Texte intégral
LE FIGARO. - Les députés français et allemands réunis aujourd'hui à Versailles, est-ce pour vous un signe de la solidité du couple franco-allemand ?
Philippe de VILLIERS. - J'ai surtout le sentiment que le moteur franco-allemand marche sur un seul cylindre, le cylindre allemand. Pour préparer les agapes de Versailles, la France vient de céder à une nouvelle exigence de nos amis allemands. A Nice, nous avions déjà accepté le déséquilibre au Parlement européen (99 députés allemands, 72 députés français). Aujourd'hui, la deuxième exigence, c'est la politisation de la Commission, dont le président serait issu d'une majorité à dominante germanique, et un jour germano-turque.
De même, il me paraît grave d'envisager que la politique étrangère puisse être décidée à la majorité qualifiée. Le projet allemand, c'est la fin du siège de la France comme membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, où elle serait remplacée par le ministre des Affaires étrangères de l'Union. Or plus l'Europe se fédéralise, plus elle s'américanise. Les États-Unis d'Europe, ce sera les États-Unis en Europe.
La France n'a-t-elle pas obtenu en échange des concessions sur la politique agricole commune, la PAC ?
Les concessions ne sont qu'apparentes. Lorsqu'il a négocié avec Jacques Chirac, Gerhard Schröder savait que le commissaire Fischler remettrait en cause cet accord. Ce qu'il est en train de faire avec la proposition de la Commission d'un découplage entre la production et les aides, c'est-à-dire le contraire de l'accord franco-allemand.
La proposition franco-allemande de renforcer la légitimité politique du président de la Commission ne répond-t-elle pas à l'accusation de technocratie généralement portée contre cette instance ?
C'est l'inverse : cette proposition donne une légitimité politique à la technocratie irresponsable. La toute-puissance de la Commission, avec son monopole de l'initiative, nous fait glisser chaque jour davantage vers un super-État fédéral. J'ai été frappé par les deux visites du gouvernement français à Bruxelles : celle de Jean-Pierre Raffarin pour quémander la baisse de la TVA dans la restauration, et celle de Nicolas Sarkozy pour quémander des dérogations fiscales pour la Corse. Nous n'avons plus à la tête de la France des gouvernants, mais des quémandeurs. Au pouvoir des États se substitue un nouvel ordre mendiant de gouverneurs de province.
Dans l'affaire du Prestige, le commissaire Loyola de Palacio a expliqué que ce sont les États qui n'ont pas appliqué les mesures décidées par la Commission à la suite du naufrage de l'Erika. L'Europe n'est-elle pas un bouc émissaire facile ?
Quand bien même il y aurait des mesures fortes proposées par la Commission - comme la corresponsabilité affréteur-armateur -, il n'y aurait pas de majorité pour les voter. L'Allemagne, les pays scandinaves, la Hollande sont contre. Et l'Union est présidée en ce moment par la Grèce, qui tire une partie de sa richesse des pavillons de complaisance. La sécurité maritime échappe hélas désormais aux États. Elle est tombée dans l'escarcelle de la Commission, plus sensible au discours des armateurs de Rotterdam qu'à ceux des ramasseurs de goudron d'Arcachon.
La seule solution, c'est la coopération intergouvernementale comme l'accord Chirac-Aznar sur les 200 milles nautiques en a ouvert la voie. Ce que les nations ne font pas pour elles, seules ou ensemble, personne ne le fera à leur place. Nous devons nous battre pour l'interdiction du passage sur le rail d'Ouessant aux navires poubelles. La convention internationale de Malago Bay le permet. Mais pour l'appliquer, il faut désobéir à Bruxelles. CQFD...
Pour les élections européennes, le gouvernement a renoncé à son projet de découpage en 22 régions au profit de 8 interrégions. Est-ce un signe d'apaisement en votre direction ?
Avec le découpage en huit régions, le seul argument mis en avant par le gouvernement tombe, à savoir le désir de rapprocher les élus européens de la population. Ce projet est une réforme pour convenance personnelle de M. Juppé, qui ne veut pas conduire de liste nationale. Il est vrai qu'il fait aujourd'hui un temps à ne pas mettre un eurofédéraliste dehors ! Avec son système, complexe et incompréhensible, puisque les listes interrégionales devront respecter des quotas régionaux, c'est la notion même de tête de liste qui disparaît. D'autant qu'il devient possible, avec ce système, qu'un chef de file choisi par une formation ne soit pas élu. On se rapproche de la fin de la Grèce antique où, pour éliminer les adversaires, la Boulê choisissait ses membres par tirage au sort. Le mode de scrutin qu'on nous propose conduit à une Europe des régions, ou plutôt des Länder, donc au renoncement au principe de l'unité nationale.
Que vous inspirent les chicayas entre Alain Juppé et François Bayrou ?
François Bayrou a raison de défendre l'idée du pluralisme. Mais sur l'Europe, je ne vois pas de divergences fondamentales entre eux. Le match Juppé-Bayrou, c'est la querelle entre l'UDF canal historique et le RPR devenu un grand MRP.
(source http://www.mpf-villiers.org, le 23 janvier 2003)
Philippe de VILLIERS. - J'ai surtout le sentiment que le moteur franco-allemand marche sur un seul cylindre, le cylindre allemand. Pour préparer les agapes de Versailles, la France vient de céder à une nouvelle exigence de nos amis allemands. A Nice, nous avions déjà accepté le déséquilibre au Parlement européen (99 députés allemands, 72 députés français). Aujourd'hui, la deuxième exigence, c'est la politisation de la Commission, dont le président serait issu d'une majorité à dominante germanique, et un jour germano-turque.
De même, il me paraît grave d'envisager que la politique étrangère puisse être décidée à la majorité qualifiée. Le projet allemand, c'est la fin du siège de la France comme membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, où elle serait remplacée par le ministre des Affaires étrangères de l'Union. Or plus l'Europe se fédéralise, plus elle s'américanise. Les États-Unis d'Europe, ce sera les États-Unis en Europe.
La France n'a-t-elle pas obtenu en échange des concessions sur la politique agricole commune, la PAC ?
Les concessions ne sont qu'apparentes. Lorsqu'il a négocié avec Jacques Chirac, Gerhard Schröder savait que le commissaire Fischler remettrait en cause cet accord. Ce qu'il est en train de faire avec la proposition de la Commission d'un découplage entre la production et les aides, c'est-à-dire le contraire de l'accord franco-allemand.
La proposition franco-allemande de renforcer la légitimité politique du président de la Commission ne répond-t-elle pas à l'accusation de technocratie généralement portée contre cette instance ?
C'est l'inverse : cette proposition donne une légitimité politique à la technocratie irresponsable. La toute-puissance de la Commission, avec son monopole de l'initiative, nous fait glisser chaque jour davantage vers un super-État fédéral. J'ai été frappé par les deux visites du gouvernement français à Bruxelles : celle de Jean-Pierre Raffarin pour quémander la baisse de la TVA dans la restauration, et celle de Nicolas Sarkozy pour quémander des dérogations fiscales pour la Corse. Nous n'avons plus à la tête de la France des gouvernants, mais des quémandeurs. Au pouvoir des États se substitue un nouvel ordre mendiant de gouverneurs de province.
Dans l'affaire du Prestige, le commissaire Loyola de Palacio a expliqué que ce sont les États qui n'ont pas appliqué les mesures décidées par la Commission à la suite du naufrage de l'Erika. L'Europe n'est-elle pas un bouc émissaire facile ?
Quand bien même il y aurait des mesures fortes proposées par la Commission - comme la corresponsabilité affréteur-armateur -, il n'y aurait pas de majorité pour les voter. L'Allemagne, les pays scandinaves, la Hollande sont contre. Et l'Union est présidée en ce moment par la Grèce, qui tire une partie de sa richesse des pavillons de complaisance. La sécurité maritime échappe hélas désormais aux États. Elle est tombée dans l'escarcelle de la Commission, plus sensible au discours des armateurs de Rotterdam qu'à ceux des ramasseurs de goudron d'Arcachon.
La seule solution, c'est la coopération intergouvernementale comme l'accord Chirac-Aznar sur les 200 milles nautiques en a ouvert la voie. Ce que les nations ne font pas pour elles, seules ou ensemble, personne ne le fera à leur place. Nous devons nous battre pour l'interdiction du passage sur le rail d'Ouessant aux navires poubelles. La convention internationale de Malago Bay le permet. Mais pour l'appliquer, il faut désobéir à Bruxelles. CQFD...
Pour les élections européennes, le gouvernement a renoncé à son projet de découpage en 22 régions au profit de 8 interrégions. Est-ce un signe d'apaisement en votre direction ?
Avec le découpage en huit régions, le seul argument mis en avant par le gouvernement tombe, à savoir le désir de rapprocher les élus européens de la population. Ce projet est une réforme pour convenance personnelle de M. Juppé, qui ne veut pas conduire de liste nationale. Il est vrai qu'il fait aujourd'hui un temps à ne pas mettre un eurofédéraliste dehors ! Avec son système, complexe et incompréhensible, puisque les listes interrégionales devront respecter des quotas régionaux, c'est la notion même de tête de liste qui disparaît. D'autant qu'il devient possible, avec ce système, qu'un chef de file choisi par une formation ne soit pas élu. On se rapproche de la fin de la Grèce antique où, pour éliminer les adversaires, la Boulê choisissait ses membres par tirage au sort. Le mode de scrutin qu'on nous propose conduit à une Europe des régions, ou plutôt des Länder, donc au renoncement au principe de l'unité nationale.
Que vous inspirent les chicayas entre Alain Juppé et François Bayrou ?
François Bayrou a raison de défendre l'idée du pluralisme. Mais sur l'Europe, je ne vois pas de divergences fondamentales entre eux. Le match Juppé-Bayrou, c'est la querelle entre l'UDF canal historique et le RPR devenu un grand MRP.
(source http://www.mpf-villiers.org, le 23 janvier 2003)