Déclaration de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, sur l'évolution de la structure de la dépense publique de 1997 à 1999, à l'Assemblée nationale, le 17 juin 1999.

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Circonstance : Débat d'orientation budgétaire, à l'Assemblée nationale, le 17 juin 1999

Texte intégral

Madame la présidente,
Monsieur le président de la commission des finances,
Monsieur le rapporteur général,
Mesdames, messieurs les députés,
Je concentrerai mon propos, ainsi que M. Strauss-Kahn vous l'a annoncé, sur le sujet controversé de la dépense publique.
Ce thème se prête facilement à la caricature. Certains disent volontiers que la droite serait, par principe, défavorable à la dépense publique et que, chaque fois qu'elle est au pouvoir, elle la réduirait énergiquement, tandis que la gauche y serait, par réflexe, favorable, la dépense publique augmentant dès qu'elle est au Gouvernement.
Le débat d'orientation budgétaire est la bonne occasion pour faire justice de ces caricatures, pour préciser notre doctrine en la matière et, surtout, pour comparer nos pratiques.
Je commencerai par développer quelques considérations sur le bon usage de la dépense publique. Je passerai très rapidement sur ce que la dépense publique peut apporter sur le plan social, sur le plan culturel ou sur celui de l'aménagement du territoire et sur le rôle important qu'elle peut jouer pour corriger les inégalités qui jaillissent spontanément de l'activité économique. Je veux m'en tenir strictement à l'analyse de la seule dimension économique pour défendre deux convictions : il faut améliorer l'efficacité de la dépense publique, c'est-à-dire la centrer sur nos véritables priorités ; il faut respecter une norme d'évolution de la dépense publique.
La dépense publique finance des services publics, qui ne sont pas en eux-mêmes une entrave à la compétitivité. Ils peuvent même au contraire en constituer une dimension essentielle. Le niveau de la dépense publique est élevé en France parce que nous avons beaucoup de services publics. La concurrence fiscale qui existe entre les pays européens exerce une pression à la baisse. Nous devons en être conscients et en tirer la conclusion qu'il est important de lutter au niveau communautaire, comme nous le faisons, contre les pratiques de dumping fiscal, contre les paradis fiscaux, bancaires ou judiciaires qui faussent la concurrence parfois en notre défaveur. Mais il y a une bonne et une mauvaise dépense publique, comme il y a une bonne et une mauvaise dépense privée, et l'important c'est de distinguer les deux.
Lorsqu'un entrepreneur investit - notre pays détient la médaille d'argent en matière d'investissements étrangers en Europe -, il n'évalue pas seulement le montant de l'impôt qu'il acquitte ; il le compare avec les prestations qui lui sont fournies en échange : la qualité du mode de vie, des réseaux routier et ferré, la qualité de la main-d'oeuvre, des ingénieurs, des cadres et des techniciens qu'il peut recruter, la densité des laboratoires et des télécommunications, la qualité de l'eau, l'approvisionnement en énergie. Voilà des points où le service public est un élément de la compétitivité. Notre vision de la dépense publique ne doit donc être ni idyllique ni satanique. Il est important d'essayer de dépenser au plus juste.
La deuxième idée que je voudrais défendre rapidement devant vous, et que Dominique Strauss-Kahn a soulignée antérieurement, est celle du passage d'un objectif en termes de déficit à un objectif en termes de progression des dépenses. Jusqu'à présent nous devions nous qualifier pour l'euro. C'était une contrainte que certains trouvaient très lourde et qui nous imposait de fixer un objectif en matière de solde des dépenses publiques. Maintenant que nous sommes qualifiés pour l'euro et que nous répondons aux critères grâce à la diminution progressive du déficit que Dominique Strauss-Kahn a soulignée, il importe de privilégier un objectif pluriannuel de dépenses. Cela permettra, en effet, aux gestionnaires de service public, non pas de dépenser de façon saccadée, mais d'organiser leurs dépenses sur plusieurs années. C'est un facteur d'efficacité. Un tel choix peut surtout jouer un rôle utile de stabilisation de la conjoncture en soutenant la croissance quand l'activité ralentit. En outre, dans le contexte des onze pays de l'euro, la stabilité et la modération de la dépense publique est importante parce qu'elle s'articule bien avec une politique monétaire qui s'adapte aux fluctuations conjoncturelles de l'ensemble de la zone euro. La politique budgétaire joue un rôle particulier pour soutenir l'activité en cas de ralentissement spécifique à un pays.
Je concentrerai l'essentiel de mon propos sur la gestion effective de la dépense publique et je reviendrai rapidement sur ce que nous avons fait depuis deux ans et qui augure bien de ce que nous ferons dans les trois années à venir. Comme l'a rappelé Dominique Strauss-Kahn, les engagements ont été tenus en termes de dépenses. Nous avons stabilisé la dépense en 1997, alors que deux experts, M. Nasse et M. Bonnet, annonçaient une dérive de l'ordre de 20 milliards de francs il y a de cela maintenant plus de dix-huit mois. En 1998 aussi, nous avons respecté notre objectif de maintien des dépenses en volume. Pour l'année 1999, nous tirons une conséquence pratique de cette règle de stabilisation en volume, puisque la perspective de hausse des prix ne correspond plus aux provisions que nous avions faites au mois de septembre. Nous avons passé avec l'ensemble des ministères des " contrats de gestion " qui nous permettront, avec souplesse et détermination, de respecter nos engagements sur la progression de la dépense publique en volume.
Dominique Strauss-Kahn a fait des comparaisons internationales et je tiens à dire que nous ne tirons pas une vanité particulière de cette modération de la dépense publique. En effet, modérer la dépense publique n'est pas un objectif en soi, c'est le moyen de nous permettre de réduire les déficits, d'alléger les impôts. Ce qui est important ce n'est pas la masse de la dépense publique, c'est le fait de financer de la façon la plus efficace possible les priorités pour lesquelles les Français nous ont apporté leur soutien. Et en la matière nous pouvons nous prévaloir de certains résultats.
Je ferai une digression pour me féliciter que l'Assemblée nationale, sous l'impulsion de son président, épaulé par le président de la commission des finances et le rapporteur général, ait proposé de modifier notre approche du débat budgétaire et de renforcer le rôle d'évaluation que le Parlement exerce sur la dépense publique. Les premiers travaux de la mission d'évaluation et de contrôle sont encourageants et j'espère qu'ils permettront d'éclairer le débat budgétaire que nous aurons à l'automne. Nous saurons mieux pourquoi telle ou telle dépense est engagée.
Il est important que nous travaillons tous ensemble à l'idée selon laquelle il faut dépenser mieux pour dépenser au plus juste. C'est une conviction que partage la majorité de l'Assemblée et j'en suis heureux. Donc, au-delà des travaux remarquables de la Cour des comptes et des enquêtes menées par les différents corps de l'inspection administrative, le Parlement va jouer un rôle accru en matière d'évaluation a priori et a posteriori des dépenses publiques. La démocratie et Inefficacité y trouveront leur compte.
Entre 1997 et 1999, nous avons en outre modifié en profondeur la structuré de la dépense publique, je vais vous en donner quelques illustrations. Chaque année, ce sont plus de 30 milliards de francs qui ont été redéployés au profit de nos priorités. Ce sont des sommes considérables qui, mises bout à bout d'année en année, nous permettront de satisfaire nos priorités: l'emploi et la justice sociale, l'éducation et la recherche, la justice et la sécurité, la culture et l'environnement. Nous avons ainsi consacré, en deux ans, 50 milliards de francs de moyens supplémentaires à ces huit postes budgétaires.
Le budget de l'emploi et de la solidarité est passé de 220 milliards de francs en loi de finances de 1997 à 238 milliards de francs en 1999, soit une progression de 8,23 %, taux considérable au regard de la progression modérée du budget général de l'Etat. Cela nous a permis de financer les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail et la lutte contre les exclusions.
Le budget de l'éducation nationale, dont on peut dire sans esprit de polémique qu'il avait été quelque peu négligé entre 1993 et 1997, de l'ordre de 350 milliards de francs en 1999, a progressé lui aussi de près de 8 % entre 1997 et 1999 pour améliorer la qualité de l'enseignement, lutter contre l'échec scolaire. Nous aurons l'occasion d'en reparler, monsieur Jégou. En tout cas, tout ce qui a été fait pour assurer l'égalité des chances aux enfants, quelle que soit leur origine sociale, plaide, me semble-t-il, en faveur de l'accroissement du budget de l'éducation nationale. S'agissant de l'enseignement supérieur, la mises en place du plan social étudiant est importante pour assurer à tous les talents de notre pays, quelle que soit leur origine sociale, je le répète, la formation nécessaire.
Les crédits de la justice ont progressé de 10 % en deux ans. Il y a une forte attente de nos concitoyens pour que la justice soit plus rapide, l'administration pénitentiaire plus moderne et pour que les jeunes en difficulté soient mieux pris en charge.
Les moyens alloués à la culture ont progressé de 4 %, ceux de la sécurité de 5 %, ceux de l'environnement de 17 %. Voilà des chiffres qui montrent très concrètement que, dans un mouvement de maîtrise d'ensemble, nous avons su mettre l'argent où il le fallait.
J'ajoute que nous avons mis un terme à la baisse des investissements civils. Entre 1993 et 1997, ils avaient diminué et nous avons inversé cette tendance puisqu'ils ont progressé de 10%
entre 1997 et 1999. A cet égard je tiens à préciser un point sur les remarques de la Cour des comptes concernant ces fameux investissements. Dans son rapport préliminaire à l'exécution 1998, elle évoque une baisse des dépenses en capital pour cette année-là mais elle ne prend en compte que les dépenses du budget général. Elle ne tient pas compte des dépenses des comptes spéciaux du Trésor qui ont connu une forte hausse en 1997 et surtout en 1998.
Nous aurons l'occasion d'en débattre et je vous répondrai très précisément, monsieur Auberger. Ce qui compte sur le terrain, ce sont les routes, les voies ferrées, les universités que l'on construit ; ce n'est pas l'origine des crédits qui servent à les financer.
Les frais de fonctionnement de l'Etat ont quant à eux diminué de 3 % par an en termes réels. C'est bien la preuve que l'Etat est capable d'efforts de gestion.
Dernière remarque en matière de dépenses publiques : le Gouvernement a respecté la règle qui avait été énoncée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, à savoir la stabilité des effectifs des fonctionnaires civils de l'Etat, règle qui contrastait avec la volonté forcenée antérieure de réduire le nombre de fonctionnaires.
Ce bilan des années 1997-1999 montre dans quelle direction nous nous orientons pour l'avenir. Comme l'a souligné Dominique Strauss-Kahn, pour la première fois en l'an 2000., les dépenses d'intérêt de la dette connaîtront un recul. C'est important, même si ce recul est léger. Les intérêts de la dette représentent 240 milliards de francs environ, c'est l'ensemble du budget de l'emploi et de la solidarité. Il est donc appréciable que ces dépenses passives se réduisent au profit des dépenses actives affectées aux priorités que j'ai soulignées.
En conclusion, il est important que nous travaillions tous ensemble à dépenser moins pour la dette et davantage pour une croissance solidaire.