Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, à La Chaîne info le 15 novembre 2002, sur la crise du tourisme aux Antilles marquée par le désengagement du groupe Accor, sur la préparation d'une loi-programme pour les DOM sur 15 ans et les remèdes proposés pour une relance de l'activité économique.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A Hausser.-L'annonce par le groupe Accor de son intention de se retirer complètement des Antilles a jeté une lumière crue sur la situation économique et sociale des départements de Martinique et de Guadeloupe. Hier soir, il y a eu des incidents, à la suite d'une manifestation : cinq membres des forces de l'ordre ont été blessés, deux manifestants interpellés, on a mis le feu dans une raffinerie, un camion contenant du carburant... Ca va monter, comme ça, la situation sociale aux Antilles ? Qu'allez-vous faire ?
- "Permettez-moi de dire tout d'abord qu'il y a eu une agitation médiatique autour du départ du groupe Accord qui m'a un peu étonnée et qui est un peu disproportionnée."
Ils ont fait "un coup" ?
- "Je ne sais pas. En tout cas, nous connaissons depuis pas mal de temps leur intention, et la crise du tourisme aux Antilles, ça fait déjà deux ans que nous penchons sur ce secteur qui connaît une situation un peu difficile, et nous travaillons depuis plusieurs mois à un plan de redressement pour améliorer cette situation. Quant à la situation économique et sociale aux Antilles, c'est vrai qu'elle n'est pas très bonne ; que nous avons à redresser une situation où on a, toutes ces dernières années, un petit peu plongé davantage l'Outre-mer dans l'assistanat. Il faut donc recréer une logique d'activité et je vais m'y employer dans le cadre de la loi-programme sur 15 ans que je suis en train de préparer. Quant aux incidents que vous venez de décrire, je tiens à dire que je souhaite les condamner avec la plus grande fermeté. Il y a des dérapages de violence qui sont inadmissibles. On a effectivement tenté de mettre le feu à un dépôt de carburant, avec des risques importants pour la population. Donc, ce n'est pas admissible, et je tiens à rendre hommage aux forces de l'ordre qui sont intervenues pour rétablir le calme et la sécurité dans ce dépôt."
Vous parlez d'une loi-programme sur 15 ans, mais il y a urgence, semble-t-il ?
- "Il y a urgence, il y a des mesures d'urgence mais il y a aussi à recréer tout un climat de confiance. Les Antilles et l'Outre-mer en général ont d'énormes atouts et aussi des handicaps structurels qu'il faut corriger. Nous avons un coût du capital, Outre-mer, qui est important et qui est beaucoup plus élevé qu'en métropole. Nous avons donc la nécessité, pour nos entreprises, de les aider à affronter un climat concurrentiel féroce pour recréer du développement économique."
Ca passe par de la défiscalisation, par l'abaissement des charges ?
- "Ca passe tout d'abord par une relance de l'investissement, par la défiscalisation effectivement. Je tiens à relever que, dans le secteur du tourisme, actuellement, nous avons un problème de remise à niveau de nos infrastructures, de rénovation de..."
Sacrée chute la fréquentation touristique !
- "Exactement."
En-dehors des hôtels qui ont fermé parce que ça ne suivait pas, il y a une baisse entre 10 et 40 % selon les tours operators.
- "Il y a effectivement une baisse de 20 %, selon le Tourisme, aux Antilles. Et nous devons recréer de l'activité dans ce secteur en utilisant effectivement le levier fiscal. Actuellement, tout ce qui est rénovation hôtelière, remise à niveau des infrastructures touristiques n'est pas éligible à la défiscalisation. Je vais donc corriger ce dispositif pour relancer l'investissement dans ce secteur et nous rendre plus compétitifs. Mais il faut aussi abaisser le coût du travail. Et je souhaite que plus les entreprises créeront de l'emploi dans le secteur du tourisme et plus elles bénéficieront d'exonérations de charges sociales. C'est un système nouveau incitatif à la création d'emplois dans ce secteur. Et nous devons, encore une fois, aider nos entreprises à affronter un climat concurrentiel féroce, parce que nos départements d'Outre-mer sont entourés d'Etats en développement aux coûts salariaux beaucoup plus faibles. Je m'étonne que l'on puisse dire parfois qu'Outre-mer, le coût du Smic ou du RMI, devrait être inférieur à celui de métropole. C'est, bien sûr, inadmissible. Les Français d'Outre-mer sont des Français à part entière. Ils ont droit à l'égalité sociale comme partout en France. En revanche, il faut aider nos partenaires économiques et sociaux à développer l'activité économique. Et pour ça, l'Etat doit accompagner et doit compenser. Il ne s'agit pas de faire des cadeaux aux entreprises, il s'agit de les mettre en situation pour affronter une concurrence qui, encore une fois, est très féroce."
Quand vous dites "aider les entreprises, créer des partenariats", vous souhaitez que le groupe Accor - puisque c'est lui qui fait le plus parler de lui - revienne sur sa décision ?
- "C'est au groupe Accor de décider ce qu'il souhaite faire. Il a annoncé une intention de désengagement. Encore une fois, l'Etat jouera son rôle pour accompagner ce secteur, parce que c'est un secteur-clé du développement économique des Antilles. Nous allons aussi aider à la formation des jeunes d'Outre-mer. Ce n'est pas acceptable qu'aujourd'hui un jeune antillais n'ait pas la possibilité de faire un BTS de tourisme sur place. Vous savez que j'ai mis en place une mesure qui s'appelle "le passeport mobilité" et qui permet de prendre en charge, à 100 %, le coût du transport de tous les étudiants et de tous les jeunes qui souhaitent venir étudier ou se former en métropole. Et les métiers du tourisme sont des secteurs d'avenir. Il faut que la jeunesse d'Outre-mer s'y intéresse. Je vais essayer de faire en sorte que nous puissions développer des formations sur place. Mais il est intéressant aussi pour tous ces jeunes de venir en métropole pour se former à ces métiers d'avenir. C'est vrai que des efforts insuffisants ont été faits jusqu'à maintenant."
Pour inverser une tendance, qu'allez-vous donner comme signal fort ?
- "Outre ce que je vais mettre comme mesure dans cette loi-programme..."
Qui sera examinée quand ?
- "... qui, je l'espère, sera examiné au début de l'année prochaine par le Parlement, mon objectif c'est que, l'été prochain elle soit votée et que tout ce dispositif soit en vigueur au plus tard au mois de juillet. Nous allons avoir un système permettant de redynamiser la création d'emplois dans les entreprises, parce que, encore une fois, nos concitoyens d'Outre-mer ont le désir de retrouver une dignité par le travail. L'égalité économique doit suivre l'égalité sociale. Et nous devons recréer des emplois dans le secteur productif, et arrêter cette politique de subvention consistant à créer de faux emplois publics, et à plonger un peu plus l'Outre-mer dans un assistanat qui est humiliant. Donc, nous devons recréer des emplois dans le secteur productif et relancer l'investissement pour également créer de l'emploi."
On met en cause les indépendantistes dans les événements qui se produisent ces temps-ci. Le mouvement indépendantiste, qui n'existait pratiquement plus, est en train de renaître ?
- "Il n'a jamais été très important, mais c'est vrai qu'il a un pouvoir de nuisance et nous avons un problème très grave aux Antilles, celui du dialogue social. Avec une situation, je tiens à le souligner, qui s'est notablement améliorée en Martinique. Nous avons créé une structure de concertation pour permettre au patronat et aux syndicats de se parler, et cette structure fonctionne bien. Mon intention est de créer la même structure en Guadeloupe, car sans dialogue social, nous ne pouvons pas avoir un climat social apaisé, et c'est indispensable si on veut créer, encore une fois, un climat de confiance porteur pour le développement."
Vous souhaitez la visite d'une mission parlementaire ?
- "Je crois que c'est utile qu'effectivement le Parlement s'intéresse à ce sujet et nous aide. Il faut qu'il y ait une mobilisation générale de tous les partenaires. Je crois que la prise de conscience est réelle. Il y a une volonté ferme de sortir ce secteur du tourisme des difficultés qu'il traverse actuellement, et l'économie en général de l'Outre-mer. Il faut une mobilisation de tout le monde. Je suis tout à fait favorable à ce qu'une mission parlementaire se rende sur place pour nous aider à faire un bon diagnostic de la situation."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 novembre 2002)