Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le programme d'action du Gouvernement pour 1998, notamment la lutte contre le chômage et l'exclusion, les aides d'urgence aux chômeurs, la politique de la ville et la politique familiale, la réforme de la justice, la modernisation de l'économie, Paris le 13 janvier 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voeux à la presse de M. Lionel Jospin, Premier ministre, à Paris le 13 janvier 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie pour les voeux que vous venez de former par la voix de Jean-François Bège, mais aussi d'avoir répondu si nombreux à mon invitation, même si certains d'entre vous ont eu un peu de mal à nous rejoindre.
Permettez-moi de vous souhaiter chaleureusement une belle et heureuse année 1998 ; ces voeux, je les forme pour chacune et chacun d'entre vous, mais je vous les adresse aussi collectivement.
Je réagirais à un point de votre intervention : le souhait systématique de recourir (conférence sur l'emploi, FIAT, TOYOTA, chômeurs) à "de bonnes vieilles conférences de presse", je ne l'ai pas fait jusqu'ici. Si vous le souhaitez vraiment, donc, si c'est une attente véritable de la presse et non de ma part une technique de communication, vous savez que je le ferais avec plaisir.
Dans quelques heures, j'irai rendre, dans la crypte du Panthéon, l'hommage de la République à un homme qui sut, surmontant sa peur et exposant sa vie, faire éclater la vérité. Il y a cent ans, jour pour jour, Emile Zola publiait son "J'accuse !..." à la une du quotidien L'Aurore. Ce geste éclatant, qui permit de renverser le cours de l'affaire Dreyfus et de consolider une troisième République encore fragile, ce cri d'une conscience révoltée, fut porté par un journal" -au tirage limité, en tout cas-, organe d'une presse indépendante, animée par la conscience aiguë de sa responsabilité politique. Mais un journal alors isolé, ne l'oublions pas. Cent ans plus tard, notre République a toujours besoin de telles tribunes, dans le respect scrupuleux des faits, de tels espaces de liberté et de débat public.
Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est, au-delà de cette cérémonie d'échange de voeux, pour évoquer ensemble l'année qui commence et, plus particulièrement, le programme d'action du Gouvernement.
Après vous avoir exposé brièvement l'analyse politique que je fais de ce début d'année, afin d'inscrire l'action du Gouvernement dans son contexte, le reste de mon propos consistera à vous indiquer les orientations à venir de la politique du Gouvernement.
Arrivant aux responsabilités à l'issue d'élections législatives anticipées, nous avons trouvé une situation très difficile. Il existait -et il existe toujours- une attente très forte de changement chez les Français ; la situation sociale était dégradée, les comptes publics dérivaient, des dossiers importants -je pense en particulier aux dossiers industriels- restaient en suspens.
Nous avons tenu compte des contraintes institutionnelles -en particulier européennes-, nous avons assumé les contradictions portées par la réalité, nous avons fait face à nos responsabilités avec sérieux, détermination et volontarisme.
En respectant la parole de la France qui était engagée, mais en obtenant une inflexion sensible de la construction européenne : les résultats du sommet d'Amsterdam et du sommet sur l'emploi de Luxembourg représentent une première étape sur la voie d'une Europe tournée vers la croissance et l'emploi. En redressant les finances publiques et en le faisant dans un esprit de justice. En engageant, dès le mois de septembre, des réformes nécessaires : le plan pour l'emploi des jeunes, les projets de loi sur l'acquisition de la nationalité française et sur l'entrée et le séjour des personnes étrangères. Au cours des deux sessions parlementaires, -extraordinaire et ordinaire-, qui furent convoquées, le travail législatif fut dense, mais la situation de notre pays l'exigeait. En préparant, enfin, avec le sérieux et le soin qu'ils méritent, d'autres volets essentiels de notre politique -je pense en particulier à la loi relative à la lutte contre les exclusions, texte important qui demande un travail de concertation et d'élaboration considérable.
Pendant ces sept mois, nous avons commencé à tenir les engagements pris devant le peuple français dans la recherche de l'intérêt général.
Aujourd'hui, plus encore qu'hier, la question du chômage est au coeur de l'actualité. La politique tout entière du Gouvernement procède d'une action volontariste pour l'emploi : recherche de la croissance la plus forte possible, inflexion sociale des priorités de l'Europe, création des emplois-jeunes, projet de réduction de la durée du travail.
Changer cette politique -qui vient d'être approuvée par le Parlement- ou en bouleverser les équilibres économiques et budgétaires, parce qu'un certain nombre de services sociaux ont été occupés, ce serait condamner tout espoir de réussite et donc de création d'emplois -exigence première des chômeurs et de l'ensemble du pays. La politique du Gouvernement doit se poursuivre de façon maîtrisée afin de porter ses fruits. Nos concitoyens jugeront ensuite les résultats de notre action, comme c'est la règle dans une démocratie. Il faut s'y tenir.
Naturellement, nous sommes à l'écoute des situations de détresse. C'est pourquoi j'ai reçu, avec Martine Aubry, les grandes organisations syndicales et professionnelles, mais aussi les associations de chômeurs. C'est pourquoi nous avons débloqué un milliard de francs pour les aides d'urgence. C'est pourquoi nous avons voulu, avec la mission confiée à Mme Marie-Thérèse Join-Lambert, revoir les rapports existant entre l'assurance-chômage et les impératifs plus généraux de la solidarité à l'égard des chômeurs de longue durée. Dans le même temps, il est de ma responsabilité de rappeler qu'il est primordial, dans une société aussi inquiète que la nôtre, où se manifestent des violences urbaines, où les incivilités se font plus nombreuses, où le respect des règles se dilue, que les formes d'action choisies -quelle que soit la légitimité des revendications-, soient respectueuses des règles sociales et de la loi.
Dès ma déclaration de politique générale, j'avais indiqué à la Représentation Nationale que l'action du Gouvernement s'inscrirait dans la durée ; j'avais précisé qu'il s'agissait pour moi d'une condition de l'efficacité de ce qui serait entrepris. Je n'ai pas changé d'avis.
J'entends dire, ici ou là, que le Gouvernement devrait engager une deuxième phase de son action.
Si c'est accréditer l'idée selon laquelle il devrait changer la nature de sa politique, qu'il s'agisse de ses objectifs ou même de son rythme, alors je dis clairement": non.
L'année 1998 ne sera pas celle d'un quelconque tournant, d'une inflexion, encore moins d'une pause ; mais pas plus celle d'une accélération, ou d'un dérapage. 1998 sera le prolongement, l'approfondissement et l'amplification de 1997.
Le travail du Gouvernement est un effort que je veux puissant, c'est-à-dire continu, régulier et maîtrisé. Certes, l'actualité ou l'urgence de tel ou tel problème doivent être prises en compte. Lors de la grève affectant le transport routier comme encore maintenant à l'occasion des actions de protestation des chômeurs, il faut prendre en compte les surgissements de la réalité. Mais nous devons le faire sans oublier les données économiques, sans mettre en cause la cohérence de la politique conduite. L'autorité de l'Etat doit sortir raffermie et même ressourcée de ces difficultés. L'essentiel reste pour moi, et à mon sens pour le pays, la progression continue, degré par degré, du projet de société qui est porté par la politique du Gouvernement. Dans une vie sociale instable et difficile, Matignon doit être un lieu d'écoute, de travail, de décision et d'action. Il est habité par des gens calmes. Il est un pôle de stabilité.
Gouverner ce n'est pas seulement "prévoir", ou "choisir". Gouverner, c'est porter un projet politique pour son pays. Un projet qui respecte l'identité de la France, sans renoncer pour autant à des évolutions nécessaires, ni la couper du monde. Un projet qui parte de la réalité pour la transformer, un projet qui prenne en compte l'état de la société française.
Notre société, précisément, est convalescente. Depuis 25 ans, elle a traversé une période de dépression -économique, mais aussi sociale et même morale. L'accumulation du chômage l'a fragilisée.
Pourtant, notre société commence à émerger de cette dépression. On sent chez nos compatriotes une volonté d'agir, de "s'en sortir", de reprendre en mains leurs destins.
La confiance peut revenir dans le pays. L'optimisme n'est certes pas encore de mise ; mais le pessimisme recule. Il nous faut saisir la chance qui se présente, prendre soin de cette pousse encore fragile, même si elle est prometteuse.
Pour cela, nous devons faire porter nos efforts dans trois directions.
* Nous devons d'abord prendre à bras le corps la "question sociale".
La persistance d'un chômage massif et durable a généré des souffrances humaines inacceptables et affecté le moral du pays.
L'emploi et la justice sociale sont donc au coeur du projet politique du Gouvernement.
Répondre à l'urgence sociale : voilà le premier impératif. Nous l'avons fait dès l'automne avec les mesures en faveur des familles les moins favorisées. Le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions qui sera examiné dès le mois de mars permettra d'apporter des solutions concrètes -telles que l'accès aux soins et au logement-, et ne se cantonnera pas à énoncer des principes sans portée réelle, comme s'y bornait le projet du précédent gouvernement.
Au-delà de cette urgence, notre responsabilité principale reste de faire reculer le chômage. Le plan pour l'emploi des jeunes va monter en puissance pendant toute l'année 1998, notre politique de soutien de la croissance va se développer, la réduction du temps de travail, loin d'être "autoritaire" -comme je l'entends parfois-, sera négociée par les partenaires sociaux. Mais il reste vrai qu'une impulsion était nécessaire pour qu'un mouvement s'amorce ; nous l'avons donnée.
L'aspiration -légitime- à plus de justice sociale est forte chez nos concitoyens et le Gouvernement a la volonté d'y répondre. Engagée avec le basculement de la cotisation d'assurance-maladie vers la CSG, la réforme fiscale sera poursuivie : qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu, de la fiscalité patrimoniale ou locale. Au mois de juin, des états généraux de la santé seront convoqués : par le large débat qu'ils permettront, ces états généraux traceront les perspectives d'évolution de nature à consolider la sécurité sociale.
Pour retisser "le lien social", nous privilégierons deux perspectives : la relance vigoureuse de la politique de la Ville et la refondation de la politique familiale.
Depuis quelques semaines, dans plusieurs villes, des jeunes manifestent -de façon plus ou moins spontanée- leur hostilité à une société dont ils pensent qu'elle ne sait plus les accueillir. Conducteurs d'autobus, pompiers, forces de police : ils prennent pour cible ceux-là mêmes qui ont vocation à faciliter la vie quotidienne, mais aussi les biens -je pense en particulier aux voitures- des autres habitants qui partagent pourtant la même vie, dans les mêmes quartiers, comme si détruire était une forme d'autodestruction.
Ces manifestations, symptômes d'une perte de repères née d'une dégradation des conditions de vie, se produisent dans des quartiers où se sont concentrées toutes les difficultés de notre société.
L'intégration, indispensable pour que vive le projet républicain, passe par une relance vigoureuse de la politique de la Ville. La mission confiée à Jean-Pierre Sueur, maire d'Orléans, permettra d'en poser les fondements à partir d'un bilan des actions conduites jusqu'ici.
Un plan gouvernemental en faveur de l'intégration et de la Ville sera présenté dès le mois de février.
Mais je n'oublie pas, comme je l'ai souligné lors du colloque de Villepinte, que le premier droit du citoyen est le droit à la sécurité. Ce droit doit être le même partout sur le territoire national. La mise en place d'une sécurité de proximité voulue par le Gouvernement et conduite par Jean-Pierre Chevènement concernera en premier lieu les quartiers difficiles.
Refonder la politique familiale est une autre ambition.
Passées les polémiques qui ont pu, un temps, entourer le plafonnement des allocations familiales, il apparaît désormais à tous que notre politique de la famille est inadaptée aux exigences de notre temps.
Le Gouvernement va donc engager un réexamen complet des diverses mesures existantes. Cette réflexion se fera en étroite concertation avec les différents partenaires concernés et, en tout premier lieu, avec les associations familiales. Je souhaite que ses conclusions soient disponibles avant la fin du premier semestre, afin d'en tirer les conséquences qui s'imposeront dès la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, à l'automne prochain.
Quelle que soit son importance, la question sociale ne résume pas à elle seule les difficultés et les besoins de la France.
* Il existe aussi dans notre pays ce que l'on pourrait appeler, par analogie, une "question politique". Trop longtemps, cette question est restée sous-estimée, voire ignorée. Notre pays s'est ainsi accommodé d'une démocratie inachevée, de pratiques politiques dépassées, d'une décision trop souvent confisquée. Il faut approfondir notre démocratie, rendre aux citoyens la confiance en leurs institutions -et en particulier en la Justice-, renouveler notre vie politique.
L'enjeu est de taille : il s'agit de faire entrer la France dans l'ère d'une démocratie adulte.
Dans cette perspective, l'année 1998 sera une étape importante.
La semaine prochaine, je présenterai à l'opinion les conclusions de la réflexion que j'ai conduite, à la suite des entretiens que j'ai menés avec les responsables de l'ensemble des partis politiques républicains, afin d'engager l'indispensable limitation du cumul des mandats électifs.
Après le débat d'orientation au Parlement qui s'ouvrira dès jeudi, la réforme de la justice préparée par Elisabeth Guigou sera engagée. Elle sera tout entière tournée vers le citoyen, qu'il s'agisse de la modernisation et de la simplification des procédures, de la refonte de la carte judiciaire ou des droits du justiciable -je pense en particulier à la présomption d'innocence. Tout en veillant à l'indépendance de la justice, qui est le premier des droits du justiciable.
Les libertés publiques seront approfondies, grâce au vote de la loi réglementant l'utilisation du secret de la défense nationale, et à celle instituant une commission de déontologie des forces de sécurité.
L'indépendance et le pluralisme de la presse audiovisuelle -dont je n'ai pas besoin de souligner ici le rôle très important qu'elle joue dans une démocratie moderne-, seront renforcés par la révision de la législation sur l'audiovisuel.
La démocratie, c'est aussi la démocratie locale. Après un large débat, la loi d'orientation sur l'aménagement du territoire sera révisée. La réalisation des grands projets collectifs d'équipement emporte souvent des conséquences importantes sur la vie des citoyens. Il faut aller vers plus de transparence et améliorer l'évaluation de ces projets. Je sais notre presse quotidienne régionale particulièrement attentive à ces questions.
Au titre des évolutions institutionnelles, certains d'entre vous penseront naturellement aux conséquences de la récente décision du Conseil constitutionnel sur le traité d'Amsterdam.
En ce qui concerne cette perspective de révision constitutionnelle, à mes yeux, rien ne presse. J'observe qu'elle est d'ailleurs requise en vue d'un transfert de compétences à échéance lointaine, -à terme minimum de cinq années-, et aléatoire, puisque suspendu à l'accord unanime des Etats membres.
En vertu de l'article 89 de la Constitution, cette révision doit résulter d'une initiative du Président, même si celle-ci nécessite la proposition du Premier ministre.
Les dispositions concernées du Traité ont été négociées, -d'ailleurs de manière insatisfaisante-, par le précédent gouvernement, seule la protection constitutionnelle du droit d'asile ayant pu être préservée, à mon initiative, dans les derniers jours ayant précédé la conclusion de l'accord. Dès lors, chacun comprendra que je ne provoque pas moi-même l'initiative qui revient au Président de la République. Quant au choix entre l'approbation référendaire et la voie du Congrès, elle relève de lui seul.
* Il est essentiel, enfin, de poursuivre la modernisation de notre économie.
Il n'y a pas de redistribution ni de solidarité possibles sans création de richesses. Partout où cela est possible, il nous faut encourager l'esprit d'initiative et d'innovation. Notre pays doit encore accomplir des efforts importants pour être présent sur les technologies les plus avancées, dans les systèmes de production qui sont aujourd'hui au coeur de la croissance, sur les marchés qui répondent le plus aux besoins des consommateurs.
C'est dans cet esprit qu'à Hourtin, lors de l'université d'été de la communication, le 25 août dernier, j'ai engagé un mouvement destiné à promouvoir ce que l'on appelle la "société de l'information". Dès la fin de cette semaine, je réunirai un comité interministériel afin de lancer un programme d'action et de mobilisation, impliquant notamment l'ensemble des acteurs publics concernés. Dans cette même perspective, Claude Allègre et Dominique Strauss-Kahn organiseront un vaste débat avec les chefs d'entreprise, les enseignants, les chercheurs, les responsables syndicaux, dans le cadre d'Assises nationales de l'innovation.
L'année 1998 verra également le développement de regroupements industriels européens dans les secteurs stratégiques que sont l'aéronautique et les industries de défense. Nous avons, pour notre part, pris les initiatives nécessaires.
Une attention particulière sera accordée à l'allègement et à la simplification des charges et des formalités administratives qui pèsent encore trop lourdement sur les PME qui, vous le savez, sont au coeur de la bataille pour l'emploi. C'est en ce sens que des dispositions ont été annoncées au mois de décembre et seront inscrites dans un projet de loi qui sera adopté au printemps.
J'aurai l'occasion de revenir prochainement, lors du Forum de l'Expansion, sur tous ces sujets.
Mesdames et Messieurs,
C'est en étant ouverte et solidaire que la société française répondra aux besoins et aux attentes des Français.
Ouverture de la France sur le monde : confrontés à la mondialisation, nous la considérons comme un défi à relever. Nous voulons que la France y prenne sa part, mais pas qu'elle la subisse. La réforme engagée de la politique de coopération sera, à cet égard, un enjeu essentiel.
Ouverture sur son espace naturel : l'Europe. 1998 sera une année décisive. Le passage à l'Euro -nécessaire pour affirmer une Europe puissante- se fera dans des conditions qui respectent les intérêts de la France.
La France elle-même doit être une société ouverte. Chacun doit pouvoir y trouver sa place, chacun doit pouvoir accéder au savoir, chacun doit pouvoir, par son travail, progresser socialement.
La solidarité reste une notion moderne. Le marché est indispensable parce qu'il crée de la richesse. Mais il ne crée pas de solidarité, il ne crée pas de lien social. Il revient dès lors au politique, à la puissance publique, à l'Etat, d'organiser l'indispensable solidarité.
Que 1998 permette à notre pays de restaurer durablement sa confiance : c'est le voeu que je forme, au nom du Gouvernement, pour tous nos compatriotes.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 13 juin 2001)