Texte intégral
R. Elkrief.- On parle d'abord de J.-M. Messier qui est poussé vers la sortie par son conseil d'administration. C'est logique pour vous ?
- "Je ne suis pas actionnaire du groupe Vivendi Universal, donc, je n'ai pas de jugement à porter en la matière."
Mais en tant que syndicaliste, sur le statut des patrons, sur une manière de mieux contrôler...
- "Quand il n'y a plus la confiance de ses actionnaires, je ne vois pas pourquoi il resterait. En tant que syndicaliste, je sursaute sur les conditions de son départ. Je me dis que, dans le fond, comme plan social, c'est quelque chose qui pourrait servir de modèle. Parce que si j'ai bien compris, non seulement il va y avoir de "la tune", comme disent les jeunes maintenant, mais de surcroît, y compris quelques dégagements de responsabilité. Et sur ce point-là, ça vaut peut-être le coup que nous nous arrêtions une seconde, si vous me le permettez : peut-être est-ce l'occasion de faire un audit de la société en question, et de rendre publiques les conclusions..."
Très à la mode les audits...
- "Peut-être que le système capitaliste conduit à ça. Je ne fais pas de procès d'intention, j'ignore totalement quel est le fond des choses. Mais ça mérite quand même qu'on regarde ces grands groupes, qui ont beaucoup couru - il y a eu de l'aventure, on a beaucoup anticipé etc... De temps en temps, il faut faire le bilan financier et savoir si, en définitif, c'est ça le moteur de la société. Cela mérite une petite réflexion."
Donc FO propose un audit de Vivendi... Il dit dans Le Figaro de ce matin : "Je pars pour que Vivendi reste, pour que ça reste français, pour que mon successeur reste français. On est arrivé à faire de cette entreprise un géant français..." Ca vous touche ?
- "Ce n'est pas obligatoirement dans ce domaine d'activité que le patriotisme me touche. Je préférerais que ce soit dans le domaine industriel. Je regarde le nombre d'entreprises qui disparaissent à l'heure actuelle, qui licencient, le nombre de plans sociaux, avec toutes les conséquences que ça a dans le domaine industriel... Le domaine de la production me semble être un élément indispensable pour l'indépendance de notre pays. Je suis patriote pas nationaliste ; je suis patriote et je pense que notre société doit se fonder sur de la production, et pas obligatoirement que sur du commerce. Même s'il faut du commerce."
Il y a la déclaration de politique générale de J.-P. Raffarin, demain. Elle est très attendue, notamment par les syndicats. Vous avez rencontré le Premier ministre la semaine dernière ?
- "Oui, j'ai eu un contact officieux avec M. Raffarin, à la suite de la déclaration concernant le Smic. On a tous considéré que c'était une maladresse, lui qui passe pour un communicant efficace. Je me suis permis - mais c'est un petite liberté de langage, ça m'arrive de temps en temps -, de dire : "Carton jaune", puisqu'on était en période de football. Je dis bien "Carton jaune" et pas "carton rouge"..."
Pas "rouge", pas encore...
- "Carton jaune, parce que quand on parle de "dialogue social" et qu'à la première échéance, si j'ose dire, - il s'agit de consultations -, nous ne négocions pas le Smic."
Que vous a-t-il répondu à ce moment-là ? Il vous a dit : "J'ai gaffé" ?
- "Il a dit : "C'est une bêtise". Un coup de téléphone aurait été salutaire, c'est tout. En fait, il a anticipé et ce qui est un peu regrettable, c'est qu'apparemment, c'était à la suite d'un entretien avec M. Seillière. Cela veut dire qu'il avait une vue identique entre le patronat et entre le Gouvernement. Et ça, c'est une inquiétude pour les organisations syndicales. On aimerait pouvoir l'influencer au moins autant que le patronat."
Si je comprends bien, la série de déclarations que vous avez faites et vos positions sur un certain nombre de questions, de ce discours de politique générale vous attendez en fait qu'il ne change rien ? Ni sur les retraites ni sur le statut des fonctionnaires ?
- "Mais est-ce que c'est le problème des retraites et du statut des fonctionnaires qui sont les problèmes les plus importants ?"
Pour le Gouvernement peut-être.
- "Pour moi, le plus important, c'est d'abord l'emploi. On s'est habitués, depuis 1975, à vivre dans un chômage récurrent. Maintenant, c'est normal, on vit avec 2,5 millions..."
Il a quand même baissé le chômage !
- "Pas le mois dernier : il a augmenté de 0,50 %. Cela veut dire qu'on n'est sûrs de rien avec les plans sociaux que j'évoquais tout à l'heure... Rappelez-vous : le gouvernement Balladur, il y a eu une semaine où il y a eu - je ne me souviens plus - 30 ou 40 000 licenciements annoncés. On a dit : "C'est la semaine noire" ou "rouge" - je ne sais plus comment nous avions appelé ça. Eh bien la semaine dernière, j'ai vécu une journée où il y a eu Alcatel, Cap Gemini et Motorola, au total 22 000 licenciements prévus : c'est une catastrophe, c'est clair ! Donc, le premier sujet qu'il faut, pour le Gouvernement, traiter, c'est le chômage. Il faut qu'il prenne des initiatives, une politique volontaire en matière de chômage. Alors, effectivement, il va sortir des choses que nous connaissons tous, vraisemblablement une forme d'emplois-jeunes nouvelle, avec exonération de cotisations..."
Vous n'êtes pas d'accord ? Ce n'est pas une bonne idée ?
- "Mais si, nous sommes d'accord sur tout pour qu'on essaye de réduire le chômage ! Bon sang, c'est le problème de fond que nos sociétés ont à l'heure actuelle, et en particulier la société française, avec + de 9 % du chômage en permanence. Il faut casser ça ! Vous vous rendez compte que les revendications deviennent maintenant des revendications qui, d'une certaine façon, consolident le chômage. Comment fait-on pour ne pas établir le chômeur ? Profession : chômeur. Ceci n'est pas sérieux ! Il faut qu'on se batte contre ça ! Il faut que le Gouvernement montre qu'il veuille se battre contre ça. Le deuxième problème qui va lui arriver - pardonnez-moi, la façon dont je vais le dire n'est pas très jolie -, "sur le nez", c'est la Sécurité sociale. Contrairement à toutes les apparences, l'assurance-maladie est en grande difficulté. On va avoir les comptes de la Sécu le 10 juillet, ça va être un révélateur. Et là aussi, je pense qu'il faut que nous regardions..."
Ils seront gravement déficitaires pour vous ?
- "Oui, bien sûr qu'ils sont gravement déficitaires. Et de plus, elle est bancale, elle fonctionne mal à l'heure actuelle. Elle n'est pas mal dirigée, ce n'est pas la qualité des gens, mais comme le patronat n'est plus à l'intérieur de la Sécurité sociale, on ne sait plus si c'est la Sécurité sociale. Il va falloir trancher quelque chose de très important. Est-ce que la Sécurité sociale va encore avoir une relation avec le monde du travail ou est-ce que la Sécurité sociale va devenir universelle ? En d'autres termes, va-t-elle être étatisée, privatisée ? Va-t-on trouver une formule ? Il faut débattre de ça et le plus rapidement possible. Parce que sinon, c'est clair, demain, la prochaine étape c'est "on dérembourse" ! On ne paye plus ceci, on ne paye plus cela ! Je rappelle que je suis partisan de l'égalité républicaine, notamment pour les soins et pour la maladie."
Ce sont vos priorités mais qu'allez-vous répondre lorsque A. Lambert, par exemple, le ministre délégué au Budget dit qu'on ne pourra pas renouveler tous les postes des fonctionnaires ? Ce sont aussi des priorités du Gouvernement ; comment réagirez-vous ?
- "On va voir. Contrairement à ce qu'on pense, les fonctionnaires ont laissé des effectifs en l'air. Mes amis du ministère des Finances, dont on parle beaucoup, disent..."
180 000 fonctionnaires à Bercy !
- "Dans l'ensemble de la structure. Mais ils disent qu'en dix ans ils ont laissé 18 000 fonctionnaires ; mes amis de l'Equipement aussi. Cela veut dire que pratiquement, tout le monde le sait, il va y avoir vraisemblablement, grosso modo, près de 800 000 fonctionnaires qui vont partir dans les années qui viennent en retraite. La tendance va être de ne pas les renouveler ; on ne va pas embaucher quelqu'un d'autre sur un poste de titulaire mais on va le prendre sur un poste de contractuel. Nous allons nous battre pour les intégrer ensuite. Les fonctionnaires, on en a besoin, il faut regarder la vérité de face. Il faut donc avoir le courage de les payer. C'est comme ça."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2002)
- "Je ne suis pas actionnaire du groupe Vivendi Universal, donc, je n'ai pas de jugement à porter en la matière."
Mais en tant que syndicaliste, sur le statut des patrons, sur une manière de mieux contrôler...
- "Quand il n'y a plus la confiance de ses actionnaires, je ne vois pas pourquoi il resterait. En tant que syndicaliste, je sursaute sur les conditions de son départ. Je me dis que, dans le fond, comme plan social, c'est quelque chose qui pourrait servir de modèle. Parce que si j'ai bien compris, non seulement il va y avoir de "la tune", comme disent les jeunes maintenant, mais de surcroît, y compris quelques dégagements de responsabilité. Et sur ce point-là, ça vaut peut-être le coup que nous nous arrêtions une seconde, si vous me le permettez : peut-être est-ce l'occasion de faire un audit de la société en question, et de rendre publiques les conclusions..."
Très à la mode les audits...
- "Peut-être que le système capitaliste conduit à ça. Je ne fais pas de procès d'intention, j'ignore totalement quel est le fond des choses. Mais ça mérite quand même qu'on regarde ces grands groupes, qui ont beaucoup couru - il y a eu de l'aventure, on a beaucoup anticipé etc... De temps en temps, il faut faire le bilan financier et savoir si, en définitif, c'est ça le moteur de la société. Cela mérite une petite réflexion."
Donc FO propose un audit de Vivendi... Il dit dans Le Figaro de ce matin : "Je pars pour que Vivendi reste, pour que ça reste français, pour que mon successeur reste français. On est arrivé à faire de cette entreprise un géant français..." Ca vous touche ?
- "Ce n'est pas obligatoirement dans ce domaine d'activité que le patriotisme me touche. Je préférerais que ce soit dans le domaine industriel. Je regarde le nombre d'entreprises qui disparaissent à l'heure actuelle, qui licencient, le nombre de plans sociaux, avec toutes les conséquences que ça a dans le domaine industriel... Le domaine de la production me semble être un élément indispensable pour l'indépendance de notre pays. Je suis patriote pas nationaliste ; je suis patriote et je pense que notre société doit se fonder sur de la production, et pas obligatoirement que sur du commerce. Même s'il faut du commerce."
Il y a la déclaration de politique générale de J.-P. Raffarin, demain. Elle est très attendue, notamment par les syndicats. Vous avez rencontré le Premier ministre la semaine dernière ?
- "Oui, j'ai eu un contact officieux avec M. Raffarin, à la suite de la déclaration concernant le Smic. On a tous considéré que c'était une maladresse, lui qui passe pour un communicant efficace. Je me suis permis - mais c'est un petite liberté de langage, ça m'arrive de temps en temps -, de dire : "Carton jaune", puisqu'on était en période de football. Je dis bien "Carton jaune" et pas "carton rouge"..."
Pas "rouge", pas encore...
- "Carton jaune, parce que quand on parle de "dialogue social" et qu'à la première échéance, si j'ose dire, - il s'agit de consultations -, nous ne négocions pas le Smic."
Que vous a-t-il répondu à ce moment-là ? Il vous a dit : "J'ai gaffé" ?
- "Il a dit : "C'est une bêtise". Un coup de téléphone aurait été salutaire, c'est tout. En fait, il a anticipé et ce qui est un peu regrettable, c'est qu'apparemment, c'était à la suite d'un entretien avec M. Seillière. Cela veut dire qu'il avait une vue identique entre le patronat et entre le Gouvernement. Et ça, c'est une inquiétude pour les organisations syndicales. On aimerait pouvoir l'influencer au moins autant que le patronat."
Si je comprends bien, la série de déclarations que vous avez faites et vos positions sur un certain nombre de questions, de ce discours de politique générale vous attendez en fait qu'il ne change rien ? Ni sur les retraites ni sur le statut des fonctionnaires ?
- "Mais est-ce que c'est le problème des retraites et du statut des fonctionnaires qui sont les problèmes les plus importants ?"
Pour le Gouvernement peut-être.
- "Pour moi, le plus important, c'est d'abord l'emploi. On s'est habitués, depuis 1975, à vivre dans un chômage récurrent. Maintenant, c'est normal, on vit avec 2,5 millions..."
Il a quand même baissé le chômage !
- "Pas le mois dernier : il a augmenté de 0,50 %. Cela veut dire qu'on n'est sûrs de rien avec les plans sociaux que j'évoquais tout à l'heure... Rappelez-vous : le gouvernement Balladur, il y a eu une semaine où il y a eu - je ne me souviens plus - 30 ou 40 000 licenciements annoncés. On a dit : "C'est la semaine noire" ou "rouge" - je ne sais plus comment nous avions appelé ça. Eh bien la semaine dernière, j'ai vécu une journée où il y a eu Alcatel, Cap Gemini et Motorola, au total 22 000 licenciements prévus : c'est une catastrophe, c'est clair ! Donc, le premier sujet qu'il faut, pour le Gouvernement, traiter, c'est le chômage. Il faut qu'il prenne des initiatives, une politique volontaire en matière de chômage. Alors, effectivement, il va sortir des choses que nous connaissons tous, vraisemblablement une forme d'emplois-jeunes nouvelle, avec exonération de cotisations..."
Vous n'êtes pas d'accord ? Ce n'est pas une bonne idée ?
- "Mais si, nous sommes d'accord sur tout pour qu'on essaye de réduire le chômage ! Bon sang, c'est le problème de fond que nos sociétés ont à l'heure actuelle, et en particulier la société française, avec + de 9 % du chômage en permanence. Il faut casser ça ! Vous vous rendez compte que les revendications deviennent maintenant des revendications qui, d'une certaine façon, consolident le chômage. Comment fait-on pour ne pas établir le chômeur ? Profession : chômeur. Ceci n'est pas sérieux ! Il faut qu'on se batte contre ça ! Il faut que le Gouvernement montre qu'il veuille se battre contre ça. Le deuxième problème qui va lui arriver - pardonnez-moi, la façon dont je vais le dire n'est pas très jolie -, "sur le nez", c'est la Sécurité sociale. Contrairement à toutes les apparences, l'assurance-maladie est en grande difficulté. On va avoir les comptes de la Sécu le 10 juillet, ça va être un révélateur. Et là aussi, je pense qu'il faut que nous regardions..."
Ils seront gravement déficitaires pour vous ?
- "Oui, bien sûr qu'ils sont gravement déficitaires. Et de plus, elle est bancale, elle fonctionne mal à l'heure actuelle. Elle n'est pas mal dirigée, ce n'est pas la qualité des gens, mais comme le patronat n'est plus à l'intérieur de la Sécurité sociale, on ne sait plus si c'est la Sécurité sociale. Il va falloir trancher quelque chose de très important. Est-ce que la Sécurité sociale va encore avoir une relation avec le monde du travail ou est-ce que la Sécurité sociale va devenir universelle ? En d'autres termes, va-t-elle être étatisée, privatisée ? Va-t-on trouver une formule ? Il faut débattre de ça et le plus rapidement possible. Parce que sinon, c'est clair, demain, la prochaine étape c'est "on dérembourse" ! On ne paye plus ceci, on ne paye plus cela ! Je rappelle que je suis partisan de l'égalité républicaine, notamment pour les soins et pour la maladie."
Ce sont vos priorités mais qu'allez-vous répondre lorsque A. Lambert, par exemple, le ministre délégué au Budget dit qu'on ne pourra pas renouveler tous les postes des fonctionnaires ? Ce sont aussi des priorités du Gouvernement ; comment réagirez-vous ?
- "On va voir. Contrairement à ce qu'on pense, les fonctionnaires ont laissé des effectifs en l'air. Mes amis du ministère des Finances, dont on parle beaucoup, disent..."
180 000 fonctionnaires à Bercy !
- "Dans l'ensemble de la structure. Mais ils disent qu'en dix ans ils ont laissé 18 000 fonctionnaires ; mes amis de l'Equipement aussi. Cela veut dire que pratiquement, tout le monde le sait, il va y avoir vraisemblablement, grosso modo, près de 800 000 fonctionnaires qui vont partir dans les années qui viennent en retraite. La tendance va être de ne pas les renouveler ; on ne va pas embaucher quelqu'un d'autre sur un poste de titulaire mais on va le prendre sur un poste de contractuel. Nous allons nous battre pour les intégrer ensuite. Les fonctionnaires, on en a besoin, il faut regarder la vérité de face. Il faut donc avoir le courage de les payer. C'est comme ça."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2002)