Texte intégral
J.-M. Four Comment sauver le soldat Sécurité sociale ? La question est récurrente depuis de longues années, mais aucune réponse satisfaisante n'y a jamais été vraiment apportée et la situation reste dramatique. Les derniers chiffres le prouvent : 2,4 milliards d'euros de déficit prévisionnel pour cette année ; ce sont les chiffres publiés hier. Ce n'est pas seulement une histoire de gros sous, c'est aussi indirectement notre système de santé qui est menacé. Et dans le gouvernement Raffarin - c'est une première -, le dossier des comptes de la santé publique est autant du ressort du ministre de la Santé que du ministre de l'Economie ou des Affaires sociales. 2,4 milliards d'euros de déficit, c'est tout de même colossal. Sommes-nous au bord d'une crise financière susceptible de remettre en cause tout l'édifice Sécurité sociale ?
- "Non, sûrement pas. Nous avons connu par le passé des crises encore plus graves et nous nous en sommes remis. Cela ne veut pas dire que la situation n'est pas préoccupante. Mais il faut analyser les choses. On nous présente un déficit de 2,4 milliards. Mais est-ce qu'on veut bien prendre en compte qu'on a prélevé sur les comptes de la Sécurité sociale 2,8 milliards pour financer les 35 heures, alors que le budget de la Sécurité sociale n'est pas destiné à cela."
C'est le système du foret...
- "Oui. En gros, c'est pour financer les 35 heures. On fait subir à la Sécurité sociale des dépenses qui ne sont pas de son ressort. C'est un premier point que je veux souligner. Un deuxième point que je veux souligner, c'est que lorsque je suis arrivé à ce poste de responsabilité, j'ai trouvé un certain nombre de situations qui étaient particulièrement difficiles. Dans les hôpitaux, la réduction du temps de travail avait été mise en place à partir du 1er janvier 2002, sur le plan théorique. On a promis des postes, c'est vrai, dont le recrutement s'échelonne sur trois ans. Et en attendant, il faut financer ce que l'on appelle le "crédit épargne-temps". Ceux qui sont obligés de travailler plus que 35 heures puisent dans ce mécanisme de crédit épargne-temps. Et il n'était pas financé, tout simplement pas. Il a bien fallu le financer. J'ai donc dû débloquer 400 millions d'euros pour cela. On avait aussi précédemment signé des protocoles dans les filières professionnelles : infirmières, résidents, internes... Ce n'était pas financé. Il a fallu ajouter 300 millions, ne serait-ce que pour payer la facture de nos prédécesseurs. C'est le passé, on ne va plus en parler longtemps. Ce qui intéresse, c'est l'avenir maintenant..."
C'est aussi de bonne guerre d'accuser un peu le Gouvernement précédent...
- "Oui, mais le temps des élections est fini. Maintenant, c'est comme cela. Je ne peux pas ne pas le dire, parce que c'est vrai que c'est difficile."
Si on prend un peu de recul sur les vingt dernières années, aucun Gouvernement n'est parvenu à trouver les bonnes solutions, et sans doute la bonne démarche par rapport à cette dérive des comptes de la Sécurité sociale ?
- "Vous avez tout à fait raison. Cela me conduit justement à essayer de faire le pont entre le passé et maintenant. On a essayé toutes les recettes en vingt ans et tous les Gouvernements s'y sont frottés. On a tenté d'abord de maîtriser l'offre de soins : c'est le fameux numerus clausus des médecins. On disait que moins il y aurait de médecins, moins il y aurait de consultations, moins il y aurait de prescriptions et moins on dépenserait. C'est un échec total, aggravé du fait que désormais, nous avons une pénurie de médecins. Il y a des secteurs de campagne ou de banlieue qui manque de médecins et nous manquons de certains spécialistes. On a essayé après cela de maîtriser la dépense : c'est ce qu'on a appelé la maîtrise comptable, avec des sanctions vis-à-vis des médecins qui dépensaient trop..."
Là, vous visez aussi A. Juppé, quand même ?
- "Je faisais partie de la majorité qui soutenait A. Juppé. Je considère que son plan est très utile et que dans bien des domaines, on l'appliquera - c'est trop long d'expliquer. Mais il y avait une mesure qui a caché tout le reste malheureusement : c'étaient les sanctions collectives vis-à-vis des médecins. Les médecins refusent que leur métier soit soumis à des règles comptables car, c'est vrai, la santé n'a pas de prix sur le plan moral. Il n'en demeure pas moins que cela a un coût et qu'aujourd'hui, il faut qu'on s'interroge sur la façon de faire. Comme on a tout essayé, sauf une chose, qui pourtant me paraissait élémentaire, je vais le tenter : on ne peut réussir une réforme que si ceux qui sont chargés de la mettre en oeuvre y adhèrent..."
Les médecins ?
- "Les médecins. J'ai donc choisi d'aller vers eux et d'aller vers les caisses et de dire : écoutez, ensemble, on va se faire confiance, on va reprendre le dialogue, il va y avoir un contrat. Nous sommes tous solidaires. En ajoutant les usagers, c'est-à-dire les patients qui quelquefois consomment un peu inconsidérément en ayant le sentiment que c'est gratuit. Tous ces gens-là et l'Etat, les quatre partenaires - Etat, gestionnaires, professionnels, usagers -, nous devons souscrire un contrat de confiance et une responsabilité partagée."
C'est un pari qui n'est pas gagné d'avance, parce que les médecins, jusqu'à présent n'ont pas fait preuve de beaucoup de bonne volonté sur la prescription des médicaments génériques en France ?
- "Oui, mais parce qu'on ne les a peut-être pas suffisamment associés. Ils ont eu le sentiment d'être des boucs-émissaires. C'est un métier qui n'est pas très simple. Au moment où on parle de réduction de temps de travail, ils continuent à faire 55 heures par semaine et on les montre du doigt pour ce qu'ils peuvent gagner... Ce n'est pas acceptable. Aujourd'hui, il faut essayer de repartir d'un bon pied. C'est pour cela que je suis dans une période où j'apparais - et monsieur Mer me l'a dit - un ministre dépensier. Mais je suis pour ma part en situation d'entamer une réforme de notre système de santé. Et j'ai donc besoin d'avoir des bases saines. Il faut combler ces déficits, il faut mettre à plat toutes les charges qu'on m'a laissées. Après, il faut le tenter. Je ne dis pas que je vais réussir. Je ne suis pas en train de fanfaronner. Je dis simplement qu'il faut tenter cela. Hier, à la Commission des comptes de la Sécurité sociale, les médecins m'ont dit - j'espère qu'ils s'en souviendront - "vous pouvez compter sur nous"."
Comment va-t-on financer tout cela ? Parce que le Gouvernement donne une priorité sur les baisses d'impôts, sur la sécurité bien sûr, la santé aussi maintenant, avec l'hôpital, avec la sécurité sociale...
- "C'est très intéressant ce que vous êtes en train de souligner, parce que cela me permet d'expliquer qu'il y a deux budgets : il y a le budget de l'Etat et c'est sur ce budget qu'on prend la justice, qu'on prend la sécurité, qu'on prend la défense. Puis, il y a le budget de la sécurité sociale, c'est un autre budget. Je vous rappelle qu'à l'Assemblée, il y a la loi de finance - c'est l'Etat - et il y a la loi de financement de la Sécurité sociale ; et les dépenses de santé, ce sont celles-là."
Vous parliez aussi des 400 à 700 millions d'euros pour l'hôpital par exemple. Il faut bien les trouver tout de même...
- "Oui, mais parce que là, l'Etat vient au secours de la Sécurité sociale, mais je dirais presque d'une façon normale, dans la mesure où on a prélevé des sommes qui n'auraient pas dû être prélevées sur le budget de la Sécu. En fait, c'est extrêmement compliqué. Hier, je présidais la Commission des comptes de la Sécurité sociale, il y avait tout un beau monde représentant la totalité de la société, avec les syndicats, avec les professionnels, avec les parlementaires. Personne ne comprend plus rien à un système de tuyauterie de plus en plus complexe et chaque fois qu'on a voulu financer une dépense pour laquelle on n'avait pas d'argent, on mettait un tuyau nouveau pour aller chercher là où à ce moment-là il y avait un peu d'argent."
Vous pouvez dire formellement à tous les auditeurs qu'il n'y aura pas de hausse des cotisations sociales ?
- "Il n'y aura pas de hausse de cotisations sociales..."
Le Gouvernement partage votre point de vue, les autres ministres aussi sont sur la même ligne ?
- "Le Gouvernement partage ce point de vue. Je trouverais un peu désagréable et en tout cas probablement pas très efficace, de demander aux usagers leur participation en prenant leurs responsabilités et en même temps en augmentant les cotisations. Oui, je prendrais à témoins les partenaires à la rentrée. Je leur dirais : voilà, il n'y a pas eu d'augmentation des cotisations sociales. L'Etat a contribué à assumer les décisions précédentes. Et maintenant, nous prenons nos responsabilités. Et si dans un an, à nouveau il y a des déficits importants, je crois que je serais à même de me retourner vers les partenaires et de dire qu'on n'a pas tenu le contrat. Nous allons bien voir. Ce que je souhaite, c'est, cette fois-ci, associer les gens, les responsabiliser et tout cela avec un dialogue permanent."
Avez-vous compris quelque chose, vous qui êtes membre du Gouvernement, à cette histoire d'impôt sur 2003 ? Parce qu'on a tout de même la sensation qu'il y a eu des petits "couacs" entre A. Lambert et F. Mer. Cela veut dire qu'il n'y aura pas de nouvelle baisse en 2003, c'est cela qu'il faut bien comprendre ?
- "Je n'en sais rien, parce que je n'ai pas suivi l'affaire de très près. Ce que je sais simplement, c'est que pour les voir au Conseil des ministres, dans nos réunions de ministres, je n'ai pas du tout le sentiment qu'il y ait un différend, bien au contraire. Ils me semblent en parfaite harmonie. Et d'ailleurs, dans ce Gouvernement, je note qu'il règne une excellente ambiance."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juillet 2002)