Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la coopération administrative internationale et notamment le rôle de l'IIAP, la francophonie et la réforme de l'Etat, Paris le 12 décembre 1996.

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Circonstance : 30èmes assises francophones de l'administration publique à l'IIAP, Paris les 12 et 13 décembre 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
"Un pressant appel est à l'heure actuelle adressé à la France pour qu'elle concoure à former les cadres administratifs de pays de plus en plus nombreux".
A cette phrase qui ouvre le rapport au Président de la République du décret du 2 décembre 1966 créant l'Institut international d'administration publique, que pourrait-on encore ajouter aujourd'hui ?
Si depuis 30 ans, et notre réunion est l'occasion de le montrer, le paysage a très largement évolué, la demande est toujours la même, elle s'est renforcée, en vérité.
En 1966, à la demande expresse du général de Gaulle, la création de l'Institut international d'administration publique soulignait la volonté de la France de répondre aux besoins de nos partenaires dans le monde entier pour renforcer la qualité et l'efficacité de leurs administrations.
La semaine dernière à Ouagadougou, le Président de la République, à l'occasion du sommet franco-africain, soulignait à nouveau le lien entre la qualité de l'administration publique et l'efficacité d'un pays, se faisant ainsi l'écho de l'initiative africaine à l'occasion de la conférence de Tanger en 1994 qui a été reprise lors de la 50ème session de l'assemblée générale des Nations unies en avril dernier.
Dans cet effort, jamais terminé, en faveur d'une modernisation des structures administratives et d'un renforcement de la compétence des fonctionnaires, la France doit plus que jamais se trouver aux côtés de tous ceux qui lui demandent conseil, expérience et soutien.
Depuis 30 ans l'Institut international d'administration publique a joué un rôle essentiel dans le développement de la coopération administrative internationale menée par notre pays. Son dynamisme a permis à plus de 7.000 auditeurs d'y être formés.
Avec des modalités pédagogiques variables, adaptées à leur pays et aux circonstances du moment, ils y ont reçu une formation de qualité destinée à les aider pour l'exercice des responsabilités dont ils ont la charge dans leurs pays.
L'institut ne se contente pas d'accueillir et de former les cadres des pays qui lui en font la demande. Il participe à de nombreux colloques, publie une revue et s'adapte aux évolutions géopolitiques. C'est ainsi qu'à la demande du Gouvernement, il s'est engagé dans l'ingénierie administrative à destination des pays d'Europe centrale, orientale et balte et de la Communauté des États indépendants. Je souhaite que ce type d'action se développe dans d'autres régions du monde pour répondre aux demandes qui ne manqueront pas de surgir, qui ont déjà surgi, j'ai pu m'en rendre compte au Quai d'Orsay.
Les succès de l'IIAP soulignent tout à la fois la volonté des pouvoirs publics d'être présents dans ces nouvelles formes de la coopération internationale et la capacité de votre établissement public administratif à s'adapter aux nouvelles réalités.
De tout cela je voudrais remercier non seulement ceux qui ont eu la charge de diriger l'Institut, mais surtout, tous ceux qui, depuis 30 ans, se sont dévoués pour la coopération administrative internationale et pour l'image de la France qu'ils ont donnée auprès de leurs interlocuteurs.
Aujourd'hui, Mesdames, Messieurs, la réunion des Assises francophones de l'administration publique n'a pas uniquement pour but de commémorer en famille un trentième anniversaire. Il s'agit, au delà du plaisir que nous avons à nous retrouver ensemble, de réfléchir à ce que la communauté francophone, qui possède le français en partage, dans un monde en constante mutation, peut apporter à tous en s'appuyant sur ses traditions institutionnelles pour que l'État dans tous les pays soit fort, respecté et garant des libertés. Il s'agit également de réfléchir ensemble à la manière d'unir nos efforts et croiser nos expériences pour gagner du temps dans les nécessaires transformations de nos administrations.
Je viens de le dire : l'objectif essentiel est que partout l'État soit fort, respecté et au service de tous les citoyens.
Il doit être respecté non seulement parce qu'il dispose de la capacité coercitive de faire appliquer la loi mais surtout parce qu'il est et doit toujours rester le garant de la cohésion sociale, le garant des principes d'égalité d'accès et de continuité du service public.
Plus que jamais, en ces périodes d'instabilité sociale, l'État doit être le protecteur des plus faibles, particulièrement de ceux que la rapidité des changements technologiques laisserait sur le bord de la route si nous n'y prenions pas garde.
Accompagnateur de tous ceux, citoyens ou entreprises, qui ont besoin d'être soutenus dans leur effort d'adaptation, l'État y puisera une légitimité renforcée alors qu'il est souvent contesté de tous côtés.
C'est par son rôle unificateur et protecteur qu'il suscite l'attachement de la Nation et assure sa pérennité. Seul l'État peut assurer l'intérêt général et l'égalité de tous dans les domaines de la santé, de la sécurité, de la justice, de l'éducation ou de la protection de l'environnement. Les principes généraux de bonne administration - transparence, responsabilité, saine gestion financière, promotion de cadres juridiques et judiciaires respectés - doivent être défendus, promus et renforcés.
La France, pour sa part, s'est engagée, sur l'initiative du Président de la République et selon ses directives, dans une profonde rénovation de la structure de son État et de son administration. Jean-Ludovic Silicani, commissaire à la Réforme de l'État, vous en parlera cet après-midi. Nous sommes convaincus, comme vous l'êtes tous, que tout en conservant ses missions essentielles de garant de l'unité nationale et de gardien de la solidarité sociale, l'État doit s'adapter aux réalités d'un monde en pleine mutation.
Pour faire face aux nouvelles données nées de l'internationalisation des échanges, ou à ce que certains dénomment la fracture sociale, il est indispensable que nos administrations évoluent .
Pour ma part, je crois fermement qu'il est indispensable que les responsables administratifs des pays ayant le français en partage renforcent leurs liens. Ils existent, je le sais, en particulier à travers la réunion des directeurs des établissements français de formation et des écoles d'administration des pays d'Afrique, mais je crois qu'il faut aller plus loin, et établir dans le domaine de l'administration publique comme dans d'autres domaines, un véritable réseau des pays francophones.
Il y a dans cette salle des représentants de tous les continents : continent américain, continent africain, continent européen, continent asiatique. Cette diversité géographique montre la véritable unité qui nous relie. La langue n'est pas uniquement support d'échanges, elle est également parmi d'autres valeurs le témoignage d'un esprit, celui, pour faire simple, du service public. Le ministre de la Fonction Publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation, M. Dominique Perben, a rappelé à la tribune des Nations Unies, le 15 avril dernier, combien la France est attachée à un service public au service du développement. De son côté le ministre délégué chargé de la Coopération, M. Jacques Godfrain, parcourt régulièrement les pays d'Afrique et de bien d'autres régions pour insister également sur cette liaison entre service public et progrès économique et social.
A partir du réseau des pays francophones, il convient de s'ouvrir vers ceux qui à travers notre langue ou à travers leurs propres langues souhaitent connaître nos administrations francophones. J'ai été frappé, comme ministre des Affaires Étrangères, je le suis maintenant dans les fonctions qui sont les miennes à la tête du Gouvernement, par l'exceptionnelle présence de la langue française à travers le monde, dans les milieux les plus divers. La francophonie dans le domaine de l'administration comme dans les autres, n'est pas un repli sur soi, c'est une volonté d'ouverture et l'amorce d'un dialogue. Il s'agit d'affirmer qu'à travers nos valeurs nous souhaitons aider tous les pays du monde, nous les francophones, à trouver leur propre voie, pour le plus grand bonheur de leurs concitoyens. Il nous faut défendre ensemble, sur la scène mondiale, notre conception de l'État au service des hommes.
Que désormais nous disposions, grâce à La Documentation Française et à l'IIAP, du premier ouvrage en anglais "Introduction to french administration", avant qu'une édition similaire ne soit disponible en espagnol et que d'autres titres suivent dans d'autres langues, souligne l'effort d'ouverture de la francophonie vers ceux qui n'en connaissent pas encore toutes les richesses.
Aujourd'hui, Mesdames, Messieurs, j'ai souhaité par ma présence non seulement vous apporter mon salut amical et dire aux 65 auditeurs de la promotion du Trentenaire combien nous sommes heureux de les accueillir pendant un an en France, mais aussi souligner combien le Gouvernement est attaché au développement de la coopération administrative menée par la France.
C'est dans cet esprit que j'ai demandé au vice-président du Conseil d'État de conduire un groupe de pilotage chargé de me proposer la structure d'un établissement unique qui regroupera l'Institut international d'administration publique et l'École nationale d'administration. Destiné à être dans le domaine de la formation initiale, de la formation continue, de la coopération internationale et de la recherche, le pôle central français en matière d'administration publique, cet établissement devrait être en place le 1er janvier 1998. J'espère qu'il permettra d'améliorer et de développer nos actions de coopération administrative internationales menées par la France en y mettant parfois plus de rationalités qu'il n'y en a aujourd'hui.
Pour en revenir à 1966, on lit aussi dans le rapport adressé au général de Gaulle : "une véritable compétition est donc ouverte". Depuis 30 ans, la France est présente dans cette compétition. La francophonie doit l'être désormais en tant que telle.
La francophonie est une communauté d'hommes et de femmes aux aspirations communes, qui au-delà de la langue cherchent à trouver l'équilibre entre une participation active à l'évolution du monde dans le respect de la culture de chacun, des racines de leurs sociétés, sans sacrifier leurs valeurs les plus fondamentales de liberté, d'égalité, de fraternité au culte de telle ou telle idéologie ou de mécanisme de marché. Tel est le défi qui est devant nous. Je suis convaincu que, forts des liens qui nous unissent, nous le relèverons ensemble.
Avec tous mes vux de succès, je vous souhaite de bonnes assises.