Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à Europe 1 le 30 juillet 2002, sur le projet de loi sur les contrats-jeunes en entreprise et la baisse des charges patronales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-M. Dhuez - Tout à l'heure, à l'Assemblée nationale, vous allez présenter votre projet de loi sur les contrats-jeunes. A qui s'adresse-t-il ? Aux jeunes bien sûr, mais quels jeunes précisément ?
- "Ce sont des contrats destinés à aider les jeunes les plus en difficulté, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de diplôme, qui ont ce qu'on appelle "le niveau bac", c'est-à-dire qui n'ont pas le bac, et en dessous, et qui représentent aujourd'hui 30 % des jeunes au chômage. De 16 à 22 ans, parce que ce sont les âges où le chômage des jeunes est le plus important. C'est un contrat qui vise à revaloriser le travail, à envoyer les jeunes vers le monde de l'entreprise, dont on les a trop souvent détournés."
Donc une entreprise qui va embaucher un jeune avec ces contrats sera exonérée de charges ?
- "Pendant deux ans, elle ne paiera aucune charge, et pendant la troisième année, elle paiera 50 % des charges qu'elle aurait dû normalement payer."
Combien cela va coûter à l'Etat ?
- "Cela va coûter à l'Etat, en fonction du succès du projet, environ 500 à 600 millions d'euros, soit six fois moins que le programme emplois-jeunes de madame Aubry."
Plus que prévu quand même, parce que le Sénat a décidé d'élargir la mesure, c'est ça ?
- "Le Sénat a souhaité, et il avait raison, qu'il n'y ait pas de discrimination entre les tailles des entreprises. Après tout, ce qui nous intéresse dans ce projet, c'est l'avenir des jeunes, c'est l'intérêt des jeunes. Donc, plus il y aura d'entreprises à embaucher des jeunes en situation d'échec scolaire, qui sont en situation de chômage de longue durée, plus la société aura à y gagner."
Est-ce que le risque finalement, ce n'est pas que les entreprises embauchent en priorité des jeunes, au détriment des salariés plus âgés ?
- "Il y a toujours, quand on met en place une mesure comme celle-là, des risques d'effets pervers à la marge. Une des innovations de ce programme, c'est que la mesure ne sera éligible que pour les entreprises qui accepteront d'embaucher en CDI tout de suite, sans CDD ; nous avons voulu rompre avec tous les stages-parking, tous les petits boulots, tous les emplois temporaires dont les jeunes souffrent tellement. Une entreprise qui prend le risque d'embaucher un jeune qui n'est pas formé, en CDI, c'est-à-dire qui va faire l'investissement de le former, il faudrait vraiment qu'elle soit folle pour le faire au détriment d'une personne qui, elle, est déjà formée, alors que les entreprises passent leur temps à nous dire qu'elles recherchent de la main-d'oeuvre qualifiée et qu'elles ne la trouvent pas."
Vous dites "prendre le risque de former un jeune", mais justement l'UDF et le Parti socialiste vous reprochent qu'il n'y ait pas de formation obligatoire pour ces jeunes. L'UDF s'apprête même à déposer un amendement...
- "Je crois qu'ils font une confusion, parce qu'il y a une partie des jeunes, celle à laquelle nous avons choisi de nous adresser, qui, aujourd'hui, ne souhaite pas - on peut le regretter mais c'est la situation - aborder un emploi par la formation. C'est une partie de la jeunesse qui est en situation de rejet de l'école, qui est en situation d'échec scolaire, et si l'on met une contrainte forte, obligatoire de formation au départ de ces contrats, ils n'iront pas vers ces solutions là. Il y a toutes les formes d'intégration des jeunes qui existent dans notre dispositif : il y a des contrats en apprentissage...
Est-ce que vous êtes pour ou contre la formation obligatoire que demande l'UDF ?
- "Je suis contre tout ce qui est obligatoire dans ce domaine. Je pense qu'il faut faire confiance aux jeunes et qu'il faut faire confiance aux entreprises. Encore une fois, une entreprise qui embauche en CDI, si c'est une entreprise correctement gérée, elle va investir sur ce jeune, et elle va lui apporter la formation qu'il est capable de suivre et à laquelle il peut aspirer."
"Faire confiance aux entreprises", ça plaît aux patrons comme discours...
- "C'est une rupture par rapport à nos prédécesseurs. Il faut arrêter de mentir aux jeunes en leur faisant croire qu'on est dans un monde qui n'est pas la réalité. La réalité, c'est que nous sommes dans un monde qui est monde de libre entreprise, et il faut faire confiance aux chefs d'entreprise dans un cadre qui est un cadre général, qui est celui du droit du travail. Il faut leur faire confiance, parce que c'est la seule façon de renouer avec l'entreprise des relations qui permettront la croissance."
Il y a les contrats-jeunes de F. Fillon, il y avait les emplois-jeunes de M. Aubry. On va s'y perdre un petit peu... Quelle est la différence fondamentale ?
- "La différence fondamentale, c'est que les emplois-jeunes de madame Aubry étaient des emplois temporaires de cinq ans et qu'ils étaient uniquement dans le secteur public. Ils avaient un coût pour l'Etat qui est de 3 milliards d'euros par an. Je crois qu'il y a surtout une grande différence de philosophie. Nous ne disons pas que les emplois dans le secteur public sont inutiles, bien entendu qu'ils sont utiles et il y en a beaucoup qui vont rester, qui seront pérennisés d'une manière ou d'une autre. Mais nous disons que c'est un peu tromper les jeunes que de leur faire croire que leur avenir est principalement dans le secteur public, alors que nous savons bien que tous les Etats modernes cherchent à réduire la dépense publique. C'est du côté de l'entreprise que sont les emplois durables pour demain."
L'autre grand dossier que vous lancez, c'est une baisse des charges patronales. Ce sera à partir de quand et comment cela va-t-il se présenter ?
- "C'est un paquet que je vais proposer aux partenaires sociaux, qui consiste à augmenter fortement les Smic qui, vous le savez, ont été gelés par la loi de madame Aubry sur les 35 heures. Donc, une augmentation forte des bas salaires. Un assouplissement des 35 heures en échange, c'est-à-dire la possibilité pour les entreprises de recourir plus facilement aux heures supplémentaires. Et des allégements de charges qui vont permettre de compenser cette hausse forte du coût du travail, allégements de charges qu'on va concentrer sur les salaires entre 1 et 1,7 Smic, c'est-à-dire là où l'effet sur l'emploi est le plus important."
Donc, vous allez d'un côté alléger les charges patronales et demander au patronat une augmentation du Smic. Est-ce qu'il y aura une obligation ?
- "Oui, bien sûr, il y aura une obligation, ce sera lié. L'augmentation du Smic est décidée par le Gouvernement et donc, chaque année, par une politique de coups de pouce différenciés - puisqu'il y a aujourd'hui six Smic différents -, le Gouvernement remontera les Smic les plus bas au niveau du Smic le plus élevé, ce qui va provoquer une augmentation assez importante du coût du travail qu'on compensera par des baisses de charges équivalentes."
A terme, il n'y aura plus qu'un seul Smic, vous en prenez l'engagement ?
- "On prend l'engagement qu'il n'y ait plus qu'un seul Smic, et dans un délai - cela dépendra de la négociation - qui sera relativement court. En tout cas, beaucoup plus court que tout ce que tout le monde avait prévu."
Que va devenir l'aide aux 35 heures ?
- "Avec l'aide aux 35 heures, l'Etat a des contrats avec les entreprises, que l'Etat honorera. Mais je souhaite pouvoir reconditionner cette aide aux 35 heures, pour qu'elle soit plus efficace en termes de création d'emplois, c'est-à-dire qu'elle soit concentrée sur les salaires les plus bas. C'est l'un des aspects de la discussion que je vais engager à la fin du mois d'août avec les partenaires sociaux."
Demain mercredi, c'est la publication des chiffres du chômage pour le mois de juin. En mai, il y avait une hausse. Peut-être pas un scoop sur Europe 1 ce matin, mais quelle va être la tendance ?
- "Pour être franc, je n'ai pas officiellement les chiffres. Comme je l'ai déjà dit la semaine dernière, je ne suis pas optimiste, à court terme, sur l'évolution du chômage. Il y a une hausse quasiment continue depuis un an qui se poursuit."
Vous pensez l'enrayer quand même à terme ou pas ?
- "On en pourra l'enrayer qu'à travers la reprise de la croissance. Je ne crois pas aux mesures conjoncturelles, même si elles peuvent aider, pour réduire le chômage. Ce qu'il faut, c'est faire repartir la croissance. Pour faire repartir la croissance, il faut que nous redonnions confiance au secteur économique ; c'est ce que l'on est en train de faire avec la politique que conduit le Premier ministre."
Vous pensez que redonner confiance au secteur économique peut suffire pour relancer ? Ne faut-il pas des choses plus contraignantes ? Ce n'est quand même pas qu'une question de confiance.
- "La croissance ne marche pas avec la contrainte, cela ne marche que si les milieux économiques ont le sentiment qu'ils ont un avenir dégagé devant eux. Bien entendu, il n'y a pas que les mesures prises par le Gouvernement français, il y a l'ensemble de la conjoncture internationale qui joue. Mais les entreprises ont besoin de lisibilité sur le long terme et elles ont besoin d'une certaine liberté. C'est ce que nous sommes en train de leur redonner."
Quelles sont les relations au sein du Gouvernement ? F. Mer a été un peu le ministre de l'Economie désavoué par J.-P. Raffarin sur la hausse des tarifs d'EDF. Au début du mois, vous avez obtenu gain de cause, toujours contre F. Mer, à propos de l'encadrement des licenciements...
- "Pour qu'un gouvernement soit efficace, il faut qu'il soit composé de personnalités fortes, qui soient des personnalités différentes. Sinon, cela n'a aucun sens. Qu'il y ait des débats au sein du Gouvernement, c'est extrêmement important pour que le Gouvernement puisse prendre de bonnes mesures et qu'il puisse tenir compte de l'ensemble des aspects de la problématique de notre société. Ce qu'il faut simplement, c'est que ces débats soient menés au sein du Gouvernement et pas trop à l'extérieur, parce qu'il n'y a pas de raison d'étaler ces débats dans les médias."
Il n'y a pas de dissensions graves ?
- "Il y a un arbitre : c'est le Premier ministre. Et cela fonctionne comme cela. Et c'est riche, parce qu'il y a des différences au sein du Gouvernement et un arbitre qui arbitre."
Au fond, ce sont des richesses finalement ?
- "Oui, ce sont des richesses, c'est très important. Il est normal que le ministre des Finances ait un point de vue qui ne soit pas exactement le même que celui du ministre des Affaires sociales."
Demain, J.-P. Raffarin va dresser un premier bilan de son action gouvernementale ; cela fait trois mois. On imagine que cela va être positif ?
- "On va aborder tous ces sujets avec beaucoup d'humilité. On n'est pas là en train de faire des effets de manche, face à un pays qui est en crise."
Mais le Gouvernement communique beaucoup quand même...
- "On communique autour des mesures que l'on prend, mais on prend aussi ces mesures avec beaucoup d'humilité. La mesure pour l'emploi que je propose, je ne dis pas que c'est une mesure qui va régler tous les problèmes du chômage, je ne dis pas que c'est une mesure parfaite, je ne dis pas que les mesures qui ont été prises par mes prédécesseurs sont toutes des mesures stupides. Je dis simplement qu'il faut essayer celle-là, parce que je pense qu'elle va apporter quelque chose de supplémentaire et de plus efficace. Et c'est dans cet esprit que nous allons faire le bilan du Gouvernement dans quelques jours. Nous allons montrer que nous avons agi conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale. Mais en même temps, nous le faisons avec beaucoup d'humilité, parce que nous savons que l'action du Gouvernement ne pourra être jugée que sur la durée."
Un peu de vacances tout de même ?
- "Un peu de vacances, je l'espère, dans les jours qui viennent."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 juillet 2002)