Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la décentralisation et la gestion des finances locales, Paris le 21 novembre 2002.

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Circonstance : 85ème congrès de l'Association des Maires de France à Paris du 19 au 21 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Ministre, cher Patrick Devedjian,
Monsieur le maire de Sceaux, cher Philippe Laurent,
Monsieur le maire de Fontenay-aux-Roses, cher Pascal Buchet,
Mesdames et Messieurs les maires, chers amis,
C'est avec un réel plaisir que je vous retrouve, vous les Maires de France, à l'occasion de votre congrès annuel, que je vous félicite d'honorer de votre présence, d'aussi bonne heure
Je vous sens bien réveillés et c'est tant mieux, car nous abordons, ce matin, un sujet clef, celui des finances locales. Sujet clef, disais-je, car l'avenir de la décentralisation dépend fondamentalement de la situation des finances locales.
Comme vous le savez, le Sénat, toutes tendances politiques confondues, est un farouche partisan de la décentralisation qu'il considère comme une réforme bénéfique.
Oxygène de la République, la décentralisation constitue à l'évidence un plus pour notre pays.
Un plus, car la décentralisation libère les énergies et les initiatives locales. C'est un vecteur du dynamisme économique.
Un plus, car la gestion de proximité, au plus près des besoins, est un facteur d'efficacité et d'amélioration des services rendus à nos concitoyens.
Un plus, car une organisation décentralisée de notre République va nourrir et renforcer la démocratie locale.
Un plus, enfin, car la nouvelle architecture des pouvoirs va permettre à l'Etat de se réformer.
Des collectivités territoriales fortes doivent se conjuguer avec un Etat fort. Un Etat fort, c'est-à-dire un Etat performant, un Etat svelte, un Etat recentré sur ses indispensables et irremplaçables responsabilités : ses fonctions régaliennes, son rôle de gardien des règles du jeu, sa mission de garant de l'égalité des chances et de la solidarité entre les hommes et entre les territoires.
C'est à l'Etat qu'incombe l'ardente obligation d'assurer l'égalité territoriale en mettant en uvre la péréquation qui va faire son entrée dans notre Constitution.
C'est ce crédo décentralisateur qui a conduit le Sénat à jouer, depuis quatre ans, un rôle d'aiguillon pour que soit enfin engagée une nouvelle étape, ambitieuse et décisive, de la décentralisation.
Oui, ces quatre années de croisade ont été décisives, puisque, avec votre soutien, j'ai conduit les Etats généraux des élus locaux dans 14 régions de métropole et d'outre-mer, tout en me rendant devant plus de 80 de vos assemblées départementales.
Tout ce travail n'avait qu'un but : prendre la mesure de vos préoccupations, répondre à vos attentes et faire avancer la cause de la décentralisation.
Mesdames et Messieurs les Maires de France, merci, merci du soutien qui a été le vôtre, car c'est grâce à vous que le Sénat a pu convaincre le Gouvernement précédent, alors un peu hésitant, voire réticent, de la nécessité :
- d'abord, de mieux définir la responsabilité pénale des élus locaux : ce fût la loi Fauchon,
- ensuite d'améliorer votre statut : ce fût la proposition de loi Vasselle, reprise dans la loi dite " démocratie de proximité ".
Ce rôle exigeant, et parfois ingrat, d'avocat des élus locaux, de maison des collectivités locales et de " facilitateur " de la décentralisation, le Sénat n'entend pas l'abandonner.
C'est ainsi que le Sénat a pris la mesure des préoccupations, voire des inquiétudes, que suscite en vous l'application de la loi " Gayssot " relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
En effet, nombre des dispositions de cette loi s'avèrent inutilement contraignantes et donc difficiles, sinon impossibles, à mettre en oeuvre.
Tel est le cas des dispositions relatives à la mixité sociale.
C'est pourquoi le Sénat a adopté, il y a quinze jours, un nouveau dispositif qui substitue le contrat à la contrainte et remplace une logique de stocks par une logique plus réaliste de flux.
Loin de remettre en cause les objectifs louables de mixité sociale et de droit à un logement décent, ce dispositif pragmatique permettra de les atteindre.
Tout ce travail, toute cette écoute de vos préoccupations, toute cette proximité avec vous les élus locaux, nous ont conféré un formidable capital de connaissances et d'expertise, C'est cet acquis qui nous a conduits à remettre à M. le Premier ministre, le 25 juillet dernier, une proposition de loi constitutionnelle d'ensemble destinée à muscler le principe de libre administration des collectivités territoriales et à relancer la décentralisation sur des bases saines et pérennes.
Il était en effet grand temps que la France soit vaccinée contre le virus rampant de la recentralisation !
Certaines déclarations récentes me laissent à penser que des piqûres de rappel seront nécessaires
Dans le débat constitutionnel en cours au Parlement, nous sommes en train de mettre au point le vaccin qui va nous prémunir contre tout risque de rechute ... Et là, force est de souligner que le Sénat se félicite d'avoir contribué à sa découverte. Tout d'abord, en amont, car le projet de loi arrêté par le Premier ministre intègre d'emblée la quasi totalité de nos attentes et de nos propositions.
Ainsi, cette révision de notre loi fondamentale consacre l'autonomie fiscale des collectivités locales et confère une valeur constitutionnelle au principe de compensation financière des transferts de compétences.
En outre, et en aval, la discussion du texte au Sénat a permis de nouvelles avancées significatives.
J'évoquerai brièvement l'introduction dans notre Constitution du principe de l'interdiction d'une tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Cette consécration devrait permettre de mieux définir les contours de la notion de " chef de file " qui, sans cette précaution, aurait pu faire figure d'épouvantail.
Je pense également aux précisions apportées aux conditions et aux modalités d'exercice du droit à l'expérimentation qui sera circonscrit dans son objet, limité dans le temps, cantonné dans l'espace et contrôlé par le Parlement.
Je pense, enfin, au principe de la compensation financière des compétences créées et dévolues, ab initio, aux collectivités territoriales.
D'une manière générale, je voudrais remercier M. le Premier ministre d'avoir entendu notre appel, une sorte " d'appel de Strasbourg à rebours "
En définitive, les collectivités territoriales bénéficieront désormais de garanties fiscales et financières reconnues par la Constitution.
C'est un acquis fondamental, car il conditionne la réussite de la relance de la décentralisation.
C'est un acquis primordial, car la relance de la décentralisation doit se faire avec vous les élus locaux et non contre ou sans vous.
C'est acquis essentiel, car la relance de la décentralisation ne doit pas s'accompagner d'une explosion de la fiscalité locale.
Je compte donc sur vous, mes chers collègues, pour ouvrir et réussir ensemble cet " acte deux de la décentralisation ".
En retour, vous pourrez compter sur moi pour poursuivre mon combat, au sens le plus noble du terme, en faveur de la nécessaire reconnaissance des pouvoirs locaux. Car leur action, au quotidien, constitue un puissant facteur de solidarité, un levier d'efficacité et un amplificateur de démocratie.
Alors, avant de laisser s'engager vos travaux, je voudrais formuler une exigence et lancer un appel.
L'exigence, tout d'abord, c'est celle que le Gouvernement poursuive dans sa volonté de réformer, enfin, la fiscalité locale qui apparaît, à maints égards, comme archaïque et injuste. La tâche sera, nous le savons, rude, mais, de grâce, faisons preuve d'imagination. Ne nous laissons pas enfermer dans les carcans et les ornières des schémas de pensée du ministère des finances, dont les énergies ont trop souvent été consacrées à démontrer qu'aucun transfert ou partage de fiscalité n'était envisageable ou encore à inventer des usines à gaz.
Pour ma part, je serai très clair : il n'y a, en la matière, aucun tabou. Taxe intérieure sur les produits pétroliers, taxe sur la valeur ajoutée, contribution sociale généralisée, aucune de ces impositions n'appartient, par essence, définitivement et en totalité à l'Etat !
De même, il est indispensable de procéder à une refonte des concours de l'Etat, dont le premier d'entre-eux, la dotation globale de fonctionnement, est au bord de l'implosion.
J'attends donc avec grand intérêt les conclusions de vos travaux de ce matin.
Je tiens maintenant à vous lancer un appel : cette nouvelle ère, celle de la République territoriale, doit être celle d'une démocratie locale ressourcée, revivifiée et revigorée, où le peuple souverain retrouvera enfin toute sa place.
Alors, Mesdames et Messieurs les Maires de France, vous les responsables des cellules de base de la démocratie, ces sources irremplaçables de légitimité, vous les élus les plus proches de nos concitoyens, aidez-nous, aidez-nous pour que cette grande réforme " parle " enfin aux Françaises et aux Français.
Cette nouvelle décentralisation, qui reposera désormais sur un socle constitutionnel, cette République territoriale, c'est avant tout une République des proximités, une République des solidarités, qui se construira pour le peuple, avec le peuple et par le peuple.
Je sais que ce sujet suscite des inquiétudes sur les abus que pourraient entraîner les nouvelles procédures de démocratie locale, qu'il s'agisse du référendum ou de la demande d'inscription d'une question à l'ordre du jour d'une assemblée locale.
Ces préoccupations sont légitimes et le Sénat les a entendues. Rien ne doit être fait qui puisse porter atteinte à la légitimité et à l'autorité des élus ; mais n'oublions pas la funeste leçon du 21 avril !
Il est urgent de revitaliser notre démocratie par l'instillation d'une dose de démocratie participative. N'abandonnons pas ce thème aux contestataires de tous poils, dont la seule force réside dans la critique, la négativité et dont il est vain d'attendre des propositions constructives.
L' " espace local " est, en effet, le plus propice à une réimplication, à un réinvestissement des citoyens dans le fonctionnement de notre démocratie. C'est le banc d'essai idéal pour expérimenter certains outils de démocratie participative, dans le respect des prérogatives des assemblées délibérantes, dont il est indispensable de ne pas entraver le fonctionnement.
A nous d'être plus forts que les contestataires, à nous élus démocratiques, de revendiquer fièrement notre aptitude à faire vivre cette démocratie en y associant mieux les citoyens.
Si nous réussissons cette réforme, elle portera, croyez-moi, ses fruits. Le cadre que nous traçons aujourd'hui, s'il peut apparaître un peu théorique à certains, ouvre la voie à une République renforcée, à une République rassérénée, à une République partagée, dont les valeurs de Liberté, d'Egalité et de Fraternité gravées aux frontons de nos mairies, trouveront un nouvel élan, un nouveau sens et une nouvelle dimension.
Comme vous le constatez, mes chers amis, la relance de la décentralisation va bien au-delà d'une simple réforme.
C'est un véritable projet de société, c'est une véritable révolution culturelle, au service d'une amélioration du bien-être de nos concitoyens, au service d'un approfondissement de notre démocratie, au service d'une France plus libre, plus dynamique et plus solidaire.
((Source http://www.senat.fr, le 27 novembre 2002)