Déclaration de M. Jacques Chirac, Premier ministre, sur le financement des régimes de retraite et l'âge de la retraite, Paris le 13 mars 1987.

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Circonstance : Colloque organisé pour le 40e anniversaire de l'AGIRC (Association générale des institutions de retraite des cadres)

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs.
Demain, votre régime, l'AGIRC, aura 40 ans. Le 14 mars 1947, les cadres et le patronat ont décidé de se doter d'un régime d'assurance vieillesse complémentaire.
Ces quarante années, qui sont celles de la reconstruction de notre pays, puis de son expansion économique, ces quarante années au cours desquelles les cadres français ont joué un rôle considérable, je suis heureux de les fêter avec vous.
L'AGIRC. depuis 1947. a gagné un triple pari :
--la construction d'un régime complémentaire d'assurance-vieillesse,
-- le succès de la gestion paritaire,
-- la réussite de l'innovation sociale.
Il fallait en 1947 une bonne dose de volonté et une véritable foi pour construire un régime de retraite complémentaire pour les cadres :
-- parce que les cadres étaient encore peu nombreux et qu'ils étaient rares ceux qui avaient assez de clairvoyance pour comprendre le rôle déterminant qu'ils allaient jouer dans le développement du pays,
--parce que la notion de retraite était une idée neuve : une population plus jeune qu'aujourd'hui, une espérance de vie qui laissait peu d'années pour l'inactivité, une organisation sociale et familiale où s'intégraient davantage les plus âgés.
Dans ces conditions, pourquoi prévoir pour ses vieux jours, au-delà du régime général qui se mettait en place ?
Vous avez eu alors une attitude exemplaire, puisque c'est sur le modèle de l'AGIRC que se sont construits d'autres régimes complémentaires pour le reste des salariés d'abord, puis pour les autres professions. Vous avez été la référence et la norme. C'est votre grand succès, un succès acquis dans la solidarité :
--solidarité entre générations, puisque vous avez choisi, dès l'origine, le système de la répartition permettant à tous ceux qui avaient travaillé avant 1947 de bénéficier immédiatement d'une véritable retraite ;
--solidarité entre secteurs professionnels, entre lesquels l'AGIRC joue un rôle essentiel de compensation financière.
Cette construction, visionnaire à plus d'un titre, a désormais atteint la maturité : que ceux de vos grands anciens présents ici reçoivent aujourd'hui le juste témoignage de leur mérite et de leur dévouement. Pensons tous aussi à ceux, maintenant disparus, qui ont posé les premières pierres de l'édifice.
Mais il ne fallait pas simplement imaginer. II fallait durer et vous avez su gagner le pari d'une gestion paritaire de votre régime.
Sous forme de boutade, je dirais que ce que vous demandez à l'Etat, c'est sa présence honorifique à vos anniversaires. Pour le reste, vous êtes entre vous, représentants des entreprises et représentants des organisations syndicales. La réglementation, c'est vous qui l'élaborez ; les caisses de retraite, c'est vous qui les constituez, la puissance publique se contentant d'approuver leurs statuts.
Cette situation dérange parfois. Certains voudraient que l'Etat intervienne dans vos affaires : par exemple, pour que vous étendiez le bénéfice de vos retraites à telle catégorie, ou que vous vous montriez plus généreux dans la prise en compte de telle ou telle situation.
Je le dis ici : la gestion paritaire du régime de retraite complémentaire des cadres est une force dans un pays où l'on attend souvent trop de l'Etat : comptez sur moi pour en respecter à la fois l'esprit et la lettre.
C'est à vous, partenaires sociaux, qu'il revient de déterminer vos règles et de prendre vos responsabilités financières. Je me garderai bien de tout interventionnisme d'Etat : vous savez que telle n'est pas ma philosophie.
Et puisque ce que vous attendez des pouvoirs publics, c'est qu'ils vous laissent vous accommoder entre vous, je m'y range bien volontiers et vous annonce, puisque le problème restait en suspens à ce jour, l'agrément de l'avenant A 99. Je n'en dirai pas plus ici, vous savez tous ce dont je veux parler.
Je sais aussi combien l'AGIRC est attentive aux règles d'évolution du plafond de la sécurité sociale. Les pouvoirs publics veilleront, soyez en assurés, à ce que ne se reproduisent pas les hausses inconsidérées de nos prédécesseurs qui ont porté un préjudice grave à votre régime.
Vous avez gagné un dernier pari, celui d'une innovation sociale permanente au service des cadres actifs ou retraités et de leurs familles.
Vous avez au cours de ces 40 ans multiplié les initiatives que les disponibilités des fonds sociaux permettaient : bourses d'enseignement, interventions individuelles en cas de chômage, préparation à la retraite, aides à domicile des personnes âgées moins autonomes. Vous avez souvent été des précurseurs en apportant des réponses imaginatives aux besoins, toujours plus diversifiés, des nouveaux retraités. Un chiffre donne toute la mesure de votre dynamisme, c'est 1 milliard de francs que vous avez consacré en 1986 à l'action sociale.
Vous avez enfin greffé sur votre activité de retraite, la prévoyance collective qui complète les prestations maladie ou invalidité servies par le régime général. Champ important : champ où la liberté de chaque secteur et de chaque entreprise s'exerce pleinement ; là encore, les cadres ont ouvert la voie.
Vous avez le droit d'être fiers des 40 ans qui viennent de s'écouler. Votre bilan est plus que positif. Je vous en félicite, ainsi que les directeurs et gestionnaires de vos 57 caisses : car chacun a eu sa place dans ces paris gagnés.
En d'autres temps, il y a 20 ans, 10 ans même peut-être, mon propos aurait pu se terminer ici.
Mais les temps ont changé et nos régimes sociaux connaissent désormais des circonstances moins favorables. Les difficultés économiques de la France, de même nature que celles de ses voisins, les évolutions démographiques, le poids des engagements pris par le passé sont autant d'éléments qui affectent aujourd'hui notre système de protection sociale, et plus particulièrement les régimes de retraite.
Nous sommes arrivés à une période charnière où apparaissent des obstacles que nous devons surmonter, et où se dessinent des mutations auxquelles nous devons nous préparer.
1er défi : notre vieillissement démographique.
Les personnes âgées de plus de 60 ans sont aujourd'hui 10 millions et représentent plus de 18 % de la population française. Si le taux de fécondité devait, hélas, se maintenir à son niveau actuel, elles seront près de 16 millions en 2020, soit plus de 25 % de la population.
La population très âgée augmentera encore plus fortement : les plus de 85 ans doubleront dans le même temps, passant de 700 000 à 1 400 000 personnes.
Ce que nous observons pour notre pays, nous le constatons aussi dans l'ensemble des nations industrielles, dont la situation est parfois plus préoccupante encore. Là où les plus de 65 ans forment 13 % de notre population, ils en représentent d'ores et déjà 15 % en République Fédérale d'Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis.
Chacun connaît les causes de ces évolutions démographiques fort comparables. Une baisse rapide de la natalité depuis les années 60 s'est conjuguée avec un allongement sans précédent de la durée de la vie : nous gagnons, et il faut nous en féliciter, 3 mois de vie tous les ans.
Le vieillissement des populations est ainsi, pour tous les pays industrialisés, une réalité â regarder en face car, tous les démographes le soulignent à juste titre, il est inéluctable.
Aucun redressement démographique si vigoureux soit-il, ne pourra en effet renverser ces tendances déjà inscrites dans notre pyramide des âges tout au plus et cela explique l'effort sans précédent que nous avons consenti pour notre politique familiale, une reprise de la natalité permettra de ralentir ces évolutions et d'atténuer les déséquilibres qui en sont l'inévitable conséquence. Si nous obtenons cela, ce sera déjà considérable.
Cette évolution démographique se double, par ailleurs, d'une évolution sociologique.
En effet, les retraités de notre époque sont, d'une manière générale, entrés plus tard que leurs aînés dans la vie active et cette constatation vaut, à l'évidence, pour les générations futures. Mais ils partent aussi en retraite plus tôt, et, les progrès de la science aidant, plus jeunes qu'auparavant.
Trois chiffres illustrent de manière frappante ce phénomène : en 1960, les pays industrialisés comptaient 60 millions de personnes de plus de 60 ans en situation d'inactivité ; en 1985 elles étaient 156 millions ; en 2025 elles seront 290 millions.
La part sans cesse croissante des personnes âgées sans activité confère ainsi à leurs besoins une ampleur tout à fait nouvelle.
Ces besoins, quels sont-ils ? Des ressources suffisantes et régulières, un environnement social favorable, des services appropriés aux nécessités du grand âge.
C'est dans ces trois directions qu'il nous faut savoir agir pour répondre dans la solidarité, aux défis du vieillissement.
D'abord les ressources et je pense, bien sûr au pouvoir d'achat des retraites. Chacun a à l'esprit la situation de notre sécurité sociale. Pour ce qui dépend de lui, c'est-à-dire les retraites du régime général, mon gouvernement souhaite, malgré toutes les contraintes, que ce pouvoir d'achat soit maintenu : il l'a été, et mieux encore, en 1986. Il le sera aussi en 1987, j'en prends l'engagement formel.
Mais je n'ignore pas les difficultés qui subsistent aujourd'hui : même si la retraite moyenne atteint désormais 5000 F/ mois, soit nettement plus que le SMIC, il demeure des situations qui exigent une solidarité accrue. Je pense ici tout particulièrement aux veuves, qui disposent le glus souvent de ressources très faibles et pour lesquelles je souhaite que puisse être consenti, un effort prioritaire.
La qualité de l'environnement ensuite. La période de retraite, autrement dit la rupture avec la vie de travail, demeure pour certains d'entre nous difficilement vécue. Elle marque souvent le début d'un processus d'exclusion et de mise à l'écart de la société contre lequel nous devons réagir.
Les cadres retraités, au préretraités, nous montrent dans quelle direction aller. Ils ont une expérience professionnelle qu'il nous appartient de savoir utiliser, car elle peut rendre à la nation d'inestimables services. A nous de mieux employer leurs compétences. Je pense par exemple que de nombreux cadres, retraités ou préretraités, pourraient utilement aider certaines P.M.E. dans leur effort d'exportation. Tous les retraités cependant n'ont pas cette chance et beaucoup demeurent isolés.
Rompre la solitude des personnes âgées, favoriser leur insertion dans le voisinage, rendre plus effective active la solidarité entre générations : voilà une tâche, en effet, à tous égards essentielle. Nous avons encore tous beaucoup à faire, Etat, collectivités locales, caisses de retraite, pour mettre en uvre les réponses qu'attendent de nous nos aînés.
Il nous faut savoir trouver des solutions imaginatives et nouvelles qui permettent aux personnes âgées de s'intégrer pleinement dans leur environnement, d'apporter aux autres toute la richesse de leur expérience, de bénéficier aussi des services qui leur évitent d'avoir à abandonner leur foyer.
C'est en ce sens qu'il nous faut essayer de développer aussi largement que possible des réseaux de voisinage, reposant sur le bénévolat, à même de favoriser un échange et une solidarité entre générations, tout en satisfaisant aux besoins des personnes âgées dans leur vie quotidienne.
Car le devoir de notre société aujourd'hui, c'est bien de donner aux plus âgés d'entre-nous, toute l'aide nécessaire dans la vie de tous les jours, pour qu'ils puissent demeurer aussi longtemps que possible dans leur cadre de vie habituel.
A cet effort collectif, l'Etat se doit de participer. J'ai ainsi tenu à exonérer de charges sociales les personnes âgées employant une aide à domicile, une aide ménagère ou une garde-malade, par exemple, et à créer également à leur profit une déduction fiscale de 10 000 F/an.
L'aide que mon gouvernement a décidé pour les associations intermédiaires devrait également faciliter la vie à domicile, dans leurs meubles, des personnes âgées. Ces associations qui bénéficieront pour l'emploi de personnes sans travail, d'exonérations de charges sociales et fiscales, pourront compléter, pour de petits services de proximité ou des gardes de nuit, les dispositifs déjà existants.
Car avec le grand âge vient la dépendance. Améliorer et diversifier les possibilités d'accueil des personnes très âgées, qui demandent un soutien et souvent des soins, est une priorité que notre société doit se fixer pour les quinze années qui viennent.
C'est pourquoi j'ai décidé d'intensifier la politique de transformation des hospices pour sortir d'une situation vraiment indigne d'un grand pays moderne : les crédits prévus à ce titre au budget de 1987 sont en augmentation de 40 % par rapport à 1986.
Parallèlement, j'ai demandé que soit accélérée la médicalisation des maisons de retraite et l'adaptation des établissements d'hébergement aux besoins des personnes de plus en plus âgées.
Mais en ce domaine plus que tout autre les besoins sont évolutifs. Y répondre suppose une réflexion dynamique, à même de prendre en compte toutes les conséquences humaines et sociales des changements démographiques des prochaines années.
Je serai ainsi très attentif aux orientations qui seront dégagées sur ces questions par M. Théo BRAUN, auquel a été confiée la présidence de la commission nationale chargée d'étudier, de manière prospective, la situation des personnes dépendantes.
Savoir s'adapter aux évolutions démographiques, mettre en uvre une politique active du vieillissement qui tienne compte de la variété des situations et de la diversité des besoins, voilà pour notre société toute entière un enjeu essentiel. Mais y faire face suppose que nous soyons capables parallèlement de relever le défi financier qui se pose à nos systèmes de retraite.
2ème défi : le péril financier.
Vous en connaissez comme moi les termes :
- des retraités issus des générations nombreuses qui ont suivi la première guerre mondiale, bénéficient de pensions plus importantes que leurs prédécesseurs parce qu'ils ont cotisé plus longtemps ;
- leur espérance de vie s'allonge, je l'ai déjà dit. Ainsi un homme de 60 ans peut espérer bénéficier de sa retraite pendant 18 ans, une femme pendant 23 ans en moyenne. Et c'est le moment qui a été choisi pour abaisser l'âge de la retraite à 60 ans, ce qui aggrave dangereusement les charges ;
- les ressources des régimes de retraite sont directement fonction du nombre d'actifs cotisants qui, au mieux, stagne. Comment ne pas rappeler qu'en 5 ans ce sont 650 000 emplois qui ont été détruits et font défaut à l'équilibre de nos régimes ?
Par rapport à ces données générales, l'AGRIC, et vos débats d'aujourd'hui l'ont bien montré, présente une situation quelque peu originale : le nombre de cadres, donc de cotisants, continue à croître et votre régime a moins que d'autres à souffrir du chômage. Vos travaux ont mis en évidence quelles étaient, tant pour les cotisants que les retraités de l'AGIRC, les incidences de l'alourdissement prévisible des charges. Elles restent dans le domaine du supportable.
A dire vrai, vous donnez là un nouvel et remarquable exemple de gestion paritaire consciente et responsable : vous avez non seulement les instruments, mais l'habitude et la volonté pour organiser l'avenir. C'est pourquoi d'ores et déjà, vous avez décidé de freiner l'augmentation du point de retraite et de relever progressivement les taux d'appel des cotisations.
Car face à la progression des charges de retraite dans notre pays, nous avons besoin avant tout de lucidité.
Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que les dépenses de retraite ont augmenté ces dernières années de 5 % par an en francs constants et qu'elles sont passées en 10 ans de 8 % à 12 % du produit intérieur brut.
Mais ne faisons pas de catastrophisme : demain ne sera pas la fin des retraites obligatoires et je ne trouve nullement dans vos projections à moyen terme, ni dans les études qu'ont pu réaliser d'autres régimes, matière à un pessimisme définitif.
Simplement, soyons tous conscients que nous sortons d'une sorte " d'âge d'or ", tout à fait exceptionnel. Nous avons pu retenir des règles généreuses au profit de nos aînés d'autant plus facilement qu'ils étaient moins nombreux, que la croissance économique était forte, que la population active s'élargissait considérablement grâce notamment au développement du travail des femmes.
Aujourd'hui cette période faste et atypique se termine. C'est pourquoi il nous faut, dans la sérénité et dans la solidarité, mieux maîtriser la charge financière des retraites, c'est-à-dire sans doute mieux partager l'effort entre cotisants et retraités.
Je suis pour ma part profondément convaincu que nos régimes de répartition n'ont pas dit leur dernier mot : seulement, il nous appartient de préparer à temps les évolutions nécessaires pour éviter toute décision improvisée aux effets mal mesurés.
C'est en ce sens que j'ai demandé la création d'une commission de sauvegarde de l'assurance vieillesse qui a réuni toutes les parties concernées et étudié les adaptations qui pourraient améliorer durablement la situation de nos régimes. Ses conclusions devraient être connues à la fin de ce mois. Soyez assurés que les pouvoirs publics seront particulièrement attentifs aux propositions qui auront été faites et dont je souhaite qu'elles soient l'occasion d'un grand débat national.
Ne nous y trompons pas en effet : au-delà des mesures d'urgence que j'ai été amené à prendre l'été dernier pour éviter toute rupture de paiement, consolider nos régimes devient chaque jour plus nécessaire sauf à se résigner à des ajustements d'autant plus douloureux qu'ils auront été plus longtemps différés.
Les solutions de l'avenir, je les vois pour ma part dans trois directions.
D'abord une plus grande souplesse.
Certains souhaitent aujourd'hui - à la fois pour leur épanouissement personnel et pour le plus grand bénéfice de notre société - poursuivre une activité après leur départ en retraite.
Souvent cependant des dispositions législatives contraignantes les en empêchent, privant ainsi notre économie de leur dynamisme et de leur expérience professionnelle.
Je crois au contraire qu'il faut adapter le départ en retraite à notre monde moderne. Et je considère comme naturel, dans la société de liberté que nous voulons construire, que l'on permette à chacun d'entre-nous de déterminer, selon ses aptitudes et son propre souhait, le moment et la façon de passer de la vie active à une vie davantage orientée vers ce que l'on appelle les loisirs, et que j'appellerai le temps retrouvé.
C'est dans ce souci déjà que j'ai tenu à ce que puissent être rapidement abrogées les dispositions qui pénalisaient le cumul d'emploi-retraite.
Mais il faut aller plus loin. Je pense ici à toutes les possibilités de retraite choisie et de retraite progressive avec maintien d'une activité réduite.
Vous savez que les règles actuellement applicables interdisent une liquidation partielle des pensions de vieillesse et ne permettent donc pas l'aménagement de modalités de retraite progressive.
Ainsi, des salariés qui souhaiteraient poursuivre une activité au-delà de 60 ans, tout en réduisant leur temps de travail, ne peuvent pas obtenir auprès de leur caisse de retraite qu'il leur soit servie une partie seulement de leur pension. C'est le système de " tout ou rien " : ou le salarié s'arrête de travailler et perçoit toute sa pension ou il poursuit une activité, même sensiblement réduite, et il n'a aucun droit à la liquidation de sa retraite.
Un tel schématisme éclaire bien les critiques que j'ai déjà été amené à faire contre la retraite couperet. II n'est, à mon sens, plus de mise dans un pays moderne. Le gouvernement réfléchit depuis plusieurs mois sur cette question ; je souhaite que les semaines qui viennent, avec les importants débats que constitueront les états généraux de la sécurité sociale, soit l'occasion de faire progresser cette idée de retraite progressive. Il va de soi que les régimes complémentaires, et notamment l'AGIRC, ne peuvent à mon sens se désintéresser du développement de formules de cette nature.
Plus généralement, il est aujourd'hui nécessaire d'examiner si nous avons les moyens de valoriser l'activité après 60 ans, c'est-à-dire de reconnaître, le cas échéant financièrement, l'utilité sociale de ceux d'entre-nous qui diffèrent leur départ à la retraite et qui contribuent ainsi plus longtemps à la croissance de notre pays.
J'y vois non seulement une réponse aux aspirations de nombre de nos concitoyens, mais aussi, et je n'ai aucune raison de le dissimuler, la possibilité de desserrer quelque peu le piège de la retraite à 60 ans Chacun mesure aujourd'hui le prix à payer pour cette " avancée sociale " qui n'avait pas été financée : elle est, à elle seule, responsable des 2/3 du déficit de l'assurance-vieillesse.
Cela dit, je n'ouvre cette piste qu'avec la plus grande prudence, car elle peut être lourde de conséquences financières.
Deuxième direction à explorer : une plus grande contributivité dans l'acquisition des droits à retraite. Sujet difficile, certes, mais incontournable, comme on dit aujourd'hui, sauf à accepter une croissance incontrôlée des prestations versées et donc un relèvement sans limites des prélèvements sociaux pesant sur les actifs.
Troisième orientation enfin : un plus grand effort d'épargne personnelle.
Qu'on ne se méprenne pas et qu'on ne me fasse pas ici de faux procès : je n'entends nullement substituer à nos régimes de répartition, auxquels je suis profondément attaché, quelque système de capitalisation.
Mais préparer l'avenir, c'est faciliter, autant pour des raisons économiques que sociales, la constitution d'une épargne à long terme : c'est donner la possibilité, selon des modalités souples, d'améliorer ses ressources à l'âge de la retraite.
C'est pourquoi, j'ai tenu à ce que le projet de loi sur l'épargne, préparé par le Ministre des Finances puisse être examiné à la prochaine session parlementaire.
J'attache un grand prix à la mise en place rapide du plan épargne retraite qu'il institue et qui offrira, dans des conditions attractives, un complément de revenu individuel au moment de la retraite.
L'ensemble des réseaux financiers, vous le savez, pourra diffuser le plan épargne retraite. Mais de façon à élargir encore sa diffusion, j'ai également décidé, comme je l'ai indiqué lors de mon récent entretien avec la C.G.C., d'autoriser les caisses de retraite complémentaire, et plus généralement les organismes dits " du. L.4 " à le distribuer.
Je ne doute pas que l'intervention des caisses de retraite complémentaire contribuera puissamment au succès de ce nouvel instrument d'épargne et de prévoyance.
Dans la majorité des pays comparables à la France, voici plusieurs années déjà qu'une réflexion est entreprise sur l'avenir des systèmes de retraites. Avec des ambitions et des solutions différentes, Etats-Unis, Japon, République Fédérale d'Allemagne, pour ne citer qu'eux, ont su réformer leurs régimes de retraite pour faire face aux défis du futur.
Nul doute que les adaptations ont été d'autant plus facilement acceptées dans ces pays qu'aucun n'a, comme la France, utilisé la retraite comme remède --bien illusoire - au chômage. Aucun n'a jugé opportun, comme cela a été fait en 1983, d'abaisser l'âge de la retraite : tous au contraire, au même moment, cherchaient à maîtriser la charge des pensions.
Nous avons aujourd'hui une responsabilité historique : faire évoluer progressivement notre système, l'adapter à des conditions très différentes de celles de l'après-guerre, lui permettre de s'ajuster aux réalités démographiques et économiques de demain.
Mais sauvegarder notre avenir, ce n'est pas modifier des règlements ; c'est créer plus de richesses ; c'est gagner la bataille de la compétitivité et de la modernisation économique ; c'est parier sur les hommes, là où ils sont, là où ils travaillent, c'est-à-dire dans l'entreprise.
Cette bataille, vous en êtes, vous, le personnel d'encadrement, le principat acteur : sans vous, sans votre dynamisme et sans vos initiatives, nous la perdrons.
Car vous êtes ceux sur qui repose pour une large part la capacité de nos entreprises à innover et à aller de l'avant.
Car vous pouvez, mieux que quiconque, expliquer aux autres salariés les enjeux de la compétitivité, les nécessités de la concurrence, l'importance de la formation.
Vous êtes compétents et vous êtes responsables : c'est pourquoi votre rôle est essentiel pour répondre au défi économique qui se pose à notre nation toute entière, à nos entreprises, à chacun d'entre nous.
J'ai pleine confiance qu'avec vous, nous saurons relever ces nouveaux paris ; qu'avec vous, nous saurons non seulement garder son rang à notre pays, mais progresser encore tous ensemble.
Car vous, personnel d'encadrement, vous nous indiquez comment renouer avec l'avenir : en retrouvant un esprit d'entreprise, qui est esprit même de jeunesse, en agissant pour changer comportements et mentalités, en sachant agir sur son destin plutôt que le subir.
Pour votre engagement au service de l'avenir de notre pays, soyez ainsi remerciés