Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les objectifs de la France concernant les prochaines négociations sur l'Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment l'environnement, la sécurité alimentaire et les normes sociales, Paris le 9 novembre 1999.

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Circonstance : Intervention de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, devant le Conseil national de la consommation à Paris le 9 novembre 1999

Texte intégral

Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui, à quelques jours du lancement de négociations importantes qui retiennent - je n'en doute pas - tout votre intérêt.
La conférence ministérielle de Seattle a pour mission de lancer un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, le premier depuis la création de l'OMC, en 1994.
Dans cette perspective, les ministres des 15 Etats membres ont adopté en octobre des conclusions qui constituent le "mandat" donné à la Commission européenne pour préparer la conférence de Seattle. Ces conclusions (ce "mandat") fixent les objectifs de l'Union pour les prochaines négociations. Je vous rappelle que c'est la Commission qui négocie en matière commerciale pour l'Union Européenne sous le "contrôle" et selon les orientations qui lui sont données par le Conseil des ministres des 15 Etats membres, qui parlent ainsi d'une seule voix.
Nos objectifs pour le prochain cycle sont ambitieux, nous ne nous en cachons pas.
Ils répondent d'une part à l'enjeu que représente une libéralisation accrue des échanges dans les nombreux secteurs (industriels, de services, agro-alimentaires ...) où nous avons des intérêts offensifs à faire valoir. La réduction des droits de douane et le traitement des obstacles non tarifaires continuent d'être un objectif majeur pour que les entreprises disposent d'un accès réel aux marchés de nos partenaires. Je vous rappelle que dans la plupart des pays émergents, les droits de douanes restent beaucoup plus élevés en moyenne que dans l'Union Européenne, et que chez nos partenaires industrialisés des pics tarifaires subsistent dans de nombreux secteurs (par exemple le textile aux Etats-Unis).
Cependant, il n'est pas souhaitable de laisser se développer le scénario d'une négociation minimaliste, qui serait centrée uniquement sur l'accès au marché (c'est à dire essentiellement sur l'abaissement des droits de douane) : c'est le scénario que semblent privilégier nos partenaires américains. L'échange international ne peut se résumer à la seule problématique de l'accès au marché. Nous avons besoin de règles du jeu, sur des questions telles que la concurrence, les marchés publics, l'investissement : nous avons en effet collectivement intérêt à ce que des principes de base - fondés sur la transparence et l'absence de discrimination - s'appliquent à l'investissement direct ou à la concurrence. Les entreprises ont besoin d'un cadre stable pour développer leurs activités sur les marchés à l'étranger. Naturellement, nous devrons procéder en la matière avec prudence et pragmatisme, car la réglementation de l'investissement est un domaine de souveraineté mais il ne s'agit pas ici de reproduire l'AMI ! Les pays en développement qui reçoivent l'investissement direct étranger des multinationales, et sont confrontés aux cartels internationaux, ont également intérêt à voir naître ces principes multilatéraux qui loin de menacer leur souveraineté leur permettraient au contraire de déjouer les monopoles et les rentes de situation.
Enfin, il nous semble important que l'OMC prenne en considération les aspects de l'échange international qui ne sont pas strictement économiques comme l'environnement, les normes sociales ou encore les questions de sécurité alimentaire. Il est de notre responsabilité de répondre aux implications croissantes des échanges commerciaux pour l'environnement et les conditions de travail, et de les orienter dans le sens d'un développement durable qui permettent d'assurer un meilleur partage des bénéfices de la mondialisation.
Sur l'ensemble des thèmes esquissés, et en particulier sur ces derniers, j'attache une importance particulière au dialogue que je vais engager avec vous, au moins à deux titres :
- il me permet d'insister sur le caractère fondamental de l'association de l'ensemble des composantes de la société civile à la préparation des négociations de l'OMC.
Ce cycle qui est devant nous - le neuvième - est différent des autres en ce sens qu'il ne peut être le fait de seuls experts qui travailleraient en circuit clos sans en référer à la société civile. L'échec de l'AMI nous a montré combien les citoyens, les consommateurs, l'ensemble de la société civile veulent être impliqués dans l'élaboration de normes internationales qui ont des conséquences évidentes sur leur quotidien,
- ce dialogue est important également en raison du changement qui affectera la nature même des prochaines négociations qui au delà de la libéralisation des flux commerciaux s'attaqueront à un défi majeur : la régulation des échanges.
Les bénéfices qu'offre l'ouverture des marchés aux consommateurs sont tangibles : chacun peut accéder à un certain nombre de produits au meilleur prix et dispose de la possibilité de satisfaire son goût pour la variété. Toutefois, ces avantages seraient de faible poids, si comme le disent certains, l'OMC avait pour objectif et pour résultat de contraindre tous les pays à se plier à un moins-disant social, écologique, sanitaire.
Dans cette fresque alarmiste, qui pourrait être inspirée du roman The Jungle qui avait alerté, au début du siècle, l'opinion américaine sur les pratiques sanitairement peu recommandables des abattoirs de Chicago, on aura du mal à reconnaître les principes qui guident l'OMC, et a fortiori les objectifs que se sont fixé l'Union Européenne, et la France, pour les prochaines négociations.
L'existence d'un cadre multilatéral permet justement d'établir des règles destinées à assurer un échange de biens et de produits de qualité, qui respecte la santé et l'environnement et qui se fasse dans des conditions sociales humainement acceptables. C'est pourquoi la consolidation du système commercial multilatéral ne se fera pas au seul bénéfice des entreprises mais également à l'avantage des citoyens, des travailleurs et des consommateurs. D'ores et déjà, les accords ADPIC signés en 1994 dans le cadre du Traité de Marrakech, garantissent la conception française et européenne de la protection des indications géographiques (vins, viandes, fromages, fruits et légumes...) en la rendant indépendante de la protection des marques. Et parce que ce type de qualité va de pair avec un certain modèle de développement, la France et l'Union européenne chercheront à obtenir, dans les prochaines négociations, la reconnaissance de l'équilibre nécessaire, dans le domaine agricole, entre les préoccupations qui relèvent d'une logique commerciale et celles qui n'en relèvent pas (c'est le concept de la " multifonctionnalité " de l'agriculture que nous défendons).
En tout état de cause, il nous semble indispensable d'encadrer la mondialisation en prenant en compte ses implications sociales et environnementales afin d'intégrer au mieux l'objectif du développement durable dans le système commercial multilatéral. Le développement durable est d'ailleurs inscrit dans le préambule de l'OMC. Il est de notre responsabilité de le décliner de façon pratique dans les prochaines négociations. J'aborderai ici 3 thèmes, qui sont celui de l'environnement, de la sécurité alimentaire et des normes sociales fondamentales :
- l'environnement :
Les débats sur l'impact des échanges commerciaux sur l'environnement sont légion. Certains soulignent l'effet de "Race to the Bottom" qui pourrait résulter d'un libéralisation accrue, d'autres se font les chantres d'un libre-échangisme qui serait absolument positif pour l'environnement. Entre les diagnostics catastrophistes et les prédictions optimistes, je crois qu'il est bon de rappeler un certain nombre de réalités.
L'environnement, en tant que bien public, doit faire l'objet d'interventions qui corrigent les défaillances du marché. Ces interventions peuvent prendre différentes formes selon que les problèmes d'environnement se posent à un niveau global ou local.
Aujourd'hui un certain nombre d'objectifs environnementaux qui sont consacrés dans les "accords multilatéraux sur l'environnement" recueillent un consensus suffisamment large des Etats. Il importe qu'ils puissent être mis en uvre sans que leur légalité au titre des règles de l'OMC ne soit pas mise en cause : dans cette perspective, nous devons avant tout rechercher une articulation claire entre les règles de l'OMC et les mesures prises dans les autres enceintes. Dans la mesure où les AME sont en particulier fondés sur le principe de précaution, en renforçant la légitimité de ces accords face à l'OMC, nous défendrons notre droit à mettre en uvre une approche de précaution.
En ce sens, la France avec l'Union européenne soutient fortement la nécessité de réserver une place particulière aux mesures commerciales prises dans le cadre d'un Accord multilatéral sur l'environnement. Ce traitement particulier pourrait se concrétiser, dès la prochaine conférence ministérielle, par un consensus entre les Ministres sur l'irrecevabilité des plaintes qui porteraient sur la mise en uvre d'une mesure commerciale prévue par un AME.
Il faut aussi intégrer les préoccupations environnementales dans les règles commerciales.
Les consommateurs demandent toujours davantage d'information sur la qualité des produits et sur la façon dont ces produits respectent l'environnement.
Cela conduit, de façon croissante, le secteur privé à s'organiser afin de mieux renseigner les consommateurs sur les procédés de fabrication. L'OMC doit promouvoir ces initiatives "volontaires" tout en s'assurant que l'écoétiquetage valorise aussi les produits des pays en développement : il faut en effer veiller à ce que ces derniers ne considèrent pas les coûts de l'éco-étiquetage comme une nouvelle forme de protectionnisme déguisé de la part des pays industrialisés.
- la sécurité alimentaire :
L'industrialisation de l'alimentation d'une part, et les conséquences de la mondialisation d'autre part, ont transformé le risque alimentaire. Autrefois localisé, il est devenu risque de masse. Ainsi, alors même que le risque alimentaire diminuait incontestablement en intensité, sa perception se faisait plus aiguë.
Dans ce contexte, un besoin de normalisation internationale a progressivement émergé. Ces normes, et en particulier les travaux du Codex alimentarius, ont acquis une portée nouvelle du fait de l'entrée en vigueur des accords sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) et sur les obstacles techniques au commerce (OTC). La mise en place de l'organe de règlement des différends de l'OMC est venue compléter ce dispositif.
Les récentes crises alimentaires ont amené la société civile à mettre en cause l'efficacité de ce dispositif. Cette remise en cause s'est concrétisée souvent, explicitement ou implicitement, dans un appel à la réouverture de l'accord SPS.
Je voudrais ici vous dire la façon dont je vois les choses pour la conférence de Seattle. Il m'apparaît dangereux de rouvrir l'accord SPS. D'une part, parce que l'accord dans ses termes actuels permet déjà d'adopter une approche de précaution, même si celle-ci est fortement encadrée. D'autre part, parce qu'il n'est pas certain qu'une renégociation de cet accord se fasse en notre faveur.
Nous comptons nous engager fortement en faveur de la reconnaissance du principe de précaution dans le domaine de la sécurité alimentaire. Cette reconnaissance pourrait prendre la forme d'une déclaration interprétative de l'accord SPS.
De plus, comme vous le savez sans doute, l'OMC n'édicte pas de normes en matière sanitaire et phyto-sanitaire. Ce sont les normes définies par les organismes comme le Codex alimentarius, ou encore l'office international des épizooties qui servent de référence en cas de différends. Nos exigences en matière de normes sanitaires, qui sont en moyenne plus élevées que les normes internationales en vigueur, auront d'autant plus de chances d'être reconnues que nous les ferons valoir au sein de ces organismes eux-mêmes.
- les normes sociales fondamentales :
Si en raison des récents contentieux, l'OMC suscite encore des craintes quant à un abaissement des exigences en matière de sécurité alimentaire, en revanche, beaucoup espèrent que le commerce international permettra de promouvoir des normes sociales universellement reconnues. Plutôt que des inquiétudes, l'OMC suscite, de ce point de vue, de nombreuses attentes. Institution permanente, dotée d'un organe de règlement des différends, l'OMC dispose d'un pouvoir contraignant : est-il juridiquement possible et pratiquement souhaitable que ce pouvoir soit mis au service des principes inscrits aussi bien dans la déclaration sur les droits fondamentaux de l'homme au travail que dans la Convention sur les formes les plus intolérables du travail des enfants ?
Il faut nous préserver des malentendus qui pourraient naître sur ce sujet avec nos partenaires en développement. Il ne s'agit pas pour la France et l'Union européenne de chercher à remettre en cause les avantages comparatifs des pays en développement. En appelant l'ensemble des membres de l'OMC et de l'OIT à travailler de sorte que la libéralisation des échanges s'accompagne d'un progrès social, la France cherche non pas à égaliser les conditions sociales de la concurrence mais à soutenir les efforts de ceux qui veulent avancer dans la voie d'une meilleure application des droits sociaux fondamentaux définis par l'OIT notamment dans la Déclaration sur les Principes et Droits fondamentaux de l'Homme au travail (non discrimination, travail des enfants, négociation collective, travail forcé).
Les conventions de l'OIT portent sur des droits sociaux sans références à des normes économiques. A aucun moment l'OIT ne fait référence à un salaire minimum, ni même à des conditions de sécurité du travail. L'OIT a abandonné l'idée d'une uniformisation des législations sociales, ou l'idée d'une égalisation des coûts du travail, pour se concentrer sur des droits fondamentaux qui sont dit tels parce qu'ils conditionnent les autres et permettent à leurs titulaires de revendiquer une juste part des avantages que peut engendrer le développement économique.
Dans le préambule de sa constitution, l'OIT reconnaît solennellement que " la non adoption par une nation quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des travailleurs dans leur propre pays. "
Dans la mesure où il n'est pas question pour l'OMC de traduire la question des droits de l'homme au travail en termes de dumping social ou de concurrence déloyale, il s'agit pour nous ici, dans le cadre de Seattle et après Seattle, de voir comment l'OMC - avec les outils incitatifs dont elle dispose - peut soutenir l'action de l'OIT (octroi de concessions commerciales additionnelles sur des critères sociaux, intégration d'un volet social dans le mécanisme d'examen des politiques commerciales, etc...)
La France plaidera donc à Seattle pour qu'un forum soit mis en place entre les deux organisations (OMC et OIT) afin de lancer la dynamique d'une collaboration régulière.
Conclusion.
Je terminerais simplement par une question : l'OMC peut-elle tout faire ? Pour moi, la réponse est claire. Non, ce n'est pas à l'OMC que nous trouverons toutes les réponses aux interrogations que soulève la mondialisation.
En matière de droits sociaux, l'OIT a pour mission de construire la norme internationale dans le domaine de la protection de l'homme au travail. Sur les questions d'environnement, les accords multilatéraux et les enceintes telles que le PNUE, la CNUCED, sont les espaces naturels de négociations. Pour établir des normes de sécurité alimentaire, la FAO et le Codex alimentarius en particulier, ont une responsabilité essentielle, dans la mesure même où les accords SPS y font référence.
C'est pourquoi j'en appelle à la concertation des organisations internationales qui, ensemble, ont à réguler les implications multiples de la mondialisation des échanges. C'est dans ce cadre élargi que doit être replacée l'action de l'OMC à qui il serait contradictoire de faire porter tous les espoirs et toutes les inquiétudes que suscitent la mondialisation.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 16 novembre 1999)