Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur les comptes de la sécurité sociale et leur évolution, la politique de la santé, de l'assurance-maladie et de la famille et sur les orientations du gouvernement dans le domaine de la retraite, Paris le 11 juillet 2002.

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Circonstance : Réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale à Paris le 11 juillet 2002

Texte intégral

Je remercie le secrétaire général, M. Monier, pour sa présentation particulièrement claire. Je tiens aussi à le féliciter, ainsi que toutes les personnes dans les services qui travaillent sur le rapport, pour les efforts accomplis pour vous remettre un document lisible sur un sujet qui est devenu très complexe : le financement de la sécurité sociale Je voudrais d'abord vous présenter mes ambitions pour le travail de notre commission aujourd'hui et au cours des prochaines années.
Je reviendrai ensuite sur le sujet central de notre réunion, les comptes de la sécurité sociale et leur évolution.
Enfin, j'indiquerai les grands axes de ma politique dans le domaine de la santé, de l'assurance maladie et de la famille ainsi que les orientations du gouvernement dans le domaine de la retraite.
I Concernant le travail de la commission, tout d'abord,
Ces dernières années, la présentation des comptes de la sécurité sociale a été marquée par une réelle opacité. La création de fonds et l'organisation de transferts de financement complexes entre organismes en est une première illustration. L'affichage d'objectifs de dépenses et de prévisions irréalistes en est une autre. Messieurs Bonnet et Nasse l'ont largement souligné, et à juste titre, dans leur rapport d'audit sur les finances publiques. Je salue au demeurant la contribution qu'a apportée aux travaux des deux auditeurs M. Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales.
Je souhaite faire évoluer cette situation. Mon premier engagement est de vous diffuser une information claire et complète. Ce premier rapport est une tentative qui mérite sûrement d'être encore améliorée. Par ailleurs, nous allons, au cours de cette nouvelle législature, entreprendre de simplifier le financement de la sécurité sociale pour redonner un sens à l'affection des différentes recettes aux organismes correspondants.
Ce souci de transparence est un élément essentiel au dialogue que le gouvernement souhaite mener. J'ai voulu que ce rapport vous soit transmis avant la réunion de notre commission, et non au début, comme cela a été le cas ces dernières années. Cela enrichira, je l'espère, notre dialogue de ce matin.
Je désire d'ailleurs que ce dialogue puisse se poursuivre au cours de ces prochains mois et des années suivantes que ce soit dans le cadre des réunions de notre commission ou à d'autres occasions. Ce dialogue nourrira l'action du gouvernement en vue des réformes indispensables de notre politique de santé et de sécurité sociale. Il est prévu des groupes de travail. C'est peut être une bonne chose que de les faire vivre. Nous verrons ensemble ce qu'il y a lieu de faire.
Un bon dialogue nécessite une confiance mutuelle. Je suis disposer à vous donner des informations fiables et transparentes. J'espère de votre part un langage de vérité et aussi un esprit de responsabilité. Le respect de l'embargo qui vous est demandé sur le rapport lorsqu'il vous est donné est un premier signe utile de cette confiance réciproque.
II. Concernant le constat et pour entamer ce dialogue, je voudrais vous faire part de mes réflexions sur l'état du régime général tel qu'il vous a été présenté et également sur les décisions que j'ai été conduit à prendre dans les toutes premières semaines pour faire face à une situation très dégradée.
Je savais que ce serait difficile mais la situation est plus détériorée encore que je ne l'imaginais avant les élections législatives et présidentielles. C'est vrai en ce qui concerne le monde de la santé ; c'est également vrai en ce qui concerne la situation des comptes sociaux.
A. Je vous disais que la situation des comptes que j'ai trouvée à mon arrivée est préoccupante.
La situation financière du régime général est indéniablement dégradée. Les rapporteurs de l'audit sur les finances publiques l'avaient constaté sans ambages. Les prévisions présentées par le secrétaire général le confirment : le déficit du régime général atteindrait 2,4 milliards d'euros en 2002. C'est le premier déficit constaté du régime général après trois années d'excédents. Nous retrouvons les niveaux de déficit de 1998 et, de façon plus éloignée dans le temps, de 1991 et 1992.
On est surtout bien loin des excédents prévisionnels affichés par le gouvernement précédent lors de la commission des comptes de septembre 2001. Les prévisions étaient alors bien peu réalistes comme l'avait souligné à juste titre le secrétaire général, M. Monier.
Toutefois, nous sommes face à une situation assez contrastée des différentes branches.
Ainsi, la branche maladie est clairement dans le rouge, avec un déficit prévisionnel de 5,6 milliards d'euros en 2002. Ce solde négatif très prononcé fait suite à une série d'excédents au cours des années passées.
Les branches famille, retraite et accidents du travail sont, pour leur part, toujours en excédent. Cela tient, à vrai dire, d'abord aux dynamiques particulières de leurs recettes et de leurs dépenses.
En particulier, la branche vieillesse du régime général est dans une situation paradoxale. Son excédent substantiel prévu pour 2002, pour un montant de 1,7 milliard d'euros, supérieur aux prévisions associées à la loi de financement de la sécurité sociale, s'explique pour des raisons conjoncturelles. Nous assistons aujourd'hui au départ à la retraite des " classes creuses ", nées pendant la seconde guerre mondiale. Le papy-boom, à partir de 2005-2006, mettra très rapidement fin à cette situation démographique, et financière, exceptionnelle.
2. Le déficit du régime général doit évidemment être remis en perspective.
Il nous faut d'abord connaître et expliquer les origines d'un tel déficit :
Il est indéniable que le rythme de croissance des dépenses ne s'est pas infléchi en 2002, au contraire. Les dépenses d'assurance maladie devraient notamment augmenter de 7 % en 2002, comme en 2001. La branche des accidents du travail et des maladies professionnelles connaît également une croissance rapide de ses dépenses, comme le souligne le rapport. Et, au total, l'ensemble des dépenses du régime général croîtra de 5,6 % en 2002 contre 4,7 % en 2001.
Il est tout autant indéniable que l'utilisation des ressources de la sécurité sociale pour financer des politiques dont l'objet est éloigné de la sécurité sociale est également à l'origine du déficit. La principale de ces politiques est la réduction du temps de travail qui ponctionne la sécurité sociale à hauteur de 5 milliards d'euros, dont la moitié environ pèse sur la branche maladie.
La dernière raison est le ralentissement marqué de l'évolution des recettes de la sécurité sociale. La croissance de la masse salariale a atteint un rythme très élevé en 2000 et 2001 : 6,4 % par an en moyenne. En 2002, elle devrait être de 3,9% seulement. Cette différence a un impact considérable sur les comptes. 2,5 % de croissance en moins, ce sont 3,2 milliards d'euros de recettes en moins pour le régime général. Cela explique pour ainsi dire l'essentiel de l'écart entre l'excédent des comptes du régime général en 2001 (+1,1 milliard d'euros) et le déficit prévisionnel de cette année (-2,4 milliards d'euros).
Ensuite, la vérité qui apparaît et doit être soulignée, c'est la facture de l'imprévoyance passée qui nous laisse le soin de payer aujourd'hui la facture :
Le gouvernement précédent n'a, en réalité, remis à l'équilibre financier le régime général que grâce à l'exceptionnelle conjoncture économique internationale. Il a surfé sur une reprise mondiale sans engager les réformes de fond qu'il eut été indispensable de faire.
En outre, la situation financière à moyen terme de notre sécurité sociale s'est trouvée profondément affaiblie par les différentes ponctions effectuées sur ses ressources dans la plus totale opacité en inventant par opportunité pour couvrir des dépenses non financées, je pense à la RTT, un mécanisme de " tuyauteries " compliquées auquel, hormis quelques rares spécialistes, plus personne ne comprend rien. Et c'est en particulier la branche maladie qui a fait les frais de ces opérations de maquillage.
J'ai également à cur de souligner un dernier élément de mise en perspective :
Nous ne sommes pas au bord de je ne sais quelle crise financière à court terme de la sécurité sociale, comme cela a pu être le cas dans le passé.
Ainsi, le déséquilibre de notre régime général en 2002 doit être relativisé au regard des masses financières en jeu au sein de notre sécurité sociale : 2,4 milliards d'euros de déficit sur un total de dépenses de 234 milliards d'euros ; le déficit dépasse donc à peine 1 % des dépenses totales.
B. Mais derrière les comptes, et en particulier dans le domaine de la maladie, il y a une crise matérielle et morale qui nous a conduit à prendre des mesures d'urgence
- Ces mesures d'urgence ont eu pour objet de solder le passé, je devrais dire le passif, et de restaurer la confiance
Dans le domaine de la santé, je dois faire face à des professionnels de la santé en proie à un profond sentiment de malaise. Les revendications sont nombreuses et l'exaspération est forte. Le découragement et la démotivation guettent des personnels traditionnellement habités par l'enthousiasme de soigner et de servir.
Les causes de la situation actuelle sont multiples :
les professionnels sont confrontés à une crise morale ;
leurs revenus ne sont pas toujours en rapport avec leur niveau de compétence et de responsabilité ; et surtout, sans nécessairement gagner plus, ils veulent vivre mieux par une réduction du temps de travail dont ils ne veulent pas être exclus.
un problème de répartition des médecins existe des pénuries dans certaines zones géographiques ou dans certaines spécialités ;
les conditions de travail à l'hôpital se sont dégradées au fil des années ;
Dans tous les cas, la mise en uvre mal préparée de la RTT dans le secteur hospitalier a aggravé sensiblement une situation déjà difficile.
J'ai cherché immédiatement à renouer le dialogue bloqué et à restaurer la confiance avec les professionnels afin de pouvoir enclencher une nouvelle dynamique :
Une première étape a été de remettre autour de la table les partenaires conventionnels. De nombreuses mesures ont été prises. Certaines étaient en " suspens ". Le gouvernement précédent n'avait pas donné suite à de nombreuses discussions conventionnelles conclues pourtant entre les professionnels de santé et les caisses d'assurance maladie. D'autres étaient attendues depuis longtemps et ne pouvaient pas être différées.
Le coût global pour l'assurance maladie des mesures en faveur de la ville est de 800 M :
La moitié de ce coût est due au financement de mesures laissées sur l'ardoise.
L'autre moitié est lié à la restauration indispensable de la confiance. Comme vous le savez, les mesures concernant les généralistes, qui constituent une part significative des mesures nouvelles, seront à moyen terme, c'est-à-dire en 2003, autofinancées grâce aux engagements pris par les professionnels de modifier leurs pratiques et de prescrire des génériques. Ce point est essentiel si nous voulons réussir ensemble : chaque partie au contrat est responsable et doit apporter sa contribution à la sauvegarde de notre système solidaire de sécurité sociale et d'assurance maladie.
Une autre priorité majeure a été, pour moi, d'assurer la continuité et la sécurité des soins à l'hôpital en 2002. J'ai rencontré dès mon arrivée, et après une première visite à Hôpital Expo, les différents acteurs du monde hospitalier. Ils m'ont tous dit, de façon convergente, leurs grandes difficultés et leurs graves préoccupations pour cette année et le poids des contraintes nouvelles liées aux 35 heures. C'est pourquoi le gouvernement a décidé d'autoriser les hôpitaux à ajuster en 2002 de 700 M leurs dépenses :
300 M couvrent la sous-estimation très significative des mesures catégorielles signées par le précédent gouvernement et permettent d'éviter que les hôpitaux n'accentuent leurs déficits.
400 M financent le compte épargne temps des médecins et de l'ensemble des personnels à l'hôpital. Le financement de cet important dispositif, prévu dans le cadre de la RTT, n'a pas été assuré par le précédent gouvernement. La décision que nous avons prise montre notre détermination à mettre en uvre les engagements pris par l'Etat. Elle est un facteur de paix sociale à l'hôpital.
Toutes ces mesures étaient indispensables compte tenu de la situation. Leur coût n'est certes pas négligeable pour les finances publiques. MM. Bonnet et Nasse, qui ont arrêté leur audit au début du mois de mai 2002, n'avaient pas pu les prendre en compte. Je tiens toutefois à souligner que ce coût - qui est le prix du respect des engagements de l'Etat et de la restauration de la confiance - est toutefois faible par rapport aux dépenses totales de la branche maladie du régime général.
III. Je voudrais maintenant vous livrer les grandes orientations de notre politique
L'ampleur des enjeux et les attentes de nos concitoyens nous obligent. Nous devons définir et mettre en uvre une vraie politique nouvelle de sécurité sociale en phase avec notre environnement.
Pour cette première réunion de la Commission des comptes, je voudrais m'arrêter plus longuement sur notre politique de santé.
A . Notre politique de santé et de sécurité sociale doit d'abord tourner autour de quelques grands principes :
Le dialogue et la confiance : il faut prendre le temps nécessaire de l'écoute et de la concertation. Comme l'a dit le premier ministre, le dialogue social est le préalable au règlement des dossiers majeurs. La retraite est un bon exemple : le Premier ministre a indiqué, dans son discours de politique générale, que le temps des décisions était venu ; un nécessaire dialogue avec les partenaires sociaux, sous la responsabilité de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sera engagé dès l'automne. L'échéance fixée est celle de la fin du premier semestre 2003.
La clarification des compétences de l'Etat et de la Sécurité sociale. Les ressources et les charges doivent être réparties en fonction des compétences de chacun.
B . Dans le domaine de la famille, confié au Ministre délégué Christian Jacob, les engagements du Président de la République en faveur d'une politique plus ambitieuse seront respectés :
La Conférence de la famille sera le moment privilégié du dialogue avec le mouvement familial et les partenaires sociaux. Elle engagera le Gouvernement.
Les dispositifs d'accueil de l'enfant seront profondément réformés. Une allocation unique d'accueil du jeune enfant sera créée. Elle marquera notre volonté de donner une vrai liberté de choix aux mères. Elle entraînera aussi une simplification d'un dispositif actuellement très complexe.
Le dialogue avec les différents partenaires devrait aussi permettre d'élaborer des mesures concrètes concernant d'autres dossiers prioritaires. Le cas des jeunes adultes en est un exemple.
C. Il faut enfin changer de regard sur le monde de la santé et laisser place à une nouvelle logique.
La croissance des dépenses de santé dans le budget des ménages est une tendance lourde dans l'ensemble des pays développés. Cela conduit nécessairement à nous poser deux questions clé :
celle du niveau des dépenses d'assurance maladie dans le budget de la nation, au regard notamment d'autres dépenses publiques ;
celle du caractère médicalement justifié des dépenses couvertes par l'assurance maladie, prenant acte que les ressources publiques ne sont pas infinies.
Il nous faut aujourd'hui inventer et conduire une nouvelle stratégie de santé:
- Cette stratégie repose sur la confiance : on n'obtiendra rien en agissant contre les professions de santé.
- Cette stratégie repose sur la responsabilité partagée : quatre acteurs (l'Etat, l'assurance maladie, les professions de santé et les patients) doivent être sollicités pour accomplir le redressement nécessaire.
- La politique de santé que j'entends mener comporte 4 orientations essentielles :
1. Bâtir une véritable politique de prévention (loi de programmation de santé publique)
2. Instaurer une nouvelle gouvernance du système de santé et d'assurance maladie. Ce qui comporte trois chantiers :
la régionalisation : elle permettra de renforcer la proximité avec les citoyens, et d'avancer dans le décloisonnement entre ville et hôpital,
la gestion de l'assurance maladie : il s'agit de mieux définir les responsabilités de l'Etat et de l'assurance maladie - et les options seront différentes selon que le MEDEF décidera ou non de revenir dans les conseils d'administration des caisses - et de créer des agences régionales de santé ;
une responsabilisation accrue des professionnels de santé et des caisses mais aussi des patients. Tout ce qui est gratuit est gaspillé ; dans cet esprit, il y a une série de pistes à étudier et notamment encourager les couvertures complémentaires grâce à des aides incitatives.
3. Promouvoir l'excellence de notre système de soins
rénover l'hôpital public : c'est le projet "hôpital 2007" qui comporte un programme quinquennal d'investissement dans les infrastructures, les équipements et les systèmes d'information, un volet important de déconcentration et de décentralisation, le nécessaire assouplissement de la gestion, la réforme du financement (tarification à la pathologie), et le développement du partenariat public-privé ;
développer les bonnes pratiques médicales (formation initiale et continue, évaluation et accréditation) et les outils de maîtrise médicalisée ;
mettre en place les outils de régulation de la démographie des professions de santé,
concevoir et appliquer une politique du médicament centrée sur l'amélioration du service médical rendu, qui encourage l'innovation, respecte un secteur industriel important pour notre économie et la santé et qui soit soucieuse du bon emploi des deniers publics, notamment par le développement des génériques.
diversifier les modes d'exercice de la médecine libérale.
4. Améliorer encore la sécurité sanitaire de nos concitoyens enfin. Cela passe par un rapprochement entre agences et également par un renforcement de la dimension européenne de notre dispositif.
Tels sont les principaux constats et également les orientations que je tenais à vous rappeler à l'occasion de cette première réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale.
Je vous appelle maintenant à un échange le plus ouvert et le plus large possible.
Je vous remercie.

(Source http://www.social.gouv.fr, le 15 juillet 2002)