Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France 2 le 2 juillet 2002, sur le rôle et l'avenir de l'UDF au sein de la majorité, ses propositions face au groupe UMP et sur les premières mesures du gouvernement.

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J.-B. Prédali Aujourd'hui, vous entendrez un message de J. Chirac, le président de la République ; demain, c'est le discours de J.-P. Raffarin. Donc, une actualité politique chargée pour vous. Il y a 29 membres dans le groupe UDF, 365 dans le groupe UMP : vous ne vous sentez pas un peu seuls à l'Assemblée ?
- "Pas le moins du monde. D'une part, je vous dirais que "small is beautiful", d'autre part, notre position nous donne une double exigence. La première, celle d'être les gardiens des engagements pris devant les Français. Régulièrement, malheureusement, au lendemain d'une élection, on oublie les promesses qu'on a faites la veille. Et donc, nous serons les gardiens des engagements pris devant les Français. Deuxième élément : nous serons en permanence une force de propositions. Propositions qu'a faites F. Bayrou pendant la campagne présidentielle, et propositions au fur et à mesure que les problèmes se poseront. Mais en quelque sorte, le fait qu'on n'ait pas besoin de nous pour voter, nous donne une grande liberté pour pouvoir dire : "Nous pensons que nous pouvons faire telle ou telle chose, nous pouvons proposer telle ou telle chose."
Vous allez faire de la critique systématique pour exister ?
- "Non, nous faisons clairement partie de la majorité parlementaire, cela ne fait aucun doute. Mais en revanche, nous conserverons notre liberté."
Pour un électeur de droite, qu'est-ce qui vous différencie de l'UMP ? Beaucoup d'anciens UDF, à commencer par l'ancien président du groupe UDF, votre prédécesseur P. Douste-Blazy, est maintenant à l'UMP - il en a été une des chevilles ouvrières. Qu'est-ce qui fait la différence finalement ?
- "Il faut tout de même se rappeler des éléments majeurs. On est face à un enjeu colossal : la droite républicaine, le 21 avril, au soir de l'élection présidentielle, n'a pas fait plus de voix que l'extrême droite et l'extrême gauche. Donc, on sait très bien que les Français nous ont fait confiance cette fois-ci en nous disant : "Attention ! C'est la dernière fois que nous vous faisons confiance, et si dans les cinq ans qui viennent, vous n'engagez pas les réformes et les actions nécessaires, alors la réponse sera terrible : on sera sans pitié". Ce qui nous différencie, c'est qu'on a une certaine approche du pouvoir. Ce qu'on veut, c'est qu'il y ait des responsables, c'est que partout, les Français puissent pointer du doigt celui ou celle qui est responsable de l'action politique qui est menée ; c'est le premier élément. Deuxième élément : nous souhaitons que le pouvoir soit rendu aux Français. Ce ne sont pas que des formules, c'est l'idée que par la décentralisation, la démocratie sociale, la démocratie locale, les associations, les Français récupèrent le pouvoir qu'on a trop souvent tendance à laisser là-haut. Rien que par ces deux éléments, il y a des différences importantes. La troisième, c'est bien entendu que nous souhaitons la construction d'une Europe politique, non pas pour diminuer la France, mais pour que cette France soit plus présente à travers le monde, parce qu'on sait que c'est à travers l'Europe qu'elle pourra l'être."
Cet après-midi, il y a le message du président de la République au Parlement. Vous n'avez pas d'informations particulières, mais qu'en attendez-vous ?
- "J'attends du président de la République, d'une part - puisqu'il est garant des institutions, etc... - qu'il préserve l'équilibre des pouvoirs, qu'il rappelle au Parlement qu'une de ses missions majeures, c'est le contrôle de l'exécutif, et que ce n'est pas parce qu'on est une majorité très forte qu'on doit s'empêcher de contrôler l'exécutif. Parce qu'en le contrôlant, on le renforce. Deuxième élément : j'attends du président de la République qu'il rappelle à quel point il y a des engagements extrêmement importants qu'on a pris devant les Français : la sécurité, l'emploi, la baisse des prélèvements obligatoires. Bref, que l'on ait une véritable volonté d'action, même si cela sera difficile. Qu'on réforme les retraites par exemple, qu'on engage la réforme de l'Etat, c'est-à-dire qu'on ait un Etat qui fonctionne mieux. Bref, que tout cela ne soit pas que des paroles d'avant les élections, et que cela devienne des actions après les élections."
Jusqu'à présent, les premières mesures du gouvernement Raffarin vous satisfont ou pas ?
- "Oui, mais, j'attends surtout les premières mesures demain, c'est-à-dire, les annonces de demain dans le cadre de la déclaration de politique générale."
Que demandez-vous ? Quel serait le dossier prioritaire pour vous ?
- "Je vais prendre les trois exemples, puisque tout à l'heure on nous donnait les prochains textes. Sur l'amnistie, nous souhaitons qu'elle soit la plus réduite possible. D'une part, le principe même de l'amnistie, à mon avis, est à revoir, c'est une espèce de pouvoir de droit divin, un pouvoir absolu qu'on maintient, mais en vertu de quoi on amnistie ? Ce n'est même pas une tradition républicaine, parce que cela date d'une trentaine d'années. Donc, premier élément, que l'amnistie aux infractions routières soit la plus limitée possible. On ne peut pas à la fois dire : "arrêtez avec les 9 000 morts", et par ailleurs, amnistier largement. Donc, [pour ce qui est de ce] premier élément, je crois qu'on va dans ce sens. Deuxième élément : pas question des amnisties liées aux affaires politico-financières. Sur les prélèvements obligatoires, ce que nous souhaitons avant tout, c'est qu'il y ait une baisse massive des cotisations sociales. C'est bien la baisse de l'impôt sur le revenu mais ce que nous voulons, c'est que par la baisse massive des cotisations sociales, qu'on redonne la possibilité au chef d'entreprise de pouvoir mieux payer ses salariés. Parce qu'à 5 600 francs par mois, il faut être courageux pour aller travailler aujourd'hui."
Dans ce genre de position, rien ne vous différencie de la tendance la plus libérale de l'UMP ?
- "Pour l'instant, je n'ai pas entendu parler de baisses de cotisations sociales. Prenons un autre exemple : sur les questions de sécurité, F. Bayrou, pendant la campagne présidentielle, a défendu l'idée que la police de proximité soit sous l'autorité des maires. Je n'ai pas le sentiment que ce soit une des propositions du Gouvernement. Pourquoi souhaitons-nous que cela soit dans les mains des maires ? Parce que les citoyens auront un responsable. Ils pourront dire : "si la sécurité ne s'améliore pas à la sortie du lycée, c'est à cause de vous". Aujourd'hui, les Français ne sont pas capables de pointer un responsable en matière de sécurité. Là, c'est une différence très nette."
Pour la suite, il y a, en cours de constitution, un parti unique à partir de l'Union pour la majorité présidentielle ; vous ne craignez pas d'être totalement balayés ?
- "Sur le parti unique, on verra ce que décide A. Juppé, puisque - si j'ai bien compris -, c'est lui le président du futur parti unique, parce que pour l'instant il est désigné dans le cadre d'un conseil de direction, je crois. Il y aura deux façons de le faire : soit c'est un système totalement pyramidal, et là, je sens d'avance qu'un certain nombre de mes collègues vont se sentir mal à l'aise dans un système extrêmement hiérarchisé. Soit c'est un système par courant, et l'UDF, depuis 1978, a vécu dans ce système par courant... Eh bien je leur souhaite bonne chance !"
Mais vous pensez qu'il y aura de la déperdition à l'UMP, que des gens vont venir du côté de l'UDF ?
- "Nous, on est heureux de notre cohésion. Cohésion au sein de notre formation, cohésion au sein du groupe. Et capacité de travailler ensemble , groupe et parti politique, chacun avec ses spécificités, et chacun dans son boulot. Très franchement, on ne va pas réouvrir les portes uniquement pour essayer d'en faire revenir quelques uns. On sera ouverts, on va essayer d'être un peu le groupe politique "oxygène", c'est-à-dire celui qui fait des propositions nouvelles, etc... et on dira "bienvenue". Mais on ne va pas faire cela en perdant notre âme."
Dans l'actualité, il y a le départ de J.-M. Messier du grand groupe Vivendi Universal. C'est plus facile d'être homme politique que grand patron ?
- "Le niveau de rémunération n'est pas le même."
Mais sur le fond, vous pensez qu'il devait partir ?
- "Il a joué, il a perdu."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2002)