Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à Europe 1 le 24 mai 2002, sur la place de la justice dans la politique de sécurité, les centres fermés pour mineurs délinquants, la politique pénitentiaire, les rapports entre le pouvoir politique et la justice, l'aide aux victimes.

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Circonstance : Première réunion du Conseil de sécurité intérieure (CSI) à Paris le 24 mai 2002.

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Bienvenue et je vous remercie de consacrer à Europe 1 votre première déclaration publique de ministre de la Justice. Vous participez aujourd'hui au premier Conseil de sécurité intérieure, à l'Elysée, sous l'autorité de son fondateur, le président de la République. Comment la justice est-elle associée à l'effort sécurité de manière concrète ?
- "C'est très simple, pour lutter contre l'insécurité, il faut deux piliers : le premier, c'est celui de la coordination des forces, c'est la coordination police-gendarmerie, la mise en oeuvre des moyens, la recherche des malfaiteurs - c'est le travail du ministre de l'Intérieur, de N. Sarkozy. Et puis le deuxième pilier, c'est la justice, c'est-à-dire le traitement pénal des affaires qui sont découvertes, c'est-à-dire faire en sorte que la justice soit plus rapide, qu'elle soit plus simple, faire en sorte que les Françaises et les Français retrouvent dans leur justice, cette fonction fondamentale qui permet d'avoir confiance dans l'Etat, c'est-à-dire cette équité indispensable. C'est le deuxième pilier, c'est ma responsabilité."
C'est ce qu'on dit toujours...
- "Oui, mais ce qu'ont dit les Français surtout à l'occasion de l'élection présidentielle. C'est ça qui est important. Et nous avons une exigence de réussite en matière de remise en place d'un certain nombre de valeurs, d'un certains nombre de points de repères, qui sont en particulier ce besoin d'équité, de justice, de tranquillité que les Français nous ont manifestés très clairement."
Les premiers des 28 Groupements d'intervention régionaux sont à l'oeuvre. Quelle est la part des magistrats, où sont-ils ?
- "Ils sont tout de suite en aval. J'ai été, comme N. Sarkozy, signataire de la circulaire créant ces GIR, et les choses ne peuvent bien fonctionner que si, après fait travailler ensemble policiers, gendarmes, agents du Fisc et douaniers, il y ait de suite après le Parquet qui se saisit des dossiers et qui entame les procédures judiciaires. Donc, la mobilisation des procureurs et de leurs collaborateurs est fondamentale pour réussir ce travail sur le terrain de démantèlement des bandes organisées et de l'économie parallèle."
Et ceux qui sont arrêtés, la justice va les relâcher vite ?
- "J'espère que non. Et c'est bien de cela dont nous parlons avec les magistrats. Ce n'est d'ailleurs pas leur souhait. Mais les magistrats travaillent trop souvent dans des conditions épouvantables, pour des raisons de moyens - on en parlera peut-être tout à l'heure -, ou des raisons de complexité de la loi. Et il est donc important, c'est vrai, que nous puissions ensemble, avec eux, faire en sorte que la réponse judiciaire soit plus efficace."

On a déjà vu, sur les lieux de certaines opérations, le ministre de l'Intérieur. Va-t-on y voir aussi, et peut-être même avec lui, le ministre de la Justice parfois ?
- "Je suis allé sur le terrain, sur mon terrain en quelque sorte..."
Avec lui ?
- "J'ai visité le Parquet de Lyon, j'ai visité Fresnes, un centre d'éducation... Parce que ce sont un peu les trois missions de la justice. A la fois, la justice proprement dit, le côté pénitentiaire et le côté éducatif. Ces trois volets sont indissociables. J'irai sur le terrain avec N. Sarkozy, nous en avons parlé, pour montrer cette complémentarité entre le rôle du ministre de l'Intérieur et celui du ministre de la Justice."
Vous me faites penser : Sarkozy-Perben, vont-ils s'entendre aussi bien que Vaillant-Lebranchu ou aussi mal que la plupart de leurs prédécesseurs ?
- "Je crois que nous partageons, Nicolas et moi, la même volonté de réussir à relever ce défi de la lutte contre l'insécurité. Et parce que nous partageons cette conviction, nous nous entendrons pour réussir."
A l'égard des mineurs délinquants-récidivistes, sont prévus des centres éducatifs fermés. A partir de quand sont-ils mis en place ?
- "Tout à fait. Je prépare un texte de loi-programme, comme d'ailleurs N. Sarkozy sur le volet sécurité, nous en parlerons au Conseil des ministres en termes d'orientation dès la fin de ce mois de mai ou au tout début du mois de juin. Et dans ces orientations, il y a effectivement la mise en place des centres fermés..."
Quand ?
- "Dès cette année 2002. Ce que je souhaite, c'est faire un certain nombre d'expériences diversifiées, car l'articulation entre le fait que le centre soit fermé et le fait que ce soit un centre éducatif, n'appelle pas de réponse probablement uniforme..."
C'est-à-dire qu'il y aura plusieurs formules ?
- "Oui, je souhaite tester plusieurs formules, de manière à trouver, ainsi, par l'expérience, la meilleure formule possible."
C'est-à-dire, [pour savoir] qui s'en occupe : ou le personnel pénitentiaire ou les éducateurs, d'autant plus qu'ils rechignent à faire le boulot...
- "Voilà. Il faudra sans doute la répartition des deux fonctions sur des personnels différents si nous voulons réussir."
Vous réviserez l'ordonnance de 1945 ?
- "Il faudra, par exemple, pour les centres fermés, l'adapter. Il ne s'agit pas de remettre sur le chantier tout un travail législatif qui a d'ailleurs été modifié de nombreuses fois. Mais pour introduire les éléments sur lesquels le président de la République s'est engagé, nous devons effectivement faire un certain nombre de modifications législatives."
On parle rarement des quartiers des mineurs dans les prisons. Il n'y a pas de problèmes là ?
- "Je souhaite en parler, car je crois que c'est une des difficultés les plus graves de nos prisons - il y en a beaucoup. Toute cette semaine, j'ai rencontré les syndicats des personnels pénitentiaires, qui font un travail incroyablement difficile et souvent méconnu. Et je souhaite en particulier que, dans le cas de cette politique à l'égard des mineurs délinquants, nous fassions un effort sur les quartiers de mineurs dans les prisons, pour faire en sorte qu'ils soient dans chaque quartier moins nombreux - donc, il faudra créer des places dans d'autres prisons - et qu'il y ait un plus éducatif par rapport à la situation d'aujourd'hui. Car je n'oublie pas que les mineurs délinquants sont des personnalités encore en devenir, et que nous avons donc vis-à-vis d'eux et vis-à-vis des jeunes en général, une exigence d'éducation."
Vous parlez des prisons, vous construirez des prisons, en plus des 185 ?
- "Bien sûr. Il nous faudra construire des prisons le plus rapidement possible, pour pouvoir répondre à cette demande, à cette exigence de réponse pénale à la délinquance."
Au passage : êtes-vous favorable au regroupement des détenus corses dans les prisons corses ?
- "Je n'ai pas évoqué cette affaire avec mon collègue Sarkozy. Mais a priori, j'y suis hostile. Nous verrons cela au fur et à mesure du traitement du dossier corse."
Plus important, pendant cinq ans, le credo dans les rapports pouvoir-justice, c'était "aucune intervention dans les dossiers judiciaires quels qu'ils soient". Les Parquets vont-ils garder leur indépendance toute fraîche ou retrouver une hiérarchie et un patron - vous ?
- "Qu'est-ce que les Français nous ont dit à l'occasion des rendez-vous électoraux de ces dernières semaines ? Qu'ils souhaitaient que l'Etat assume sa fonction régalienne fondamentale, qui est celle de la justice, qui est celle de la tranquillité publique..."
Ce qui veut dire ?
- "A partir de là, je considère que le politique a la légitimité de fixer les orientations en matière en particulier de politique pénale."
Cela a toujours été fait ? Les orientations, les grandes circulaires, les grandes instructions...
- "Oui, mais ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Si l'on veut avoir affectivement une égalité de tous devant la loi et une véritable politique pénale avec des priorités, bien sûr qu'il faut des règles générales - et d'ailleurs, je prépare en ce moment même une circulaire aux Parquets, sur en particulier la politique pénale à suivre, avec des priorités claires -, mais en même temps, vous le savez bien, pour faire en sorte qu'il y ait cette égalité de traitement, ce suivi de la politique pénale, il faut pouvoir évaluer ce qui se passe sur le terrain. Donc, obligation de comptes-rendus dans la hiérarchie - ce n'est d'ailleurs pas le Garde des Sceaux lui-même qui fait cela - et possibilité, quand il y a nécessité, de donner effectivement des instructions précises pour assurer cette égalité."

C'est-à-dire que vous donnez des instructions individuelles aux Parquets ?
- "Ponctuelles si vous voulez - si le mot "individuelles" a pris une connotation, mais ça veut dire ça -, pour assurer cette égalité. Par contre, j'ai déjà dit très clairement, qu'en matière d'affaires politico-financières, étant moi-même un homme politique, je considère qu'il y a en quelque sorte conflit d'intérêts et que je n'interviendrai pas dans ce type d'affaire."
Vous ne vous en mêlez pas ?
- "Je ne m'en mêlerai pas."
Cela veut dire que vous vous engagez à n'étouffer aucune affaire politico-financière s'il y en a ?
- "La réponse est évidemment oui."
Le Conseil supérieur de la magistrature souhaite que les magistrats du ministère public soient soumis à une structure hiérarchique...
- "Au Garde des Sceaux et aux procureurs généraux, c'est ce que cela veut dire..."
Et vous leur dites ?
- "Exactement ce que je viens de vous dire."
Alors, justement, qui nomme les procureurs généraux ?
- "Les procureurs généraux, c'est le Conseil des ministres, et les procureurs..."
Et ça continue ?
- "Et ça continue."
Donc, il y a une rupture. J'ai envie de dire que c'est l'ère de la rupture avec ce qui a précédé ?
- "La rupture, c'est ce que nous ont demandés les Françaises et les Français. Ou alors, je ne comprends vraiment rien à la politique ! Je crois que les Français nous ont demandés : "Vous, hommes politiques, soyez courageux et assumez vos responsabilités". C'est cela. Je revendique cette légitimité et je souhaite être jugé en tant qu'homme politique, sur mon action au ministère de la Justice. Et la deuxième chose que les Français nous ont demandés, c'est : "Soyez plus efficaces"."
Vous vous occupez des victimes aussi ou on n'en parle jamais ?
- "Il faut en parler, j'en parlerai d'ailleurs aujourd'hui même au CSI. Je pense qu'il faut tout mettre en oeuvre pour que la victime soit mieux traitée qu'aujourd'hui. Un exemple : la possibilité pour la victime d'un délit, de pouvoir bénéficier de l'aide d'un avocat commis d'office dès sa première rencontre avec le système judiciaire. Ou par exemple, pour une victime dont le crime qu'elle a subi est jugé aux assises, la possibilité d'accéder à l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources."
Et tout ceux qui font la justice auront les moyens, les moyens, les moyens ?
- "Il faut que notre société, il faut donc que l'ensemble du système politique accorde effectivement, maintenant, aujourd'hui, à la justice comme à la sécurité, les moyens que les Français exigent."
Combien ?
- "Le président de la République a parlé de 6 milliards d'euros."
Pour la Justice et la Sécurité ?
- "Pour l'ensemble."
Sur combien de temps ?
- "Sur le quinquennat."
Merci d'être venu. Un CSI aujourd'hui, qui va ressembler probablement au Conseil de défense : des décisions et motus et bouche cousue...
- "Je pense que le but de ce Conseil n'est pas de communiquer."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 mai 2002)