Déclaration de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, sur la contribution des dépenses publiques à l'efficacité économique de la France et sur l'évolution de la structure de ces dépenses de 1997 à 1999, au Sénat, le 22 juin 1999.

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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Je concentrerai mon propos sur un sujet quelque peu controversé : la dépense publique.
C'est un thème qui prête assez facilement à la caricature, caricature qui n'a pas sa place dans la Haute Assemblée et en vertu de laquelle, si je me fie à ce que l'on peut lire ici ou là, la droite serait par principe défavorable à la dépense publique, qu'elle réduirait dès qu'elle exerce des responsabilités, alors que la gauche serait par réflexe favorable à la dépense publique, qu'elle augmenterait dès qu'elle est au gouvernement.
Le présent débat d'orientation budgétaire, qui nous permet de faire le bilan de deux années de gestion budgétaire sérieuse et de couvrir les trois années à venir, fera justice de ces caricatures.
Je commencerai par faire un éloge rapide de la bonne dépense publique.
Chacun connaît l'apport que peut représenter la dépense publique dans le domaine social, dans le domaine culturel, dans le domaine de l'aménagement du territoire. J'ai d'ailleurs noté qu'au moment où se négocient les contrats de plan entre l'Etat et les régions, nombreuses sont les voix qui s'élèvent, sur toutes les travées, pour souhaiter que la participation de l'Etat soit encore plus ambitieuse que celle que le Premier ministre a récemment arrêtée !
Ce que je veux démontrer ici, c'est qu'une certaine dépense publique peut contribuer à l'efficacité économique de notre pays, mais aussi que, pour que la gestion de la dépense publique soit efficace, il convient, comme l'a dit M. le ministre à l'instant, qu'elle respecte une norme d'évolution.
Une dépense publique efficace peut être une contribution et non pas une entrave à la compétitivité de notre économie. En effet, lorsqu'une entreprise investit, elle ne mesure pas seulement le montant de l'impôt qu'elle paie ; elle compare aussi le montant de cet impôt, bien public qui contribue à sa propre activité, que ce soit l'usage des espaces urbains, des routes, des voies ferrées, la qualité de la formation de la main-d'oeuvre ou la densité des laboratoires et des télécommunications, bref, ce qui fait la qualité de la vie dans notre pays.
Si notre pays a la médaille d'argent en matière d'accueil des investissements étrangers, c'est, en partie, parce que nos services publics sont de qualité et sont appréciés comme tels non seulement par nos entrepreneurs et, bien sûr, nos concitoyens, mais aussi par les étrangers, qui font des comparaisons entre les différents pays européens.
Cette efficacité de la dépense publique, nous entendons la préserver et l'accroître au cours des années à venir.
Nous avons déjà débattu de la dépense publique au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 1999. La commission des Finances du Sénat, avec un certain courage, je dois le dire, avait défendu un contre-projet de budget qui consistait à réduire les dépenses de l'Etat de 28 milliards de francs.
Cela s'était traduit, dans ce contre-budget - ce budget alternatif, je crois, monsieur le rapporteur général - par des coupes massives dans des dépenses à nos yeux prioritaires, dans de bonnes dépenses, des dépenses pour l'emploi et contre l'exclusion.
Nous aurons donc l'occasion de reprendre ce débat. Pour ma part, je crois très sincèrement qu'une bonne dépense publique peut accroître l'efficacité de notre économie et renforcer la cohésion sociale de notre pays.
Pourquoi respecter une norme d'évolution de la dépense publique ? Pourquoi ne plus viser, comme on le faisait antérieurement, un objectif en termes de solde ?
Dans le passé, il était naturel que l'on se fixe un objectif en termes de solde parce qu'il fallait être qualifié pour l'euro. Maintenant, ce souci de fixer un programme pluriannuel maîtrisé des dépenses doit nous permettre d'atteindre plusieurs objectifs.
Une telle définition oblige les différents acteurs publics à penser leur action dans le moyen terme et non pas année par année.
Elle permet aussi une gestion moins heurtée, en cours d'année, des finances publiques, lesquelles étaient parfois hachées, dans le passé, par des décisions de régulation, par exemple.
La progression modérée et certaine du volume des dépenses publiques permet, comme l'a dit M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de libérer des ressources pour réduire la charge de la dette que supporteront les générations futures et pour laisser aux ménages comme aux entreprises créatrices d'emplois une plus grande part de la croissance.
Enfin, il est clair qu'un objectif stable des dépenses publiques en volume peut contribuer à stabiliser la conjoncture.
Et cela nous fait passer insensiblement de l'échelon français à l'échelon européen, car il est important de poursuivre, dans l'ensemble des onze pays de l'euro, ce que les spécialistes appellent un bon policy mix, c'est-à-dire une politique monétaire qui s'adapte aux évolutions conjoncturelles de l'ensemble des pays de l'euro et une politique budgétaire plus ciblée qui soutient l'activité en cas de ralentissement spécifique à un pays.
Après avoir développé très rapidement ces considérations de principe, je souhaite maintenant faire, très rapidement aussi, le bilan de deux années de bon ouvrage budgétaire.
Je dirai, d'abord, que nous avons stabilisé la dépense en volume en 1997 pour nous qualifier à l'euro - M. Dominique Strauss-Kahn l'a déjà dit - et respecté les engagements pris pour 1998, à savoir le maintien des dépenses en volume.
Sur ce point, je voudrais corriger un chiffre cité par M. le rapporteur général dans son rapport écrit, remarquable par ailleurs, qui me paraît manifestement erroné. Il est écrit que la dépense de l'Etat, en 1998, a augmenté de 1,1 %, c'est-à-dire au-delà de l'augmentation de 0,8 % qui correspond à la stabilité des dépenses en volume. En fait, s'inspirant de la Cour des comptes, je dois le reconnaître, M. le rapporteur général a raisonné en " dette brute " qui n'est pas le concept sur lequel le Gouvernement s'était engagé pour une raison assez claire, même si elle est un peu technique : cet agrégat n'a guère de sens puisqu'il intègre - les spécialistes le comprendront bien - des intérêts non courus qui ont pour contrepartie des recettes d'ordre.
Je crois qu'il est important de continuer à raisonner en dette nette, et c'est dans ces termes, même si ses propos sont quelque peu techniques, que le Gouvernement a pris des engagements et les a respectés.
En 1999, pour tenir compte non pas peut-être d'une inflation, mais d'une hausse des prix plus faible que prévu, nous avons eu recours à une méthode innovante en passant avec l'ensemble des ministères ce que nous appelons des contrats de gestion qui consistent à négocier, et non pas à imposer, comme dans les mesures de régulation, des mises en réserve modulées, selon chacun des ministères, de certains crédits ; ces crédits sont provisoirement mis en réserve tant que l'on n'a pas la certitude que la hausse des prix correspond à celle qui a été prévue. Cette méthode permet à la fois de respecter les objectifs en volume tout en laissant à chaque ministre la maîtrise de la politique qu'il mène.
Je voudrais, là aussi, corriger un point que M. Marini développe dans son rapport écrit. M. le rapporteur général s'inquiète de la progression de la dépense en 1999, plus précisément de la dépense connue à la fin du mois d'avril 1999 par rapport à celle qui était connue à la fin du mois d'avril 1998. Il cite le chiffre de 2,8 % et ajoute que ce dernier est incompatible avec le respect de l'objectif de progression en volume de 1 % sur l'ensemble de l'année.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le rapporteur général de votre commission des finances est un homme trop avisé pour ne pas savoir que, dans ces dépenses que nous publions au mois le mois -- nous sommes d'ailleurs le seul pays européen à publier une situation budgétaire mensuelle - est pris en compte l'effet des rebudgétisations dont nous avons débattu au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 1999, rebudgétisations qui sont d'un montant total de 46 milliards de francs.
Après M. Dominique Strauss-Kahn, je dirai à M. Marini que, cette année, comme les deux années précédentes, nous respecterons nos engagements en la matière.
Je n'insisterai pas sur le montant de la dépense publique. M. Dominique Strauss-Kahn a fort bien expliqué qu'il allait être progressivement réduit en pourcentage du produit intérieur brut d'ici à 2002 et que notre pays ferait en la matière un effort plus important que la moyenne de ses partenaires ; nous n'en tirons d'ailleurs aucune vanité, la modération de la dépense publique étant non pas un objectif en lui-même, mais le moyen de réduire les déficits et d'alléger les impôts.
J'insisterai plutôt sur la structure de la dépense publique.
Au cours des deux dernières années - nous prenons le même engagement pour les trois années à venir, qui font l'objet de ce débat d'orientation budgétaire - nous avons eu la volonté de dépenser mieux, de dépenser au plus juste.
Entre 1997 et 1999, 30 milliards de francs ont été chaque année déplacés au profit des priorités du Gouvernement, priorités que partagent la majorité qui le soutient à l'Assemblée nationale et la valeureuse minorité présente au Sénat.
Nous avons ainsi redéployé sur deux ans 50 milliards de francs en faveur de budgets précis : l'emploi et la justice sociale, la justice et la sécurité, l'éducation et la recherche, la culture et l'environnement. Pour ces priorités que nous défendons avec acharnement, les dépenses correspondantes dans le budget ont crû deux fois plus vite que la moyenne.
Par exemple, le budget de l'emploi et celui de la solidarité ont été portés de 220 milliards de francs en 1997 à 238 milliards de francs en 1999.
Cette progression de 8,2 % en deux ans a permis de développer les emplois-jeunes, de financer la réduction négociée du temps de travail et de lutter contre les exclusions.
Ce sont ces dépenses de solidarité que vous voulez réduire. Il y a clairement entre nous une différence irréductible.
Autre exemple, les moyens de l'éducation nationale, qui atteignent près de 350 milliards de francs cette année, ont crû de près de 8 %, et ce pour développer la qualité de l'enseignement, lutter contre l'exclusion en milieu scolaire, renforcer notre effort dans les zones d'éducation prioritaires ou pour mettre en place le plan social étudiant. Ces dépenses d'avenir sont celles que la majorité sénatoriale veut réduire.
Les crédits de la justice ont progressé de 10 % en deux ans. Là encore, il s'agit d'améliorer un service public auquel tiennent beaucoup nos concitoyens, particulièrement les plus faibles d'entre eux. La justice a été rendue plus rapidement ; l'administration pénitentiaire a été modernisée ; la prise en charge des jeunes par notre système judiciaire a été promue. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, et nous aurons l'occasion d'en reparler.
Les moyens alloués à la culture ont progressé de 4 %, ceux qui sont affectés à la sécurité de 5 %, et ceux de l'environnement de 17 %.
Ces chiffres concrets montrent que, dans une progression globale modérée, il est possible de consacrer des moyens supplémentaires substantiels à un certain nombre de budgets qui, pour nous, sont des budgets prioritaires qui correspondent à des bonnes dépenses publiques, comme je l'évoquais tout à l'heure. En la matière, comme l'a dit M. Strauss-Kahn, il n'y aura pas de scoop : les priorités de dépenses que nous avons respectées dans le passé resteront les priorités du Gouvernement pour l'avenir.
Je voudrais profiter de ce discours introductif pour revenir sur une mauvaise querelle à laquelle M. Fréville s'est prêté lors de l'examen du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1997, au sujet de la progression des investissements civils dans le passé.
Soyons clairs : il faut prendre en compte non seulement les investissements civils qui sont financés par le budget général mais aussi ceux qui sont financés par les comptes spéciaux du Trésor. J'ajoute aussitôt que, dans ces comptes spéciaux du Trésor, je n'inclus pas les recettes résultant de la vente d'un certain nombre de biens appartenant à l'Etat qui figurent sur un compte d'affectation spéciale.
Je vous livre les chiffres : les investissements civils, toutes sources de financements confondues, ont diminué de 13 % entre 1993 et 1997 ; ils ont crû ou vont croître de 10 % entre 1997 et 1999. Cela traduit notre volonté affirmée de redonner à l'investissement civil toute la place qu'il doit avoir dans la préparation de notre économie et de notre société future.
Je ne veux pas vous lasser en évoquant une débudgétisation du prêt à taux zéro qui avait servi au précédent gouvernement à minorer artificiellement les dépenses de l'Etat, alors que, nous, dans un souci d'honnêteté budgétaire, nous l'avons rebudgétisé à partir de 1999. Je ne détaillerai pas ce point maintenant mais je serait prêt à répondre aux orateurs qui le soulèveraient ultérieurement.
Nous avons également maîtrisé les frais de fonctionnement de l'Etat, qui ont été diminués de 3 % en termes réels. Il y a là la preuve que l'on peut, dans le cadre d'une bonne gestion de la dépense publique, réduire les crédits de fonctionnement sans porter atteinte aux politiques correspondantes.
J'ajoute en conclusion que le Gouvernement a respecté la règle qui avait été prise dans la déclaration de politique générale du Premier ministre en juin 1997 : la stabilité des effectifs budgétaires civils de fonctionnaires de l'Etat.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance avant que nous entamions ce débat qui portera sur la politique économique et budgétaire de l'ensemble de la législature. Les bons résultats obtenus depuis deux ans augurent bien des trois années à venir. Notre politique, comme vous le voyez, s'inscrit dans un horizon de moyen terme. Elle trace les perspectives durables d'une politique budgétaire sérieuse au service du progrès solidaire. Tel est notre engagement pour les années à venir et, comme nous l'avons fait depuis l'été 1997, nous respecterons cet engagement.