Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur les travaux d'expertise réalisés par l'INRA concernant l'impact des pratiques agricoles sur le stockage du carbone dans les sols, en liaison avec les émissions de gaz à effet de serre et les recherches sur le changement climatique, Paris le 15 janvier 2003.

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Circonstance : Clôture du colloque consacré au rendu de l'expertise " Séquestration du carbone dans les sols agricoles en France", à Paris le 15 Janvier 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de conclure ce colloque consacré à la séquestration du carbone dans les sols agricoles.
J'ai tenu à intervenir pour souligner l'intérêt d'une démarche qui m'est apparue à plusieurs titres exemplaire.
Tout d'abord, parce que la problématique abordée ici participe à l'un des enjeux environnementaux majeurs du 21ème siècle : la lutte contre le changement climatique.
Ensuite parce que cette question conduit à aborder la problématique de l'agriculture durable.
Enfin, parce que je souhaitais souligner tout l'intérêt d'une méthode d'expertise collective telle que celle présentée par l'INRA qui permet de réunir rapidement, autour d'une question scientifique complexe, controversée et faisant l'objet d'incertitudes fortes, les points de vue, parfois contradictoires, d'un collège d'experts issus de différentes disciplines.
Le changement climatique est un phénomène de grande ampleur et d'une forte inertie. Le troisième rapport d'évaluation du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'évolution du Climat (GIEC) montre que la composante anthropique du changement climatique, s'est considérablement accrue au cours du 20ème siècle. Il confirme l'impérieuse nécessité de réduire au moins de moitié les émissions de gaz à effet de serre avant la fin du XXIème siècle.
Comme l'a souligné avec force le Président Chirac lors du sommet sur le développement durable à Johannesburg, le changement climatique fait peser sur nos sociétés une lourde responsabilité et nous menace d'une tragédie planétaire.
La seule politique pour lutter durablement contre le réchauffement climatique est de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Toutefois, l'accroissement du stockage temporaire de carbone dans la biomasse, ses produits dérivés ou ses résidus, notamment la matière organique des sols est une option qu'il convient d'étudier avec soin.
Le stockage dans la biomasse forestière a déjà fait l'objet d'accords internationaux avec des quotas fixes attribués à chaque pays.
Favoriser l'accumulation temporaire de matières organiques et donc de CO2 dans les sols par le biais de certaines pratiques agricoles ou sylvicoles est une possibilité supplémentaire prévue dans les modalités d'application du protocole de Kyoto.
A l'échelle de la planète, les sols contiennent de l'ordre d'1500 milliards de tonnes de carbone organique : une augmentation même minime de ce stock pourrait jouer un rôle significatif sur la limitation des flux nets de gaz à effet de serre vers l'atmosphère.
Il est donc important de connaître le potentiel offert par ces puits, selon les sols, leurs usages et les pratiques associées.
Compte tenu du caractère multidisciplinaire de la question posée et de sa dimension agronomique et économique, il était naturel que le ministère de l'écologie et du développement durable s'adresse à l'INRA pour réaliser ce travail.
Je souhaiterais revenir sur trois aspects du remarquable travail réalisé par l'INRA :
Tout d'abord, l'ordre de grandeur du stockage supplémentaire de carbone organique dans les sols agricoles : il varie selon les hypothèses, entre 1 et 5 millions de tonnes par an. Bien que ne représentant que 1 à 2% des émissions françaises de gaz à effet de serre, ce potentiel de réduction pourrait représenter une part significative dans les efforts consentis pour respecter les engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto.
Deuxièmement, le facteur significatif des paramètres " modes d'occupation du sol " et " pratiques culturales ". Ils peuvent, selon les cas, favoriser le stockage mais surtout et plus rapidement encore le déstockage du carbone et au contraire alourdir le bilan des émissions. Cela souligne l'importance qui s'attache à ce que l'on mène des actions cohérentes et pérennes dans le domaine agricole.
Troisièmement, l'importance des outils de mesure et de vérification pour réaliser les bilans d'émissions et de séquestration de gaz à effet de serre. Je tiens en particulier à saluer la mise en place de deux instruments essentiels : le nouveau réseau de surveillance des sols réalisé conjointement par le Ministère de l'écologie et du développement durable, le Ministère de l'agriculture, l'INRA et l'ADEME et le système TERUTI d'enquêtes sur l'occupation des sols du Ministère de l'agriculture.
Enfin, ce travail met en évidence que les pratiques agricoles, pertinentes pour accroître le potentiel de stockage des sols, sont capables d'amener d'autres bénéfices environnementaux comme la diminution de la pollution azotée ou de l'érosion des sols, phénomènes dont on sait qu'ils touchent plusieurs millions d'hectares de surface agricole utile en France.
La matière organique des sols, au-delà d'un réservoir de carbone, est un élément essentiel de la qualité des sols qu'il convient de protéger. C'est une position que j'ai particulièrement défendue au conseil européen informel de Palma dont le thème principal était le développement d'une stratégie communautaire de protection des sols.
Pour mettre en uvre cet engagement, j'ai d'ailleurs prévu d'encourager le rétablissement des haies et bocages ou prairies ainsi que les pratiques agricoles favorisant une meilleure utilisation de l'eau.
On voit donc que ces travaux viennent consolider les travaux réalisés dans le cadre de la Charte pour modifier notre Constitution ainsi que les actions du gouvernement en faveur d'une stratégie nationale de développement durable.
Ce travail d'expertise est un état des lieux des connaissances scientifiques qui ne dissimule par les divergences et les incertitudes, tout en permettant de contribuer aux processus de décision internationaux et nationaux.
Ainsi, il va nous permettre, au travers de la participation de chercheurs français au travaux du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat), de préciser certaines méthodes de mesure de l'évolution du stock de carbone dans les sols qui seront utilisées dans le cadre du protocole de Kyoto pour comptabiliser les émissions.
Les résultats de cette expertise seront par ailleurs utilisés dans les travaux de réactualisation du Programme National de Lutte contre le Changement Climatique (PNLCC) qui couvre toutes les activités économiques dont l'agriculture.
Comme tout travail scientifique, cette expertise a souligné les lacunes de la connaissance scientifique dans le domaine et suscité de nouvelles interrogations telles que celles relatives aux mécanismes de transformation biologique du carbone dans les sols et aux impacts des différentes pratiques agronomiques.
Il est donc souhaitable que les recherches se poursuivent dans ce domaine dont l'enjeu déborde du strict cadre de la mise en uvre du protocole de Kyoto. L'importance des flux en cause justifie en effet l'intérêt que la recherche doit porter aux puits dans le cadre d'une gestion planétaire à long terme de l'effet de serre.
Je voudrais, en conclusion et sans minimiser les capacités de stockage du carbone des sols et de la forêt, rappeler que les enjeux de la lutte contre le changement climatique nous obligent à conduire rapidement et sans relâche une politique ambitieuse qui s'attache d'abord à réduire les émissions de gaz à effet de serre à la source notamment dans les domaines où ils sont en pleine expansion comme les transports et le bâtiment.
La remise à jour et l'accélération des mesures du PNLCC sont dans ce contexte une de mes priorités.
Mesdames et Messieurs, je tiens à remercier les auteurs de l'expertise et les organisateurs de ce colloque qui a été une occasion d'échanger avec des intervenants européens et nord américains.
Je remercie aussi Mr Michael Hamell de la Commission européenne, ainsi que tous les acteurs de l'agriculture et de l'environnement pour leur participation.
Je crois que de nouvelles pistes de travail sont ouvertes qu'il convient maintenant d'explorer.

(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 janvier 2003)