Texte intégral
En débutant cette intervention visant essentiellement à expliciter l'importance, aujourd'hui, de faire évoluer l'interdit législatif posé en 1994 concernant la recherche sur l'embryon, je tiens d'abord à m'associer à Jean-François Mattéi pour rendre hommage au travail remarquable de la Commission des Affaires sociales sur le projet de loi que nous abordons ce soir.
Le rapport préparé par le Sénateur Giraud, rapport que j'ai eu la possibilité de consulter ces derniers jours, est particulièrement bien documenté et pose avec netteté les questions auxquelles l'Etat doit répondre en matière de bioéthique et comment il peut le faire au nom d'un certain nombre de valeurs. Il offre de plus sur les questions les plus sensibles, comme la recherche sur l'embryon ou le clonage thérapeutique, une discussion ouverte et sans polémique, même s'il revient à la Commission de proposer à votre assemblée un arbitrage. La qualité de cette réflexion, que j'ai pu aussi apprécier en dialoguant directement avec certains d'entre vous, me paraît devoir être saluée car elle reflète à la fois la profondeur de la réflexion éthique de nos législateurs et la possibilité de faire évoluer le cadre législatif au plus près du dialogue, parfois difficile, entre la science et la société.
Concernant donc la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, il m'apparaît utile de revenir rapidement sur quelques éléments qui m'apparaissent décisifs pour votre réflexion sur la levée, dans un cadre dérogatoire, de l'interdit de cette recherche.
Tout d'abord, l'avancée des connaissances et des techniques permet des interventions diagnostiques ou thérapeutiques de plus en plus précoces au cours de la vie. Ainsi la médecine de l'embryon est inéluctablement appelée à se développer et il doit pour cela être envisagé de conduire des recherches sur l'embryon, qui bénéficieront un jour à d'autres embryons.
La destruction inévitable de l'embryon sur lequel seront conduites ces recherches me semble en conséquence éthiquement acceptable à deux conditions :
- premièrement dans la mesure où la notion de bénéfice indirect est invoquée à bon escient, comme c'est le cas dans le cadre des recherches biomédicales qui peuvent être conduites chez des patients,
- deuxièmement dans la mesure où, à l'heure actuelle, un grand nombre d'embryons surnuméraires, issus de l'assistance médicale à la procréation et ne faisant plus l'objet d'un projet parental, sont disponibles et quoiqu'il advienne, destinés à être détruits, dans des conditions qui restent à définir.
A côté de la possibilité de conduire des recherches à proprement parler sur l'embryon, l'enjeu des recherches conduites sur des lignées cellulaires issues d'embryon me paraît capital. Ces lignées sont constituées in vitro à partir du prélèvement de quelques cellules à un stade très précoce, seulement quelques jours, du développement embryonnaire. J'insiste ici sur le fait que ces lignées de cellules souches, qui se reproduisent indéfiniment à l'identique, ou bien, suivant les conditions de culture, se différencient vers tel ou tel type de tissu, ont perdu la possibilité de constituer un embryon complet, qui devrait être placé in utero pour se développer. Ces lignées cellulaires n'ont donc plus rien à voir avec "une personne humaine potentielle", selon la formule que le Comité consultatif national d'éthique a utilisée pour désigner l'embryon humain.
La forte attente de la communauté scientifique à l'égard des lignées de cellules souches embryonnaires, illustrée par les demandes d'importation déjà déposées dans notre pays et par la position récemment réaffirmées de l'Académie des Sciences, ne doit cependant pas nous faire oublier que la création de ces lignées passe actuellement par la destruction d'un ou plusieurs embryons humains, deux en moyenne selon les quelques laboratoires étrangers qui ont déjà conduit de tels travaux.
La transgression du principe de protection de la vie humaine dès son commencement, qui intervient inévitablement dans ces recherches, est donc limitée à l'étape de constitution d'une nouvelle lignée. Il m'apparaît important que le législateur puisse accepter aujourd'hui cette transgression dans des recherches dont la finalité thérapeutique, même lointaine, est clairement argumentée. Le recours aux cellules embryonnaires d'origine humaine est en effet incontournable, si nous souhaitons que les recherches sur les cellules souches progressent rapidement.
La démonstration de l'existence de cellules souches dans certains tissus chez l'adulte nous permet d'espérer voir se développer à long terme des traitements de régénération tissulaire qui ne se heurteraient pas aux limitations éthiques que je viens d'évoquer. Les recherches sur les cellules souches adultes doivent donc être une priorité pour l'avenir et mon ministère souhaite soutenir activement cette voie par des actions incitatives financées sur le Fond National de la Science dès 2003. Ces recherches rencontrent cependant deux ordres de difficultés :
- premièrement les cellules souches adultes sont généralement extrêmement rares (typiquement de l'ordre d'une cellule pour 1 à 10 millions) et il est donc difficile de travailler sur une population suffisante pour être à l'abri de nombreux artéfact expérimentaux,
- deuxièmement, il a été constaté que les cellules souches adultes ont un comportement très différent des cellules embryonnaires : en particulier leur capacité de multiplication et de différentiation semble plus limitée, ou en tout cas plus difficile à maîtriser in vitro que celle des cellules embryonnaires.
La compréhension du contrôle de la multiplication et de la spécialisation des cellules souches sera, de manière hautement probable, beaucoup plus rapide à obtenir sur les cellules embryonnaires que sur les cellules souches adultes. En particulier, de très nombreux gènes, dont l'existence a été révélée par le séquençage exhaustif du génome humain, mais dont la fonction n'est pas encore élucidée, interviennent à coup sûr dans le contrôle du développement embryonnaire. La compréhension du rôle de ces gènes est essentielle pour maîtriser, dans des conditions de culture, la multiplication et la différenciation des cellules souches, afin d'obtenir des quantités et des types tissulaires adaptés aux objectifs thérapeutiques. Cette compréhension de la fonction des gènes sera bien plus rapide en étudiant des cellules embryonnaires qu'en se limitant aux cellules souches adultes.
Pour cela nos chercheurs doivent pouvoir travailler à partir des lignées cellulaires existantes, mais doivent aussi pouvoir créer de nouvelles lignées.
Je tiens à souligner, qu'à côté de l'enjeu de la régénération tissulaire, la recherche sur les cellules souches embryonnaires permettra sans doute de mieux comprendre le fonctionnement de gènes très probablement impliqués dans le développement des cancers.
Les nouvelles connaissances qui pourront être obtenues en permettant aux chercheurs français, dans des conditions strictement encadrées, de travailler sur l'embryon et les cellules embryonnaires me paraissent donc, par les perspectives thérapeutiques offertes à long terme, justifier que le cadre législatif soit assoupli, à titre dérogatoire et peut-être seulement pour une durée limitée. L'existence, d'une part, d'embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental et donc voués à la destruction et, d'autres part, le perspectives d'une recherche encore très amont, mais dont les retombées à long terme pourraient être extrêmement bénéfiques pour de nombreux patients, nous invitent, à mon sens, à une transgression que nous devons aujourd'hui assumer avec courage, dans le respect d'une exigence éthique élevée.
Collections d'échantillons biologiques humains à des fins de recherche
A côté du sujet très sensible des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, je tenais également à évoquer rapidement l'importance de faire évoluer le cadre législatif concernant la constitution et l'utilisation à des fins de recherche de collections d'échantillons biologiques humains.
Comme vous le savez, ces collections ou banques de tissus sont devenues aujourd'hui une ressource essentielle dans la recherche sur les maladies humaines, notamment lorsque l'on souhaite avoir recours aux outils moléculaires les plus modernes, issus de la génomique. Très récemment, dans le cadre du rapport remis par la Commission de réflexion sur le cancer, le développement à grande échelle des banques de tumeurs, dans une perspective de recherche thérapeutique, a été fortement recommandé.
La constitution de ces collections d'échantillons biologiques humains a été encouragée depuis plusieurs années dans notre pays par l'action des ministères chargés de la recherche et de la santé. Nous disposons aujourd'hui de plusieurs dizaines de banques répondant à des critères de qualité et de sécurité très rigoureux.
Cet avantage, que nous devons encore renforcer, doit pouvoir être exploité par nos chercheurs dans des conditions juridiques claires, répondant à des principes éthiques qui prennent en compte à la fois la protection de personnes et le bénéfice individuel et collectif qui peut être attendu des travaux conduits sur ces prélèvements. Il paraît ainsi capital de lever certaines incertitudes, ou d'examiner la possibilité de certains aménagements, concernant le statut des recherches conduites sur ces collections d'échantillons par rapport à l'actuelle loi Huriet-Sérusclat.
Un point particulièrement critique pour l'avancée rapide des recherches est la possibilité, dans des conditions bien définies qui devraient être validées au cas par cas par les Comités consultatifs pour la protections des personnes, de faire évoluer la finalité des recherches conduites sur une collection d'échantillons, sans avoir l'obligation d'obtenir de nouveau le consentement de toutes les personnes sur lesquelles ces échantillons ont été prélevés. Cet aménagement pourrait par exemple s'appliquer aux différents marqueurs plasmatiques d'une maladie donnée que l'on pourrait étudier successivement, au fur et à mesure de leur mise en évidence.
La France a été un précurseur par l'adoption de la loi Huriet-Sérusclat. Nous devons aujourd'hui nous monter capables d'adapter ce cadre juridique là où il se révèle trop contraignant et où il risque de ralentir les recherches sans réel intérêt pour la protection des personnes.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 29 janvier 2003)