Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur les travaux du Conseil Affaires Générales, notamment les négociations relatives à l'octroi des aides directes agricoles aux pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, Luxembourg, le 10 juin 2002.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires Générales de l'Union européenne à Luxembourg, le 10 juin 2002

Texte intégral

Je suis très heureux de vous retrouver pour ce Conseil Affaires générales. Comme vous le savez, il a été consacré au processus d'élargissement de l'Union européenne, avec principalement trois sujets.
Tout d'abord la question de l'octroi des aides directes agricoles aux pays candidats. Deuxièmement, le suivi des engagements pris pour appliquer effectivement l'acquis communautaire, ce que, dans le jargon bruxellois, on appelle le "monitoring", et troisièmement un échange de vues à l'initiative de la Grèce sur l'état des négociations avec la Roumanie et la Bulgarie. Je souligne que c'est la première fois que le Conseil se réunit spécialement pour parler et aborder ces questions d'élargissement. La France considère que c'est indispensable, il est important que l'on consacre toute l'énergie nécessaire à cette très importante question. Comme vous le savez, le sujet principal qui a été évoqué ce matin, c'est le volet agricole de l'élargissement. La Présidence a présenté plusieurs options sur la question du versement des aides directes agricoles afin que chaque Etat membre prenne position. J'ai rappelé que nous soutenions la proposition de la Présidence espagnole, directement inspirée des propositions de la Commission. Ce compromis, vous le connaissez, il consiste à reconnaître que les pays candidats doivent bénéficier des aides directes agricoles dès leur adhésion, sachant que celles-ci leur seraient versées de façon progressive selon le principe du "phasing in", proposé par la Commission, c'est-à-dire passage de 25 % en 2004 jusqu'à 100 % en 2013. Cette position est dictée par le souci de respecter trois principes qui ont toujours prévalu dans le déroulement de ces négociations. Premier principe, les candidats doivent reprendre l'acquis communautaire, les aides directes agricoles font partie de cet acquis et il est donc normal que les candidats y soient éligibles dès leur adhésion. Deuxième principe, l'Union européenne s'est engagée à Nice à respecter le calendrier d'une feuille de route, celle-ci prévoit que nous devons parvenir à un accord à Quinze d'ici Séville, sur l'ensemble du chapitre Agriculture. Un accord sans les aides directes n'aurait, selon nous, aucun sens, puisque celles-ci constituent un des piliers de la politique agricole commune. Ce serait aussi un signal politique très négatif adressé aux candidats puisque les Quinze refuseraient de leur octroyer ce qu'ils s'accordent à eux-mêmes. Troisième principe, nous avons toujours insisté sur la nécessité de bien distinguer les négociations d'adhésion des échéances internes aux Quinze, nous avons répété à maintes reprises que nous n'accepterions pas que l'élargissement serve de prétexte à une réforme des politiques communes et en particulier à une réforme anticipée de la politique agricole commune qui ne doit avoir lieu qu'en 2006. La discussion de ce matin n'a pas permis de parvenir à un accord, compte tenu des divergences persistant au sein du Conseil, plusieurs Etats membres voulant établir un lien entre l'élargissement et la revue à mi-parcours de la politique agricole commune. Plusieurs de nos partenaires contestent aux pays candidats le bénéfice des aides directes, parce qu'ils contestent la place des aides directes dans la politique agricole commune, et la Présidence a donc demandé au COREPER de rechercher une solution d'ici au prochain Conseil.
Nous aborderons donc à nouveau la semaine prochaine, le 17 juin, cette question qui préparera le Conseil européen de Séville, et nous espérons qu'un accord pourra se dégager répondant à une double exigence. D'abord une exigence vis-à-vis des pays candidats, mais aussi une exigence vis-à-vis de nous-mêmes, au sein de l'Union, afin que l'élargissement ne soit pas retardé. Il est très important que ce principe de responsabilité puisse être appliqué. J'ai par ailleurs insisté sur l'importance que nous attachions à la question de la reprise effective par les pays candidats de l'acquis communautaire, notamment dans les domaines de la sécurité alimentaire et de la sécurité publique. Réussir l'élargissement, c'est à la fois une chance, mais c'est aussi, pour nous tous, un défi qui exige un effort de la part des pays membres, de la part des pays candidats, qui exige un effort de transparence, un devoir de transparence, et un devoir de vérité. La France a donc proposé une note sur ce sujet de la sécurité alimentaire et de la sécurité publique et je me réjouis que le Conseil ait adopté les conclusions soulignant la nécessité de poursuivre de manière transparente et régulière la surveillance de la mise en oeuvre de l'engagement pris par les candidats. Quant à la discussion que nous avons eue sur l'état des négociations avec la Bulgarie et la Roumanie, j'ai soutenu la proposition de mon collègue grec pour que le Conseil européen de Copenhague, en décembre prochain, adresse un signal politique fort aux pays qui ne feront pas partie de la première vague d'adhésion. Nous souhaitons que la Commission fasse dans ce sens des propositions pour que ces deux pays ne se sentent pas à l'écart du processus d'élargissement.
Le Conseil a part ailleurs adopté par consensus un règlement prévoyant la possibilité de relever les droits de douane appliqués aux importations de certains produits américains et ceci en réaction aux mesures de sauvegarde des Américains sur les importations d'acier adoptées en mars dernier.
Enfin, et c'est le dernier point, le Conseil a fait le point sur la situation entre l'Inde et le Pakistan. Pour exprimer d'abord l'exigence de vigilance devant la montée des tensions dans cette région. Pour saluer les déclarations du président Mousharraf, et l'accueil positif réservé par les Indiens. Et enfin, pour appeler à une reprise d'un dialogue politique tout en soulignant notre disponibilité commune à tout faire pour contribuer à l'apaisement des tensions dans cette région.
Voilà donc les principaux points de ce Conseil.
Q - Monsieur le Ministre, si j'ai bien compris les déclarations au moins de l'Allemagne et des Pays-Bas, ces derniers considèrent qu'il n'est pas possible d'arriver à un accord sur les aides directes avant au moins les élections allemandes, voire avant le sommet de Copenhague, alors quel est votre sentiment ? Vous dites que vous allez en reparler le 17 juin ?
R - Ce n'est pas le sentiment français. Il est très important que l'acquis communautaire dans ce domaine des aides directes puisse être préservé et nous estimons qu'il faut poursuivre le dialogue et nous efforcer d'arriver avant Séville à un accord et nous pensons que c'est possible dès lors que chacun essaye d'avancer dans le sens de ce qui fonde l'Union européenne. Il y a un impératif. Nous avons rappelé les principes sur lesquels nous nous appuyons, ces principes sont fondamentaux. Nous pensons qu'il est important d'adresser un signal politique fort en direction des pays candidats qui expriment une volonté commune d'aller de l'avant dans le sens de l'élargissement.
Q - Est-ce que les réticences maintenant se limitent à l'Allemagne et aux Pays-Bas, je veux dire : est-ce que les Britanniques et les Suédois ont assoupli leur position dans le sens de celle de la Commission ? Vous pensez qu'il y a une évolution positive en quelque sorte ?
R - Ce matin, on en est resté à la position exprimée par ces quatre pays, mais cela ne préjuge pas de ce qui peut être discuté au cours des prochains jours. C'est justement la vocation du COREPER que d'essayer d'arriver à un accord et nous pensons que la semaine prochaine, les choses auront progressé.
Q - Mais si les Allemands et les Néerlandais disent clairement au Conseil que d'ici au Conseil européen de Bruxelles, voire celui de Copenhague, il n'y a rien à attendre, vous allez dire que vous ne les prenez pas au sérieux ou vous allez leur tordre les bras...
R - Non. Ce que nous espérons, c'est que d'ici Séville, le principe d'un accord pourra être trouvé compte tenu de la nécessité - et je crois que chacun s'entend bien sur ce point - d'adresser un signal politique très fort dans le sens de l'élargissement, il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté là-dessus. C'est l'objectif important, l'acquis communautaire s'impose à tous, il s'impose à nous-mêmes, il s'impose aux pays candidats et il est donc important que ces principes soient respectés.
Q - Ce que vous attendez, c'est le principe d'un accord sur le fait de donner des aides directes aux pays candidats, mais vous n'espérez pas d'ici Séville obtenir des pourcentages, on n'en est pas à ce stade-là ?
R - Nous, nous souhaitons aller le plus loin possible dans cette voie. Nous verrons les travaux du COREPER cette semaine, nous espérons qu'un accord pourra être formalisé allant le plus loin possible dans la satisfaction de ces principes et des pays candidats. Donc, dans la mesure du possible, nous souhaitons que cet accord pourra prévoir, effectivement, d'ores et déjà des pourcentages.
Q - C'est la proposition de la Commission ?
R - Oui, c'est la proposition de la Commission. Nous pensons qu'il s'agit là d'un compromis raisonnable, qui pourrait être accepté par tous.
Q - En cas de désaccord, qu'est-ce qui prime dans votre esprit ?
R - Pas de scénario de science fiction, la balle roule. L'important, c'est de pouvoir en parler, et d'essayer de rapprocher les points de vue et d'essayer de s'entendre une fois de plus, sur ce qui est pour nous central. C'est le signal politique adressé à cette occasion sur l'élargissement, il ne faut qu'il y ait d'ambiguïté ni de malentendu. Je crois qu'en ne mélangeant pas les échéances internes et les échéances externes, on évite justement de compliquer les choses, il est donc important d'essayer d'ici à la semaine prochaine de rapprocher les points de vue entre les uns et les autres.
Q - Excusez-moi d'insister, mais est-ce qu'il est possible pour Séville, ou éventuellement à Séville, d'adopter une fausse position commune, c'est-à-dire les 95 % sur lesquels on est d'accord, en mettant des crochets sur le problème des aides directes, ou alors est-ce que s'il n'y a pas d'accord sur les aides directes, il n'y a pas de position commune avant le Sommet de Bruxelles ou le Sommet de Copenhague ?
R - Nous voulons arriver à Séville à un accord complet qui puisse permettre de lever l'ensemble des ambiguïtés et une fois de plus adresser un signal politique fort parce que c'est important pour l'ensemble des pays candidats, c'est important pour la dynamique politique que nous voulons enclencher et nous voulons essayer d'être le plus clair possible à cet égard vis-à-vis des pays candidats.
Q - Est-ce que la Présidence espagnole a confirmé qu'elle ne voulait pas que ce soit un enjeu de Séville, cette discussion sur les aides directes ?
R - Je crois que tout le monde souhaite un accord et compte tenu de l'impératif politique, compte tenu de l'impératif du calendrier, il est important que cet accord puisse se faire le plus vite possible. Je crois que les énergies sont mobilisées pour faire en sorte que d'ici la semaine prochaine on puisse essayer d'arriver à un accord.
Q - Donc il n'est pas exclu que les chefs d'Etat et de gouvernement en discutent à Séville ?
R - Le but c'est d'essayer d'arriver à Séville avec les termes d'un accord.
Q - Monsieur le Ministre, aucun des grands présidents des grands pays européens, ni M. Chirac, ni M. Blair, n'ont participé au Sommet de la FAO à Rome aujourd'hui, alors que 800 millions de personnes risquent de mourir de faim dans le monde, est-ce que cela vous semble une attitude correcte de la part des grands pays d'Europe qui souvent dans les sommets internationaux mettent beaucoup l'accent sur l'aide aux pays en voie de développement ?
R - Vous savez que ce sont des sujets que l'on a eu l'occasion d'aborder encore récemment. Le président de la République française s'était rendu à Monterrey pour préciser les positions et les engagements de la France, dire le souci qui était le nôtre d'aller le plus loin possible dans la définition de ces aides, et évidemment le point que vous évoquez ne préjuge pas de toute l'importance et de tout l'intérêt que nous portons à ces questions.
Q - Ne pensez-vous pas qu'une présence n'aurait pas été importante ?
R - Le président de la République française, je pense, sera au rendez-vous de Johannesburg. Une fois de plus le fait de ne pas avoir pu se rendre cette fois-ci à Rome ne préjuge pas de toute l'importance que la France accorde à ces questions.
Q - Monsieur le Ministre, je suis relativement surpris du fait que vous renvoyez au COREPER des travaux d'arbitrage politique, alors que vous allez discuter la semaine prochaine d'une proposition de la présidence espagnole visant à donner davantage de pouvoir au Conseil Affaires générales. Le Conseil Affaires générales n'est plus le lieu où l'on peut prendre des décisions politiques aujourd'hui ?
R- Si, et le fait que nous ayons longuement évoqué cette question aujourd'hui montre bien justement notre souci d'avancer. Il s'agit maintenant de préciser un certain nombre de points de vue de façon à voir dans quelle mesure d'ici à la semaine prochaine nous pouvons arriver à un accord, le but étant bien, la semaine prochaine, d'en reparler et d'essayer à nouveau d'avancer dans ce sens. Mais c'est bien la marque, entre ce lundi et lundi prochain, de la volonté qui est la nôtre d'essayer d'aboutir.
Q - Vous en reparlerez en franco-allemand ?
R - Nous en reparlerons peut-être en franco-allemand, cela fait partie des sujets que nous abordons régulièrement. Vous savez que cette relation est une relation de travail extrêmement régulière et quotidienne, donc cela fait partie des sujets qui pourraient être abordés.
Q - Sur l'acier, y a-t-il eu une discussion sur les exemptions qui ont été données par les Américains il y a deux jours ! Quelles sont vos réflexions là-dessus ?
R - Nous en restons à la décision proposée par la Commission et adoptée par le Conseil qui nous paraît un bon équilibre, et qui va dans le bon sens.
Q - Le blocage grec sur la défense européenne, Monsieur le Ministre, est-ce qu'il y a quelques lueurs à l'horizon ?
R - C'est évidemment une question qui nous préoccupe, une question sur laquelle nous essayons d'avancer et nous avons bon espoir que les choses d'ici à Séville puissent se clarifier et que nous puissions arriver à un accord.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2002)