Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la necessité de sauvegarder la préférence communautaire dans le domaine des céréales en maintenant les soutiens accordés face aux importations de produits à prix cassés, le 23 septembre 2002.

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Circonstance : Conseil agriculture du 23 septembre 2002

Texte intégral


Madame la Présidente,
Monsieur le Commissaire,
Chers collègues,
Avant d'aborder la question des grandes cultures au sein de la revue à mi parcours, je soulignerai l'urgence qui s'attache à la mise en place des mesures nécessaires pour sauvegarder la préférence communautaire dans le domaine des céréales.
En effet, depuis juillet, les importations de blé dans l'Union européenne ont pris des proportions alarmantes sur des quantités bien supérieures à celles de l'année dernière, qui elles-mêmes avaient déjà atteint des niveaux exceptionnels.
J'ai pris connaissance d'un premier compte rendu relatif aux propositions chiffrées faites par la Commission aux membres de l'OMC, dans le cadre de la modification des droits d'importation des céréales. La Commission a engagé les négociations sur des bases qui me paraissent conformes à la situation normale du commerce mondial des grains vers l'Union Européenne. Cette entrée en négociation manifeste une volonté de retrouver un marché européen qui ne soit pas soumis au déferlement de céréales, bradées à prix cassés.
Mais nous approchons du terme possible des négociations et je remarque que nos partenaires commerciaux ont formulé de nombreuses réserves, ce qui m'amène à vous faire part de mon inquiétude quant au déroulement de ce processus.
Dans ces conditions, j'attends de la Commission une mise au point sur ses démarches concernant la protection extérieure du marché de l'Union et lui demande quelle est la position à court terme qu'elle envisage de prendre à ce sujet. Je rappelle à ce propos que la France a proposé des mesures concrètes en vue de réguler les importations à bas prix qui inondent le marché intérieur, sans qu'il soit nécessaire de s'engager dans la démarche bien plus lourde de renégociation devant l'OMC. Je saisis l'occasion pour demander à la Commission de garder ces propositions à l'esprit, en fonction du développement des négociations.
Pour ce qui concerne le document de réflexion de la Commission sur l'avenir de la PAC, je me concentrerai d'abord sur ce qui manque dans ce projet, qui, s'il comporte nombre d'éléments insuffisants ou contestables - c'est tout particulièrement le cas dans le domaine des grandes cultures, j'y reviendrai dans un instant - est muet sur d'autres sujets qui revêtent pourtant une importance déterminante :
en premier lieu j'attends de la Commission les compléments d'analyse et les études d'impact précises et détaillées, qui devraient justifier les mesures qu'elle préconise. Comment en effet proposer un changement aussi radical que le découplage des aides de toute production agricole, sans avoir une idée des conséquences que cette mesure entraînera, non seulement sur la production et l'économie des secteurs concernés, sur l'approvisionnement des industries agro-alimentaires, mais aussi sur les structures d'exploitation ?
en deuxième lieu, j'observe que la Commission a pris soin d'éviter de traiter la question des cultures oléo-protéagineuses et de l'approvisionnement du marché communautaire en protéines végétales. Au contraire, le seul élément qui concerne ce secteur, l'aide spécifique aux cultures protéagineuses, n'aura d'autre effet que de contribuer encore, par la baisse de soutien qu'elle implique notamment en France, à la réduction de ces cultures. Autant le dire tout de suite, cette aide spécifique devra être revalorisée de façon significative.
Pour le reste, dans le domaine des grandes cultures en général, je ne vois guère de motifs de satisfaction.
Je suis loin d'être convaincu par l'argumentation de la Commission en faveur d'une baisse supplémentaire du prix d'intervention, dans le contexte actuel. En effet, j'observe que le niveau actuel du prix d'intervention est conforme à celui qui se pratique dans les grands pays traditionnellement exportateurs.
L'OCM céréales a fait sa réforme. Nous sommes désormais capables d'exporter sans restitutions et, quand je compare aujourd'hui le prix des céréales en Europe et sur le marché de Chicago, par exemple, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il faudrait baisser encore le prix d'intervention. Il faut qu'on nous l'explique.
J'ai la plus grande difficulté dans ces conditions à comprendre pourquoi il faudrait réduire le prix d'intervention. Certes, la Commission va nous répondre que cette réduction devrait nous permettre de restaurer ce qu'elle appelle " la fluidité " du marché communautaire. Or, en tout état de cause, il n'est pas concevable de chercher à s'aligner sur les nouveaux vendeurs, aujourd'hui en situation économique et monétaire très instable, et qui mettent leurs céréales sur le marché - je l'ai déjà dit - à des prix bradés.
Dès lors poursuivre la baisse du prix d'intervention n'a aujourd'hui plus de sens même si cela a un coût. Cela n'aboutirait qu'à faire subir un risque supplémentaire au revenu des producteurs, sans apporter de solutions aux difficultés de marché des céréales.
Les majorations mensuelles font partie intégrante du dispositif d'ensemble de l'intervention et contribuent à la régulation du marché.
Il n'y a donc pas à revoir les éléments institutionnels de l'intervention, alors que dans le même temps les Etats-Unis, avec la mise en place du Farm Act, renforcent considérablement le soutien au secteur des céréales.
De même, je ne suis pas favorable à la modification du régime propre au blé dur. La remise en cause de ce régime est très mal ressentie par les producteurs, qui ont fait des efforts de qualité reconnus. S'il était mis en uvre dans toute sa brutalité, ce projet n'aurait d'autre effet que de fragiliser toute une filière de production et de menacer sérieusement l'approvisionnement d'industries dont le marché est en croissance.
Mais, au delà d'une stricte logique économique, vous savez que je suis attaché à ce régime qui permet de prendre en considération des spécificités propres à une culture, soumise à un environnement particulier où le blé dur n'a aucune alternative. De plus, la culture du blé dur est indispensable à l'équilibre socio-économique des zones où elle est implantée.
Je ne peux donc admettre que le soutien spécifique au blé dur soit démantelé, et ceci sur la base d'évaluations d'experts faisant valoir l'existence d'une soi disant " surcompensation ", qui résulte mécaniquement des bases choisies pour leurs calculs, et dont la France ne cessera de contester la pertinence.
La proposition de gel des terres fixe que la Commission qualifie " d'environnemental " me laisse également perplexe à ce stade. J'aperçois mal la plus-value environnementale qui s'attache à ce type de dispositif.
Assurément, une mesure aussi rigide mériterait là encore des explications plus fournies de la part de la Commission. Ce gel des terres " nouveau genre " mélange à l'évidence des préoccupations de gestion de marché et un postulat : un gel fixe de long terme est bénéfique pour l'environnement. En est-on bien sûr ? Ainsi, une jachère fixe peut être dans certains cas opportune, mais rendre systématique cette fixité peut présenter des contraintes excessives sans aucune logique agronomique ou territoriale. Je ne peux que le constater : ce nouveau dispositif soulève encore de multiples questions qui à ce stade restent sans réponse.
Quant au nouveau régime de soutien aux fourrages déshydratés, j'y vois une menace sérieuse pour un secteur qui participe pleinement au maintien de l'emploi en zone rurale et fournit un produit de qualité, source de protéines végétales indispensable pour l'élevage.
Là encore, le nouveau dispositif mérite d'être analysé et expliqué par la Commission de façon plus détaillée. Et on ne peut se satisfaire à ce titre de l'affirmation selon laquelle la seule alternative à ce projet aurait été la suppression pure et simple du régime d'aide aux fourrages séchés.
J'ai par ailleurs noté que la Commission qualifiait de " transitoire " les soutiens accordés à l'industrie de déshydratation. A cet égard, il n'est pas admissible de soumettre tout un secteur industriel à la menace de suppression de ses soutiens, alors que ses approvisionnements seraient fragilisés en raison même de l'application des projets de la Commission, en l'occurrence du découplage des aides, qui menace ainsi toutes les cultures que l'on pourrait qualifier de " minoritaires ", comme la luzerne ou les pommes de terre féculières par exemple.
Le dispositif de " crédit carbone " mérite d'être étudié mais tant que la Commission n'aura pas fourni les précisions nécessaires, tant sur la cohérence du dispositif avec les directives en préparation sur le minimum d'incorporation que sur son mode de gestion, il sera difficile de se prononcer dans le détail.
Enfin, je ne peux traiter des grandes cultures sans rappeler mes positions sur des sujets plus généraux, dont le traitement aura, en raison même de sa taille et de son importance dans la production agricole, un impact sur le secteur des grandes cultures.
Je redirai tout d'abord mes fortes réticences envers un découplage complet des aides. Il n'est pas acceptable, socialement, et les producteurs sont les premiers à refuser un tel traitement, de payer les agriculteurs à ne rien faire. Et c'est par ailleurs la gestion communautaire des marchés elle-même qui disparaîtrait, avec les risques de renationalisation que cela comporte.
Ensuite, je ne pourrai pas suivre la Commission sur la dégressivité des aides - ou la " modulation dégressive ", selon l'euphémisme en vigueur-, qui implique dans les faits une forte réduction des soutiens. On ne peut pas à la fois demander aux agriculteurs de faire des efforts de qualité et de traçabilité des produits, de contribuer au respect et à l'entretien de l'environnement et dans le même temps réduire leurs revenus dans des proportions aussi insupportables.


(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 30 septembre 2002)