Interview de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, à "LCI" le 16 décembre 2002, sur le projet de loi de transposition de la directive européenne pour la libéralisation de l'énergie et la préparation d'une grande loi d'orientation énergétique, sur l'élargissement de l'Union européenne à 25 pays, et sur la candidature rejetée de la Turquie.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-.Vous avez dû batailler, la semaine dernière, à l'Assemblée, pour faire adopter le projet de loi qui transpose une directive européenne pour la libéralisation de l'énergie, c'est-à-dire, l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence étrangère, ce qui met fin au monopole d'EDF et de GDF. Les craintes qui se sont exprimées et qui sont un peu celles des Français, c'est : comment va-t-on sauvegarder le service public auquel on est tellement attaché ? Vous avez essayé de donner des assurances, mais on voudrait bien savoir comment ça va se passer ?
- "Je voudrais tout d'abord rappeler que c'est un texte qui va permettre aux entreprises, aux clients professionnels donc, d'être ouverts en effet, de choisir librement leurs fournisseurs de gaz. C'est un texte qui avait été adopté à Bruxelles en 1998, c'est-à-dire il y a plus de deux ans, et que malheureusement, nos prédécesseurs n'avaient pas transposé dans la législation française."
Ca posait problème ?
- "Oui. Et toute la question en effet, c'est de concilier cette ouverture à la concurrence, et le maintien des missions de service public. Ces missions sont inscrites en toutes lettres dans le texte que j'ai proposé à l'Assemblée nationale, et qui a été adopté. Ca veut dire quoi ? Tout simplement, la continuité, c'est-à-dire que les fournisseurs seront obligés d'assurer la continuité de fourniture de gaz ; ça suppose la transparence dans les prix, l'harmonisation des tarifs ; ça suppose aussi l'obligation de maintenir la fourniture de gaz aux personnes les plus démunies ; et ça suppose, bien évidemment, la sécurité des installations. Voilà quelques points concrets, très précis, qui sont tout à fait couverts dans le texte que j'ai soumis à l'Assemblée."
Mais on pense aussi à quelques situations dramatiques, on l'a vu au moment des grandes tempêtes, quand EDF a été sur le pont jour et nuit ; on se dit : mais tout ça, ça va être terminé, car avec la concurrence il y aura plusieurs compagnies, on ne sait pas qui fera quoi ?
- "Si, en effet, ces obligations de service public n'étaient pas, non seulement rappelées mais je dirais même garanties, affirmées dans le texte, en effet, il y aurait ce risque. Mais nous y avions pourvu. Je suis vraiment fermement convaincue que "ce service public à la française" comme on l'a souvent appelé..."
Et qui existe ?
- "...c'est une originalité culturelle extrêmement importante. Et d'ailleurs, nous avons réussi à l'exporter. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nos partenaires européens, nous avons réussi à la convaincre que c'était une idée essentielle. Le fait que les biens les plus essentiels puissent être accessibles à tous. Elle est inscrite en toutes lettres dans les textes européens. C'est-à-dire que maintenant, non seulement c'est une idée, une obligation qui est garantie au niveau des textes français, mais qui maintenant a trouvé sa garantie au niveau des textes communautaires. Quelqu'un qui serait lésé dans l'une des ces applications des services publics, pourrait saisir les tribunaux européens."
Comment va se passer le renouvellement des centrales nucléaires avec cette ouverture. Est-ce qu'il pourrait y avoir des opérateurs étrangers ?
- "Nous allons beaucoup beaucoup travailler au niveau de l'énergie puisque je vais entamer, à partir de janvier prochain, un grand débat national justement, sur les énergies, autour des centrales, autour des énergies renouvelables aussi, puisque nous avons une obligation européenne de 21 % qui est d'ailleurs tout à fait intéressante et nécessaire ; autour de la sécurité des installations ; autour du problème du traitement des déchets. Tous ces grands sujets vont être abordés dans un débat que je souhaite très très large, au sein duquel je souhaite vraiment que tout..."
Vous allez vous promener, faire le tour de France un peu comme le font le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères pour parler de
l'Europe ?

- "Pour parler et de l'énergie et de l'Europe, oui, en effet. Nous allons décentraliser ce débat, pour faire en sorte que tous ceux qui ont des choses à dire sur le sujet, ceux qui sont représentatifs d'une certaine façon...
Entre les choses à dire et les faire accepter ce n'est pas...
- "...Et ensuite, nous déboucherons sur une grande loi d'orientation énergétique."
Comment va se...?
- "A l'automne de l'année prochaine."
Loi d'orientation énergétique qui prendra en compte le renouvellement du parc de centrales nucléaires ?
- "Tout à fait, qui prendra des décisions sur les nouveaux réacteurs. Et encore une fois, qui fera une part tout à fait importante aux énergies renouvelables. Parce que je crois que vraiment, là, il y a un grand avenir, complémentairement, encore une fois, à l'énergie nucléaire qui est, qu'on le veuille ou non, l'énergie, la moins polluante. Aujourd'hui, c'est la seule énergie qui ne produit pas de gaz à effet de serre. Il n'y a pas que cela. Il faut, bien sûr, une très grande transparence et une très grande sûreté, une très grande sécurité. Et nous y pourvoirons."
Vous avez présidé le Parlement européen. Ca vous a fait un pincement au coeur de ne pas être à Copenhague la semaine dernière quand les chefs d'Etat et de gouvernement on adopté l'élargissement à 25 ?
- "Non, je n'ai pas eu de pincement au coeur. J'ai ressenti une très grande joie parce que c'est l'aboutissement d'un processus qui avait été très largement engagé notamment au sein du Parlement européen. Je dois dire que nous, dès que le Mur de Berlin est tombé, tout de suite nous avions compris que la réunification de la grande famille européenne était en marche. Alors, c'est un événement tout à fait historique."
Ca va quand même poser des gros problèmes de structures et de financement.
- "La Convention va devoir maintenant en effet, faire en sorte que cette communauté européenne - j'emploie toujours le mot "communauté" - puisse conserver sa capacité décisionnelle, qu'elle puisse rester une véritable communauté, que cette conception que nous avons ne soit pas diluée dans un grand marché. C'est une grande entreprise que je suivrai bien entendu avec l'attention que vous imaginez."
Pour ce qui concerne la Turquie ? Est-ce la bonne méthode de dire : attendez encore un peu, on verra plus tard... De faire attendre ce pays ?
- "Je pense très sincèrement que c'est une bonne décision d'avoir laissé du temps au temps."
Pourquoi ?
- "Parce que d'abord, ça n'aurait pas été bon en 2004..."
Ca ne résoud pas le problème...
- "Oui."
... de savoir si la Turquie est dans l'Europe ou pas ?
- "En 2004, nous avons des échéances extrêmement importantes, donc l'élargissement aux dix pays va s'appliquer. Il va y avoir des élections européennes. Je ne crois pas qu'il aurait été bon que ces événements puissent coïncider avec l'ouverture des négociations de la Turquie. Par ailleurs, aujourd'hui, c'est incontestable, la Turquie ne remplit pas les critères de Copenhague, les critères démocratiques que nous nous sommes fixés. Je pense aussi qu'il faut une maturation de l'opinion publique, il faut que les citoyens soient très associés. D'ailleurs, le moment venu, et je tiens à le rappeler parce qu'on l'oublie trop souvent, il y aura une ratification de l'adhésion de la Turquie si un jour, la Turquie doit rentrer dans l'Union. Soit par le Parlement, soit par un vote du Parlement français, soit éventuellement par un référendum."
Le Premier ministre, hier soir, en parlant de N. Sarkozy, a dit : "sa réussite c'est aussi la mienne, c'est celle de tout le Gouvernement". Est-ce N. Sarkozy qui "drive" la popularité gouvernementale ?
- "Je serais tentée de dire que la réussite de N. Sarkozy, en effet, c'est la nôtre. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu'on avait bien constaté pendant toute cette campagne électorale et bien avant, que le problème numéro 1 des Français, c'est le problème de la sécurité. Nous avons, parce que malheureusement on n'est pas au bout du chemin, mais nous avons une impérieuse obligation de réussir. On ne pouvait pas continuer dans un contexte d'insécurité vraiment aussi dramatique. Les Français n'en pouvaient plus. Et tout ce que N. Sarkozy fait de positif dans ce domaine, c'est vraiment tout bon pour l'ensemble du Gouvernement. Nous l'aidons beaucoup, nous le soutenons beaucoup. Ceci étant, bien sûr, il n'y a pas que lui qui agit. Lorsque mon collègue des Affaires sociales agit pour libérer les énergies, pour faire en sorte que l'attractivité du territoire puisse être renforcée et puisse attirer des investisseurs, que les entreprises puissent renforcer leur compétitivité, comme vous le savez, bien sûr, c'est un chantier auquel je participe moi-même très activement, dans le cadre des fonctions qui m'ont été confiées."
Donc, toutes les énergies sont mises à contribution ?
- "Oui, voilà, absolument, tout à fait."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 décembre 2002)