Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la politique énergétique de la France, notamment l'action publique en matière de maitrise de l'énergie, la fiscalité et la taxation des carburants et l'avenir du nucléaire, Paris le 11 juin 1998.

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Circonstance : Colloque sur "les défis internationaux de la politique énergétique française" à l'Assemblée nationale le 11 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le Président.
Mesdames. Messieurs.
C'est avec plaisir que je réponds à l'invitation de Michel DESTOT pour ouvrir ce colloque sur la politique énergétique de la France. Je le félicite de l'organisation de cette manifestation à l'assemblée Nationale. Sur un sujet important pour notre mode de vie présent et futur. Il n'est pas illégitime que, si la politique énergétique est centrale et si l'assemblée Nationale doit jouer un rôle central dans notre démocratie, ce soit ici due l'on débatte de ce sujet. Plusieurs voix se sont élevées ces derniers mois pour souhaiter que les enjeux et les choix énergétiques fassent l'objet d'un débat.
Cette initiative y contribuera compte tenu de la qualité des participants, que je salue chaleureusement.
Longtemps, les enjeux de la politique énergétique ont été relativement simples : la fourniture d'énergie à des conditions les plus compétitives possibles. Dans le cadre d'une politique préservant l'indépendance de notre pays. Aujourd'hui le contexte international est moins prévisible, les choix à opérer plus complexes. La situation sur les marchés de l'énergie est à court terme favorable aux consommateurs, elle comporte aussi des éléments d'inquiétude. Le prix du pétrole diminue, les efforts de recherche et de développement se ralentissent. Dans de nombreux pays les politiques de maîtrise de l'énergie ne semblent plus prioritaires. Tout cela risque à terme si on n'y prend pas garde d'aboutir à un nouveau choc.
Bien entendu. la France garde dans cette situation incertaine un certain nombre d'atouts importants : un bilan énergétique relativement diversifié, même s'il le demeure insuffisamment, la maîtrise du nucléaire, l'implantation et le rayonnement de nos compagnies pétrolières dans le monde, l'existence d'opérateurs puissants matière de gaz et d'électricité. Nous devons les valoriser afin de préparer l'avenir dans les meilleures conditions.
De nombreux thèmes vent être abordé. Je me limiterai à taire quelques remarques sur trois questions. Choisies avec une part d arbitraire.
1/ L'adaptation des services publics du gaz et de l'électricité à la nouvelle donne énergétique.
Les socialistes ont critiqué en son temps certains aspects de la directive européenne sur J'électricité. Aujourd'hui celle-ci a été adoptée, elle s'impose donc à nous. Il convient d'en utiliser les marges de manuvre pour définir, en concertation avec les partenaires, les modalités précises d'application L'objectif est donc de défendre et de promouvoir le service public, auquel nous sommes attachés.
Le Gouvernement, sous l'impulsion de Christian Pierret, a décidé à juste titre d'organiser un débat sur ce sujet. Celui-ci doit partir des réalités. Aujourd'hui on s'efforce partout dans le monde d'ouvrir ce secteur à la concurrence afin d'en renforcer l'efficacité au profit de la croissance et de l'emploi. Nous disposons avec EDF et GDF d'entreprises très compétitives capables de s'imposer dans leur domaine sur les marchés internationaux. Il n'en reste pas moins qu'il est important de maintenir les exigences du service public. Il s'agit ''allait en particulier de garantir la continuité du service, son universalité, mais aussi l'égalité "le traitement en fonction de l'endroit du territoire où le consommateur réside.
L'ouverture à la concurrence doit s'opérer à un rythme raisonnable, afin de ne bas déstabiliser la situation d'EDF sur son marché intérieur. Les transitions doivent être ménagées. Il reviendra à EDF, grande entreprise à juste titre chère au cur des Français mais qui a des progrès à accomplir notamment dans sa gestion interne, de tirer parti de ses atouts pour renforcer son rôle sur le marché européen et international.
Plusieurs points devront être tranchés à l'occasion de la transposition de cette directive européenne (J.L. Dumont , en particulier la nature et la place de l'instance de régulation les techniques utilisées pour la mise en concurrence, les modalités d'accès au réseau. Le souci principal qui doit nous guider est la nécessité d'une politique énergétique cohérente et conforme à nos intérêts nationaux. L'introduction de la concurrence peut être utile mais l'État garde la responsabilité d'orienter les choix d'investissement vers des solutions favorables à la sécurité approvisionnent, à l'indépendance énergétique nationale et à la protection de l'environnement.
2/ L'intégration ale l'environnement comme objectif important de notre politique énergétique.
Nos concitoyens sont de plus en plus soucieux de bénéficier d'un environnement de qualité. Ils souhaitent - et ils ont raison - éviter qu'un progrès mal maîtrisé aboutisse à menacer leur mode de vie ou leur santé. Or les modalités de production. d'utilisation ou de mauvaise utilisation de l'énergie sont à l'origine de certaines nuisances graves, comme la pollution de l'air dans les grandes villes.
L'utilisation de certaines sources d'énergie peut avoir des conséquences directes menaçant l'avenir même de la planète. La catastrophe de Tchernobyl, fruit d'un système incohérent et incontrôlé, a montré l'étendue des risques. Les informations sur Tchernobyl ont été partielles, voire, je le crains, mensongères. L'ampleur des dégâts pour la population et l'environnement est évidente. La communauté internationale devrait tout faire pour éliminer ce type de centrale dangereuse. Je ne pense pas qu'elle le fasse encore.
Dans un autre domaine, celui des changements climatiques, les experts nous alertent depuis longtemps sur la gravité d'une situation due à l'effet de serre. La communauté internationale a là aussi commencé à prendre conscience de ce problème, mais de manière imparfaite et sans en tirer toutes lus conséquences.
De façon générale les problèmes énergétiques souffrent donc clairement d'une coopération internationale insuffisante. II faut que cette situation change en particulier en ce qui concerne le nucléaire et l'effet de serre. Nous ne devons plus en rester aux vux pieu, mais faire en sorte que des décisions concrètes soient prises, par exemple l'adoption de programmes à l'échelle mondiale pour les économies d'Énergie et les énergies nouvelles.
La prise en compte de l'environnement doit être aujourd'hui un des critères majeurs de nos choix énergétiques, ce qui passe notamment par la réorientation de certains choix d'investissement en faveur de la maîtrise de l'énergie et l'évolution de la fiscalité dans un sens écologique.
a) Nous devons faire de la maîtrise de l'énergie une vraie priorité de l'action publique.
Un renforcement des moyens a déjà été entrepris, nous; devons l'accélérer.
De nouvelles initiatives devraient être prises en matière d'économies d'énergie. Par exemple de nombreux logement HLM a encore une isolation insuffisante, entraînant des factures lourdes pour les ménages modestes. Il serait souhaitable de se fixer comme objectif que l'ensemble des logements sociaux de notre pays puissent bénéficier d'une isolation satisfaisante dans un délai de cinq ans. Ceci suppose une programmation précise de ces travaux par les organismes HLM, et un encouragement spécifique de l'Etat.
Il faut également relancer l'action pour diminuer les consommations en carburant, dont les résultats globaux ne progressent guère depuis quelques années. Ceci passe par l'accroissement des efforts de recherche pour les véhicules économes en énergie et l'incitation au développement de dispositifs indiquant la consommation instantanée des carburants, afin d'encourager apprentissage de la conduite économique.
Economiser l'énergie, ce n'est plus seulement une question économique - la diminution de la facture pétrolière, c'est un problème de société touchant l'avenir de la planète. Les consommateurs devraient être mobilisés en ce sens.
Dans le domaine des énergies renouvelables, les initiatives doivent être multipliées : accroissement du parc de voitures électriques et de véhicules Fonctionnant au GPL, comme nous l'avons d'ailleurs fait - même si ce n'est que symbolique - à Assemblée Nationale ; renforcement des incitations à l'équipement des autobus urbains en moteur propre ; développement de techniques jusqu'ici trop négligées, comme la cogénération. Même si leur bilan écologique et économique fait l'objet de débats, les expérimentations sur les biocarburants doivent être poursuivies et développées. A terme, ils peuvent en effet jouer un rôle important dans la lutte contre la pollution de l'air, qui a un caractère prioritaire.
Au total il est important de mettre en place un effort à moyen terme de valorisation systématique de toutes les énergies renouvelables à notre disparition, solaire, éolienne, photovoltaïque, petit hydraulique, géothermie. biomasse. Pour lutter contre l'effet de serre, la Communauté européenne souhaite faire passer la part de ses énergies de 6 à 12 % du bilan énergétique de ses Etats-membres. Jusqu'à présent, nous en sommes loin. Là aussi les moyens doivent être dégagés pour y parvenir.
Il est enfin indispensable d'accroître fortement les aides pour promouvoir dans les agglomérations des moyens de transports, en commun modernes, fiables, propres et fonctionnant en site réservé. Pour être moi-même à Rouen l'initiateur de tels systèmes, je vois combien l'effort public a encore des progrès à accomplir.
B) Notre fiscalité sur l'énergie doit intégrer le facteur environnement plus qu'elle ne le fait jusqu'à présent.
L'utilisation des ressources naturelles est au même titre que le travail ou le capital, un facteur de production. En période de chômage il serait logique de financer des baisses d impôts et de charges favorables aux salariés et à la création d'emplois par une fiscalité écologique plus cohérente, dans le cadre d'une baisse globale prélèvement: obligatoires.
L'objectif doit être de mettre en place une taxation sur l'énergie et le gaz carbonique, qui doit s'envisager dans un cadre européen. Il est indispensable d'avancer vite pour sortir de la situation de blocage qui subsiste depuis trop d'années.
Une réflexion nouvelle doit en outre être menée sur la taxation des carburants. Le principal problème, on le sait, est l'écart existant dans notre pays entre la fiscalité sur l'essence et celle sur le gazole. II n'y a plus de véritable raison ni écologique ni économique, ni d'intérêt national à ce que subsiste un tel écart. Celui-ci a en outre plusieurs effets pervers, en contribuant à la pollution de l'air dans nos villes.
I1 est vrai que le secteur des poids lourds n'est pas dans la même situation que celui des véhicules particuliers. Pour les premiers, le carburant est un élément essentiel de compétitivité et plusieurs de nos partenaires européens ont des fiscalités sur le gazole plus basses. La fixation de règles communes au niveau européen s'impose donc, afin de concilier exigence écologique et maintien de notre compétitivité.
En ce qui concerne les particuliers, l'objectif envisagé me parait pertinent : il faut que dans une première étape la taxation sur le gazole rejoigne en quelques années la moyenne européenne. Dans la logique de ce que les économistes appellent un peu pompeusement " le double dividende ", c'est-à-dire l'instauration d'une fiscalité écologique favorable à la fois à l'environnement et à l'emploi, cette évolution pourrait avoir pour contrepartie une baisse des impôts pour les catégories moyennes et modeste: par exemple par une baisse de la taxe d'habitation.
3/ L'avenir du nucléaire.
La filière nucléaire joue un rôle important dans notre pays. Elle nous garantit une certaine indépendance en matière énergétique et représente un atout y compris à l'exportation. Le développement du nucléaire suppose le maintien de la confiance de 1a population envers cette source d'énergie. C'est pourquoi je considère que la poursuite du développement du nucléaire passe par des choix au moins dans trois domaines:
a) L'exigence de compétitivité.
Le nucléaire est utile, le tout nucléaire serait absurde De la même façon, nous ne devons pas hésiter à tirer les conséquences d'échecs non pas scientifiques mais industriels, cf. Super phénix. Autant la recherche dans le domaine de la surgénération doit être poursuivie, autant la compétitivité et la fiabilité de cette filière pour une exploitation industrielle méritait d'être réexaminée.
b) La garantie de la transparence et du contrôle.
Plusieurs événements récents ont donné le sentiment que la transparence et le contrôle n'étaient pas correctement assurés par les organismes exploitants. Ce sont des fautes. Il est anormal que personne n'ait signalé la radioactivité de certains transports de déchets nucléaires. Il y a aujourd'hui des réformes à faire dans ce domaine. Jean-Yves Le Déaut est chargé d'un rapport à ce sujet .Je souhaite que des garanties supplémentaires soient données en matière d'indépendance des organismes de contrôle. Nous devons dans l'intérêt même de la filière nucléaire, faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas.
c) La question des déchets nucléaires.
Comme chacun le sait, c'est aujourd'hui le point faible de la filière, et il est important d'accentuer la recherche dans toutes les directions possibles, stockage en surface ou en souterrain, transmutation ou le cas échéant d'autres voies. Le Gouvernement prochainement devra trancher sur la question des laboratoires souterrains des déchets nucléaires. Je souhaite que, quels que soient le nombre et la localisation des sites retenus, on ne s'enferme pas aujourd'hui dans une solution irréversible que nous pourrions regretter par la suite. Ce n'est d'ailleurs qu'en 2006 au plus tôt que, comme le prévoit la loi rapportée en son temps par Christian Bataille, la décision devra être prise en ce qui concerne le stockage souterrain.
Au total, notre politique énergétique doit aujourd'hui faire les choix nécessaires pour préparer l'avenir dans les meilleures conditions. S'impose la nécessité d'un développement durable, créateur d'emplois et respectueux de l'environnement. Nos choix énergétiques doivent s'opérer non seulement en fonction des exigences du court terme, mas encore en raison d'objectifs à long terme, l'indépendance, la diversification, le respect de l'environnement, qui conditionnent le sort des générations futures, C'est d'une certaine façon notre modèle de société pour les prochaines décennies que nous préparons par les choix d'aujourd'hui. En matière de politique énergétique, l'horizon est celui du forestier et non le regard du myope. A nous d'effectuer ces choix de façon consciente et démocratique, en appréciant leur juste valeur les risques auxquels nous sommes confrontés et l'ampleur les enjeux. Merci.