Texte intégral
Madame la ministre de la Défense,
Ma chère Michèle,
Monsieur le secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants,
Monsieur le sénateur-maire,
Messieurs et Mesdames les élus,
Chers amis,
Dans le métier de Premier ministre, il y a des moments forts et il y a des moments difficiles. L'un des moments les plus difficiles que j'aie eu à éprouver, c'est d'être le 8 mai, deux jours après avoir été nommé, face à l'Arc de triomphe, à côté de M. Alliot-Marie et derrière le président de la République, face à ces noms, tous ceux qui sont morts pour notre liberté. Et tout à l'heure, dans la clairière de Rethondes, j'ai ressenti ce poids des responsabilités. Au fond, nous assumons des responsabilités au nom d'une Histoire, nous sommes les maillons d'une chaîne qui est plus grande que nous et nous partageons une très forte émotion quand on mesure ce que cette grande guerre a eu comme horreurs, comme destruction de femmes, d'hommes, de familles. Nous sommes les enfants de ces malheurs et c'est à nous de faire que ces malheurs, ces horreurs soient au cur même de notre honneur et de notre avenir. Ces émotions-là, il faut être capable de les partager et c'est une grande joie pour moi de vous voir si nombreux aujourd'hui partager cette Histoire, partager cette mémoire, partager ce qui a fait que la France, aujourd'hui, est un pays qui vaut la peine qu'on lui donne toute son énergie. Alors, ce qui est pour nous tous une énorme émotion, c'est aussi au plus profond de nous-mêmes, un extraordinaire moteur qui nous donne envie de nous battre pour des choses qui sont grandes. Ces choses nous mobilisent et sont au service de ces petites têtes blondes que nous sommes chargés d'accompagner dans leur futur afin que la société soit adaptée à leurs projets et à leur bonheur. Merci de cette joie-là, d'être ensemble un 11-novembre pour penser un peu à cette France à laquelle les uns et les autres nous sommes si attachés.
Je voudrais vous dire que l'action que je mène à la tête du Gouvernement, sous l'autorité, l'impulsion, la proximité du président de la République, elle est articulée autour de deux idées clés : l'autorité et l'humanité. Aujourd'hui, nous voyons bien que la société a besoin que l'autorité républicaine soit réaffirmée. C'est pour cela qu'en six mois, nous avons établi trois lois d'orientation et de programmation sur les trois piliers fondamentaux de l'autorité que sont la sécurité, la justice et la défense. Ces trois orientations-là structurent même la dynamique d'autorité dont la France a besoin. Croyez-vous qu'on pourrait aujourd'hui être fier et avoir confiance dans une société où la police, la gendarmerie ne peut pas entrer dans tel ou tel quartier ? Comment pouvons-nous avoir confiance dans un pays dont quatre bateaux sur dix ne pouvaient pas prendre la mer parce qu'ils manquent de pièces détachées, où un hélicoptère sur dix ne peut pas décoller ? Comment pouvons-nous vouloir défendre la France si les questions d'insécurité de notre pays et des Français ne sont pas assurées et si la justice, au plus près des citoyens, n'est pas capable, aussi, d'avoir les moyens de sa réussite et de son efficacité ? Car, à quoi sert la prise du délinquant si la justice ne peut pas ensuite faire en sorte qu'il puisse assumer sa peine ? Ces valeurs-là, essentielles à l'autorité républicaine, nous avons dû les mettre en tête de notre programme, en tête de notre action, en tête de nos priorités. C'est un des éléments majeurs de l'action que nous avons à mener. On enregistre des résultats positifs sur ces questions-là. Mais nous savons que, de toute façon, ce sera une action de longue haleine et que jamais il ne faudra baisser la garde. Car, toujours, il faut rester mobilisé pour la sécurité intérieure comme pour la sécurité extérieure. Aujourd'hui, on voit bien qu'avec le terrorisme, les menaces sont partout dans le monde. Et plus nous nous battons pour défendre les libertés, plus nous nous battons pour défendre la démocratie, plus nous sommes quelquefois les cibles du terrorisme. Nous n'abandonnerons pas nos combats pour la démocratie et la liberté mais nous ferons en sorte de développer les moyens et les vigilances nécessaires pour opposer au terrorisme la résistance qu'il convient de lui opposer.
Les efforts qui ont été engagés, notamment pour la défense de notre pays, sont très importants. Ce sont des efforts budgétaires exceptionnels qui sont engagés pour cinq ans. Nous sommes aujourd'hui ensemble pour bâtir les perspectives d'une défense qui va donner encore davantage de poids et d'autorité à la France. Notre pays a fait entendre sa voix - on le disait - à l'ONU où nous avons pu conduire toute la communauté internationale à rester soudée. Pourquoi rester soudés ? Parce que quand la communauté internationale est soudée, c'est la force qui s'exprime, le droit qui parle ; ce n'est pas la violence et la guerre bilatérales, c'est le droit. Et si un jour, il faut recourir à la force, c'est au nom du droit que nous le ferons ; le droit est le message de la France. Et cela, nous pouvons le faire avec d'autant plus de force que nous sommes capables de faire les efforts financiers pour assurer nous-mêmes notre propre défense. Et cette autorité-là, qu'on entend à New York, qu'on entend quand le président de la République à Johannesburg parle du développement durable, qu'on entend quand il parle de l'amitié franco-allemande à Bruxelles pour débloquer le dossier de l'élargissement. Tous ces messages de la France doivent toujours s'exprimer avec le plus d'autorité possible pour atteindre ce que nous souhaitons comme niveau d'efficacité.
C'est pour cela que l'autorité est au cur même de ce que doit être la France dans le XXIe siècle : une autorité républicaine, qui a ses valeurs et qui engage toute son énergie au service de ces valeurs, comme ceux qui sont morts, donnant leurs vies à notre Histoire au nom de nos valeurs. Cette autorité, évidemment, impose des efforts, et un certain nombre de sacrifices mais elle doit veiller à ce que, toujours, la République sache traiter chacun de ses enfants avec l'humanité nécessaire. Et nous sommes bien conscients que, dans la société française, il y a aujourd'hui beaucoup de Françaises et beaucoup de Français qui souffrent de la difficulté de l'exclusion, et du chômage. Tout autant que les autres, nous sommes mobilisés sur cette nécessité de cohésion sociale de la société française. Tout autant que les autres pays du monde, nous sommes attentifs à notre tissu social, évitant les déchirures et mesurant toutes les difficultés des Françaises et des Français. Et nous ferons toujours en sorte que les moyens nécessaires, financiers, solidaires, humains puissent être dégagés pour venir en aide aux plus fragiles et à ceux qui connaissent le plus de difficultés. Mais cela veut dire aussi qu'il ne faut pas mettre en avant tous les égoïsmes et tous les individualismes. Ne pas faire de la société française une société de l'individualisme égoïste, une société française où on transformerait la politique en lobbying, chacun défendant des intérêts privés ou catégoriels.
Si on veut aujourd'hui que la France tienne son rang dans le XXIe siècle, il faut penser à l'intérêt général. Et l'intérêt général, aujourd'hui, c'est l'autorité pour le pays et l'humanité pour chacun des Français. Il faut comprendre que tout ceci ne pourra pas se faire sans effort, sans exigence, sans une extrême vigilance dans notre société. Afin de pouvoir vivre les étapes qui sont les nôtres pour les grandes échéances qui nous attendent : je pense notamment à l'échéance européenne avec l'élargissement. Il y a, dans cette mobilisation nationale, aujourd'hui, vous le voyez, de la détermination mais aussi une grande attention aux vibrations de la société française.
Nous avons à construire, en fait, une France en trois dimensions, une France à trois étages. L'étage supérieur, c'est l'étage européen, celui autorisant, en 2006, avec l'élargissement, l'Europe à vingt-cinq, une Europe qui va, en s'élargissant, donner de l'importance aux nations.
Nous aurons besoin, dans cette grande Europe, de l'identité nationale comme étant un échelon de la construction européenne. Pour que l'Europe soit grande, il faut aussi qu'elle soit forte et donc qu'elle change ses institutions. C'est l'objet de la Convention qui va définir, dans les mois qui viennent, d'autres institutions européennes, afin d'avoir une Europe moins bureaucratique, plus démocratique et qui puisse fonctionner avec des méthodes de gouvernement efficaces correspondant à l'attente des citoyens européens. Donc, une grande Europe à la fois élargie sur le plan de la géographie mais renforcée sur le plan de l'organisation politique. C'est la première dimension, c'est notre horizon. Et ça, chers amis, c'est pour demain matin : le sommet de Copenhague à la fin de cette année 2002 va prendre les décisions nécessaires à l'élargissement et à la fin du premier semestre 2003, la Convention des institutions sur le futur de l'Europe terminera ses propositions pour la nouvelle Constitution européenne. Donc, nous sommes très proches de cet horizon important qu'est notre espace européen pour multiplier la puissance de la France, pour exister dans le monde. C'est un étage important.
Mais cet étage doit s'appuyer sur l'étage central qu'est l'étage de notre République, qui est l'étage de notre Etat, qui est l'étage de la France, avec son Histoire, avec son identité nationale. Nous avons besoin d'un Etat fort pour garantir les valeurs de la République. Nous sommes très attachés à ces valeurs de la République. Nous sommes, avec le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, nés de cet esprit de mai 2002 : les Français nous ont dit, avec les élections du printemps 2002, que la République ne marche pas comme ils voudraient qu'elle marche. Certains se sont réfugiés dans l'abstention, d'autres dans l'exaspération. Ils ont exprimé leur mécontentement. Mais en même temps, ils ont dit : "La République, nous ne sommes pas satisfaits de son fonctionnement, mais nous sommes attachés à ses valeurs, à cette liberté, à cette égalité, à cette fraternité. Et on ne veut pas que ces valeurs soient écrites sur le sommet de nos édifices mais qu'elles soient partagées dans la vie quotidienne et que la République soit accessible à tous et pas une promesse lointaine et distante mais un vécu partagé." Cette République-là, nous en avons besoin. C'est à l'Etat, à ses fonctionnaires et à ceux qui aujourd'hui défendent la garantie de la République pour tous, que nous devons aujourd'hui notre confiance. Nous avons besoin de cet échelon d'équité, de cet échelon de responsabilité qui fasse que, partout en France, on puisse avoir les mêmes droits, que, partout en France, on puisse se sentir fier et heureux d'être Français. C'est le deuxième échelon : c'est l'échelon de la République.
Mais le troisième échelon, c'est l'échelon des territoires, c'est l'échelon de la proximité, c'est l'échelon de la vie quotidienne, c'est l'échelon de l'initiative, c'est l'échelon des libertés locales. Il faut que cet échelon soit aujourd'hui libéré d'un certain nombre de tutelles, d'un certain nombre de procédures trop lentes et trop lourdes, pour que les responsabilités puissent être assumées. Si, en effet, je défends cette logique de décentralisation, ce n'est pas pour répartir différemment les pouvoirs, c'est pour injecter de la responsabilité dans la société. Quand, sur toute une file de structures, les responsabilités ne sont pas clairement assumées, ne sont pas clairement affichées, que se passe-t-il ? Les ambiguïtés sont nombreuses et finalement, on ne sait pas qui est responsable de quoi. Et, finalement, les systèmes deviennent mécaniques et tournent sur eux-mêmes. Ce que nous voulons, et nous avons commencé à le faire déjà d'ailleurs dans les départements, dans les régions, dans les villes, c'est faire en sorte que les collectivités territoriales puissent assumer des responsabilités et que les citoyens aient accès à la lisibilité de ces responsabilités. C'est ce que nous voulons faire : éviter que les choses partent d'en haut, toujours en descendant de Paris vers le terrain, mais que les choses partent du terrain et que ce qui est bien assumé sur le terrain continue à l'être. Ne monte à l'étage supérieur que ce qui ne peut pas être assumé au niveau local. Au fond, on fait en sorte que la proximité soit la règle. C'est quand la proximité a du mal à s'assumer, parce qu'il faut plus de moyens ou plus d'espace, qu'on fait monter la responsabilité. Mais quand la responsabilité peut être assumée au plus près du terrain, il faut la laisser sur le terrain. Pourquoi cela ? Parce que nous voyons bien, les uns et les autres, que la société moderne est une société qui sera complexe. Pourquoi sera-t-elle complexe ? Parce que nous voulons tous être reconnus dans la société pour ce que nous sommes, c'est-à-dire différents : les grands, les petits, les hommes, les femmes, les gros, les maigres, les uns, les autres. Je suis dans l'Oise, mais je suis dans l'Oise à Compiègne, à Senlis. Moi, je suis à Compiègne ; oui, mais canton Nord ; oui, mais moi je suis canton Sud. Moi, dans le canton Nord, je suis ça et dans cette rue, je suis de ce côté et pas de l'autre.
Chacun veut son identité. C'est normal. Nous sommes des humanistes, nous croyons à la personne humaine, ce n'est pas pour être un numéro, ce n'est pas pour être des machines, ce n'est pas pour être des systèmes, c'est pour être des différences. Par définition, une société où on veut reconnaître les différences, c'est difficile à gérer. Parce qu'il n'y a que les dictatures qui sont très simples - je ne veux voir qu'une tête, la file indienne ; alors là, ça marche. Mais ce n'est pas ce que nous souhaitons. Et comment faire, aujourd'hui, pour que la diversité ne soit pas trop mutilée ? La façon de faire, c'est de traiter la diversité par la proximité, sur le terrain, avec des responsabilités pour que, le bon sens soit la règle de travail avec lequel on puisse traiter les problèmes. Et la seule façon de traiter la complexité, c'est d'injecter de la proximité : que ce soit sur le terrain qu'on décide pour que tel et tel quartier puissent avoir de bonnes cohérences entre eux et que les associations puissent se parler et puissent se voir : l'union fait la force. Et c'est dans ce contexte-là qu'il faut pouvoir bâtir cette démarche de proximité. C'est, je crois, aujourd'hui, tout l'intérêt qui est celui d'une République qui veut se moderniser en faisant en sorte que les citoyens soient reconnus en tant que tels, qu'ils aient voix au chapitre et que l'organisation sociale soit une organisation de proximité. Que l'on puisse organiser, entre les échelons des différentes collectivités, une action qui soit une action dite de subsidiarité, c'est-à-dire de proximité, c'est-à-dire que quand on peut bien exercer au niveau d'une collectivité une compétence, on l'exerce à ce niveau-là. Ce n'est pas la peine de construire des machines, des systèmes trop lourds, trop bureaucratiques, avec des procédures. Les commerçants, les artisans, les maires savent de quoi je parle aujourd'hui, eux qui passent plus de temps, souvent, à être au contact des formulaires qu'avec leurs clients ou leurs fournisseurs. Voilà pour quoi je me bats : cette France en trois dimensions. Ce n'est qu'une France, ce n'est qu'un seul message dans l'Histoire et ce n'est qu'un seul projet d'avenir. Simplement, si nous nous battons pour Compiègne, pour que l'Oise, la Picardie puissent avoir leur identité, leur liberté, ce n'est pas pour diviser la France, c'est pour la renforcer, c'est pour faire en sorte que l'oxygène vienne du terrain et que la France trouve dans ses territoires la force, justement, de vivre son destin du XXIe siècle. C'est cela, notre dynamique, aujourd'hui, la perspective qui est la nôtre de la France du XXIe siècle, ce n'est pas une structure dans une procédure européenne ou dans une organisation politique qui serait trop bureaucratique. C'est d'être capable d'avoir dans le cur des Français, cette volonté de mobilisation, mobilisation de l'énergie humaine qui est la seule véritable énergie sur laquelle puisse compter un pays comme le nôtre et que cette énergie ait envie de se libérer plutôt que d'être systématiquement étouffée. C'est cela le combat pour la France, c'est la mobilisation des énergies de la France pour que tous, au nom de l'intérêt général, on sente qu'il y a quelque chose de plus grand que nous-mêmes qui vaut la peine aujourd'hui qu'on s'y donne et qu'au-delà de nos égoïsmes, au-delà de notre intérêt personnel, de notre intérêt catégoriel, il y a une valeur qui est plus grande que toute qui s'appelle la France, qui porte les belles couleurs du bleu de notre Histoire, du blanc de notre espoir et du rouge du sang de la gloire de nos aînés. Merci."
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2002)
Ma chère Michèle,
Monsieur le secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants,
Monsieur le sénateur-maire,
Messieurs et Mesdames les élus,
Chers amis,
Dans le métier de Premier ministre, il y a des moments forts et il y a des moments difficiles. L'un des moments les plus difficiles que j'aie eu à éprouver, c'est d'être le 8 mai, deux jours après avoir été nommé, face à l'Arc de triomphe, à côté de M. Alliot-Marie et derrière le président de la République, face à ces noms, tous ceux qui sont morts pour notre liberté. Et tout à l'heure, dans la clairière de Rethondes, j'ai ressenti ce poids des responsabilités. Au fond, nous assumons des responsabilités au nom d'une Histoire, nous sommes les maillons d'une chaîne qui est plus grande que nous et nous partageons une très forte émotion quand on mesure ce que cette grande guerre a eu comme horreurs, comme destruction de femmes, d'hommes, de familles. Nous sommes les enfants de ces malheurs et c'est à nous de faire que ces malheurs, ces horreurs soient au cur même de notre honneur et de notre avenir. Ces émotions-là, il faut être capable de les partager et c'est une grande joie pour moi de vous voir si nombreux aujourd'hui partager cette Histoire, partager cette mémoire, partager ce qui a fait que la France, aujourd'hui, est un pays qui vaut la peine qu'on lui donne toute son énergie. Alors, ce qui est pour nous tous une énorme émotion, c'est aussi au plus profond de nous-mêmes, un extraordinaire moteur qui nous donne envie de nous battre pour des choses qui sont grandes. Ces choses nous mobilisent et sont au service de ces petites têtes blondes que nous sommes chargés d'accompagner dans leur futur afin que la société soit adaptée à leurs projets et à leur bonheur. Merci de cette joie-là, d'être ensemble un 11-novembre pour penser un peu à cette France à laquelle les uns et les autres nous sommes si attachés.
Je voudrais vous dire que l'action que je mène à la tête du Gouvernement, sous l'autorité, l'impulsion, la proximité du président de la République, elle est articulée autour de deux idées clés : l'autorité et l'humanité. Aujourd'hui, nous voyons bien que la société a besoin que l'autorité républicaine soit réaffirmée. C'est pour cela qu'en six mois, nous avons établi trois lois d'orientation et de programmation sur les trois piliers fondamentaux de l'autorité que sont la sécurité, la justice et la défense. Ces trois orientations-là structurent même la dynamique d'autorité dont la France a besoin. Croyez-vous qu'on pourrait aujourd'hui être fier et avoir confiance dans une société où la police, la gendarmerie ne peut pas entrer dans tel ou tel quartier ? Comment pouvons-nous avoir confiance dans un pays dont quatre bateaux sur dix ne pouvaient pas prendre la mer parce qu'ils manquent de pièces détachées, où un hélicoptère sur dix ne peut pas décoller ? Comment pouvons-nous vouloir défendre la France si les questions d'insécurité de notre pays et des Français ne sont pas assurées et si la justice, au plus près des citoyens, n'est pas capable, aussi, d'avoir les moyens de sa réussite et de son efficacité ? Car, à quoi sert la prise du délinquant si la justice ne peut pas ensuite faire en sorte qu'il puisse assumer sa peine ? Ces valeurs-là, essentielles à l'autorité républicaine, nous avons dû les mettre en tête de notre programme, en tête de notre action, en tête de nos priorités. C'est un des éléments majeurs de l'action que nous avons à mener. On enregistre des résultats positifs sur ces questions-là. Mais nous savons que, de toute façon, ce sera une action de longue haleine et que jamais il ne faudra baisser la garde. Car, toujours, il faut rester mobilisé pour la sécurité intérieure comme pour la sécurité extérieure. Aujourd'hui, on voit bien qu'avec le terrorisme, les menaces sont partout dans le monde. Et plus nous nous battons pour défendre les libertés, plus nous nous battons pour défendre la démocratie, plus nous sommes quelquefois les cibles du terrorisme. Nous n'abandonnerons pas nos combats pour la démocratie et la liberté mais nous ferons en sorte de développer les moyens et les vigilances nécessaires pour opposer au terrorisme la résistance qu'il convient de lui opposer.
Les efforts qui ont été engagés, notamment pour la défense de notre pays, sont très importants. Ce sont des efforts budgétaires exceptionnels qui sont engagés pour cinq ans. Nous sommes aujourd'hui ensemble pour bâtir les perspectives d'une défense qui va donner encore davantage de poids et d'autorité à la France. Notre pays a fait entendre sa voix - on le disait - à l'ONU où nous avons pu conduire toute la communauté internationale à rester soudée. Pourquoi rester soudés ? Parce que quand la communauté internationale est soudée, c'est la force qui s'exprime, le droit qui parle ; ce n'est pas la violence et la guerre bilatérales, c'est le droit. Et si un jour, il faut recourir à la force, c'est au nom du droit que nous le ferons ; le droit est le message de la France. Et cela, nous pouvons le faire avec d'autant plus de force que nous sommes capables de faire les efforts financiers pour assurer nous-mêmes notre propre défense. Et cette autorité-là, qu'on entend à New York, qu'on entend quand le président de la République à Johannesburg parle du développement durable, qu'on entend quand il parle de l'amitié franco-allemande à Bruxelles pour débloquer le dossier de l'élargissement. Tous ces messages de la France doivent toujours s'exprimer avec le plus d'autorité possible pour atteindre ce que nous souhaitons comme niveau d'efficacité.
C'est pour cela que l'autorité est au cur même de ce que doit être la France dans le XXIe siècle : une autorité républicaine, qui a ses valeurs et qui engage toute son énergie au service de ces valeurs, comme ceux qui sont morts, donnant leurs vies à notre Histoire au nom de nos valeurs. Cette autorité, évidemment, impose des efforts, et un certain nombre de sacrifices mais elle doit veiller à ce que, toujours, la République sache traiter chacun de ses enfants avec l'humanité nécessaire. Et nous sommes bien conscients que, dans la société française, il y a aujourd'hui beaucoup de Françaises et beaucoup de Français qui souffrent de la difficulté de l'exclusion, et du chômage. Tout autant que les autres, nous sommes mobilisés sur cette nécessité de cohésion sociale de la société française. Tout autant que les autres pays du monde, nous sommes attentifs à notre tissu social, évitant les déchirures et mesurant toutes les difficultés des Françaises et des Français. Et nous ferons toujours en sorte que les moyens nécessaires, financiers, solidaires, humains puissent être dégagés pour venir en aide aux plus fragiles et à ceux qui connaissent le plus de difficultés. Mais cela veut dire aussi qu'il ne faut pas mettre en avant tous les égoïsmes et tous les individualismes. Ne pas faire de la société française une société de l'individualisme égoïste, une société française où on transformerait la politique en lobbying, chacun défendant des intérêts privés ou catégoriels.
Si on veut aujourd'hui que la France tienne son rang dans le XXIe siècle, il faut penser à l'intérêt général. Et l'intérêt général, aujourd'hui, c'est l'autorité pour le pays et l'humanité pour chacun des Français. Il faut comprendre que tout ceci ne pourra pas se faire sans effort, sans exigence, sans une extrême vigilance dans notre société. Afin de pouvoir vivre les étapes qui sont les nôtres pour les grandes échéances qui nous attendent : je pense notamment à l'échéance européenne avec l'élargissement. Il y a, dans cette mobilisation nationale, aujourd'hui, vous le voyez, de la détermination mais aussi une grande attention aux vibrations de la société française.
Nous avons à construire, en fait, une France en trois dimensions, une France à trois étages. L'étage supérieur, c'est l'étage européen, celui autorisant, en 2006, avec l'élargissement, l'Europe à vingt-cinq, une Europe qui va, en s'élargissant, donner de l'importance aux nations.
Nous aurons besoin, dans cette grande Europe, de l'identité nationale comme étant un échelon de la construction européenne. Pour que l'Europe soit grande, il faut aussi qu'elle soit forte et donc qu'elle change ses institutions. C'est l'objet de la Convention qui va définir, dans les mois qui viennent, d'autres institutions européennes, afin d'avoir une Europe moins bureaucratique, plus démocratique et qui puisse fonctionner avec des méthodes de gouvernement efficaces correspondant à l'attente des citoyens européens. Donc, une grande Europe à la fois élargie sur le plan de la géographie mais renforcée sur le plan de l'organisation politique. C'est la première dimension, c'est notre horizon. Et ça, chers amis, c'est pour demain matin : le sommet de Copenhague à la fin de cette année 2002 va prendre les décisions nécessaires à l'élargissement et à la fin du premier semestre 2003, la Convention des institutions sur le futur de l'Europe terminera ses propositions pour la nouvelle Constitution européenne. Donc, nous sommes très proches de cet horizon important qu'est notre espace européen pour multiplier la puissance de la France, pour exister dans le monde. C'est un étage important.
Mais cet étage doit s'appuyer sur l'étage central qu'est l'étage de notre République, qui est l'étage de notre Etat, qui est l'étage de la France, avec son Histoire, avec son identité nationale. Nous avons besoin d'un Etat fort pour garantir les valeurs de la République. Nous sommes très attachés à ces valeurs de la République. Nous sommes, avec le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, nés de cet esprit de mai 2002 : les Français nous ont dit, avec les élections du printemps 2002, que la République ne marche pas comme ils voudraient qu'elle marche. Certains se sont réfugiés dans l'abstention, d'autres dans l'exaspération. Ils ont exprimé leur mécontentement. Mais en même temps, ils ont dit : "La République, nous ne sommes pas satisfaits de son fonctionnement, mais nous sommes attachés à ses valeurs, à cette liberté, à cette égalité, à cette fraternité. Et on ne veut pas que ces valeurs soient écrites sur le sommet de nos édifices mais qu'elles soient partagées dans la vie quotidienne et que la République soit accessible à tous et pas une promesse lointaine et distante mais un vécu partagé." Cette République-là, nous en avons besoin. C'est à l'Etat, à ses fonctionnaires et à ceux qui aujourd'hui défendent la garantie de la République pour tous, que nous devons aujourd'hui notre confiance. Nous avons besoin de cet échelon d'équité, de cet échelon de responsabilité qui fasse que, partout en France, on puisse avoir les mêmes droits, que, partout en France, on puisse se sentir fier et heureux d'être Français. C'est le deuxième échelon : c'est l'échelon de la République.
Mais le troisième échelon, c'est l'échelon des territoires, c'est l'échelon de la proximité, c'est l'échelon de la vie quotidienne, c'est l'échelon de l'initiative, c'est l'échelon des libertés locales. Il faut que cet échelon soit aujourd'hui libéré d'un certain nombre de tutelles, d'un certain nombre de procédures trop lentes et trop lourdes, pour que les responsabilités puissent être assumées. Si, en effet, je défends cette logique de décentralisation, ce n'est pas pour répartir différemment les pouvoirs, c'est pour injecter de la responsabilité dans la société. Quand, sur toute une file de structures, les responsabilités ne sont pas clairement assumées, ne sont pas clairement affichées, que se passe-t-il ? Les ambiguïtés sont nombreuses et finalement, on ne sait pas qui est responsable de quoi. Et, finalement, les systèmes deviennent mécaniques et tournent sur eux-mêmes. Ce que nous voulons, et nous avons commencé à le faire déjà d'ailleurs dans les départements, dans les régions, dans les villes, c'est faire en sorte que les collectivités territoriales puissent assumer des responsabilités et que les citoyens aient accès à la lisibilité de ces responsabilités. C'est ce que nous voulons faire : éviter que les choses partent d'en haut, toujours en descendant de Paris vers le terrain, mais que les choses partent du terrain et que ce qui est bien assumé sur le terrain continue à l'être. Ne monte à l'étage supérieur que ce qui ne peut pas être assumé au niveau local. Au fond, on fait en sorte que la proximité soit la règle. C'est quand la proximité a du mal à s'assumer, parce qu'il faut plus de moyens ou plus d'espace, qu'on fait monter la responsabilité. Mais quand la responsabilité peut être assumée au plus près du terrain, il faut la laisser sur le terrain. Pourquoi cela ? Parce que nous voyons bien, les uns et les autres, que la société moderne est une société qui sera complexe. Pourquoi sera-t-elle complexe ? Parce que nous voulons tous être reconnus dans la société pour ce que nous sommes, c'est-à-dire différents : les grands, les petits, les hommes, les femmes, les gros, les maigres, les uns, les autres. Je suis dans l'Oise, mais je suis dans l'Oise à Compiègne, à Senlis. Moi, je suis à Compiègne ; oui, mais canton Nord ; oui, mais moi je suis canton Sud. Moi, dans le canton Nord, je suis ça et dans cette rue, je suis de ce côté et pas de l'autre.
Chacun veut son identité. C'est normal. Nous sommes des humanistes, nous croyons à la personne humaine, ce n'est pas pour être un numéro, ce n'est pas pour être des machines, ce n'est pas pour être des systèmes, c'est pour être des différences. Par définition, une société où on veut reconnaître les différences, c'est difficile à gérer. Parce qu'il n'y a que les dictatures qui sont très simples - je ne veux voir qu'une tête, la file indienne ; alors là, ça marche. Mais ce n'est pas ce que nous souhaitons. Et comment faire, aujourd'hui, pour que la diversité ne soit pas trop mutilée ? La façon de faire, c'est de traiter la diversité par la proximité, sur le terrain, avec des responsabilités pour que, le bon sens soit la règle de travail avec lequel on puisse traiter les problèmes. Et la seule façon de traiter la complexité, c'est d'injecter de la proximité : que ce soit sur le terrain qu'on décide pour que tel et tel quartier puissent avoir de bonnes cohérences entre eux et que les associations puissent se parler et puissent se voir : l'union fait la force. Et c'est dans ce contexte-là qu'il faut pouvoir bâtir cette démarche de proximité. C'est, je crois, aujourd'hui, tout l'intérêt qui est celui d'une République qui veut se moderniser en faisant en sorte que les citoyens soient reconnus en tant que tels, qu'ils aient voix au chapitre et que l'organisation sociale soit une organisation de proximité. Que l'on puisse organiser, entre les échelons des différentes collectivités, une action qui soit une action dite de subsidiarité, c'est-à-dire de proximité, c'est-à-dire que quand on peut bien exercer au niveau d'une collectivité une compétence, on l'exerce à ce niveau-là. Ce n'est pas la peine de construire des machines, des systèmes trop lourds, trop bureaucratiques, avec des procédures. Les commerçants, les artisans, les maires savent de quoi je parle aujourd'hui, eux qui passent plus de temps, souvent, à être au contact des formulaires qu'avec leurs clients ou leurs fournisseurs. Voilà pour quoi je me bats : cette France en trois dimensions. Ce n'est qu'une France, ce n'est qu'un seul message dans l'Histoire et ce n'est qu'un seul projet d'avenir. Simplement, si nous nous battons pour Compiègne, pour que l'Oise, la Picardie puissent avoir leur identité, leur liberté, ce n'est pas pour diviser la France, c'est pour la renforcer, c'est pour faire en sorte que l'oxygène vienne du terrain et que la France trouve dans ses territoires la force, justement, de vivre son destin du XXIe siècle. C'est cela, notre dynamique, aujourd'hui, la perspective qui est la nôtre de la France du XXIe siècle, ce n'est pas une structure dans une procédure européenne ou dans une organisation politique qui serait trop bureaucratique. C'est d'être capable d'avoir dans le cur des Français, cette volonté de mobilisation, mobilisation de l'énergie humaine qui est la seule véritable énergie sur laquelle puisse compter un pays comme le nôtre et que cette énergie ait envie de se libérer plutôt que d'être systématiquement étouffée. C'est cela le combat pour la France, c'est la mobilisation des énergies de la France pour que tous, au nom de l'intérêt général, on sente qu'il y a quelque chose de plus grand que nous-mêmes qui vaut la peine aujourd'hui qu'on s'y donne et qu'au-delà de nos égoïsmes, au-delà de notre intérêt personnel, de notre intérêt catégoriel, il y a une valeur qui est plus grande que toute qui s'appelle la France, qui porte les belles couleurs du bleu de notre Histoire, du blanc de notre espoir et du rouge du sang de la gloire de nos aînés. Merci."
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2002)