Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la responsabilité médicale et le principe du droit à la réparation des conséquences des handicaps congénitaux, Paris le 10 janvier 2002.

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Circonstance : Débat sur la solidarité nationale et l'indemnisation des handicaps congénitaux à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2002

Texte intégral

Le Gouvernement s'était engagé avec le Président de la Commission à ne pas voir ce débat contraint par le temps et au contraire à lui donner toute la place nécessaire. Cet engagement est tenu avec cette deuxième séance.
Nous poursuivons aujourd'hui la discussion de la proposition de loi déposée par J.F Mattei, et le Gouvernement propose de l'amender.


1. Depuis que les craintes se sont manifestées, le Gouvernement a pris le temps de décider s'il fallait légiférer :
Comme je vous l'ai dit le 13 décembre dernier, la jurisprudence de la Cour de Cassation pose des questions d'une complexité telle dans leurs significations et leurs conséquences, que la façon d'y répondre méritait une analyse et un travail soutenus.
La solution adoptée par la Cour de Cassation - on le sait - a divisé profondément les juristes, mais aussi les juridictions (Cour de Cassation et Conseil d'Etat, mais Cour d'Appel et Cour de Cassation puisque deux Cours d'Appel ne sont pas ralliées à la position de la Cour de Cassation).
Ce débat a très vite débordé le cercle du droit, pour être critiquée à la fois par ceux à qui s'adressent directement cette jurisprudence : les professionnels de santé et les personnes handicapées et leur famille, mais aussi la société elle-même dans toute sa pluralité.
Je vous ai dit le 13 décembre dernier quelles étaient les inquiétudes qui s'étaient exprimées et s'expriment encore aujourd'hui : les craintes bien sûr des médecins qui ne veulent pas voir leur responsabilité engagée à tout propos, les craintes des parents d'enfants qui ne veulent pas voir leurs enfants se retourner contre eux, les craintes de la société sur le regard que nous portons sur le handicap.
Il a fallu le temps de bien comprendre le sens de ces décisions, le temps d'identifier la cause des inquiétudes manifestées, le temps des consultations et du recueil des avis.
Le Gouvernement a saisi le CCNE, Bernard Kouchner a rencontré les professionnels de santé, les associations représentatives des personnes handicapées . Mais ce temps a aussi été pris par vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires. Je tiens ici à souligner particulièrement l'investissement du Président de la Commission Jean Le Garrec qui a, avec Claude Evin, animé et conduit ces consultations au sein de votre assemblée et fait réfléchir votre assemblée sur la proposition de M. Mattei.


2. Tout ce travail nous a convaincu de la nécessité de légiférer mais il a fallu franchir une autre étape qui est celle de définir comment légiférer.
Toujours dans le souci de la plus grande concertation possible, de la volonté de conduire un travail qui permette d'aboutir à un texte qui réponde aux questions posées et ce, sans toucher aux principes fondamentaux, le Gouvernement a consulté et des juristes bien sûr, et à nouveau les professionnels de santé et les associations, mais vous également Mesdames et Messieurs. Je pense que nous avons réalisé l'effort d'aboutir au texte le plus consensuel possible.
J'ai dit le 13 décembre dernier, que texte initial de la proposition de loi déposée par M. Mattei ne répond pas aux questions posées. Nous avons donc décidé de nous donner une séance supplémentaire pour aboutir à un texte adapté.
En interdisant toute action en responsabilité du fait de la naissance, la proposition de loi de M. Mattei prohibe purement et simplement toute action en responsabilité que pourrait introduire une personne. Ecrite comme telle, elle empêcherait des actions qu'il semble illégitime d'interdire. Par exemple : un enfant né handicapé du fait d'un acte médical a le droit d'obtenir une indemnisation pour lui-même.
Par ailleurs, elle ne permet pas d'atteindre les objectifs attendus (tels que l'explique l'exposé des motifs), à savoir mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de Cassation.
Enfin, elle ne résout pas les inquiétudes des professionnels de santé et des personnes handicapées elles-mêmes et de leur famille.
Mais le débat nous a permis d'avancer dans la réflexion. Il faut reconnaître que bien dire le droit en la matière est particulièrement difficile.


3. L'amendement que présente le gouvernement a pour objet d'encadrer et de préciser les conditions de la responsabilité médicale en tenant ensemble la responsabilité médicale pour faute et le principe d'un droit à réparation des conséquences du handicap.
Le premier alinéa a pour objet d'affirmer que " le seul fait " de la naissance ne peut en soi constituer un préjudice.
Il doit être reconnu que la Cour de Cassation n'a jamais entendu consacrer, par ces différentes décisions, qu'une existence en tant que telle pouvait constituer un préjudice juridiquement réparable.
Elle a dans ses différentes motivations, pris le soin de dissocier handicap et naissance, en indemnisant le préjudice consécutif à tous les troubles dans les conditions d'existence qu'entraîne le handicap et seulement lui.
Il n'empêche de ces observations rationnelles et juridiques, qu'en permettant à l'enfant d'agir en réparation du préjudice consécutif à son handicap parce que la faute médicale commise pendant la grossesse de sa mère, n'a pas permis à celle-ci de l'interrompre, a été compris comme : " on peut se plaindre d'être né " .
Notre droit, avec la loi de 1975 qui consacre la liberté de la mère, empêcherait en principe qu'un tel recours aboutisse, mais pour apaiser les craintes, il est nécessaire de le dire plus explicitement.
Ce premier alinéa rend irrecevable toute action en responsabilité uniquement fondée sur le seul fait d'être né. Ainsi, il empêche un enfant de se retourner contre ses parents pour l'avoir fait naître Par contre, il n'empêche pas (contrairement à la PPL) une action en responsabilité qui serait fondée sur les circonstances qui ont entouré et la conception et la naissance elle-même, comme par exemple l'action en réparation du préjudice de l'enfant issu d'un viol ou d'un inceste, ou encore celle de l'enfant dont le handicap résulte des blessures causées volontairement ou involontairement pendant la grossesse.
Le deuxième alinéa de l'amendement gouvernemental a pour objet , dans le cadre général de la responsabilité médicale à laquelle il n'est pas dérogé, de préciser les conditions de l'action en réparation du handicap par la personne handicapée elle-même.
La personne née handicapée ne peut obtenir réparation de son handicap que si la faute commise par un professionnel de santé a soit provoqué son handicap, soit ,alors que le handicap existait, l'a aggravé ou a empêché de l'atténuer
La responsabilité médicale, comme la responsabilité civile en général suppose pour être engagée, une faute, un dommage, un lien de causalité entre la faute et le dommage. Dans l'hypothèse traitée par cet alinéa, le lien de causalité doit être entendu strictement . Le dommage doit avoir été directement provoqué par la faute, ou aggravé ou non atténué par celle-ci Par exemple : une mauvaise exécution d'une intervention chirurgicale crée une infirmité à la suite de l'échec d'une interruption de grossesse, ou encore une intervention chirurgicale sur une femme enceinte qui atteint l'enfant, ou encore une erreur fautive de médication à la mère qui intoxique l'enfant et lui créé des lésions, ou enfin une toxoplasmose non décelée à la suite d'une faute qui ainsi n'aura pas permis de prescrire à la mère le traitement qui aurait pu très nettement atténuer ou éviter les conséquences sur l'enfant
Là encore, le souci du Gouvernement a été de répondre à l'inquiétude légitime des professionnels de santé, qui précisons le, n'ont jamais entendu voir leur responsabilité exonérée en cas de faute.
En effet, les médecins ont eu le sentiment qu'on les rendait responsables du handicap lui-même. Pourquoi ? D'abord parce que la Cour de cassation a établi un lien entre la réparation du handicap de l'enfant et la possibilité pour sa mère d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse conformément aux dispositions de la loi ; ensuite parce qu'elle a accordé la réparation intégrale du préjudice alors que dans les espèces jugées, le handicap résultait d'un état antérieur, lié à la nature et non matériellement causé par l'acte médical. C'est pourquoi l'amendement entend préciser les conditions de leur responsabilité médicale.
Le troisième alinéa a pour objet de préciser l'étendue du préjudice et de la réparation dans le cas spécifique où la faute médicale a été commise au cours du diagnostic prénatal et n'a pas permis de déceler le handicap.
La faute est celle qui consistera selon la jurisprudence constante en une anomalie de conduite traduisant pour son auteur une inexécution de ses devoirs et obligations contractuelles, notamment le non respect de l'obligation de moyens qui consiste à apporter des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science médicale et aux bonnes pratiques.
La faute se distingue de l'erreur qui survient alors même que l'auteur a manifesté un comportement prudent et diligent.
Toute erreur de diagnostic n'est pas fautive . Ainsi une erreur d'interprétation d'un résultat ou d'un examen ou d'une échographie n'est pas en soi fautive.
Le travail engagé par le gouvernement sur les pratiques médicales dans ce domaine spécifique du diagnostic prénatal contribuera à en fixer les limites .
Dans la mesure où sur la base de cette faute, ainsi caractérisée, la responsabilité d'un professionnel de santé est engagée par les parents et à leur égard seulement, alors leur préjudice doit être réparé (principe de la responsabilité civile). Les parents ou les titulaires de l'autorité parentale peuvent demander une indemnisation liée à la charge particulière résultant du handicap de l'enfant et obtenir une indemnité destinée à cette fin.
Il ne s'agit pas d'un droit de l'enfant à agir contre l'auteur de la faute (contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation), mais dans la mesure où cette indemnité concerne la personne handicapée elle-même, cette indemnité lui est affectée et doit être protégée en tant que telle.
Elle concerne uniquement ce qui est autre que la prise en charge du handicap, à un titre quelconque, par la solidarité nationale ou la sécurité sociale, qui elles doivent être prioritaires.
Elle n'a donc pas pour finalité de se substituer à ces prestations et ne peut être l'objet d'une action en remboursement à l'encontre de l'auteur de la faute.
Par ailleurs, dans la mesure où la prise en charge du handicap congénital relève de la solidarité nationale, il doit exister une impossibilité pour les organismes sociaux d'exercer une action directe contre l'auteur de la faute qui elle n'est pas à l'origine du handicap.
Le dernier alinéa vise à régler l'application des dispositions nouvelles aux procédures en cours.
Voilà la proposition du Gouvernement. Je vous rappelle que cette proposition a été soumise à la concertation ; et il a été tenu compte des observations faites dans ce cadre . Elle constitue à mon sens maintenant une base qui doit permettre au débat de se dérouler dans des conditions plus sereines. Je fais confiance à votre assemblée pour l'enrichir . En tout cas, le Gouvernement prend l'engagement qu'un vote définitif puisse intervenir avant la fin de la législature en l'inscrivant dans le projet " droits des malades ", qui sera débattu en première lecture au Sénat dans moins de deux semaines.
Je voudrais enfin souligner que les dispositions que nous nous apprêtons à adopter ne sauraient constituer une fin en soi. En effet, elles sont indissociables de celles proposées dans le projet de loi relatif aux " droits des malades "; je pense notamment à celles sur la responsabilité médicale (conditions, commissions de conciliation des litiges, assurances obligatoires, réforme de l'expertise médicale judiciaire, formation continue des professionnels). Il nous faudra, par ailleurs, continuer le travail engagé sur les bonnes pratiques médicales et puis ce débat sur l'arrêt Perruche nous engage à renforcer encore nos efforts à l'égard des personnes handicapées.

(source http://www.social.gouv.fr, le 16 janvier 2002)