Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à BFM le 12 juillet 2002, sur la relance de la décentralisation, le débat sur la réforme constitutionnelle, la présidence de l'ARF (Association des régions de France), la baisse des impôts et les priorités budgétaires.

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Média : BFM

Texte intégral

P. Devedjian
C. Barbier Vous étiez le premier invité du matin, le lundi 3 septembre 2001, vous êtes le 219ème et dernier. Que vous inspirent ces 300 jours politiques un peu fous que nous venons de vivre ?
- "Voilà, c'est "un peu fou" effectivement, de grands bouleversements. Cela a commencé avec l'attentat du 11 septembre qui a complètement modifié les perceptions, les mentalités. Et puis la crise économique qui s'est développée très fortement et qui crée de grandes incertitudes aujourd'hui. Pour notre pays aussi, le paysage politique s'est complètement modifié. Donc, on est dans un monde qui change très vite. Et finalement, ceux qui sont efficaces, ce sont ceux qui sont très mobiles."
Dans cette atmosphère de précarité, qu'attendez-vous de J. Chirac et de son discours du 14 Juillet ? Que doit-il dire aux Français pour clore cette année politique et ouvrir la suite ?
- "Je crois qu'il doit leur donner du courage, parce que les perspectives sont tracées, elles ont été tracées par la campagne électorale. Mais il est vrai qu'on est dans une période économique difficile et il doit leur montrer que, par une cohésion nationale retrouvée, les échéances politiques étant passées, nous devons et nous pouvons redresser notre pays, bien qu'il ait de graves difficultés."
Vous étiez député-maire d'Antony, vous êtes maintenant ministre des Libertés locales. Cela veut dire quoi ?
- "C'est la décentralisation principalement. Vous savez, quand même, ça rejoint une idée très ancienne : dans notre pays, la liberté est née dans les villes. Au Moyen-Age, les serfs, qui s'évadaient de chez leur maître, trouvaient la liberté en allant dans les villes. Et donc, c'est la ville qui est le coeur de la liberté de notre société."
La ville était aussi au coeur des libertés fiscales à l'époque, c'étaient les villes franches. On retrouve cette problématique. Toutes ces villes, toutes ces régions à qui vous allez donner des pouvoirs nouveaux, allez-vous leur donner des moyens ?
- "Bien entendu, c'est ça qui est en cause. La réforme constitutionnelle qui est en débat, qui sera présentée au Parlement en octobre, est une réforme qui, non seulement consacre la région - car la région n'a pas aujourd'hui de valeur constitutionnelle -, mais qui aussi va poser le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales. Donc, leur assurer la liberté de leurs moyens."
Cela veut dire beaucoup d'impôts locaux en plus pour les habitants...
- "Non, cela veut dire davantage de responsabilités. Vous croyez qu'aujourd'hui les Français ne sont pas submergés par les impôts ?! Seulement, ils sont submergés par les impôts sans avoir de possibilités d'y répondre. Quand un maire ou un président de conseil général fait augmenter les impôts de sa collectivité, les électeurs peuvent le remercier. Et ça, ça les responsabilise."
Est-ce que décentraliser, ça ne va pas surtout constituer à transférer les problèmes aux régions et aux villes. Comme "la patate chaude" ?
- "Oui, bien sûr. La décentralisation, c'est le transfert de tout. De la responsabilité et donc des problèmes naturellement. Mais c'est parce qu'on peut mieux résoudre les problèmes, à proximité, c'est-à-dire près des gens, près de ceux qui sont au contact de l'administration, plutôt que dans des bureaux éloignés de ceux qui subissent les décisions."
Les fonctions régaliennes resteront entre les mains de l'Etat, mais les fonctions qu'on peut dire "intermédiaires", par exemple, les programmes scolaires et le recrutement des professeurs, est-ce que ça doit passer sous le contrôle des régions ?
- "Sur l'Education nationale, c'est là où c'est le plus difficile de décentraliser. Donc, cela passe par une forte concertation avec les syndicats en particulier. Je laisse L. Ferry mener cette négociation difficile mais nécessaire."
On voit bien comment la région va être favorisée, comment les agglomérations ont le vent en poupe. Est-ce à dire que le département doit disparaître de la vie administrative ?
- "Non, pas du tout. Le département est une structure de proximité, la région est une structure de cohérence."
Alors il faut mettre l'une sous l'autorité de l'autre ?
- "Non, il faut les laisser organiser entre elles leur manière de travailler. C'est-à-dire que, le Président, dans le discours de Rouen, et nous voudrions que ce soit dans la Constitution, a introduit la notion de "chef de file". Et suivant les domaines de compétence, ça peut être la région qui peut être leader, ça peut être le département, ça peut être la communauté d'agglomérations ou la grande ville du coin, du secteur. C'est à organiser entre eux. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est leur donner les moyens de s'organiser, de se hiérarchiser. C'est pour cela que c'est une liberté qu'on confère."
Vous l'avez dit, cette décentralisation va entraîner une révision constitutionnelle. Est-ce qu'elle ne doit pas être ratifiée par un référendum pour que ce soit très solennel ?
- "C'est du domaine de compétence du président de la République. Lui seul, quand le Parlement a tranché, décide, aux termes de la Constitution, si c'est le Congrès ou si c'est vraiment le référendum qui donne sa valeur constitutionnelle à ce qui a été voté par le Parlement. J'observe simplement qu'on a beaucoup voté cette année, beaucoup. Il y a eu les municipales, les présidentielles, les législatives. Et les Français donnent un peu le sentiment d'être saturés. Et si on voulait faire un référendum, je suis d'accord pour dire que cela a une forte valeur symbolique..."
Mais votre préférence va plutôt au Congrès ?
- "Non, il faut s'assurer de la participation. Si on fait un référendum avec une participation inférieure à 50 %, c'est un coup d'épée dans l'eau."
Quelle est votre préférence pour le mode de scrutin régional, dont on sait que le Gouvernement va le retravailler un petit peu ?
- "Le président de la République a parlé dans le discours de Rouen de "la territorialisation". C'est-à-dire qu'un élu / un territoire. Mais en même temps, un certain nombre de conseils régionaux voudraient simplement des modifications à la marge du système actuel. Il y a un débat, il n'est pas tranché."
Et votre préférence, c'est plutôt que chaque élu puisse s'ancrer dans un territoire...
- "Moi, je crois au territoire. Le territoire responsabilise. Mais enfin, le débat est ouvert et ce n'est que mon opinion."
Au moment où les régions vont être dopées, relancées, patatrac !, c'est la guerre entre présidents de régions de gauche et présidents de régions de droite, une sorte de "putsch" de G. Longuet l'a propulsé à la tête des régions françaises. La gauche qui était prête à vous soutenir va vous combattre ?
- "Attendez, il n'y a aucun putsch" !"
Il y avait un accord de partage de cette association et l'accord a volé en éclats...
- "Mais dans la démocratie, il y a une majorité et une minorité. La gauche est minoritaire et elle veut présider. Que voulez-vous ?! Ce n'est pas raisonnable !"
La gauche aurait peut-être soutenu les réformes avec ce petit cadeau ?
- "Elle soutient les réformes si on lui donne le pouvoir ?! Cela n'a pas de sens."
Est-ce que vous redécouperez les circonscriptions législatives, comme la loi vous le permet, et même vous le demande ?
- "Il n'y a pas d'urgence me semble-t-il. Parce que cela donne toujours le sentiment d'un charcutage et le système actuel a montré qu'il permettait à la gauche de gagner quand elle est majoritaire, à la droite de gagner quand elle est majoritaire. Je ne suis pas certain qu'il y ait urgence à redécouper."
5,6 milliards d'euros pour la sécurité, 908 millions pour la Défense, 700 millions pour les hôpitaux. Depuis quelques jours, le Gouvernement est un vrai panier percé. Il y en a pour tout le monde ?
- "Il n'y en a pas pour tout le monde, il y avait des urgences formidables. Nous avons été élus pour résoudre les problèmes, eh bien, on fait face, oui."
Vous êtes aussi élus pour que le déficit public ne s'envole pas. Comment cela va-t-il se passer ? On baisse les impôts d'un côté et on dépense beaucoup de l'autre ?
- "Nous pensons que le moyen de relancer la machine économique, c'est de libéraliser notre économie qui est écrasée par la bureaucratie mais aussi par des impôts énormes. Eh bien, il faut soulever le couvercle."
Que pensez-vous des "couacs" qui ont surgi ces derniers jours, à propos justement des impôts, mais des impôts 2003, entre A. Lambert et F. Mer ministre de l'Economie ?
- "Je ne crois pas que ce soient des "couacs". Très franchement, on a fait souvent un procès d'intention à F. Mer. Il est bien clair que notre projet, c'est le projet du président de la République, c'est son projet qui a été élu par les Français et le Gouvernement est là pour le mettre en oeuvre. Il n'y pas de hiatus entre la politique de F. Mer et le projet du Président."
La baisse des impôts est une promesse fragile tout de même. On dit, d'un côté que ça va être conditionné à la croissance, on nous dit ensuite que pour 2003, on va attendre septembre. Tout cela sent le gel de la baisse des impôts pour l'automne...
- "Mais nous sommes en train de la voter, la baisse des impôts !"
Pour cette année...
- "Eh bien alors... Ecoutez, laissez-nous déjà voter celle-là ! Nous avons dit que nous ferions celles qui suivraient, nous le ferons. Simplement, dans quelles conditions ? Nous avons besoin d'un peu de temps pour le mettre au point."
Est-ce que les libertés locales ne vous obligeront pas à surveiller de près la politique sécuritaire du Gouvernement, éventuellement à freiner votre ministre de tutelle, N. Sarkozy ?
- "Nous sommes amis et nous nous entendons très bien. Je crois que la liberté et les libertés locales vont avec la sécurité. Il n'y a pas de liberté sans la sécurité. Quand on n'a même pas la possibilité de sortir du métro pour rentrer chez soi en toute sécurité, on manque de liberté."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juillet 2002)