Texte intégral
J.-J. Bourdin - Vous n'avez pas pu ne pas entendre la douleur des familles de victimes du sang contaminé. Le parquet général dispose maintenant de 5 jours pour se pourvoir en cassation. Que dites-vous, ce matin ?
- "Je dis plusieurs choses. D'abord, je dis que je comprends l'émotion des familles qui est intense et qui, pour elles, exprime une immense déception. Je comprends et j'ai été frappé, comme tous les Français, en voyant sur mon écran de télévision, hier soir, le cri de douleur d'un certain nombre de mères de famille. Deuxième observation, l'arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel n'a pas été rédigé, et pas rendu public. Je regrette d'ailleurs que dans une affaire de cette importance, la décision soit connue sans que l'arrêt ne soit rendu public en même temps. Ceci aurait permis, en particulier aux avocats, de peut-être comprendre les motivations juridiques de la Chambre. En ce qui me concerne, en tant que garde des sceaux, j'attends bien sûr d'avoir le texte de l'arrêt pour analyser les considérants juridiques de cette décision. Et, en liaison avec le procureur général, nous serons amenés à prendre une décision, celle concernant un éventuel pourvoi en cassation."
Dans les 5 jours, le parquet général devra décider : vous souhaiteriez un pourvoi en cassation ?
- "Je ne peux pas me prononcer tant que je n'ai pas lu l'arrêt pour comprendre les éléments juridiques. Et encore une fois, en liaison avec le procureur général, nous prendrons une décision."
Peut-on considérer que cette décision de justice est une forme d'amnistie ?
- "Il ne s'agit pas de cela, il ne s'agit pas d'une amnistie. On ne peut pas mélanger les notions juridiques. Elle est perçue comme telle, manifestement, par les parties civiles mais ce n'est pas cela. C'est une décision de justice, c'est la décision d'une chambre à la Cour d'appel de Paris, c'est une décision de juges du siège, de juges indépendants qui ont fait une analyse juridique qui les a amenés à prendre cette décision. Pour l'instant, c'est la seule analyse que l'on peut faire. Encore une fois, il faut voir les considérants juridiques et, à partir de là, décider si oui ou non, il faut aller en cassation."
Certains disent - ce sera ma dernière question sur le sujet - que cela va remettre en cause tous les éventuels procès futurs concernant les hormones de croissance ou la maladie de la vache folle, par exemple ?
- "Je ne le pense pas, on ne peut pas tout mélanger. Mais encore une fois, et je m'excuse de répéter la même chose, je crois qu'il est très important que nous puissions examiner l'arrêt lorsqu'il sera rendu public pour voir comment les juges justifient leur décision et quel est le raisonnement juridique qui est derrière. Et à partir de cette analyse du raisonnement juridique, on verra quelles peuvent être les conséquences de cette position éventuellement sur d'autres affaires."
Il y a des familles qui auraient aimé connaître les motivations des juges.
- "Je crois qu'on peut tirer une leçon purement pratique, qui n'implique pas du tout de ma part un jugement sur la décision de justice - ce n'est pas mon rôle -, au plan de l'organisation de nos juridictions, en tout cas pour des affaires d'une telle importance, il faudrait que nous essayons de veiller à ce que le document, l'arrêt, soit effectivement rendu public au moment de la décision. Cela me paraît un élément indispensable à la compréhension de la justice. L'institution judiciaire doit faire un effort pour expliquer ses décisions, pour se faire comprendre et, en quelque sorte, permettre la lecture de ses décisions à l'opinion publique. Là, c'est un exemple concret qui illustre cette nécessité."
Regardons maintenant votre projet de loi sur la justice, qui est le premier grand texte de ce gouvernement Raffarin. Vous le présentez quand au Conseil des ministres ? Mercredi prochain ?
- "Mercredi 17 juillet. Le 10 juillet, N. Sarkozy présente son texte de programmation sur la sécurité ; le 17, je présenterai le texte justice avec ses éléments de programmation. Et puis, parce que nous sommes dans un domaine particulier qui est celui la justice, la programmation des moyens n'auraient aucun sens si on n'évoquait pas en même temps les possibilités juridiques de mettre en place un certain nombre de choses sur lesquelles le président de la République s'est engagé, comme les centres éducatifs fermés pour les jeunes délinquants ou encore la justice de proximité."
Regardons le gros volet concernant la délinquance des mineurs. Vous décidez d'abaisser à 10 ans l'âge de la première sanction. Quelles sanctions ?
- "Des sanctions qui sont à caractère éducatif. Je prends un exemple concret : un gamin commet un délit en utilisant sa mobylette, eh bien le juge pourra lui confisquer sa mobylette. Un gamin commet un délit ou plusieurs délits dans un même quartier, on peut lui interdire de fréquenter ce quartier pendant un certain temps. C'est-à-dire des choses très concrètes qui correspondent à la gravité des faits, qui correspondent aussi à l'âge des enfants - car il s'agit d'enfants - et donc, qui constituent un élément de pédagogie. Il ne faut pas séparer la volonté d'éduquer, y compris par la sanction. Les deux choses sont indissociables. L'objet profond de tout cela, c'est de rééduquer ces jeunes, de faire en sorte qu'ils retournent..."
A travers des stages de formation civique, par exemple ?
- "Absolument. Et en même temps, nous savons bien qu'à un moment donné, pour se faire comprendre - surtout que ces jeunes sont souvent dans des familles qui ne s'occupent plus guère d'eux -, il faut que la société, quelque part, se substitue aux parents et donc fasse ce travail d'éducation, y compris à travers des sanctions évidemment adaptées à leur âge."
Autre volet de ce texte : possibilité d'incarcérer un mineur dès l'âge de 13 ans et non pas 16 ans?
- "Oui, en précisant bien que la décision ne sera jamais directement l'incarcération. L'incarcération ne peut être que le résultat d'un refus d'appliquer une mesure de contrôle judiciaire. Par exemple : un jeune placé en centre éducatif fermé, s'il ne respecte pas les règles de ce centre, par exemple s'il arrive à fuguer, il peut y avoir, à ce moment-là, de la part du juge, une décision d'incarcération. Donc, ce n'est jamais du premier coup. Cela me paraît important de le dire."
Certains vous accusent déjà d'être trop répressifs...
- "Il faudra qu'on en parle parce que - pour faire simple et sans tomber dans la caricature -, si tout va bien, on ne change rien. Je n'ai pas l'impression que tout aille bien. Il me semble quand même nécessaire de marquer un changement. Par ailleurs, les Français se sont exprimés, nous sommes dans une démocratie et il me semble que ce que les Français nous ont dit, c'est évidemment pas de remettre en cause les libertés individuelles, mais de se battre efficacement contre la délinquance, y compris celle des jeunes, sans jamais oublier l'impératif éducatif."
Concernant ces fameux centres éducatifs fermés pour les mineurs : les mineurs y seront encadrés et suivront un programme éducatif. S'ils ne respectent pas les conditions du placement, ils seront punis. L'incarcération des 13 ou 16 ans est actuellement impossible, sauf en cas de crime. Pour les mineurs récidivistes : une comparution plus rapide ? Bien souvent, le problème c'est qu'on met beaucoup de temps entre le délit et la comparution devant la justice.
- "Le résultat de ce temps - qui peut aller jusqu'à 6 mois - fait que la sanction n'apparaît pas liée à l'acte de délinquance. D'une part, pour le jeune il n'y a pas l'effet éducatif de la sanction et d'autre part, pour son environnement, pour ses petits camarades, pour les victimes - le sentiment et la perception autour de lui -, c'est qu'il y a une certaine forme d'impunité. Pour les mineurs récidivistes, c'est-à-dire pour ceux pour lesquels le juge des enfants à un dossier social, connaît son profil parce qu'il est déjà passé devant le tribunal, il y aura possibilité de juger entre 10 jours et un mois, c'est-à-dire d'une manière plus rapprochée, en utilisant le dossier social qui existe déjà, en le complétant éventuellement. On respecte donc l'esprit de l'ordonnance de 1945 mais on accélère le processus."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)
- "Je dis plusieurs choses. D'abord, je dis que je comprends l'émotion des familles qui est intense et qui, pour elles, exprime une immense déception. Je comprends et j'ai été frappé, comme tous les Français, en voyant sur mon écran de télévision, hier soir, le cri de douleur d'un certain nombre de mères de famille. Deuxième observation, l'arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel n'a pas été rédigé, et pas rendu public. Je regrette d'ailleurs que dans une affaire de cette importance, la décision soit connue sans que l'arrêt ne soit rendu public en même temps. Ceci aurait permis, en particulier aux avocats, de peut-être comprendre les motivations juridiques de la Chambre. En ce qui me concerne, en tant que garde des sceaux, j'attends bien sûr d'avoir le texte de l'arrêt pour analyser les considérants juridiques de cette décision. Et, en liaison avec le procureur général, nous serons amenés à prendre une décision, celle concernant un éventuel pourvoi en cassation."
Dans les 5 jours, le parquet général devra décider : vous souhaiteriez un pourvoi en cassation ?
- "Je ne peux pas me prononcer tant que je n'ai pas lu l'arrêt pour comprendre les éléments juridiques. Et encore une fois, en liaison avec le procureur général, nous prendrons une décision."
Peut-on considérer que cette décision de justice est une forme d'amnistie ?
- "Il ne s'agit pas de cela, il ne s'agit pas d'une amnistie. On ne peut pas mélanger les notions juridiques. Elle est perçue comme telle, manifestement, par les parties civiles mais ce n'est pas cela. C'est une décision de justice, c'est la décision d'une chambre à la Cour d'appel de Paris, c'est une décision de juges du siège, de juges indépendants qui ont fait une analyse juridique qui les a amenés à prendre cette décision. Pour l'instant, c'est la seule analyse que l'on peut faire. Encore une fois, il faut voir les considérants juridiques et, à partir de là, décider si oui ou non, il faut aller en cassation."
Certains disent - ce sera ma dernière question sur le sujet - que cela va remettre en cause tous les éventuels procès futurs concernant les hormones de croissance ou la maladie de la vache folle, par exemple ?
- "Je ne le pense pas, on ne peut pas tout mélanger. Mais encore une fois, et je m'excuse de répéter la même chose, je crois qu'il est très important que nous puissions examiner l'arrêt lorsqu'il sera rendu public pour voir comment les juges justifient leur décision et quel est le raisonnement juridique qui est derrière. Et à partir de cette analyse du raisonnement juridique, on verra quelles peuvent être les conséquences de cette position éventuellement sur d'autres affaires."
Il y a des familles qui auraient aimé connaître les motivations des juges.
- "Je crois qu'on peut tirer une leçon purement pratique, qui n'implique pas du tout de ma part un jugement sur la décision de justice - ce n'est pas mon rôle -, au plan de l'organisation de nos juridictions, en tout cas pour des affaires d'une telle importance, il faudrait que nous essayons de veiller à ce que le document, l'arrêt, soit effectivement rendu public au moment de la décision. Cela me paraît un élément indispensable à la compréhension de la justice. L'institution judiciaire doit faire un effort pour expliquer ses décisions, pour se faire comprendre et, en quelque sorte, permettre la lecture de ses décisions à l'opinion publique. Là, c'est un exemple concret qui illustre cette nécessité."
Regardons maintenant votre projet de loi sur la justice, qui est le premier grand texte de ce gouvernement Raffarin. Vous le présentez quand au Conseil des ministres ? Mercredi prochain ?
- "Mercredi 17 juillet. Le 10 juillet, N. Sarkozy présente son texte de programmation sur la sécurité ; le 17, je présenterai le texte justice avec ses éléments de programmation. Et puis, parce que nous sommes dans un domaine particulier qui est celui la justice, la programmation des moyens n'auraient aucun sens si on n'évoquait pas en même temps les possibilités juridiques de mettre en place un certain nombre de choses sur lesquelles le président de la République s'est engagé, comme les centres éducatifs fermés pour les jeunes délinquants ou encore la justice de proximité."
Regardons le gros volet concernant la délinquance des mineurs. Vous décidez d'abaisser à 10 ans l'âge de la première sanction. Quelles sanctions ?
- "Des sanctions qui sont à caractère éducatif. Je prends un exemple concret : un gamin commet un délit en utilisant sa mobylette, eh bien le juge pourra lui confisquer sa mobylette. Un gamin commet un délit ou plusieurs délits dans un même quartier, on peut lui interdire de fréquenter ce quartier pendant un certain temps. C'est-à-dire des choses très concrètes qui correspondent à la gravité des faits, qui correspondent aussi à l'âge des enfants - car il s'agit d'enfants - et donc, qui constituent un élément de pédagogie. Il ne faut pas séparer la volonté d'éduquer, y compris par la sanction. Les deux choses sont indissociables. L'objet profond de tout cela, c'est de rééduquer ces jeunes, de faire en sorte qu'ils retournent..."
A travers des stages de formation civique, par exemple ?
- "Absolument. Et en même temps, nous savons bien qu'à un moment donné, pour se faire comprendre - surtout que ces jeunes sont souvent dans des familles qui ne s'occupent plus guère d'eux -, il faut que la société, quelque part, se substitue aux parents et donc fasse ce travail d'éducation, y compris à travers des sanctions évidemment adaptées à leur âge."
Autre volet de ce texte : possibilité d'incarcérer un mineur dès l'âge de 13 ans et non pas 16 ans?
- "Oui, en précisant bien que la décision ne sera jamais directement l'incarcération. L'incarcération ne peut être que le résultat d'un refus d'appliquer une mesure de contrôle judiciaire. Par exemple : un jeune placé en centre éducatif fermé, s'il ne respecte pas les règles de ce centre, par exemple s'il arrive à fuguer, il peut y avoir, à ce moment-là, de la part du juge, une décision d'incarcération. Donc, ce n'est jamais du premier coup. Cela me paraît important de le dire."
Certains vous accusent déjà d'être trop répressifs...
- "Il faudra qu'on en parle parce que - pour faire simple et sans tomber dans la caricature -, si tout va bien, on ne change rien. Je n'ai pas l'impression que tout aille bien. Il me semble quand même nécessaire de marquer un changement. Par ailleurs, les Français se sont exprimés, nous sommes dans une démocratie et il me semble que ce que les Français nous ont dit, c'est évidemment pas de remettre en cause les libertés individuelles, mais de se battre efficacement contre la délinquance, y compris celle des jeunes, sans jamais oublier l'impératif éducatif."
Concernant ces fameux centres éducatifs fermés pour les mineurs : les mineurs y seront encadrés et suivront un programme éducatif. S'ils ne respectent pas les conditions du placement, ils seront punis. L'incarcération des 13 ou 16 ans est actuellement impossible, sauf en cas de crime. Pour les mineurs récidivistes : une comparution plus rapide ? Bien souvent, le problème c'est qu'on met beaucoup de temps entre le délit et la comparution devant la justice.
- "Le résultat de ce temps - qui peut aller jusqu'à 6 mois - fait que la sanction n'apparaît pas liée à l'acte de délinquance. D'une part, pour le jeune il n'y a pas l'effet éducatif de la sanction et d'autre part, pour son environnement, pour ses petits camarades, pour les victimes - le sentiment et la perception autour de lui -, c'est qu'il y a une certaine forme d'impunité. Pour les mineurs récidivistes, c'est-à-dire pour ceux pour lesquels le juge des enfants à un dossier social, connaît son profil parce qu'il est déjà passé devant le tribunal, il y aura possibilité de juger entre 10 jours et un mois, c'est-à-dire d'une manière plus rapprochée, en utilisant le dossier social qui existe déjà, en le complétant éventuellement. On respecte donc l'esprit de l'ordonnance de 1945 mais on accélère le processus."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)