Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle de 2002, et interview à "Corse-Matin" le 19 mars 2002 sur le bilan de la politique gouvernementale, ses propositions électorales, notamment celles concernant la Corse.

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Circonstance : Réunion électorale à Ajaccio, le 19 mars 2002

Média : Corse matin

Texte intégral

Mes chers compatriotes,
Je voudrais d'abord rendre hommage aux élus qui sont ici ce soir et plus largement à tous ceux qui, avec courage, ont décidé de partager mon combat pour la République et pour la Corse.
Cher Émile, cher Nicolas, cher François, chers amis, je mesure bien le courage que vous manifestez dans la défense de vos convictions. Vous êtes la vraie Corse, la Corse de toujours, celle qui ne se laisse pas intimider par la terreur blanche qui frappe tous les jours et qui cherche à décourager, à blesser, parfois même à tuer les hommes et les femmes de bonne volonté que vous êtes. Je pense bien évidemment aussi à Dominique Bucchini, et au delà à tous ceux qui, parce qu'ils sont intègres, sont la cible d'individus chez qui plus personne n'arrive à démêler ce qui est de l'ordre du banditisme ou de la revendication politique.
Je pense à ces fonctionnaires des forces de sécurité régulièrement pris pour cible ; à ces gendarmes qui, il y a quelques semaines, ont vu leur maison, construite en prévision de leur retraite, détruite parce qu'ils sont à la fois gendarmes et mariés à des femmes corses. Je pense aux agents des services publics que l'on veut décourager en faisant sauter leurs bureaux. Je pense aux agents des impôts. Je pense à ces enseignants dont la voiture est sabotée, les enfants intimidés. A tous je veux dire courage.
Corses qui vivez ici ou sur le continent, ne nous laissons pas voler notre histoire commune. Depuis plus de deux siècles il n'y a pas de République sans la Corse, de combats républicains sans des natifs de l'Ile de beauté.
Les indépendantistes sont des révisionnistes, ils veulent réviser notre histoire commune.
Ils veulent faire oublier les Salicetti et les Arena qui ont amené la Corse à rejoindre l'élan de 1789 pour construire cette nation politique qu'est la France.
Ils veulent nous faire oublier que les représentants de la Corse étaient sur le Champs de Mars en 1790 pour la fête de la Fédération. Ils veulent nous faire oublier que ces républicains, aux moments cruciaux, ont voulu que les Corses soient des citoyens et non des sujets. Ils veulent effacer des tableaux le général Bonaparte et sa famille comme en d'autre temps, à Moscou, on effaçait des photos le portrait de Léon Trotski.
Les indépendantistes veulent nous faire oublier que le combat pour la liberté de Fred Scamaroni ou de Danièle Casanova était un combat pour la République et non pour une Europe des régions où serait à jamais exclue la souveraineté populaire.
Parce qu'ils veulent réécrire notre histoire collective ces révisionnistes s'attaquent en priorité à l'Ecole.
L'École de la République est une. Elle est à la fois le creuset et le ciment de l'unité nationale. Dans un monde tellement inégal, l'unité de l'école, c'est-à-dire l'unité du savoir et des valeurs qu'elle est chargée transmettre, demeure une garantie de justice qu'il faut préserver. Cet enjeu est le même sur l'ensemble du territoire national. Il a une acuité particulière ici.
Ne vous y trompez pas, le débat sur la place de la langue Corse à l'école est un débat sur les valeurs que nous voulons transmettre. En s'attaquant aux personnels enseignants, ces révisionnistes veulent casser ce qui fait la spécificité de notre école, une formation des maîtres qui garantisse la laïcité.
Comme vous le savez, je n'ai rien contre les cultures régionales ou contre l'apprentissage des langues régionales. Elles ont leur place à l'école, le corse a sa place à l'école. Comme ministre de l'Éducation nationale, je n'ai jamais empêché le développement de leur apprentissage.
Mais ce que veulent ceux qui souhaitent rendre obligatoire leur apprentissage c'est ethniciser la société française, faire que la langue et la culture soient le vecteur d'une autre définition de la citoyenneté que celle qui est la nôtre. Elle entraîne mécaniquement cette revendication raciste de "corsisation des emplois". A travers la demande d'officialisation des langues régionales on veut nous préparer une société où demain seul le Breton sera habilité à travailler en Bretagne, le Franc-Comtois en Franche Comté et le Niçois à Nice.
Corses vous êtes aussi confrontés à un révisionnisme culturel.
La langue corse, la culture corse sont le produit d'une histoire intimement liée au monde méditerranéen. On veut vous faire oublier que ce magnifique chant qui est le Dio salve Regina est écrit en toscan. L'apprentissage du corse n'a de sens que s'il est inclus dans des programmes de développement des langues et des cultures romanes. Au lieu de cela, on propose à la jeunesse corse l'enfermement. C'est le retour de Charles Maurras et de l'exaltation des provinces d'ancien régime, la fin de l'universalisme des Lumières au profit d'une balkanisation de la société française.
Je combats et que je continuerai de combattre par tous les moyens cette utilisation, à travers toute l'Europe, des cultures régionales comme vecteur de l'ethnicisation des sociétés. C'est la dynamique de la Charte des langues régionales que le gouvernement a décidé d'appliquer avec un zèle illustrant la perte des repères républicains.
Cette dynamique casse les solidarités historiques. Regardez en Italie où la Ligue du Nord fait de la redécouverte d'une culture "pagane" le soubassement théorique du refus de la solidarité avec le Mezzogiorno.
Ceux qui se revendiquent du libéralisme, ou plus hypocritement d'une tradition girondine ou tocquevillienne et au nom d'une "république plurielle", veulent en réalité sacrifier la France républicaine sur l'autel d'une "Europe des régions" qui signerait la victoire du marché sur la politique et serait le signe d'une régression profonde.
Je voudrais m'adresser aux jeunes qui vivent en Corse pour leur dire que leur avenir ne passe pas par l'enfermement communautariste. La France est un espace de liberté formidable si on a l'envie de faire vivre les valeurs qui la fondent. Et chacun peut y investir sa richesse et son identité personnelles.
Sortir la Corse de ses difficultés.
Je ne méconnais pas les difficultés de la Corse. Je comprends les ressentiments qui ont pu naître au tournant des années cinquante et soixante où l'Ile semblait éloignée de tout, et même abandonnée en matière de transports ou de développement d'infrastructures, comme en matière d'enseignement supérieur.
J'ai été l'un de ceux qui, dans les années soixante-dix, ont pointé le danger de ces écarts de développement, de cette inertie de l'État. C'est pour cela que je plaide aujourd'hui pour que notre État n'abandonne pas toutes ses prérogatives, continue d'être un instrument efficace de l'aménagement du territoire.
Pendant un siècle et demi, de l'Empire à la fin de la IVème République, les Corses ont activement participé au développement économique de la France en quittant l'île et en occupant les plus hautes fonctions dans la fonction publique, la magistrature, le monde économique comme les Arts et les Lettres. Et je souhaite ici exprimer une pensée à la mémoire de Jean-Toussaint Desanti.
Enfin, les Corses ont aussi participé à l'aventure coloniale.
Pendant cette longue période, les ressources naturelles de la Corse ne lui ont pas permis de participer, ni à la révolution industrielle, ni à celle de la productivité agricole. Cela a engendré un immobilisme que l'État n'a pas su enrayer. Vous en connaissez tous les conséquences, la difficulté à trouver des transports pour ceux qui vivent sur le continent et qui souhaitent passer quelques jours en famille et retrouver le village. La difficulté des jeunes générations à trouver du travail et à prendre le train de la révolution des technologies de pointe et de la communication que nous connaissons.
Mais, paradoxalement, le retard économique de la période passée s'est transformé en richesse et l'immobilisme en vertu : l'exceptionnelle qualité de l'environnement de l'île, et surtout son littoral, est devenue un potentiel économique extraordinaire. C'est le partage de cette formidable richesse, encore virtuelle, qu'est le littoral corse qui est le moteur commun d'une part non négligeable de la violence politique et de la pression mafieuse. C'est sur les enjeux liés au littoral qu'a échoué l'application du statut de 1991 et qu'a volé en éclats l'alliance entre José Rossi et les indépendantistes, "le vice appuyé sur le bras du crime" selon la formule de Chateaubriand.
Cette richesse, beaucoup voudraient la soustraire à la jeunesse corse au profit d'enrichissements personnels. Et il sera plus facile de lui soustraire si on l'a au préalable détournée d'une ouverture au monde, si elle s'avère incapable de faire découvrir le patrimoine de la Corse en parlant espagnol, italien, anglais, allemand, russe, c'est-à-dire en ayant aussi un aperçu de la culture des autres.
Et bien entendu en maîtrisant le français.
Résoudre les problèmes de la Corse suppose constance et ténacité. Il faut aborder la situation de la Corse avec des idées claires. L'avenir de la Corse passe par une décentralisation responsable dans le cadre de la République et de la solidarité nationale. C'est une facilité apparente que de céder aux chantages d'une minorité violente. La démission amènera des difficultés plus grandes encore que celles d'aujourd'hui, et que je mesure bien.
C'est pour cela que j'ai proposé au Premier ministre le Programme Exceptionnel d'Investissement en juin 2000. C'est, à mon sens, la seule chose positive issue des lundis de Matignon. Beaucoup de choses sont à faire en matière d'infrastructures, de transports routier ou ferroviaire. Le renouveau de la micheline pourrait permettre de désenclaver le centre de l'île, permettre son développement économique grâce aussi au tourisme. Le récent accident sur la ligne Ajaccio - Bastia prouve, s'il en était besoin, la nécessité de ce chantier.
Avec le plan exceptionnel d'investissement, c'est près de deux milliards d'Euro (13 milliards de Francs) que l'État se dit prêt à mettre en oeuvre. La durée est en principe de 15 ans. Elle peut être raccourcie, surtout pour les investissements structurants en matière de transports ou pour les infrastructures portuaires, ou encore en matière de formation. Dans ces domaines, le partage de l'effort financier prévu (70 % pour l'État, 30 % pour les collectivités locales) peut être modifié pour les opérations à fort effet de levier. L'État ne doit pas chipoter son engagement ou le laisser filer au hasard des lois de finance. Ce PEI doit être une réussite. Le rétablissement de la confiance passe aussi par là. Cela suppose aussi de la part des collectivités de Corse et de leurs élus davantage qu'un engagement financier, une grande mobilisation collective pour la définition des projets et leur mise en oeuvre. L'État peut fournir l'ingénierie qui sera nécessaire et que les élus souhaitent. La solidarité nationale c'est aussi cela.
Cette dynamique positive, ce cercle vertueux suppose de la constance. C'est ce qui manque en Corse depuis des décennies.
La Corse mérite mieux que les marchandages constitutionnels.
Lors des réunions de Matignon, l'examen des problèmes rencontrés par l'Assemblée Territoriale et par l'exécutif a montré que ceux-ci n'avaient nul besoin d'une délégation du pouvoir législatif pour exercer leurs compétences de manière plus efficace. La dévolution en catimini d'un pouvoir législatif pour satisfaire aux conditions posées par les indépendantistes a été la cuillerée de goudron en trop dans un bricolage institutionnel indigne.
A mes yeux un statut rénové, responsabilisant les élus avec de larges délégations de compétences et le transfert d'une part du pouvoir réglementaire était et demeure la solution pertinente. Je l'avais proposée. C'était une avancée de la décentralisation sans le saut dans l'inconnu qu'a sanctionné le Conseil constitutionnel. Au bout du compte nous sommes dans l'impasse. En refusant de voter le texte proposé par le gouvernement les élus corses n'ont que tiré les conséquences de ce bricolage de circonstance, dont le gouvernement savait qu'il était voué à l'échec mais dont il espérait qu'il lui permettrait d'acheter la complicité des élus corses avec la promesse faite aux indépendantistes de leur accorder le pouvoir législatif en 2004.
Dans toute cette affaire, on s'est bien gardé de donner la parole aux corses, en prétextant que les élus, de l'Assemblée Territoriale l'avaient, même s'ils n'étaient pas mandatés pour cela..
Je sais que les corses profiteront du scrutin des 21 avril et 5 mai, pour dire leur mot sur l'avenir de la Corse.
Vous allez vous exprimer. J'ai confiance en vous La Corse est victime de l'abandon d'une politique volontariste d'aménagement du territoire.
Le gargarisme des mots, l'aménagement "identitaire et écologiste" des régions prôné par les écologistes ont du mal à masquer le vide des perspectives. Au lieu de désenclaver, de favoriser la communication, la recherche, la circulation des idées, on ne propose que de l' " autocentré ", le renfermement encore une fois.
J'ai pour ma part toujours conçu la décentralisation en liaison avec une vision d'ensemble, une planification nécessaire comme le pensait le général de Gaulle.
Nos succès en matière industrielle sont liés à ces choix, ces investissements lourds dans la téléphonie, le transport aérien, l'espace avec Ariane.
L'aménagement du territoire a permis de grandes choses. Il n'est pas incompatible avec une décentralisation bien pensée. Il m'est souvent fait le procès d'être contre la décentralisation. Dois -je rappeler que c'est moi qui ai organisé la décentralisation des collèges et des lycées, le transfert de compétence en matière d'infrastructures. Mais parce que j'avais les idées claires, il ne me serait jamais venu à l'esprit d'abandonner la gestion des programmes d'enseignement, des recrutements des carrières aux localismes.
Voilà ce que souhaitent ceux qui depuis cinq ans ont eu en charge "l'aménagement durable du territoire". Où en sera la solidarité nationale pour le Limousin, la Corse ou d'autres quand Rhône-Alpes, l'Ile de France, l'Alsace auront leur pouvoir législatif et leur fiscalité propre. Cela n'est pas la République.
Dois-je rappeler aussi que l'intercommunalité a pris un tournant décisif avec la loi du 12 juillet 1999. Son succès prouve qu'une révolution de l'organisation administrative et politique de notre pays est en marche. Une révolution bien pensée, qui s'effectue à un rythme adapté n'est pas une régression.
La commission Mauroy a fait des propositions ambitieuses réalistes dans les domaines de la formation professionnelle, des universités, des routes, du logement et de l'environnement. Mettons-les en oeuvre, après les concertations nécessaires avec les personnels concernés. Mais la République doit rester unitaire.
Le problème de la Corse c'est le problème de la France
Au fond, vous le sentez bien, notre pays est enfermé dans un faux semblant qui mine la démocratie. Il n'y a pas que sur la Corse qu'au lâche soulagement des uns, croyant régler les problèmes par l'abandon des principes, répond le silence des autres. Ceux qui se veulent les héritiers du Gaullisme ont perdu tout sens de l'intérêt national.
Dois-je rappeler que Jacques Chirac, jadis, a installé Giscard d'Estaing au pouvoir avant de le faire battre et qu'il a toujours sacrifié le fond, c'est à dire l'intérêt du pays à son ambition, ainsi en faisant approuver le Traité de Maastricht en 1992 pour pouvoir recueillir en 1995 les voix de l'UDF ?
Et qu'à peine élu, il a tourné le dos à son engagement de réduire la fracture sociale, provoquant en retour la colère et la juste sanction du pays ?
Et qui, sinon Jacques Chirac, s'est installé dans une cohabitation qui a abaissé comme jamais la fonction présidentielle ?
Et sur la Corse, Jacques Chirac n'a rien dit au moment où son poids, sa légitimité de Président de la République aurait dû l'amener à s'exprimer. Et si j'ai bien compris son silence va se poursuivre puisqu'il semble pour l'instant avoir renoncé à tout déplacement en Corse.
Et Lionel Jospin, qui hésite aussi à venir s'expliquer devant vous, faut-il rappeler que c'est lui qui a déclaré ouverte la parenthèse libérale en 1983 qu'il n'a jamais cherché à refermer, tournant le dos aux engagements pris devant le peuple - d'abord l'emploi- et en cautionnant ensuite tous les choix - Traité de Maastricht, privatisations et mise à mal des services publics - qui ont installé une "dictature de l'actionnariat". Qui peut croire une seule seconde que demain la pente de la facilité, le lâche soulagement encore une fois n'amènera pas, comme pour la Corse, au bradage de la singularité d'EDF.
La perte des repères et des convictions a amené les partis qui prétendent incarner la droite et la gauche à n'être que des incarnations différentes des mêmes politiques, "de la seule politique possible".
En matière de lutte contre l'insécurité par exemple, j'ai trouvé en juin 1997 une situation profondément dégradée. Aucune anticipation des départs à la retraite, aucun plan de réforme d'une police qui avait besoin de s'adapter à la montée des formes de délinquance. Rien, un silence administratif en guise de politique.
Comme ministre de l'Intérieur, j'ai engagé la réforme de la police de proximité qui aurait pu porter pleinement ses fruits si les moyens avaient suivi. La loi de programmation que j'ai proposée au Premier Ministre fin décembre 1999 aurait pu permettre d'accompagner les réformes en cours. Elle a été rejetée.
J'ai tenté de lancer des débats de fond sur l'évolution de la délinquance des mineurs, le fameux débat sur les "sauvageons". Le lâche soulagement, le refus de rompre avec une idéologie "libérale-libertaire" ont, comme pour la Corse, amené le Premier ministre à choisir le pire, la facilité sous couvert de "naïveté".
C'est le débat même qui a été rejeté. Comme pour la Corse le refus de prendre à bras le corps les difficultés amène des difficultés encore plus grandes, et surtout des drames que rien ne peut excuser. Et les faux-semblant continuent.
Alors que le problème est de permettre à cette poignée de jeunes perdus dans la violence de rencontrer la règle, la sanction du droit et d'être éloignés des lieux où ils se croient les maîtres on nous propose des centres fermés de "proximité".
Alors que ces jeunes ont besoin d'apprendre la civilité, ce qui prend du temps, on leur propose de poursuivre le " dedans dehors ". Comme je l'ai dit à l'époque une porte doit être ouverte ou fermée. Je n'ai pas encore compris si Lionel Jospin sait saisir la poignée du problème ou reste dans la demi mesure afin de ne pas envisager la nécessaire réforme de l'ordonnance de 1945.
Notre pays vit une sorte de "dépression nationale" suivant la formule de Julia Kristéva. La transmission des valeurs de la République est en panne.
Corses, j'ai besoin de vous pour que notre pays retrouve le chemin de la république.
Il y a dans notre pays un immense besoin de valeurs et de sens. C'est pourquoi en tous domaines, j'entends fonder mon action sur des principes.
Plus le monde change, plus la réalité est complexe, plus les sciences et techniques évoluent rapidement, et plus nous avons besoin de principes clairs pour agir et décider.
L'autorité de la loi, égale pour tous, est à refonder. L'invraisemblable projet d'adapter la loi à titre expérimental -c'est-à-dire de la changer- selon que l'on se trouve à Ajaccio ou à Dunkerque vient de tourner court. Mais il est attristant de devoir attendre pour cela la censure du Conseil Constitutionnel. Lionel Jospin a accepté cette violation de notre texte fondamental ; Jacques Chirac l'a laissé faire. Car la Corse ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, c'est leur élection, c'est le pouvoir. Le pouvoir pour le pouvoir.
L'essentiel reste devant nous : la promesse d'une révision constitutionnelle qui ne pourra se faire que par référendum est une bombe dont le minuteur est réglé sur 2004. Si ce référendum avait lieu il creuserait le fossé entre la Corse et le reste de la France. 43 % des continentaux éprouveraient un lâche soulagement à voir la Corse s'acheminer vers l'indépendance. Là est le péché mortel des accords de Matignon. C'est une capitulation devant la violence.
Eh bien, le débat qui intéresse les Français, ce n'est pas de savoir s'il faut choisir l'auteur de cette faute, ou celui qui l'a laissé commettre. C'est d'élire un Président garant de l'intégrité des principes républicains. J'attends de savoir quels sont les engagements des deux sortants sur ce point capital pour la Corse et pour la République.
Le cri du juge Halphen, nous dit la crise de la justice, reflet d'une crise profonde de l'État. Car de cette crise de la justice, le chef de l'État est directement responsable : dévaluant sa fonction, laissant prise au doute, refusant que la clarté se fasse autour des mises en cause dont il est l'objet.
Quant à la folle entreprise de rendre les Parquets indépendants de tout contrôle, d'instituer deux cents politiques pénales indépendantes dans le pays, c'est Jacques Chirac qui l'avait proposée, mais c'est Lionel Jospin qu'il l'a mise en oeuvre. Il n'est qu'une seule réponse à cette crise : le chef de l'État, que notre Constitution fait premier magistrat du pays, doit être au-dessus de tout soupçon, et fondé, de ce fait, à impulser les réformes dont notre justice a besoin.
La République lie indissolublement la souveraineté populaire et la démocratie. Le Peuple français peut déléguer des compétences, à la condition qu'elles soient démocratiquement contrôlées. Mais il ne peut déléguer sa souveraineté, sauf à se dissoudre. Il faut en finir avec l'expertocratie. Quand il s'agit de l'avenir de l'Union européenne, les Français ont vu les prétendus rivaux de l'exécutif confier de concert à une " convention " non élue le soin d'en débattre, et sa présidence à M. Giscard d'Estaing, dernier enfant nouveau né de la cohabitation.
Je m'engage solennellement, si je suis élu Président de la République, à saisir le peuple français des résultats de la Conférence Intergouvernementale prévue en 2004 et dont Jacques Chirac et Lionel Jospin ont déjà accepté par avance qu'elle réduise la France à n'être plus qu'une région dans un ensemble où elle s'effacera.
La citoyenneté, ensemble indissociable de droits et de devoirs, est capable de faire de chacun de nous un acteur de sa nation et du monde. C'est un horizon mille fois plus enthousiasmant que l'invitation générale à la résignation devant une mondialisation financière incontrôlée.
Face à la loi de la jungle, notre peuple a le droit de se préserver. Quand les exigences insensées des gestionnaires de fonds de pension, imposant des retours de 15% alors que la croissance n'atteint pas 2,5%, aboutissent à des licenciements massifs, l'État a son mot à dire. Il ne peut pas se mettre aux abonnés absents, comme la loi dite de " modernisation sociale " l'a entériné -démission de l'État des grands dossiers industriels et judiciarisation de la vie économique-, au prix de quelques concessions provisoires de vocabulaire faites à Robert Hue, bien vite censurées par le Conseil Constitutionnel. C'est le règne de la défausse ! Il n'est pas sain qu'un gouvernement fasse voter un texte contraire à la Constitution pour dorer la pilule aux amis de Robert Hue ou de Jean-Guy Talamoni. L'autorité de l'État s'affaiblit dans ces marchés de dupes. Il est urgent de la relever en réinventant le principe de responsabilité.
Comme depuis deux siècles, comme en 1943 vous avez été les pionniers de la libération du pays, vous pouvez être aujourd'hui à la pointe de la reconquête républicaine. Je connais votre courage, vos sentiments profonds, votre attachement aux valeurs, vous l'avez maintes fois démontré.
Vos élus ici présents, la brillante élection de Nicolas Alfonsi au Sénat, la popularité d'Émile Zuccarelli, le témoignage de Roger Franzoni et tous les maires de villages qui font vivre cette île démontrent avec éclat la vaillance de la flamme républicaine. Il est temps que Paris s'en aperçoive.
Source : www.chevenement2002.net, le 22 mars 2002)