Eléments de déclarations de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, sur le Conseil mondial de l'eau et la politique de l'eau, Marseille et Paris le 26 novembre 1996.

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Circonstance : Inauguration du siège du Conseil mondial de l'eau à Marseille. Colloque "eau et stratégie industrielle" à Paris, le 26 novembre 1996

Texte intégral

Madame LEPAGE, Ministre de l'Environnement, ayant été appelée à Marseille pour présider la Conférence Euro-Méditerranéenne sur l'eau, elle m'a chargé de vous transmettre ses regrets de ne pouvoir participer à ce colloque et m'a demandé de la représenter;
C'est donc avec beaucoup de plaisir que je participe à ce colloque " Eau et stratégie Industrielle" organisé par les élèves de l'Ecole du Génie Rural des Eaux et des Forêts.
Au terme de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, "l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation". Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général.
L'usage de l'eau appartient à tous, dans le cadre des lois et des règlements.
La France métropolitaine est entièrement située en zone tempérée. De ce fait, le volume global de la ressource disponible est considérable. En contrepartie les prélèvements d'eau paraissent faibles.
Cette abondance et cette bonne répartition géographique fait que la gestion de l'eau a toujours été et demeure une AFFAIRE ESSENTIELLEMENT LOCALE, même si des stratégies plus globales sont apparues ces dernières années. Le citoyen ou l'industriel s'intéresse directement à l'eau qu'il utilise ou qu'il trouve près de chez lui. Les élus locaux restent les maîtres d'ouvrages, les responsables, et parfois les exploitants, des services publics d'eau potable et d'assainissement. Enfin, les services de l'Etat les plus directement impliqués dans la gestion de l'eau sont les services déconcentrés.
Cette forte implication des acteurs locaux conduit à une définition et à une mise en oeuvre locale et démocratique de la politique de l'eau.
Cependant une notion forte s'est imposée en cette fin de XXème siècle : c'est celle de BASSIN VERSANT. Elle est centrale et essentielle. Toute action à l'amont à des conséquences à l'aval et vice-versa ( il suffit de citer l'extraction de granulats). Un des grands enjeux de la politique de l'eau est donc de faire émerger une véritable solidarité de bassin, d'arriver à ce que les acteurs du bassin prennent eux mêmes en charge la gestion de l'eau pour tout le bassin, sous tous ces aspects y compris financier.
C'est ainsi qu'un COMITE DE BASSIN, que l'on peut considérer comme un parlement de l'eau, préside à la destinée de chaque grand bassin hydrographique. Cette instance qui regroupe tous les acteurs du bassin, industriels, consommateurs, collectivités et dans laquelle l'Etat est minoritaire, a notamment en charge cette fonction d'orientation et de planification.
C'est dans ce cadre, que les SCHÉMAS DIRECTEURS D'AMÉNAGEMENT DES EAUX, les SDAGE, arrêtent les grandes orientations de la politique du bassin à mener sur le moyen terme c'est à dire à l'horizon de 15 ans environ. Un SDAGE est donc l'expression d'une ambition pour un bassin et des moyens pour la réaliser.
Les grands enjeux des SDAGE sont très schématiquement :
- d'assurer la satisfaction des usagers de l'eau, tout en préservant la santé des populations,
- de promouvoir et de coordonner les actions de prévention
- de préserver et d'améliorer l'état du patrimoine en protégeant les écosystèmes aquatiques.
Les SDAGE devaient être mis au point dans un délai de cinq ans. Ces délais seront largement respectés puisque ces documents établis par les comités de bassin sont en cours d'approbation et qu'ils seront applicables dès 1997.
L'élaboration des SDAGE a été, à la fois décentralisée par une très large association des élus locaux et des usagers, dont les industriels, et déconcentrée par leur approbation sous l'autorité des Préfets coordonnateurs de bassin. Ils fixeront pour les prochaines années les perspectives et les orientations de la politique de l'eau à l'échelle qui est la plus appropriée, celle du bassin hydrographique.
La loi a toutefois prévu qu'à un niveau beaucoup plus réduit, celui d'une vallée ou d'une rivière, le SDAGE puisse être décliné par un Schéma d'Aménagement et de Gestion de l'Eau : le SAGE. Mais à cette échelle, l'initiative ne peut revenir qu'aux élus locaux afin d'établir un outil de régulation, d'arbitrage et de programmation autour d'un projet commun établi en concertation avec les représentants des industriels et des autres usagers.
Cette politique à l'échelle du bassin-versant s'est accompagné dès l'origine de la création des AGENCES FINANCIÈRES DE BASSIN, devenues par la suite agences de l'eau. Elles sont des acteurs essentiels et profondément originaux de la politique de l'eau en France.
Leur rôle est d'abord financier: elles perçoivent les redevances payées par les usagers de l'eau pour la pollution qu'ils rejettent et les prélèvements qu'ils effectuent. Avec les sommes ainsi dégagées elles aident financièrement les travaux de dépollution en intervenant sur les réseaux d'assainissement et le traitement des eaux industrielles ou urbaines. Elles interviennent également sur les recherches en eau, l'amélioration de la ressource ou l'alimentation en eau potable. C'est le principe du pollueur-payeur
En outre les agences, fortement impliquées dans la mise en oeuvre de la politique de l'eau, ont un rôle important d'étude, de planification, d'animation et de conseil aux usagers de l'eau.
Dans l'esprit de la solidarité de bassin et de la responsabilisation des acteurs, elles sont dirigées par des conseils d'administration qui regroupent paritairement les usagers privés de l'eau (essentiellement industriels et agriculteurs), les collectivités locales et l'Etat, illustrant une nouvelle fois le caractère démocratique de la politique de l'eau.
Le VIIème programme des agences de l'eau (1997 - 2001) d'un montant global de travaux de 105 milliards de francs portera particulièrement sur l'assainissement des collectivités, les rejets industriels (6,4 milliards de francs d'aides devraient leur être consacrés) et le bon fonctionnement des ouvrages de dépollution.
Les comités de bassins ont inscrit le VIIème programme des agences de l'eau dans un effort de stabilisation. Celui-ci conduit à un effet salutaire sur le prix de l'eau et permet toujours de respecter nos engagements internationaux. Car les organismes de bassins constituent l'appui central de la politique nationale et l'outil essentiel du respect de nos obligations communautaires et internationales.
Cette POLITIQUE NATIONALE se présente sous plusieurs aspects car l'année 1996 marque un tournant dans la politique de l'eau. Tous les décrets d'application de la loi sur l'eau de 1992 ont été publiés et le VIème programme des agences de l'eau a été mené à bien.
Dans ce contexte le gouvernement a décidé de porter une vigilance accrue au PRIX DE L'EAU. II s'agit de redonner confiance aux Français dans leur eau potable. L'eau et l'assainissement représentent un chiffre d'affaires de plus de 60 milliards de francs. II s'agit d'organiser la transparence de ce marché.
Le rapport annuel du maire sur le prix de l'eau vient d'entrer en vigueur. Une facture-type vient d'être définie. L'observatoire de l'eau, outil de réflexion et de transparence du prix de l'eau et de la qualité du service rendu, a également été créé en 1996.
Mais la politique de l'Etat c'est également d'intervenir sur les problèmes quantitatif et qualitatif liés à l'eau c'est ainsi que LA PROTECTION DES VIES ET DES BIENS CONTRE LES INONDATIONS relève de ses compétences.
Ces cinq dernières années, les crues et les autres risques naturels ont fait en France plus de 100 victimes, perturbé la vie de milliers de Français. On estime à plus de 25 milliards de francs sur 5 ans le coût de la réparation des dégâts causés par les catastrophes naturelles.
Un plan décennal de lutte contre les inondations et les autres risques naturels a été décidé en janvier 1994. Cet ensemble de mesures a été accompagné d'un programme de travaux de 10 milliards de francs. Le Ministère de l'Environnement a pour sa part consacré à ce plan qui constitue une priorité budgétaire plus de 800 millions de francs en deux ans et lui affecte 330 MF en 1996. A ce jour l'effort financier de l'Etat et des collectivités territoriales a permis d'engager plus 600 opérations.
Un large dispositif réglementaire a complété l'ensemble de ces mesures, afin d'améliorer la prévention des risques et les procédures d'expropriation dans les zones menacées. La publication du décret du 5 octobre 1995 relatif aux plans de prévention des risques naturels prévisibles a rendu ce dispositif tout à fait opérationnel.
La politique de prévention des risques naturels repose sur l'identification des risques et sur la mise en place de plans destinés à maîtriser l'aménagement et l'urbanisation des zones à risques. Afin d'améliorer le dispositif, il a été décidé d'agir sur l'occupation des bassins versants. La préservation des espaces de liberté des cours d'eau, la réservation de zones d'expansion de crues à l'amont des villes et la mise en place de prairies et jachères permanentes le long des rivières deviennent ainsi des objectifs majeurs.
Cette politique nécessite la mise en oeuvre des systèmes de surveillance et d'alerte fiables. L'achèvement de 1a couverture radar de l'axe méditerranéen sera bientôt réalisé. L'organisation et la modernisation des dispositifs d'annonce de crues et d'alerte des mairies sont en train d'être renforcées. II convient d'éviter les aménagements qui aggravent les risques. Il y a lieu de faire jouer pleinement les possibilités d'exproprier les biens exposés à des risques de mouvements de terrain, d'avalanches ou de crues torrentielles menaçant gravement les vies humaines. La coopération interdépartementale au sein des bassins-versant sur les inondations est encouragée.
Enfin, la démarche des organismes de bassin apparaît bien adaptée à une gestion intégrée des vallées inondables et à la création de solidarité amont/aval. Un dispositif autorisant une intervention des agences de l'eau dans des actions de globales de gestion de rivières a été acté dans le cadre du VIIème programme.
Mais la politique nationale peut s'attacher aussi à la QUALITÉ DE L'EAU. C'est ainsi qu'elle a mis l'accent ces dernières années sur les pollutions d'origine diffuses et notamment les POLLUTIONS D'ORIGINE AGRICOLE.
L'eau est un élément vital pour notre société non seulement pour les hommes, mais également pour le développement industriel. Les pollutions ponctuelles ne sont pas les seules, les élevages et les grandes cultures sont aussi à l'origine de pollutions diffuses dues aux matières organiques, aux nitrates et aux produits phytosanitaires.
Pour les élevages, le programme sur la maîtrise des pollutions d'origine agricole conclu en 1993 avec la profession a permis d'engager en deux ans 600 millions de francs de travaux. Cette politique appuyée par les Organisations Professionnelles Agricoles a rencontré un grand succès puisque les deux premières années, 90 % des exploitants concernés ont souscrit à ce programme. Cette politique se poursuit et devrait permettre à terme d'intégrer les éleveurs dans le système des agences de bassin.
En matière de nitrates, la teneur des eaux a conduit à délimiter en France 12 millions d'hectares de zones vulnérables. Le décret nitrate, publié en début d'année, permet de lancer le premier programme d'action (1996 - 1999) qui met l'accent sur les pratiques d'épandage des fertilisants. Les Chambres d'Agriculture sont chargées, de tenir un état de l'évolution des pratiques agronomiques. C'est ainsi qu'une action de très grande envergure est menée pour protéger nos ressources en eaux souterraines.
En matière de produits phytosanitaires, il a été décidé de renforcer les règles de mise sur le marché. L'information et la formation des professionnels et la sensibilisation des particuliers va être développée. Des mesures pour amplifier l'amélioration des pratiques, perfectionner la récupération des emballages et renforcer la surveillance de la contamination des eaux sont actuellement étudiées.
La politique nationale qui s'appuie sur la mission régalienne de l'Etat et son aspect réglementaire se traduit ainsi par des politiques plus larges qui l'implique financièrement et structure la politique de l'eau sur l'ensemble des bassins versants. La "lutte contre les inondations" et le "programme de lutte contre les pollutions agricoles" en sont des exemples. II y en a d'autres, parfois décentralisée, comme celle menée à partir du fonds national des adductions d'eau.
L'EUROPE intervient également dans le domaine de l'eau, mais pour l'instant son action se traduit essentiellement par le biais de directives. Dans ce domaine, le gouvernement a décidé de veiller au pragmatisme de la RÉGLEMENTATION européenne comme il le fait et le fera pour la réglementation française. Avec plus de 27 directives, la politique communautaire de l'eau manque de cohérence et de lisibilité. Il devient indispensable de veiller à ce que l'acceptabilité socio-économique des futures directives soit clairement évaluée avant leur adoption.(Par exemple si la norme sur le plomb passe de 50 microgrammes par litre à 10 microgrammes par litre, il en coûtera 110 milliards pour les français, les décisions sont donc lourdes de conséquences)
AU PLAN INTERNATIONAL l'Eau joue un rôle croissant au niveau géostratégique, politique et économique. De plus il faut s'attendre d'ici 2100 à une augmentation d'environ 2 degrés de la température moyenne à la surface du globe. Deux degrés de réchauffement, c'est une hausse de l'ordre de 50 cm du niveau des océans. Certains états insulaires seront rayés de la carte. II en ira probablement de même de zones entières comme les grands deltas qui seront victimes d'inondations de plus en plus meurtrières. Les conséquences locales de ces bouleversements du climat sont encore difficiles à apprécier avec précision, mais on peut d'ores et déjà s'attendre à une accentuation de la désertification et à la recrudescence des cyclones.
Certes les stratégies industrielles dans le domaine de l'eau sont bien loin de ces préoccupations, mais liées au développement local, lui-même tributaire d'une politique de bassin-versant, intégré dans une politique nationale, guidée par des directives communautaires. Vous comprendrez que nul ne puisse se désintéresser au problème de l'eau même s'il s'agit d'une stratégie planétaire. Le Ministère de l'Environnement en est bien conscient. L'inauguration du Conseil Mondial de l'Eau hier et la Conférence Euro-méditerranéenne aujourd'hui montre s'il en été besoin que vos préoccupations sont au coeur de l'action du Ministre.
Je vous remercie de votre attention.