Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à "Delo" le 21 septembre 2002, sur les négociations et le calendrier d'élargissement de l'Union européenne, l'aide aux agriculteurs des nouveaux pays adhérents, la réforme de la PAC, le deuxième référendum sur le traité de Nice en Irlande et les propositions françaises sur la réforme des institutions communautaires.

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Média : Delo - Presse étrangère

Texte intégral

Q - Quels sont les objectifs de votre première visite en Slovénie en qualité de ministre des affaires européennes ? Que nous apportez-vous ?
R - Permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai à me rendre à Ljubljana. Ce déplacement sera ma troisième visite dans un pays candidat, après la Hongrie, en juillet et la Roumanie au début de ce mois. Je compte ainsi, d'ici au Conseil européen de Copenhague, visiter le plus grand nombre possible de pays candidats afin de témoigner à tous de l'engagement de la France, du président de la République et de son gouvernement à assurer la réussite de l'élargissement en temps et en heure.
Alors que les négociations d'adhésion touchent à leur terme pour un grand nombre de pays, dont la Slovénie, je souhaite en effet que nous commencions à nous projeter au-delà de l'adhésion, pratiquement acquise, pour établir les bases d'un partenariat durable et confiant entre la France et chacun des futurs membres car c'est ensemble que nous devrons demain faire avancer l'Europe.
Q - Comment les divergences entre les pays membres de l'Union européenne, notamment sur l'avenir de la Politique agricole commune et sur les questions financières, peuvent-elles influencer la suite des négociations d'adhésion ?
R - Chacun en Europe, aussi bien parmi les membres actuels que futurs, est conscient de l'importance historique de l'enjeu. Et, s'il est naturel que chacun défende aujourd'hui ses intérêts, j'ai confiance que nous parviendrons à dégager les compromis indispensables pour permettre la conclusion des négociations. Nous travaillons d'ailleurs avec nos amis allemands afin de rapprocher nos positions.
L'objectif pour l'Union est d'arrêter d'ici au Conseil européen de Bruxelles, fin octobre, des positions communes sur les chapitres agricole, budgétaire et financier. Ces positions communes constitueront la base des discussions avec les pays candidats.
Je voudrais vous dire, à ce propos, que la France comprend et partage le souci de la Slovénie de ne pas se retrouver contributrice nette au budget communautaire à la date de son adhésion. Une telle situation ne serait évidemment pas équitable et, si elle venait à se présenter, devrait être absolument corrigée. Je tiens d'ailleurs à rappeler que l'Union européenne a prévu, dans sa position de négociation, une compensation budgétaire dans un tel cas. Il n'est cependant nullement certain, alors que les négociations se poursuivent, que cette hypothèse se réalisera.
Q - Les sujets agricoles peuvent-ils vraiment mettre en danger l'élargissement, étant donné qu'il faudra tenir compte non seulement des peurs des agriculteurs dans les pays membres mais aussi des anxiétés de la population paysanne dans les pays candidats ? L'agriculture de la France est très puissante. Est-ce que les agriculteurs français soutiennent l'élargissement de l'Union européenne ?
R - Pour ce qui concerne l'agriculture, nous avons aujourd'hui devant nous deux problèmes distincts : d'une part, la question de l'octroi des aides directes aux agriculteurs des pays candidats ; d'autre part, le risque de télescopage entre les négociations d'élargissement et la revision du fonctionnement de la politique agricole commune, à mi-parcours de la période de mise en uvre, 2000-2006, de la réforme décidée au Conseil européen de Berlin en 1999.
Sur le premier point, la France soutient la proposition de la Commission, présentée en janvier dernier, d'accorder progressivement les aides directes aux agriculteurs des pays candidats. Cette proposition, conforme à l'équité, pose en effet le principe de l'intégration des pays candidats au sein de la PAC tout en restant compatible avec les plafonds des perspectives financières de Berlin et en ne préjugeant pas des évolutions futures de la politique agricole commune. Je tiens à souligner que cette position ouverte marque une véritable concession par rapport au cadre financier décidé à Berlin qui, bien que les aides directes fassent partie de l'acquis communautaire, n'en prévoyait toutefois pas l'octroi aux nouveaux membres pour la période allant de leur adhésion à 2006.
Sur le second point, nous estimons que la PAC ne doit pas être la variable d'ajustement de l'élargissement, sauf à vouloir rouvrir tout le paquet de Berlin, avec la politique régionale et le chèque britannique, auquel la France est le premier contributeur. La Présidence danoise l'a bien compris et elle est sur cette ligne, très claire.
Nous estimons en effet qu'il n'est pas sage de vouloir mêler des dossiers aussi complexes, alors que rien ne le nécessite, au risque de compliquer la conclusion des négociations d'élargissement, priorité absolue pour cette année. Nous estimons également qu'il n'est pas équitable de chercher à préempter aujourd'hui, avant l'élargissement, le débat sur l'avenir de la politique agricole commune après 2006 qui intéresse les futurs membres autant que nous. A cet égard, les agriculteurs français et leurs collègues des pays candidats mènent un même combat, celui de la défense du rôle économique, social et environnemental de l'agriculture en Europe et celui du maintien de la place de l'Europe dans le monde en tant que grande puissance agro-alimentaire.
Le calendrier de Berlin constitue en effet un contrat entre les Quinze et les agriculteurs européens. Ce contrat court jusqu'en 2006 et il n'existe aucune raison valable de le remettre en cause avant l'échéance. De ce point de vue, les propositions de la Commission pour réformer la PAC, et notamment le découplage du versement des aides directes et de la production, vont très au-delà des simples ajustements techniques envisagés à Berlin en 1999. Si elles étaient mises en uvre, ces propositions engageraient l'agriculture européenne sur la voie d'une réforme radicale dont on ne mesure pas vraiment aujourd'hui les implications. Or, certaines des propositions avancées par la Commission, comme le découplage, ont déjà été expérimentées aux Etats-Unis en 1996 pour aboutir à un échec.
Cela dit, la France est ouverte à une discussion, le moment venu, sur l'avenir de la PAC, dans le cadre de la discussion d'ensemble sur les prochaines perspectives financières 2007-2013. La France est également très favorable au développement rural, même si, force est de le constater, les dispositifs actuels censés répondre à cette préoccupation - ce qu'il est convenu d'appeler le second pilier de la PAC - ne fonctionnent pas de manière satisfaisante et devraient être réformés.
Il est ainsi faux d'affirmer que la France et ses agriculteurs seraient réticents sur l'élargissement pour défendre de prétendus privilèges. Les réserves de la France sur les propositions de réforme de la PAC présentées par la Commission sont d'ailleurs très largement partagées par nos partenaires européens puisque, lors du Conseil agriculture du 15 juillet, dix Etats membres se sont prononcés clairement contre le découplage des aides directes.
Q - De la fin des négociations dépendra aussi la possibilité pour les nouveaux membres de l'Union européenne de participer aux prochaines élections européennes en 2004. Est-ce que c'est encore réellement possible, compte tenu du fait que le processus de négociations risque de ne pas être achevé avant la fin de cette année ? L'Union européenne pourrait-elle, si nécessaire, changer les règles de l'élection au Parlement européen si la ratification des traités d'adhésion tardait ?
R - Notre objectif reste inchangé : conclusion des négociations avec les candidats prêts au Conseil européen de Copenhague en décembre, signature formelle du Traité unique d'adhésion au printemps 2003, procédures nationales de ratification au cours de l'année 2003, de manière à permettre la participation des nouveaux membres à l'élection du Parlement européen en 2004. Je ne vois aujourd'hui aucune raison qui conduirait à remettre en cause ce calendrier.
Q - Le gouvernement irlandais vient d'engager récemment une campagne officielle pour un nouveau référendum sur le Traité de Nice. Quels seraient vos sentiments si les électeurs irlandais refusaient une nouvelle fois le Traité de Nice ?
R - L'Union européenne n'a pas aujourd'hui de solution de rechange si les électeurs irlandais rejetaient une nouvelle fois le Traité de Nice.
Le Traité de Nice vise en effet à permettre le fonctionnement de l'Union européenne après l'élargissement. Sa ratification par le peuple irlandais est donc absolument indispensable pour permettre au processus d'élargissement de se poursuivre selon le calendrier prévu. Un nouveau vote négatif des électeurs irlandais, que nous ne voulons pas envisager, ouvrirait ainsi une période d'incertitude, voire de crise, dont l'Europe ne sortirait pas indemne.
Q - La Convention sur l'avenir de l'Union européenne se poursuit : la France a-t-elle, au sein de la Convention, des propositions particulières qu'elle voudrait faire valoir avant la prochaine conférence intergouvernementale ?
R - La Convention sur l'avenir de l'Europe, qui doit déboucher à l'horizon 2004 sur un texte de portée constitutionnelle, constitue une occasion à ne pas manquer pour refonder une Europe plus proche des citoyens, plus simple, plus légitime, plus efficace et plus forte. Nous vivons en effet dans un monde incertain, marqué par les menaces nouvelles qu'a révélées le 11 septembre.
La France a déjà avancé un certain nombre d'idées, à commencer par la création d'un poste de président du Conseil européen, afin de donner une direction politique claire, un visage, à l'Europe élargie.
Par ailleurs, l'affirmation d'une politique étrangère et d'une politique de défense européennes crédibles et efficaces constitue l'un des principaux enjeux pour les années à venir. Ainsi, afin de mieux identifier les responsabilités entre le Conseil et la Commission et de veiller à une utilisation cohérente des moyens financiers de l'Union, la France a proposé, par la voix du président de la République, que l'Europe se dote d'un véritable ministre des Affaires étrangères qui exercerait, auprès du président du Conseil européen, les fonctions qui sont aujourd'hui celles du Haut représentant pour la PESC et du commissaire pour les relations extérieures.
En outre, plutôt que de vouloir étendre à la politique étrangère les procédures communautaires appliquées au marché intérieur ou à la politique de concurrence, ce qui irait contre les réalités nationales, la France a proposé de définir, dans une déclaration solennelle, les grands axes de la politique extérieure de l'Union pour les prochaines années afin notamment de mieux prendre en compte l'intérêt européen dans les situations de crise.
Notre souci général est de maintenir l'équilibre entre les trois institutions politiques - Conseil, Commission et Parlement - tout en renforçant leur capacité d'action réciproque. Nous voulons aussi assurer à l'Europe davantage d'unité dans les trois domaines où elle doit pouvoir agir avec efficacité : la politique économique et monétaire, pour gérer au mieux notre monnaie unique ; la diplomatie et la défense, pour que les Européens puissent peser sur les affaires du monde ; la justice et la police, pour nous permettre de faire face à l'immigration illégale et aux réseaux, si puissants hélas, du crime organisé. Enfin, le système institutionnel doit, selon nous, être soumis à un réel contrôle démocratique auquel devront être associés les parlements nationaux.
Vous pouvez constater, au travers de ces premières propositions, la volonté de la France de continuer à jouer un rôle moteur dans la construction européenne.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2002)