Interview de M. Alain Juppé, président de l'UMP et député maire de Bordeaux, dans "Le Parisien" le 12 septembre 2002, sur les choix budgétaires du gouvernement, le budget militaire et le déficit public, la situation internationale et les Etats unis face à l'Irak, la majorité et l'avenir de l'UMP.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Le 11 septembre a-t-il changé le monde ?
Alain Juppé. Il faut redire, devant cette tragédie, notre horreur et aussi notre solidarité avec le peuple américain. Mais qu'est-ce qui a changé ? Certes, nous avons pris conscience tout d'un coup, y compris ceux qui se pensaient totalement invulnérables, que nous étions tous vulnérables. Mais sur le fond ? En Afghanistan, les talibans sont partis, et la démocratie s'implante petit à petit. Cela dit, dans la lutte contre le terrorisme international, il ne s'est pas passé grand-chose. Al-Qaïda et Ben Laden continuent, semble-t-il, à agir. Dans les grands conflits régionaux, terreau du terrorisme, aucun progrès réel. S'agissant enfin du fossé qui se creuse entre riches et pauvres, rien encore...
Le comportement des Etats-Unis a-t-il changé ?
Ils pratiquent un activisme international tous azimuts. Face à cela, le cap choisi par la diplomatie française est le bon. Evitons les simplifications ou les manifestations d'antiaméricanisme. La thèse consistant à tenir les Américains pour responsables de ce qui leur est arrivé est odieuse : il faut être à leurs côtés. Mais en leur disant que toute action unilatérale est dangereuse. Sur l'Irak en particulier.
Faut-il avoir peur de l'Irak ?
Oui. Il y a de bonnes raisons de penser que l'Irak a voulu se doter d'armes de destruction massive : nucléaires, bactériologiques, chimiques. Pour que les doutes soient dissipés, la meilleure solution, c'est que Bagdad accepte le retour des inspecteurs de l'ONU. Si l'Irak n'a rien à se reprocher, que Saddam Hussein le montre. Car son attitude actuelle est intolérable. La France a raison : quand il s'agit de la guerre et de la paix, c'est le Conseil de sécurité de l'ONU qui doit décider. Mais la France ne doit pas donner le sentiment que l'utilisation de la force est improbable : si on met trop de conditions, nous perdrions toute crédibilité. Il faut donc lancer un ultimatum à Saddam Hussein pour que, dans un délai rapproché, le Conseil de sécurité exige le retour des inspecteurs. S'il le refuse, il ne faudra pas s'interdire de recourir à la force, mais sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité.
La France a-t-elle vraiment les moyens d'augmenter les crédits militaires ?
Oui. Dans la vie, il y a des priorités et des urgences. Nous avons trop baissé la garde. Il ne s'agit pas simplement de la construction du second porte-avions nucléaire. Il s'agit de savoir si nos véhicules roulent, s'ils ont du carburant, si on a des armes à mettre dans nos avions et dans nos chars. Un vigoureux effort de redressement est nécessaire : d'abord parce que le monde est dangereux ; ensuite parce que, si la France veut tenir son rang dans l'Union européenne, elle doit s'en donner les moyens.
Le déficit public va-t-il exploser ?
Il est parfois difficile de tenir tous les engagements à la fois. Il faut choisir, compte tenu de l'héritage que nous avons reçu des socialistes. Quelle arrogance chez Laurent Fabius lorsqu'il critique les choix budgétaires du gouvernement alors que son budget 2002 était totalement déséquilibré, non sincère, irréaliste ! Par ailleurs, la conjoncture internationale étant ce qu'elle est, la croissance ne sera pas aussi forte que prévu. Le choix du gouvernement de ne pas accorder la priorité à la réduction du déficit public est raisonnable. Il permet de tenir un certain nombre d'engagements de dépenses - sécurité, emploi, baisse des charges - tout en baissant les impôts. Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, contrairement à 1995, il y a l'euro : il n'y a donc pas de risque de turbulences monétaires.
Le gouvernement pourra-t-il baisser les impôts de 30 % en cinq ans ?
C'est notre objectif. Mais je suis dans l'incapacité de dire quand nous retrouverons une croissance de 3 %. Or nous avons toujours dit que la baisse des impôts dépendait de deux conditions : le retour à 3 % de croissance et une politique d'économies grâce à une réforme en profondeur de l'Etat. Cela prendra du temps. Mais, sans tarder, il faut baisser les impôts, car c'est un facteur de retour de la croissance. Cela redonne le moral et nourrit la compétitivité.
Réduire le nombre des fonctionnaires de 1 600 en un an, n'est-ce pas timide ?
Il faut faire preuve de pragmatisme. Il vaut beaucoup mieux réduire de 1 600 tous les ans pendant cinq ans que de faire exploser les choses en voulant 10 000 de moins du premier coup. C'est le signal d'un changement de trajectoire. On amorce la décrue. C'est la bonne méthode.
Le Medef trouve que la réforme des 35 heures ne va pas assez loin...
François Fillon a le bon rythme. Il a très exactement respecté les engagements que nous avions pris. On n'avait jamais promis d'abroger les 35 heures. On avait dit qu'on les assouplirait. D'ailleurs, le Medef, après les cris du premier jour, a rapidement mis de l'eau dans son vin. Finalement, la seule question est de savoir si le décret Fillon est provisoire ou définitif : cela ramène le débat à de justes proportions, surtout en France où l'on sait que le provisoire est souvent définitif.
Nicolas Sarkozy donne l'impression de lâcher du lest sur les sans-papiers...
Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est à cause de la loi sur le séjour des étrangers de Jean-Pierre Chevènement (NDLR : ministre de l'Intérieur de 1997 à 2000), qui a instauré des conditions d'entrée en France d'un total laxisme. Nous nous retrouvons avec le bébé sur les bras. Il faut faire bien attention qu'un comportement d'humanité, évidemment nécessaire, ne soit pas interprété par certains comme le signal d'un encouragement à venir en France.
La méthode Raffarin ne risque-t-elle pas de créer des impatiences dans le pays ?
Ça marche bien. C'est bien ressenti. Il vaut mieux créer des impatiences que des explosions.
Le bilan du gouvernement est-il globalement positif ?
Il est globalement très positif.
Enterrer le RPR, cela vous fait quelque chose ?
Je partage le pincement au coeur des militants. Je suis né en politique avec le RPR. Mais je n'ai pas l'impression de mourir avec sa transformation. Je dis bien transformation, et pas disparition. C'est la structure qui va changer, pas les idées gaullistes. Il m'arrive, certes, de me demander si nous ne prenons pas un risque excessif. Mais comme l'immense majorité des militants, je reste persuadé que nous avons fait le bon choix.
Y aura-t-il un courant gaulliste dans l'UMP dès le congrès du 17 novembre ?
Pas ce jour-là !... On fera des courants, oui, mais plus tard. Il serait en effet paradoxal de créer un parti nouveau et de commencer par dire aux Français ce qui nous distingue au lieu d'afficher ce qui nous unit. Quand on se marie, c'est parce qu'on s'aime. On va donc d'abord montrer qu'on s'aime.
A quoi va servir l'UMP ?
Le gouvernement gouverne. Le groupe parlementaire amende et propose. L'UMP, elle, a vocation à raisonner sur dix ans. Car notre ambition, c'est d'être là pour dix ou quinze ans.
L'UMP va-t-elle changer de nom ?
Je n'en sais rien. Il y a trois pistes : 1. Garder UMP, une marque qui gagne ; 2. Choisir le changement sans rupture, avec l'" Union " ; 3. Une proposition décoiffante qui me séduit beaucoup, mais je me tais pour qu'on ne m'accuse pas de vouloir imposer mon point de vue à tout le monde. Nos militants décideront.
Propos recueillis par Bruno Jeudy, Myriam Lévy et Dominique de Montvalon
(source http://www.u-m-p.org, le 12 septembre 2002)