de nos prédécesseurs qui, dans des contextes semblables, notamment après la seconde guerre mondiale, ont eu à gérer des situations comparables.
Vos réflexions et vos travaux seront, j'en suis sûr, fructueux : je vous en remercie d'avance.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 9 avril 2002)