Texte intégral
Un an après les attentats du 11 septembre, l'émotion est encore extrême et partagée. L'attaque dont ont été victimes les Américains ne doit pas faire oublier les formidables espoirs que suscitent la force et le développement économique de la première puissance mondiale.
Le développement des échanges, longtemps porté par les Américains, est maintenant souhaité par les pays en développement qui participent de plus en plus activement aux négociations multilatérales et qui multiplient les accords commerciaux. Le renforcement de la sécurité doit faire l'objet de concertations afin qu'il ne se traduise pas par de nouveaux obstacles au commerce mondial.
Juste après les attentats, le négociateur américain des questions commerciales, Robert Zoellick, considérait qu'un nouveau cycle de négociation à l'Organisation mondiale du commerce était une réponse efficace au terrorisme. En novembre 2001, les membres de l'Organisation mondiale du commerce tombaient d'accord à Doha pour lancer un nouveau cycle de négociations. Ces laborieuses négociations commerciales semblent aujourd'hui menacées par une forme renouvelée de protectionnisme de l'administration américaine.
Le réflexe sécuritaire qui anime l'Administration Bush est légitime, mais les conditions de mise en uvre des mesures nécessitent une concertation étroite avec les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Ces initiatives de renforcement de la sécurité affectent les conditions des échanges et doivent se faire dans la transparence et l'équité afin de ne pas remettre en cause les flux commerciaux entre les régions du monde et de ne pas pénaliser les pays en développement.
En agréant certains ports dans le cadre du programmé "US customs container security initiative" destiné à assurer la sécurité du commerce maritime, sans concertation et sans demande de mise aux normes préalables, les Etats-Unis peuvent créer des discriminations. La Commission européenne a réagi rapidement pour que les négociations interviennent à son niveau et qu'une égalité de traitement des ports européens soit garantie pour les containers. Pourtant, la question de la réciprocité et celle du choix des entreprises susceptibles de mettre en uvre ces normes de sécurité ne sont pas réglées. Il est souhaitable que les modalités d'application de la sécurité du système mondial des transports ne soient pas un prétexte pour favoriser commercialement telle ou telle entreprise.
Une autre initiative majeure, le "customs-trade partnership against terrorism", visant à établir une coopération étroite entre le gouvernement et le secteur privé en matière de sécurité de la chaîne d'approvisionnement et des frontières, se traduit par un renforcement général du contrôle à l'importation des produits agro-alimentaires. Si on n'y prend garde, les petites et moyennes entreprises et celles des pays en développement ne pourront satisfaire ces nouvelles exigences.
La création d'un grand ministère fédéral consacré à la sécurité du territoire, doté de moyens financiers importants et réunissant les douanes, les transports, l'immigration et les services sanitaires, pourrait se traduire par un nouvel alourdissement des contrôles douaniers et des inspections sanitaires déjà renforcés par la loi sur le bioterrorisme. Nous devons veiller à ce que les changements de réglementation ne perturbent pas l'entrée des produits sur le territoire américain et que les inspections prévues par l'administration américaine à l'étranger et sur les produits d'importation fassent l'objet d'une concertation et de réciprocité.
Les attentats du 11 septembre ont précipité et accentué le ralentissement de l'économie américaine et mondiale ce qui a conduit les Etats-Unis à renforcer ses soutiens aux entreprises nationales. En mars l'Administration Bush n'a pas hésité à protéger la sidérurgie en surtaxant les importations d'acier. En mars également, les importations de bois d'uvre canadien ont été frappées d'une surtaxe de 29 %. Et en mai, le "Farm Act", visant à subventionner l'agriculture, a prévu de 15 à 20 milliards de dollars d'aides diverses par an, ce qui accroît de 80 % les subventions à l'agriculture.
Les compagnies aériennes américaines ont également bénéficié de subventions sous forme d'aides directes pour un montant de 4,3 milliards de dollars auquel s'ajoutent 10 milliards de dollars de garanties d'emprunt. L'aide versée par les Européens a représenté seulement quatre pour cent de ce montant.
Au lendemain du 11 septembre, les services de sécurité dans les aéroports gérés par des entreprises privées ont été confiés à des agents publics pendant trois ans, ce qui est compréhensible. Après cette période, les opérateurs étrangers ne seront autorisés à répondre aux appels d'offres que s'il n'existe pas d'alternative purement américaine. La lutte contre le bioterrorisme pourrait également remettre en cause la délégation à des entreprises privées de service public, comme par exemple la gestion de l'eau.
Dans le secteur financier nous aurons à surveiller les textes d'application de "l'USA Patriot Act" d'octobre 2001 afin qu'ils ne se traduisent pas par une entrave aux transactions des établissements financiers non américains. En matière de gouvernance, l'éclatement de la bulle boursière, accéléré par les événements du 11 septembre, a révélé l'ampleur exceptionnelle des malversations comptables et financières de plusieurs grands groupes. La loi Sartanes-Oxley, régule les pratiques comptables, ce dont je me réjouis. La question de la responsabilité pénale des dirigeants devrait néanmoins faire l'objet de discussions quant à sa dimension extraterritoriale.
Le 11 septembre a changé les Etats-Unis et leurs relations avec le reste du monde. L'Amérique ne doit pas céder à la tentation d'un repli sécuritaire qui se traduirait notamment par des normes commerciales unilatérales et par un désengagement à l'égard des pays en développement. Le renforcement des contrôles aux frontières peut conduire à demander des garanties supplémentaires que seules les grandes entreprises sont en mesure de satisfaire. Que pèseront alors les négociations multilatérales auxquelles accèdent enfin les pays en développement si l'Etat le plus puissant s'affranchit des règles acceptées d'un commun accord ?
Le président de la République a tracé la voie lors des réunions de Monterrey, de Kananaskis et de Johannesburg. Les pays du Nord sont attendus sur des questions aussi diverses que l'accès des pays les moins avancés aux marchés développés, l'annulation de la dette, l'accès à la santé, à l'eau potable et à l'énergie. Les Etats-Unis et l'Europe doivent conduire ce processus de développement qui reste un des moyens les plus sûrs de lutter à long terme contre le terrorisme.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2002)