Texte intégral
Monsieur le Commissaire, Mesdames et Messieurs, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, c'est un réel plaisir pour moi d'avoir été conviée à ouvrir cette conférence que la Commission européenne organise au moment où commence la Présidence française. Je veux la remercier de cette initiative.
Représentants des administrations de la Culture, professionnels de la création et des industries culturelles, représentants des sociétés des ayant-droits, universitaires enfin, venant de tant de pays du monde, vous avez choisi de vous réunir deux jours pour échanger vos analyses, partager vos expériences, exprimer vos préoccupations. Je vous en suis très reconnaissante parce que pour les Européens le sujet qui retiendra votre attention ces deux jours est de première importance.
Je saisis donc cette occasion pour insister sur quelques priorités dans ce domaine si essentiel à mes yeux.
I - Je pense que la formation d'une Europe des Droits d'auteurs est une nécessité dans l'environnement actuel.
La plupart des activités artistiques et des métiers culturels sont confrontés à une évolution rapide et majeure. Les technologies de l'information et de la communication forment avec le multimédia un nouveau domaine d'expression ; elles transforment aussi les conditions économiques de la création, comme ses conditions de diffusion et d'accès au patrimoine culturel.
Doivent-elles bouleverser le cadre juridique de la protection intellectuelle, littéraire et artistique, y compris pour les artistes-interprètes ?
- Je suis convaincue du contraire. Répondre au bouleversement technique et à l'essor d'internet, c'est d'abord réaffirmer nos choix et notre droit, le renforcer, l'adapter parfois, le moderniser aussi. C'est dans cette voie que l'Europe s'est engagée de manière féconde et légitime. Nous ne devons pas abandonner les principes qui ont permis la diversité de nos cultures.
Il était indispensable pour répondre à l'internationalisation des techniques et des marchés de faire évoluer le cadre normatif au plan international.
A l'échelle mondiale, les Traités de l'OMPI (l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) ont posé dès 1996 les bases juridiques d'une protection des droits d'auteurs, des artistes et des producteurs. Il faudra compléter ces Traités : - d'abord, à travers le Protocole sur les droits des artistes de l'audiovisuel qui fera l'objet d'une Conférence diplomatique en décembre 2000. - ensuite, en développant un esprit constructif à l'occasion des travaux en cours sur les droits des radio-diffuseurs, travaux lors desquels nous devrons rester très vigilants.
Dans le cadre de l'Union européenne, la Directive Droits d'auteurs et droits voisins dans la société de l'information a fait récemment l'objet d'un consensus au sein du Conseil, grâce aux efforts de la Présidence Portugaise. C'est une étape décisive pour l'Union européenne au moment où la société de l'information devient l'environnement de la création artistique et intellectuelle et où l'internet sera un mode de distribution majeur. Il fallait former un espace commun de création et de protection des oeuvres, partager une vision commune des droits de la propriété intellectuelle et artistique.
Le droit de la propriété littéraire et artistique est d'abord un droit culturel qui garantit l'importance et la qualité de la création. C'est ce que saisit bien cette Directive en énonçant de manière solennelle les droits exclusifs des auteurs et des titulaires de droits.
L'efficacité de cette Directive dépendra de l'harmonisation effective. C'est pourquoi, tout en respectant la volonté légitime de chaque Etat de maintenir des exceptions traditionnelles dans leurs droits, des progrès ont été réalisés pour fermer la liste des exceptions au droit des auteurs, exceptions qui sont facultatives. L'exception pour copie privée bénéficie d'un traitement particulier. Elle est admise de manière précise pour " l'usage exclusif du copiste " d'oeuvres acquises légalement.
Fallait-il la supprimer en raison du changement d'univers technologique et des risques de glissements vers le piratage ? - Personne ne méconnaît ces risques. Mais nous devons être très prudents quand on veut changer un principe en raison du progrès technique. Les droits de propriété littéraire et artistique ont résisté à plus de deux siècles de changements techniques.
C'est pourquoi, l'exception pour copie privée est désormais encadrée fermement. Elle est encadrée par des moyens techniques de protection qui garantissent aux auteurs l'exercice de leurs droits. Ces mesures techniques sont elles-mêmes protégées par le droit au profit des titulaires de droits. Enfin, le principe de compensation équitable peut devenir, pour les Etats européens, un principe de rémunération équitable. Cela constitue un atout pour les titulaires de droits.
Le travail européen doit continuer pour suivre et anticiper les évolutions techniques. A partir de notre conception commune des droits d'auteurs, nous sommes aujourd'hui mieux armés pour relever les défis futurs.
II - Les défis que nous devons relever sont l'occasion de concrétiser notre attachement à la diversité culturelle. Pour qu'elle ne soit pas seulement un thème lyrique de nos discours, nous devons en créer les conditions concrètes.
Je crois, qu'il serait de mauvaise méthode de se méfier a priori de la société de l'information et de l'environnement numérique. Chacun de nos pays, individuellement ou collectivement, au sein de l'Union européenne, cherche à assurer l'essor de la société de l'information, qui est une chance pour favoriser l'accès aux cultures dans leur diversité.
Mais nous ne devons pas baisser la garde en matière de défense des droits d'auteurs.
Le piratage et la contrefaçon sont les défis majeurs que tout pays doit relever dans un esprit de coopération. Il n'est évidemment pas propre au réseau des réseaux. Mais le caractère transfrontière d'internet confère au piratage une dimension redoutable. Les auteurs, les éditeurs, les producteurs, toute la chaîne des industries culturelles sont directement mis en cause par ce risque industriel majeur. Tous nos pays doivent faire preuve d'une intransigeance sans faille et permanente à l'égard du piratage.
Sans cette vigilance et cette détermination, nous savons que l'ensemble des industries culturelles, je pense surtout à la musique et au livre mais aussi au cinéma, sera mis en péril. Nous savons aussi que l'industrie de la communication et de l'information est fragilisée, c'est-à-dire la production audiovisuelle, les oeuvres multimédia, et naturellement l'information et la presse qui sont essentielles à nos démocraties.
Il ne s'agit pas seulement d'un problème industriel parce que les évolutions techniques ou de marketing sauront, avec le temps, diversifier les modes de rémunération. Mais, et c'est le plus important, le piratage constitue une mise en danger des sources de la création et de la recherche.
Il est d'une impérieuse nécessité que les auteurs, les éditeurs, les producteurs et l'ensemble des industries concernées, de l'informatique aux télécommunications, travaillent ensemble. Ces deux mondes ont à présent un intérêt commun : la lutte contre le piratage ne doit plus être l'espoir des uns et la crainte et la contrainte des autres ; elle est leur chance commune et leur devoir mutuel.
Il nous faut faire d'immenses progrès dans le domaine des mesures de protection. Chacun de nos pays dispose de centres de recherche, d'industries concernées, de sociétés de perception et de répartition des droits attentives à la protection des ayant-droits. Qu'ils travaillent ensemble sous l'égide de l'Europe à la protection technique de la création et que chaque auteur puisse en bénéficier.
Nous ne devons pas négliger non plus une action de pédagogie régulière auprès des jeunes publics. En effet, ils découvrent et bénéficient de l'accès aux oeuvres sans mesurer le rôle essentiel que joue la propriété intellectuelle et artistique dans l'économie des contenus. C'est l'avenir des contenus européens qui est en cause. C'est un devoir pour les Etats de sensibiliser et de former, dès l'école, les nouvelles classes d'âge à ces conditions d'accès aux oeuvres et de création que sont la propriété intellectuelle et son respect.
Le second défi est celui de la pertinence et de la modernité des droits d'auteurs dans le monde numérique. Nous savons que des modèles se sont combattus à travers l'Atlantique. L'attachement au modèle des droits d'auteurs n'était pas vain et la société de l'information prouve très exactement qu'ils y sont adaptés.
L'attachement à un droit subjectif, un droit de la personne à l'égard de son uvre, est une conviction humaniste. C'est un moyen de refuser l'appropriation privée et marchande de la création et des oeuvres de l'esprit. Cela ne s'oppose pas, bien au contraire, à la circulation et la diffusion des oeuvres.
J'en veux pour preuve la question de la non-brevetabilité des logiciels qui relèvent du droit de la propriété intellectuelle. En Europe, ce droit et les protections qu'il garantit ont montré leur légitimité et leur efficacité. L'uvre de l'esprit, une idée, une formule mathématique, des codes logiciels, une expression formelle nouvelle, ne sauraient faire l'objet d'une brevetabilité sans précaution pour éviter le risque de tarissement de la création.
Changer de catégorie peut produire l'effet inverse de celui que nous cherchons à obtenir pour la culture. Nous voulons la diversité culturelle, l'échange de cultures, et la création. L'analyse exacte des impacts économique et intellectuel de cette évolution du droit de la propriété intellectuelle nous sera très précieuse dans cette perspective.
Il est un dernier domaine de la protection des droits dans l'univers numérique sur lequel je voudrais que nos pays se concertent : la gestion collective. Elle permet à la fois la divulgation de l'uvre, la maîtrise des différents modes d'exploitation et le juste retour économique pour les titulaires de droits ou leurs ayants-droit. Elle mérite aujourd'hui une attention vigilante parce que le développement des transmissions en réseaux ne peut qu'amplifier la demande des publics sur un nombre de territoires démultiplié.
Nous Européens, devons réaffirmer notre attachement à la gestion collective. A travers les sociétés de perception et de répartition de droits, la gestion collective est une force pour la défense et la négociation des droits. Ces sociétés doivent aussi poursuivre leur évolution pour s'adapter aux nouvelles réalités économiques et sociales du présent. Toute évolution vers la coopération internationale est essentielle. Le rôle de la CISAC (la Confédération Internationale des Sociétés d'Auteurs et Compositeurs) en atteste. Une claire évolution vers la transparence de ces gestions est aussi nécessaire pour que tous les auteurs se sachent défendus en confiance et elle doit être encouragée.
Ces sociétés doivent aussi s'engager dans l'univers qui nous entoure. D'abord en modernisant par les technologies de l'information la perception, la gestion et la répartition des droits d'auteurs. Cela renforcera l'application du droit de propriété intellectuelle dans le monde numérique en favorisant l'utilisation et la circulation des oeuvres. Ensuite, en développant des protections par marquage, identification, traçabilité pour participer pleinement à la fluidité et la sécurité des droits. Dans ces conditions, elles participeront pleinement au développement et à l'efficacité du droit de la propriété intellectuelle. C'est pourquoi, il me semble que toute ouverture à la concurrence doit tenir compte de la période d'adaptation indispensable pour atteindre ces objectifs.
Pour conclure, je voudrais redire que la technicité de nos discours sur la propriété intellectuelle, ne doit pas masquer l'importance des enjeux politiques et culturels comme la défense des artistes et de leurs créations et le souci d'offrir au public l'accès le plus large aux oeuvres sous toutes leurs formes.
C'est donc de la promotion de la diversité culturelle qu'il s'agit, thème que la Présidence française a souhaité placer au centre de ses travaux en matière culturelle, dans la continuité des réflexions et des actions engagées avec succès par la Présidence Portugaise, après la Présidence Filandaise.
Confronter et concilier le droit d'auteur et le droit du consommateur et de l'entrepreneur ne sera pas facile mais nous devons y parvenir.
J'espère vivement que vos deux journées de rencontre enrichiront nos débats de façon décisive et je souhaite donc pleine réussite à vos travaux. Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 12 juillet 2000)
Représentants des administrations de la Culture, professionnels de la création et des industries culturelles, représentants des sociétés des ayant-droits, universitaires enfin, venant de tant de pays du monde, vous avez choisi de vous réunir deux jours pour échanger vos analyses, partager vos expériences, exprimer vos préoccupations. Je vous en suis très reconnaissante parce que pour les Européens le sujet qui retiendra votre attention ces deux jours est de première importance.
Je saisis donc cette occasion pour insister sur quelques priorités dans ce domaine si essentiel à mes yeux.
I - Je pense que la formation d'une Europe des Droits d'auteurs est une nécessité dans l'environnement actuel.
La plupart des activités artistiques et des métiers culturels sont confrontés à une évolution rapide et majeure. Les technologies de l'information et de la communication forment avec le multimédia un nouveau domaine d'expression ; elles transforment aussi les conditions économiques de la création, comme ses conditions de diffusion et d'accès au patrimoine culturel.
Doivent-elles bouleverser le cadre juridique de la protection intellectuelle, littéraire et artistique, y compris pour les artistes-interprètes ?
- Je suis convaincue du contraire. Répondre au bouleversement technique et à l'essor d'internet, c'est d'abord réaffirmer nos choix et notre droit, le renforcer, l'adapter parfois, le moderniser aussi. C'est dans cette voie que l'Europe s'est engagée de manière féconde et légitime. Nous ne devons pas abandonner les principes qui ont permis la diversité de nos cultures.
Il était indispensable pour répondre à l'internationalisation des techniques et des marchés de faire évoluer le cadre normatif au plan international.
A l'échelle mondiale, les Traités de l'OMPI (l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) ont posé dès 1996 les bases juridiques d'une protection des droits d'auteurs, des artistes et des producteurs. Il faudra compléter ces Traités : - d'abord, à travers le Protocole sur les droits des artistes de l'audiovisuel qui fera l'objet d'une Conférence diplomatique en décembre 2000. - ensuite, en développant un esprit constructif à l'occasion des travaux en cours sur les droits des radio-diffuseurs, travaux lors desquels nous devrons rester très vigilants.
Dans le cadre de l'Union européenne, la Directive Droits d'auteurs et droits voisins dans la société de l'information a fait récemment l'objet d'un consensus au sein du Conseil, grâce aux efforts de la Présidence Portugaise. C'est une étape décisive pour l'Union européenne au moment où la société de l'information devient l'environnement de la création artistique et intellectuelle et où l'internet sera un mode de distribution majeur. Il fallait former un espace commun de création et de protection des oeuvres, partager une vision commune des droits de la propriété intellectuelle et artistique.
Le droit de la propriété littéraire et artistique est d'abord un droit culturel qui garantit l'importance et la qualité de la création. C'est ce que saisit bien cette Directive en énonçant de manière solennelle les droits exclusifs des auteurs et des titulaires de droits.
L'efficacité de cette Directive dépendra de l'harmonisation effective. C'est pourquoi, tout en respectant la volonté légitime de chaque Etat de maintenir des exceptions traditionnelles dans leurs droits, des progrès ont été réalisés pour fermer la liste des exceptions au droit des auteurs, exceptions qui sont facultatives. L'exception pour copie privée bénéficie d'un traitement particulier. Elle est admise de manière précise pour " l'usage exclusif du copiste " d'oeuvres acquises légalement.
Fallait-il la supprimer en raison du changement d'univers technologique et des risques de glissements vers le piratage ? - Personne ne méconnaît ces risques. Mais nous devons être très prudents quand on veut changer un principe en raison du progrès technique. Les droits de propriété littéraire et artistique ont résisté à plus de deux siècles de changements techniques.
C'est pourquoi, l'exception pour copie privée est désormais encadrée fermement. Elle est encadrée par des moyens techniques de protection qui garantissent aux auteurs l'exercice de leurs droits. Ces mesures techniques sont elles-mêmes protégées par le droit au profit des titulaires de droits. Enfin, le principe de compensation équitable peut devenir, pour les Etats européens, un principe de rémunération équitable. Cela constitue un atout pour les titulaires de droits.
Le travail européen doit continuer pour suivre et anticiper les évolutions techniques. A partir de notre conception commune des droits d'auteurs, nous sommes aujourd'hui mieux armés pour relever les défis futurs.
II - Les défis que nous devons relever sont l'occasion de concrétiser notre attachement à la diversité culturelle. Pour qu'elle ne soit pas seulement un thème lyrique de nos discours, nous devons en créer les conditions concrètes.
Je crois, qu'il serait de mauvaise méthode de se méfier a priori de la société de l'information et de l'environnement numérique. Chacun de nos pays, individuellement ou collectivement, au sein de l'Union européenne, cherche à assurer l'essor de la société de l'information, qui est une chance pour favoriser l'accès aux cultures dans leur diversité.
Mais nous ne devons pas baisser la garde en matière de défense des droits d'auteurs.
Le piratage et la contrefaçon sont les défis majeurs que tout pays doit relever dans un esprit de coopération. Il n'est évidemment pas propre au réseau des réseaux. Mais le caractère transfrontière d'internet confère au piratage une dimension redoutable. Les auteurs, les éditeurs, les producteurs, toute la chaîne des industries culturelles sont directement mis en cause par ce risque industriel majeur. Tous nos pays doivent faire preuve d'une intransigeance sans faille et permanente à l'égard du piratage.
Sans cette vigilance et cette détermination, nous savons que l'ensemble des industries culturelles, je pense surtout à la musique et au livre mais aussi au cinéma, sera mis en péril. Nous savons aussi que l'industrie de la communication et de l'information est fragilisée, c'est-à-dire la production audiovisuelle, les oeuvres multimédia, et naturellement l'information et la presse qui sont essentielles à nos démocraties.
Il ne s'agit pas seulement d'un problème industriel parce que les évolutions techniques ou de marketing sauront, avec le temps, diversifier les modes de rémunération. Mais, et c'est le plus important, le piratage constitue une mise en danger des sources de la création et de la recherche.
Il est d'une impérieuse nécessité que les auteurs, les éditeurs, les producteurs et l'ensemble des industries concernées, de l'informatique aux télécommunications, travaillent ensemble. Ces deux mondes ont à présent un intérêt commun : la lutte contre le piratage ne doit plus être l'espoir des uns et la crainte et la contrainte des autres ; elle est leur chance commune et leur devoir mutuel.
Il nous faut faire d'immenses progrès dans le domaine des mesures de protection. Chacun de nos pays dispose de centres de recherche, d'industries concernées, de sociétés de perception et de répartition des droits attentives à la protection des ayant-droits. Qu'ils travaillent ensemble sous l'égide de l'Europe à la protection technique de la création et que chaque auteur puisse en bénéficier.
Nous ne devons pas négliger non plus une action de pédagogie régulière auprès des jeunes publics. En effet, ils découvrent et bénéficient de l'accès aux oeuvres sans mesurer le rôle essentiel que joue la propriété intellectuelle et artistique dans l'économie des contenus. C'est l'avenir des contenus européens qui est en cause. C'est un devoir pour les Etats de sensibiliser et de former, dès l'école, les nouvelles classes d'âge à ces conditions d'accès aux oeuvres et de création que sont la propriété intellectuelle et son respect.
Le second défi est celui de la pertinence et de la modernité des droits d'auteurs dans le monde numérique. Nous savons que des modèles se sont combattus à travers l'Atlantique. L'attachement au modèle des droits d'auteurs n'était pas vain et la société de l'information prouve très exactement qu'ils y sont adaptés.
L'attachement à un droit subjectif, un droit de la personne à l'égard de son uvre, est une conviction humaniste. C'est un moyen de refuser l'appropriation privée et marchande de la création et des oeuvres de l'esprit. Cela ne s'oppose pas, bien au contraire, à la circulation et la diffusion des oeuvres.
J'en veux pour preuve la question de la non-brevetabilité des logiciels qui relèvent du droit de la propriété intellectuelle. En Europe, ce droit et les protections qu'il garantit ont montré leur légitimité et leur efficacité. L'uvre de l'esprit, une idée, une formule mathématique, des codes logiciels, une expression formelle nouvelle, ne sauraient faire l'objet d'une brevetabilité sans précaution pour éviter le risque de tarissement de la création.
Changer de catégorie peut produire l'effet inverse de celui que nous cherchons à obtenir pour la culture. Nous voulons la diversité culturelle, l'échange de cultures, et la création. L'analyse exacte des impacts économique et intellectuel de cette évolution du droit de la propriété intellectuelle nous sera très précieuse dans cette perspective.
Il est un dernier domaine de la protection des droits dans l'univers numérique sur lequel je voudrais que nos pays se concertent : la gestion collective. Elle permet à la fois la divulgation de l'uvre, la maîtrise des différents modes d'exploitation et le juste retour économique pour les titulaires de droits ou leurs ayants-droit. Elle mérite aujourd'hui une attention vigilante parce que le développement des transmissions en réseaux ne peut qu'amplifier la demande des publics sur un nombre de territoires démultiplié.
Nous Européens, devons réaffirmer notre attachement à la gestion collective. A travers les sociétés de perception et de répartition de droits, la gestion collective est une force pour la défense et la négociation des droits. Ces sociétés doivent aussi poursuivre leur évolution pour s'adapter aux nouvelles réalités économiques et sociales du présent. Toute évolution vers la coopération internationale est essentielle. Le rôle de la CISAC (la Confédération Internationale des Sociétés d'Auteurs et Compositeurs) en atteste. Une claire évolution vers la transparence de ces gestions est aussi nécessaire pour que tous les auteurs se sachent défendus en confiance et elle doit être encouragée.
Ces sociétés doivent aussi s'engager dans l'univers qui nous entoure. D'abord en modernisant par les technologies de l'information la perception, la gestion et la répartition des droits d'auteurs. Cela renforcera l'application du droit de propriété intellectuelle dans le monde numérique en favorisant l'utilisation et la circulation des oeuvres. Ensuite, en développant des protections par marquage, identification, traçabilité pour participer pleinement à la fluidité et la sécurité des droits. Dans ces conditions, elles participeront pleinement au développement et à l'efficacité du droit de la propriété intellectuelle. C'est pourquoi, il me semble que toute ouverture à la concurrence doit tenir compte de la période d'adaptation indispensable pour atteindre ces objectifs.
Pour conclure, je voudrais redire que la technicité de nos discours sur la propriété intellectuelle, ne doit pas masquer l'importance des enjeux politiques et culturels comme la défense des artistes et de leurs créations et le souci d'offrir au public l'accès le plus large aux oeuvres sous toutes leurs formes.
C'est donc de la promotion de la diversité culturelle qu'il s'agit, thème que la Présidence française a souhaité placer au centre de ses travaux en matière culturelle, dans la continuité des réflexions et des actions engagées avec succès par la Présidence Portugaise, après la Présidence Filandaise.
Confronter et concilier le droit d'auteur et le droit du consommateur et de l'entrepreneur ne sera pas facile mais nous devons y parvenir.
J'espère vivement que vos deux journées de rencontre enrichiront nos débats de façon décisive et je souhaite donc pleine réussite à vos travaux. Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 12 juillet 2000)