Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la situation dans les Balkans, la levée de l'embargo sur la Serbie, les préalables à l'adhésion de Chypre à l'Union européenne, la défense européenne et l'intervention militaire de la Russie en Tchétchénie, Bruxelles le 15 novembre 1999.

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Circonstance : Réunion du Conseil de l'Union européenne (affaires générales) à Bruxelles le 15 novembre 1999

Texte intégral

Je vous dirai juste un mot du déjeuner auquel je viens de participer. Nous avons tout d'abord parlé de l'accord avec l'Afrique du Sud mais il n'est pas encore réglé.
Nous avons essentiellement traité de la question des Balkans et de la question de la Serbie. A cet égard, je voudrais dire que, dans un souci d'efficacité par rapport à notre objectif, qui est l'établissement en Serbie, et à Belgrade, d'un régime différent avec une politique différente et une vraie démocratie, il y a un nombre croissant de pays au sein de l'Union européenne qui sont convaincus qu'il faut adapter notre politique de sanction. Nous n'avons pas encore conclu sur ce point, mais il y a une vision d'ensemble, une conception générale, une stratégie qui apparaît et qui est de plus en plus nette. Je m'en réjouis dans la mesure où cela va dans le sens d'une proposition que j'ai faite à mes collègues européens il y a quelques jours.
Nous sommes convenus, d'autre part, de confier à M. Solana, dans le cadre de ses fonctions de Haut représentant pour la PESC, une mission d'évaluation et de contacts avec l'ensemble des représentants de l'opposition serbe démocratique.
Nous avons également parlé du Kosovo, du Monténégro, de la Croatie et du Danube. Sur ce dernier point nous allons renforcer notre action pour que le rétablissement de la liberté de navigation puisse être effectivement assuré.
Q - Quelles ont été les décisions prises ?
R - Ce n'était pas un déjeuner technique ou décisionnel. C'était un véritable échange sur ce que doit être notre politique, notre stratégie. Comment traiter cette question de la Serbie après la guerre du Kosovo.
Q - Quels sont les Etats membres qui manquent encore pour l'adaptation de la politique de sanction et est-ce que les Britanniques sont maintenant de notre côté ?
R - Les Britanniques continuent à être réticents, les Néerlandais aussi mais les pays vraiment réticents, par rapport à cette réorientation que j'ai proposée, sont de moins en moins nombreux. L'argument est connu. Il n'est pas négligeable. Il mérite d'être examiné de près. L'argument qui est mis en avant est de dire : "attention de ne rien faire qui puisse être utilisé par Milosevic et dont il pourrait tirer profit". A mon avis c'est l'inverse qui est vrai. C'est l'immobilisme actuel dans cette politique de sanction et son caractère global qui sont utilisés par le régime. C'est d'ailleurs ce que nous disent tous les opposants qui demandent une adaptation du régime des sanctions. Nous n'avons pas encore un consensus complet sur ce plan mais je vois que, de réunion en réunion, l'idée que nous devons reprendre l'initiative pour avoir une stratégie plus mobile, et peut-être plus subtile, gagne du terrain.
Q - Quand peut-on espérer une décision ?
R - Il faut que nous soyons d'accord. Nous ne menons bien des politiques que quand nous sommes convaincus de leur bien fondé. Nous allons donc continuer à travailler. Aujourd'hui, je trouve que les esprits ont sensiblement évolué par rapport à la dernière discussion. Il y a de moins en moins de pays qui pensent qu'en en restant à la situation actuelle avec les sanctions que vous connaissez, cela va faire tomber Milosevic, comme on fit tomber les murailles de Jericho.
Q - Concernant l'Afrique du Sud, quelles solutions proposez-vous pour sortir du blocage actuel ?
R - Que la négociation se poursuive et que les sud-africains nous donnent les garanties que nous demandons pour éviter des phénomènes de concurrence abusive qui instaureraient la confusion dans le régime des marques, des noms et des appellations d'origine.
Q - Concernant Chypre : est-ce que vous avez une opinion sur la reprise des négociations le 3 décembre ? Est ce que la France continue à demander que le règlement politique précède ces négociations d'adhésions ?
R - Sur le premier point on a réagi très positivement bien sûr. On ne peut que se réjouir de cette reprise de la négociation. Tout le monde sait qu'il est souhaitable d'arriver à un règlement de cette question, même indépendamment de la question de la candidature par rapport à l'Union européenne. Il est souhaitable pour Chypre et pour l'ensemble des Chypriotes que cette question soit un jour surmontée et résolue.
Q. Est que vous allez dans le même sens que M. Clinton qui effectue une tournée dans la région ?
R - Nous faisons tous pression depuis des années. Ce n'est pas lié au fait d'être en visite ou pas. Cela fait des années que les Occidentaux et d'autres pays concernés essaient de trouver une solution, de surmonter cette situation, d'encourager les Chypriotes grecques et les Chypriotes turcs et la Grèce et la Turquie et tous ceux qui peuvent avoir une influence, à trouver la solution. C'est très compliqué, vous le savez, cela ne date pas d'hier. Le seul élément nouveau par rapport à cette question c'est cette reprise des discussions le 3 décembre. Après on verra jusqu'où cela peut nous conduire.
Q - Est-ce que vous pouvez nous préciser les pays qui sont vraiment opposés à la levée des sanctions à l'encontre de la Serbie et deuxièmement, la proposition britannique de la création d'un corps européen , qu'en pensez-vous ?
R - Sur le premier point je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il y ait des pays qui soient complètement opposés à la levée des sanctions. C'est une question de conditions. Vous voyez par exemple que les Etats-Unis récemment ont évolué sur ce point puisqu'ils ont envisagé la levée des sanctions frappant la population après les élections qui auraient été gagnées par l'opposition. Personne n'est complètement opposé. Même pas les Etats-Unis et même pas le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Simplement c'est une question de moment et de condition. La plupart des autres pays pensent que les choses peuvent s'échelonner dans le temps en commençant très vite sans attendre ces élections mais, au contraire, en les préparant et en aidant l'opposition démocratique à les préparer dans de meilleures conditions. Il y a donc essentiellement les deux pays dont on a parlé et peut-être quelques autres. Mais on ne vote pas, il n'y a pas de pointage. On discute pour être véritablement convaincus.
Quant à la deuxième question on va parler de ce sujet d'ensemble cet après-midi. Cette réunion, conjointe des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, est très importante. Cela montre que nous sommes en train d'avancer. Vous vous rappelez que nous étions très contents du texte que nous avons pu adopter à Cologne à l'issu de ce Conseil européen et que nous voulons avancer pour donner corps à ce pilier européen de l'Alliance et surtout pour développer cette capacité européenne à avoir une vraie politique de sécurité et de défense aussi bien sur le plan institutionnel et le mécanisme de décision, (le fait de confier à Javier Solana des fonctions sur l'UEO qui complètent ses fonctions PESC est aussi un vrai progrès), que sur le plan des capacités. L'intervention des ministres de la Défense doit être centrée d'abord et avant tout sur le renforcement des capacités. Cela ne servira à rien de bâtir des systèmes institutionnels permettant enfin de prendre en Europe des décisions dans ce domaine si, finalement, il n'y a pas de capacités à mettre en oeuvre.
Nous avançons. Je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler d'ici Helsinki. Nous espérons qu'à Helsinki on puisse progresser, mais il ne faut pas qu'il y ait une sorte de fuite en avant dans le perfectionnement institutionnel qui nous amènerait à oublier la réalité des choses. Si nous voulons avoir une capacité de défense cela veut dire que nous devons avoir des moyens importants à un niveau suffisant. A cet égard, la France est un pays en Europe qui fait un effort soutenu. Il faut que ces moyens puissent être disponibles, inter-opérables, rapidement utilisables, projetables. Il faut avancer sur les deux fronts. Nous sommes engagés avec les Britanniques dans une discussion et une coopération croissante depuis St-Malo. Il y a certains aspects de nos propositions qu'ils acceptent, qu'ils soutiennent avec enthousiasme, d'autres pas, parce qu'ils ont une vision différente. Je ne peux pas vous en dire plus à ce stade. Nous sommes en train de discuter. Tout cela va évoluer, jour après jour, jusqu'à Helsinki. C'est à Helsinki qu'il faudra faire un bilan.
Q - Sur la Russie, pouvait-on attendre une position plus tranchée de l'Union européenne ?
R - La déclaration adoptée est une synthèse des positions défendues par les Quinze. Je crois que, quelles que soient les nuances entre les uns et les autres, le message est clair. Le sens général c'est que les européens, même s'ils reconnaissent l'intégrité territoriale et la légitimité de la lutte contre le terrorisme n'acceptent pas pour autant cette escalade aveugle, militaire, avec des conséquences massives contre les populations civiles et ne croient pas à une solution purement militaire. Nous croyons à l'obligation et à la nécessité d'une solution politique, ce qui suppose de reprendre un dialogue, d'accepter les Tchétchènes comme interlocuteurs. C'est le coeur du désaccord que nous avons avec les Russes. Nous pouvons espérer que les dirigeants russes verront encore mieux, comprendrons encore mieux quand ils seront à Istanbul qu'ils ne peuvent pas, pendant longtemps, faire comme s'il n'y avait pas cette action unanime de la communauté internationale. Oublions les nuances des expressions de l'Europe ou des Etats-Unis, de tel ou tel pays au sein de l'Europe. Examinons l'essentiel du message, clair et net, adressé aux Russes et nous espérons qu'ils l'entendront, qu'ils en tireront les conséquences et qu'ils reviendront à la recherche d'une solution politique. Il n'y a pas en Tchétchénie qu'un problème de terrorisme, mais subsiste un problème politique tchétchène qui appelle un traitement politique. La Russie s'était engagée dans cette voie il y a quelques années. Malheureusement, cette voie n'a pas vraiment été explorée, ni par les Russes, ni par les Tchétchènes. Nous pensons qu'il faut la reprendre. Le texte d'aujourd'hui est parfaitement cohérent avec le message que nous avons voulu adresser aux Russes avant Istanbul.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 1999)