Texte intégral
Q - La nouvelle Commission européenne a été adoubée par le Parlement européen. Dès ce week-end et samedi, le président italien Romano Prodi s'est mis au travail avec un certain nombre de projets de réforme en cours. L'idée, c'est entre autres d'alléger peut-être le nombre de fonctionnaires vivant dans les cabinets des commissaires européens. Trouvez-vous que ces premières réformes vont dans le bon sens ?
R - Il y a eu une Commission, la Commission Santer, qui, il faut le reconnaître, a échoué. De toute façon, elle a été sanctionnée, d'abord, pour des pratiques qui n'étaient pas tout à fait conformes à ce qu'on pouvait attendre d'un si grand organisme. M. Prodi a pris le contrôle de la Commission avec une certaine autorité. Maintenant, il y a donc un président qui n'est plus le primus inter pares et qui est bien le président qui dirige. Et puis, il a voulu réformer, rationaliser, il a choisi des hommes et des femmes de grande qualité - Pascal Lamy et Michel Barnier - qui vont avoir tous les deux des portefeuilles importants. L'un est chargé des négociations commerciales internationales, l'autre de tout ce qui est politique régionale de l'Europe. Maintenant, il va vouloir faire en sorte que cette Commission fonctionne de façon plus collégiale, plus ramassée et aussi plus efficace, plus transparente. C'est une bonne chose, même si, ne l'oublions pas, c'est le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement, qui conservent en Europe une très grande part du pouvoir. L'Europe n'est pas un monstre technocratique, c'est avant tout une construction politique.
Q - Justement, sur cette construction politique, c'est la France qui va occuper la présidence de l'Union européenne dans la deuxième moitié de l'an 2000. A l'ordre du jour, qu'y aura-t-il ? Le grand dossier de l'élargissement, entre autres ?
R - Il faut rappeler que l'Union européenne est présidée tous les six mois, à tour de rôle, par tous les pays de l'Union. Au deuxième semestre 2000, date très symbolique, c'est la France. Nous allons avoir un chantier absolument gigantesque. Nous allons devoir réformer les institutions européennes, parce qu'on voit qu'elles ne fonctionnent pas. Aujourd'hui, il y a trop de décisions prises à l'unanimité qui empêchent en fait d'avancer sur des sujets sensibles - je pense par exemple à la fiscalité : comment harmoniser la fiscalité ?
Q - On a vu les difficultés que cela pose pour baisser le taux de TVA...
R - Absolument. Si on est obligé d'aller négocier chaque petite décision à l'unanimité, en demandant à chacun, on n'y arrivera pas. Si nous voulons avoir une fiscalité plus juste en Europe, il faut plus de majorité. C'est un exemple. Donc, réformer les institutions pour qu'elles marchent, les réformer aussi pour préparer l'élargissement futur, parce que n'oublions pas qu'il y a aujourd'hui onze, douze pays - ce qu'on appelait les pays de l'Est et qu'on appelle aujourd'hui les pays d'Europe centrale et orientale -, qui frappent à notre porte. On ne peut pas leur dire non. Mais en même temps, il faut que l'ensemble continue à marcher. Et puis, nous voulons avancer sur toute une série de sujets, qui sont des sujets européens comme nous les aimons : c'est-à-dire une Europe pour l'emploi ; quel pacte européen pour l'emploi ; que ce ne soit plus uniquement une construction financière, qu'il y ait de nouveaux critères qui soient des critères de lutte contre le chômage des jeunes, de lutte contre le chômage de longue durée, de développement de la formation. L'Europe sociale. Et, essayer de faire aussi en sorte qu'en Europe, sans bâtir une constitution, on ait une sorte de charte des droits fondamentaux, des droits civiques et sociaux des citoyens européens. Prenons, par exemple, tout ce qui concerne la parité, l'égalité homme-femme. Ce sont là des avancées que l'Europe peut et doit promouvoir. Nous allons avoir un élan de travail, et pendant six mois, la France va être la présidente de l'Union européenne.
Q - Enorme travail aussi sur le front extérieur, puisque vous allez avoir une difficile négociation avec les Américains à Seattle, pour l'OMC, et Lionel Jospin, quand il est venu à France 2, en a beaucoup parlé. Au fond, il nous a expliqué qu'il fallait se préparer à une sorte de mondialisation pour régir les variations nationales. Est-ce la position de la France ?
R - Pas exactement. Il a parlé de mondialisation régulée et l'expression me pareil juste. Prenons cet exemple-là, l'Organisation mondiale du commerce ce qu'on appelait avant le GATT, c'est-à-dire tout ce qui libéralise les échanges. Nous sommes pour le libre-échange, parce que le libre-échange nous a permis d'avoir des économies ouvertes, qui exportent....
Q - De vendre nos Airbus, notre production agricole...
R - Oui. Nous vivons de cela à plus des deux-tiers aujourd'hui. Nous sommes des économies ouvertes, et donc nous sommes dans la mondialisation. Ne faisons pas comme si ces grandes organisations internationales, comme l'OMC, devaient être condamnées sous prétexte que les Américains y sont, et que nous discutons avec eux. Nous devons être pour le libre-échange, nous devons discuter dans le cadre de l'OMC. C'est un cadre crédible et, en même temps, nous devons réguler, c'est-à-dire faire en sorte qu'on prenne en compte à la fois nos intérêts nationaux, et nos intérêts, j'allais dire, sociétaux : l'agriculture, la Politique agricole commune ne doit pas être démantelée. Nous voulons la faire respecter. Sur les services, nous avons toute une série d'intérêts pour que d'autres libéralisent leur marché de services, comme nous l'avons fait - je parle des Européens. Sur l'environnement, nous voulons imposer des droits et des normes environnementales, et on voit que c'est une question fondamentale. En matière sociale, faire en sorte aussi que dans le monde entier, notamment sur le travail des enfants et dans d'autres domaines, on ait des droits. Voilà ce que c'est l'OMC.
Q - La deuxième étape que Lionel Jospin voulait annoncer et dont on n'a pas vraiment compris les contours, c'était cela : se préparer à la mondialisation, être capable d'y faire face... ?
R - Ce serait honnêtement un peu théorique, parce que nous vivons cela tous les jours. Ce qu'il a voulu dire, ce n'est pas cela. C'est deux choses : d'abord, ce gouvernement a la durée, pour la première fois depuis dix ans. Nous ne sommes pas le gouvernement Juppé, le gouvernement Balladur. Nous sommes là pour une législature et donc il est logique qu'après avoir jeté le socle, après avoir mené une politique pour l'emploi, après avoir fait de grandes réformes, comme les 35 heures, ou les emplois-jeunes, on passe une deuxième étape qui est une étape dans laquelle on réalise de grandes réformes de société - je pense effectivement à la façon de jeter les fondements d'une société pour le plein-emploi. Ce n'est pas un slogan, c'est possible. Aujourd'hui, nous avons des classes d'âge moins nombreuses qui arrivent sur le marché du travail, nous avons une croissance qui repart, nous avons une économie qui crée des emplois et donc, cette société de plein-emploi, c'est la deuxième étape, le nouvel horizon que Lionel Jospin a voulu mettre en avant. C'est vrai que là-dedans, il faut arriver à redéfinir les outils de l'intervention publique. Comment l'Etat, comment l'Europe, comment au niveau mondial peut-on faire pour que ces institutions qui ne sont plus exactement ce qu'elles étaient
- c'est vrai que nous ne sommes plus aux économies administrées - que ces institutions tout de même permettent d'arbitrer, de réguler, d'organiser la mondialisation ? Faire en sorte effectivement que cette liberté économique à laquelle nous sommes tous attachés, connaisse aussi des contrepoids. Voilà ce qu'il a voulu dire, voilà ce qu'il a dit tout simplement, et cette deuxième étape, nous allons la mener dans la continuité de la première mais avec toujours cette ambition : la société de plein-emploi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 1999)
R - Il y a eu une Commission, la Commission Santer, qui, il faut le reconnaître, a échoué. De toute façon, elle a été sanctionnée, d'abord, pour des pratiques qui n'étaient pas tout à fait conformes à ce qu'on pouvait attendre d'un si grand organisme. M. Prodi a pris le contrôle de la Commission avec une certaine autorité. Maintenant, il y a donc un président qui n'est plus le primus inter pares et qui est bien le président qui dirige. Et puis, il a voulu réformer, rationaliser, il a choisi des hommes et des femmes de grande qualité - Pascal Lamy et Michel Barnier - qui vont avoir tous les deux des portefeuilles importants. L'un est chargé des négociations commerciales internationales, l'autre de tout ce qui est politique régionale de l'Europe. Maintenant, il va vouloir faire en sorte que cette Commission fonctionne de façon plus collégiale, plus ramassée et aussi plus efficace, plus transparente. C'est une bonne chose, même si, ne l'oublions pas, c'est le Conseil européen, c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement, qui conservent en Europe une très grande part du pouvoir. L'Europe n'est pas un monstre technocratique, c'est avant tout une construction politique.
Q - Justement, sur cette construction politique, c'est la France qui va occuper la présidence de l'Union européenne dans la deuxième moitié de l'an 2000. A l'ordre du jour, qu'y aura-t-il ? Le grand dossier de l'élargissement, entre autres ?
R - Il faut rappeler que l'Union européenne est présidée tous les six mois, à tour de rôle, par tous les pays de l'Union. Au deuxième semestre 2000, date très symbolique, c'est la France. Nous allons avoir un chantier absolument gigantesque. Nous allons devoir réformer les institutions européennes, parce qu'on voit qu'elles ne fonctionnent pas. Aujourd'hui, il y a trop de décisions prises à l'unanimité qui empêchent en fait d'avancer sur des sujets sensibles - je pense par exemple à la fiscalité : comment harmoniser la fiscalité ?
Q - On a vu les difficultés que cela pose pour baisser le taux de TVA...
R - Absolument. Si on est obligé d'aller négocier chaque petite décision à l'unanimité, en demandant à chacun, on n'y arrivera pas. Si nous voulons avoir une fiscalité plus juste en Europe, il faut plus de majorité. C'est un exemple. Donc, réformer les institutions pour qu'elles marchent, les réformer aussi pour préparer l'élargissement futur, parce que n'oublions pas qu'il y a aujourd'hui onze, douze pays - ce qu'on appelait les pays de l'Est et qu'on appelle aujourd'hui les pays d'Europe centrale et orientale -, qui frappent à notre porte. On ne peut pas leur dire non. Mais en même temps, il faut que l'ensemble continue à marcher. Et puis, nous voulons avancer sur toute une série de sujets, qui sont des sujets européens comme nous les aimons : c'est-à-dire une Europe pour l'emploi ; quel pacte européen pour l'emploi ; que ce ne soit plus uniquement une construction financière, qu'il y ait de nouveaux critères qui soient des critères de lutte contre le chômage des jeunes, de lutte contre le chômage de longue durée, de développement de la formation. L'Europe sociale. Et, essayer de faire aussi en sorte qu'en Europe, sans bâtir une constitution, on ait une sorte de charte des droits fondamentaux, des droits civiques et sociaux des citoyens européens. Prenons, par exemple, tout ce qui concerne la parité, l'égalité homme-femme. Ce sont là des avancées que l'Europe peut et doit promouvoir. Nous allons avoir un élan de travail, et pendant six mois, la France va être la présidente de l'Union européenne.
Q - Enorme travail aussi sur le front extérieur, puisque vous allez avoir une difficile négociation avec les Américains à Seattle, pour l'OMC, et Lionel Jospin, quand il est venu à France 2, en a beaucoup parlé. Au fond, il nous a expliqué qu'il fallait se préparer à une sorte de mondialisation pour régir les variations nationales. Est-ce la position de la France ?
R - Pas exactement. Il a parlé de mondialisation régulée et l'expression me pareil juste. Prenons cet exemple-là, l'Organisation mondiale du commerce ce qu'on appelait avant le GATT, c'est-à-dire tout ce qui libéralise les échanges. Nous sommes pour le libre-échange, parce que le libre-échange nous a permis d'avoir des économies ouvertes, qui exportent....
Q - De vendre nos Airbus, notre production agricole...
R - Oui. Nous vivons de cela à plus des deux-tiers aujourd'hui. Nous sommes des économies ouvertes, et donc nous sommes dans la mondialisation. Ne faisons pas comme si ces grandes organisations internationales, comme l'OMC, devaient être condamnées sous prétexte que les Américains y sont, et que nous discutons avec eux. Nous devons être pour le libre-échange, nous devons discuter dans le cadre de l'OMC. C'est un cadre crédible et, en même temps, nous devons réguler, c'est-à-dire faire en sorte qu'on prenne en compte à la fois nos intérêts nationaux, et nos intérêts, j'allais dire, sociétaux : l'agriculture, la Politique agricole commune ne doit pas être démantelée. Nous voulons la faire respecter. Sur les services, nous avons toute une série d'intérêts pour que d'autres libéralisent leur marché de services, comme nous l'avons fait - je parle des Européens. Sur l'environnement, nous voulons imposer des droits et des normes environnementales, et on voit que c'est une question fondamentale. En matière sociale, faire en sorte aussi que dans le monde entier, notamment sur le travail des enfants et dans d'autres domaines, on ait des droits. Voilà ce que c'est l'OMC.
Q - La deuxième étape que Lionel Jospin voulait annoncer et dont on n'a pas vraiment compris les contours, c'était cela : se préparer à la mondialisation, être capable d'y faire face... ?
R - Ce serait honnêtement un peu théorique, parce que nous vivons cela tous les jours. Ce qu'il a voulu dire, ce n'est pas cela. C'est deux choses : d'abord, ce gouvernement a la durée, pour la première fois depuis dix ans. Nous ne sommes pas le gouvernement Juppé, le gouvernement Balladur. Nous sommes là pour une législature et donc il est logique qu'après avoir jeté le socle, après avoir mené une politique pour l'emploi, après avoir fait de grandes réformes, comme les 35 heures, ou les emplois-jeunes, on passe une deuxième étape qui est une étape dans laquelle on réalise de grandes réformes de société - je pense effectivement à la façon de jeter les fondements d'une société pour le plein-emploi. Ce n'est pas un slogan, c'est possible. Aujourd'hui, nous avons des classes d'âge moins nombreuses qui arrivent sur le marché du travail, nous avons une croissance qui repart, nous avons une économie qui crée des emplois et donc, cette société de plein-emploi, c'est la deuxième étape, le nouvel horizon que Lionel Jospin a voulu mettre en avant. C'est vrai que là-dedans, il faut arriver à redéfinir les outils de l'intervention publique. Comment l'Etat, comment l'Europe, comment au niveau mondial peut-on faire pour que ces institutions qui ne sont plus exactement ce qu'elles étaient
- c'est vrai que nous ne sommes plus aux économies administrées - que ces institutions tout de même permettent d'arbitrer, de réguler, d'organiser la mondialisation ? Faire en sorte effectivement que cette liberté économique à laquelle nous sommes tous attachés, connaisse aussi des contrepoids. Voilà ce qu'il a voulu dire, voilà ce qu'il a dit tout simplement, et cette deuxième étape, nous allons la mener dans la continuité de la première mais avec toujours cette ambition : la société de plein-emploi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 1999)