Texte intégral
A propos de la CIG, j'ai retenu quelques points du débat : premier point, l'insistance mise par la présidente du Parlement européen sur la perspective d'une constitutionnalisation de l'Union, idée que je qualifierais d'intéressante, tout en disant, comme l'a d'ailleurs expliqué à sa façon Michel Barnier, qu'elle n'était sans doute pas encore mûre pour être incluse dès maintenant dans la présente CIG.
Il en va de même pour l'idée de faire élire une partie des parlementaires européens sur un quota transnational, idée à laquelle je suis personnellement très favorable, en tant que responsable politique, et en tant qu'ancien membre du Parlement européen, mais dont je ne suis pas certain qu'elle soit réalisable aujourd'hui.
Par ailleurs, le débat qui continue s'est focalisé sur le Parlement européen et, de ce point de vue-là, j'ai eu l'occasion d'exprimer la position de la délégation française : le plafond du nombre de parlementaires devait rester à 700, avec l'idée que l'augmentation du nombre d'élus se produise en deux temps, en 2004 et en 2009, tout en respectant davantage les populations des différents pays de l'Union.
Enfin, quatrième point qui, me semble-t-il, marque ces travaux, c'est l'importance de plus en plus grande que prend la question des coopérations renforcées dans les travaux de la CIG. J'ai eu l'occasion de saluer ce matin la contribution très importante de Joschka Fischer, autour de laquelle nous avons travaillé lors du séminaire franco-allemand de Rambouillet vendredi dernier. Nous sommes tombés d'accord sur l'idée que les coopérations renforcées représentaient un élément essentiel par rapport au fonctionnement actuel de l'Union européenne, qui a sans doute besoin de davantage de souplesse, et c'est pourquoi nous souhaitons que les coopérations renforcées deviennent un des piliers de la CIG. Il y a désormais deux blocs politiques centraux dans cette CIG : d'un côté, les trois questions laissées à Amsterdam et de l'autre, ces coopérations renforcées qui sont une sorte de pont, de passerelle vers l'avenir, car nous savons que l'Europe à trente, celle qui nous attend demain, aura besoin que se dégage la possibilité pour certains Etats membres d'avancer. C'est la thèse de " l'avant-garde ", celle du coeur, tout en laissant bien sûr la porte ouverte aux autres pour les rejoindre. C'est dans l'esprit du traité. Et j'ai eu l'occasion de dire que cette question des coopérations renforcées serait une question bien sûr centrale pour la présidence française, au cours de la CIG qui se poursuit. Voilà quelques mots que je voulais d'emblée formuler. Mais j'imagine qu'il y a quelques sujets à développer dans l'actualité.
Q - Que pensez-vous des propos de votre collègue Jean-Pierre Chevènement sur l'Allemagne ? Qu'en pensez-vous, même s'ils ont été démentis ce matin ?
R - Je préfère, si vous le voulez bien, vous parler de la rencontre de Rambouillet. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ces propos et je vous renvoie à ce que j'ai pu dire ce matin. Je pense qu'il ne faut pas faire un drame de cette affaire là. Je crois que l'essentiel, c'est ce qui s'est passé à Rambouillet. C'est à dire une rencontre franco-allemande qui a été importante et qui fera, j'en suis sûr, date pour les relations franco-allemandes et aussi pour l'Europe puisque nous sommes à quelques semaines de la présidence française, que cette présidence intervient elle-même à un tournant de l'Europe. Nous avons en effet des sujets absolument essentiels à traiter : l'élargissement de l'Europe, son fonctionnement, et donc son avenir. Il est très important, quand on a de telles perspectives devant soi, que la France et l'Allemagne travaillent en bonne harmonie. Vous comprendrez que je n'ai pas envie d'insister sur les commentaires faits à propos des déclarations d'un collègue que, toutefois, il faut replacer dans leur contexte. Il s'agit d'une analyse qu'on peut comprendre, qui doit être prise en compte, même si on ne la partage pas, selon laquelle le texte de Joschka Fischer est une vision effectivement assez allemande de ce que doivent être les institutions de l'Europe de demain. La phrase sur le nazisme est une phrase malheureuse que, je crois, il a regretté. L'important, ce ne sont pas les commentaires là-dessus, mais le séminaire franco-allemand et les perspectives qu'il ouvre et qui sont importantes.
Q - A propos de ces perspectives, avez-vous commencé à Rambouillet à débattre de la façon dont pourrait se développer ce débat européen sur l'avenir de l'Europe : à quel moment ? Y aura-t-il un vrai débat franco-allemand, une vraie initiative, un document, quels seront la méthode et le calendrier ?
R - On aura l'occasion de la développer, j'allais dire, progressivement puisque, comme vous le savez, nous avons devant nous un certain nombre d'échéances franco-allemandes importantes : il y a le sommet franco-allemand de Mayence de juin. Il y a, ensuite, ce n'est pas que du franco-allemand, loin s'en faut, le Conseil européen de Feira au cours duquel nous serons amenés à défendre des positions très proches et, puis, il y a la visite d'Etat du président de la République à Berlin, avec notamment, son discours devant le Bundestag, et enfin l'ouverture de la présidence française et, notamment, la reprise des travaux de la CIG à un niveau politique dès le début de cette présidence.
L'intérêt de Rambouillet n'est pas de développer un calendrier. C'est, au fond, la chose suivante : nous avons traité, dans un contexte informel, des grandes questions du moment. Et nous avons, dans ce contexte, échangé sur l'avenir de l'Europe, en reconnaissant l'importance, je le répète, de la contribution de Joschka Fischer et l'intelligence du cheminement qui est proposé puisqu'il dit : premièrement, réussissons la présidence française et réussissons-la ensemble !
Deuxièmement, dans ce contexte, ce qui est fondamental, c'est la Conférence intergouvernementale parce qu'elle prépare l'avenir. Il faut nous concentrer et, il ne faut pas faire télescoper les deux exercices.
Troisièmement, dans ce contexte, les coopérations renforcées sont un sujet bien évidemment fondamental dans le double sens que je viens d'indiquer, c'est-à-dire à la fois pour le fonctionnement actuel de l'Union et pour jeter un pont vers l'avenir. Puis, nous aurons des réflexions sur l'avenir de l'Europe qui ne se présentera pas d'ailleurs exactement de la même façon si la CIG réussit ou non. Il est clair que la CIG peut représenter un modèle modulable, si on a un fort développement des coopérations renforcées. Dans d'autres cas, on peut avoir d'autres types de débats. Nous avons échangé nos positions sur tout cela. Notre perspective, c'est d'avoir des positions aussi communes que possible dans les temps qui viennent, avec les initiatives que vous découvrirez.
Q - Quand on voit les réactions au discours de M. Fischer, on a l'impression que les six membres fondateurs se retrouvent un peu autour de ce projet. N'est-ce pas quelque chose de préoccupant pour l'avenir car ceux qui sont entrés récemment ont du mal à s'y retrouver ?
R - Encore une fois, il s'agit d'une contribution, je viens de le dire deux fois, qui est très importante, mais pas unique non plus. Ne faisons pas comme si ces sujets arrivaient d'un coup dans l'agenda européen. Il y a la thèse de la fédération d'Etats-nations de Jacques Delors qui a déjà plusieurs années, au moins cinq ans, et qui est finalement assez proche de celle-là, il y a des réflexions qui ont été conduites par Helmut Schmidt, par Giscard d'Estaing, par d'autres encore. J'ai le souvenir, modestement quand j'ai écrit un livre il y a un an, d'avoir traité de ces sujets. Donc, il ne faut pas faire comme si un texte, qui date d'une semaine, avait tout à coup tout cristallisé. Laissons le débat se dérouler avant de le conclure, si vous le voulez bien !
Q - Oui, mais ce sont toujours les mêmes...
R - Non, j'ai entendu et lu des déclarations portugaises, des réactions espagnoles. Nous verrons. Encore une fois, il y aurait là une double erreur à faire comme si ce débat était conclu avant même d'avoir commencé ou penser qu'il n'y a qu'une seule formule envisageable. J'ai salué le cheminement de Joschka Fischer. Bien sûr, la finalité peut être débattue et cela peut ouvrir d'autres perspectives. Par exemple, il est clair, et cela a été rappelé lors du séminaire franco-allemand, que le mot fédéralisme, n'a pas exactement le même sens dans un contexte français que dans un contexte allemand.
Q - Si on revient sur la coopération renforcée il y a donc les six fondateurs et tous les autres ne veulent pas en entendre parler ?
R - Ce n'est pas exact, si je parlais comme la présidence portugaise, aujourd'hui, il y une majorité d'Etats qui sont favorables à une coopération renforcée mais on ne peut pas tout dire et son contraire. Quand les Français et les Allemands ne sont pas d'accord, c'est catastrophique il n'y a pas de moteur franco-allemand. Et quand ils sont d'accord, c'est un simple condominium qui ne convainc personne. Je parle des Français et des Allemands parce que, s'il n'y avait pas les Français et les Allemands, il n'y aurait pas les six. Et dans ce contexte là cela joue un rôle. Il faut laisser ce débat se dérouler, je pense que cette thèse va s'imposer. Il ne faut pas que le débat sur l'avenir de l'Europe soit un obstacle à la conclusion de la CIG, mais c'est exactement le contraire. La réussite de la CIG doit être un élément de la contribution au débat sur l'avenir de l'Europe. C'est dans ce sens là qu'il faut prendre les choses. Je ne vois pas dans le débat, tel qu'il a été lancé par M. Fischer, d'élément contradictoire. Je pense, au contraire, que c'est utile pour nous aider à terminer la CIG à temps avant la fin de la présidence française. Nous ne souhaitons pas, et nous l'avons dit avec nos amis allemands, un accord au rabais à Nice. Nous souhaitons une CIG qui ait un profil haut, une CIG qui permette de préparer l'avenir de l'Europe. Nous préférons remettre à plus tard la conclusion plutôt qu'aboutir à un mauvais accord à Nice. A Nice, il y aura un bon accord ou il n'y aura pas d'accord.
Deuxième chose, notre position depuis Amsterdam, c'est que la réforme des institutions doit être faite avant l'élargissement. Ce n'est pas une position nouvelle. Je crois qu'il n'y a aucun élément actuel qui permette de nourrir un pessimisme quelconque. On constate que la réflexion s'approfondissant, le niveau d'ambition de la réflexion sur la CIG va également croissant.
Q - La France a-t-elle l'intention de bloquer les négociations avec les pays candidats ? Quelle est votre position sur le chapitre JAI ?
R - Que les choses soient claires, je sais que ces inquiétudes existent chez nos amis polonais. Le président de la République polonaise était à Paris la semaine dernière, il a eu des entretiens nombreux. Cela a été une très bonne visite, chacun en convient.
Nous voulons favoriser l'élargissement, notamment l'élargissement à la Pologne. Il est aussi logique, que dans des réflexions qui sont techniques, nous ayons des exigences précises, ponctuelles qui ne sont en aucun cas des obstacles politiques. Ces exigences concernent la reprise de l'acquis Schengen par les pays candidats. Nous avons fait valoir ces exigences, ce qui n'est nullement un blocage de la négociation. Nous souhaitons que la négociation aboutisse, le plus tôt possible notamment avec nos amis polonais, mais, en même temps, nous avons des exigences d'ordre technique et politique qui doivent être satisfaites et c'est ce que nous avons présenté dans les groupes de négociations.
Q - Pourquoi maintenant ?
R - Parce que c'est à ce moment-là que c'est arrivé dans la négociation. Nous sommes en train de travailler à Paris pour parvenir à une position qui soit compatible avec la poursuite des négociations.
Q - Sur un autre sujet de l'actualité pouvez-vous réagir sur le " oui " de la Suisse et les conséquences sur les relations bilatérales ?
R - Pour avoir été associé aux négociations bilatérales dans mes fonctions actuelles comme ministre et aussi comme élu franc-comtois et frontalier de la Suisse, je m'étais gardé d'intervenir dans ce débat, mais je me réjouis de l'approbation extrêmement large en Suisse de ces fameuses négociations bilatérales. Il reviendra aux Suisses d'exploiter ce débat comme ils le souhaitent. Certains disent que ces accords bilatéraux sont un premier pas vers la candidature Suisse à l'Union européenne. D'autres disent, au contraire, "travaillons sur cette base , cela fonctionnera comme une sorte de moratoire et, à la fin, nous déciderons ou non d'une réactivation de la candidature à l'Union européenne". D'autres enfin envisagent des procédures parlementaires spécifiques. En attendant, il est clair que c'est une votation extrêmement importante, que nous accueillons très positivement.
Q - S'agissant de l'Autriche, quel est votre scénario avant la présidence française ?
R - Il y a, sur cette question, une bonne convergence de vues entre les Français et les Allemands qui ne se dément pas. Pour le reste, que sera l'attitude de la présidence française ? Nous estimons, que, dans cette affaire, ne sont pas intervenus d'éléments nouveaux. Et, notamment pour avoir étudié avec soin les différents textes qui nous ont été envoyés il n'est pas raisonnable de soutenir que la nature du "Parti de la Liberté" - pour parler comme M. Guterres - a évolué. A partir de là, la logique est de poursuivre dans la ligne de ce qui a été décidé par la présidence portugaise, sans rien ajouter, mais sans rien retrancher. Les sanctions oui, toutes les sanctions, rien que les sanctions. Au Conseil, l'Autriche doit pouvoir être associée dans toutes ses formations, qu'elles soient formelles ou informelles.
Q - Il a été demandé à la Commission de faire un rapport sur les sanctions ou de faire un geste. Peut-on envisager de renoncer à une partie des sanctions ?
R - Il y en a trois. Si on en enlève une ou deux, c'est un geste très sérieux. Pour ma part, je me suis prononcé pour le maintien des sanctions.
Q - A propos de l'élargissement, quels sont vos projets pour la présidence ? Faut-il mentionner la date des négociations ?
R - Je ne sais pas si c'est une idée de M. Verheugen, je le verrai tout à l'heure pour parler de cela et préparer l'attitude qui sera celle de la présidence française sur l'élargissement. Il faut que, sur l'élargissement, nous fassions d'abord avancer les négociations aussi bien avec les six, dits de Luxembourg qu'avec les six, dits d'Helsinki. Sans faire cette distinction, nous sommes sur le principe de la régate et la différenciation. Deuxièmement, il faut ouvrir de nouveaux chapitres et en conclure certains afin qu'au moment de la présidence française se dégage une vue d'ensemble du processus d'élargissement. On doit pouvoir notamment s'appuyer sur les fameux tableaux de bord, qui permettent de mesurer, pays par pays, là où on en est. Nous verrons s'il se dégage une date. Mais, compte tenu du fait que nous savons bien que nous ne pourrons pas ouvrir la totalité des chapitres pour tout le monde (et nous allons aborder des chapitres extrêmement complexes par exemple la libre circulation ou la PAC), je ne suis pas certain que la question de la date puisse être traitée de façon pertinente par la présidence française. En toute hypothèse, nous devons avoir une vue d'ensemble, une évaluation précise de la situation de chacun et aussi la vision ce que peut être un processus pour conclure les négociations, alors on verra si la date en est le parachèvement. Je ne suis pas, à l'heure où je vous parle, tout à fait certain que ce sera possible./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)
Il en va de même pour l'idée de faire élire une partie des parlementaires européens sur un quota transnational, idée à laquelle je suis personnellement très favorable, en tant que responsable politique, et en tant qu'ancien membre du Parlement européen, mais dont je ne suis pas certain qu'elle soit réalisable aujourd'hui.
Par ailleurs, le débat qui continue s'est focalisé sur le Parlement européen et, de ce point de vue-là, j'ai eu l'occasion d'exprimer la position de la délégation française : le plafond du nombre de parlementaires devait rester à 700, avec l'idée que l'augmentation du nombre d'élus se produise en deux temps, en 2004 et en 2009, tout en respectant davantage les populations des différents pays de l'Union.
Enfin, quatrième point qui, me semble-t-il, marque ces travaux, c'est l'importance de plus en plus grande que prend la question des coopérations renforcées dans les travaux de la CIG. J'ai eu l'occasion de saluer ce matin la contribution très importante de Joschka Fischer, autour de laquelle nous avons travaillé lors du séminaire franco-allemand de Rambouillet vendredi dernier. Nous sommes tombés d'accord sur l'idée que les coopérations renforcées représentaient un élément essentiel par rapport au fonctionnement actuel de l'Union européenne, qui a sans doute besoin de davantage de souplesse, et c'est pourquoi nous souhaitons que les coopérations renforcées deviennent un des piliers de la CIG. Il y a désormais deux blocs politiques centraux dans cette CIG : d'un côté, les trois questions laissées à Amsterdam et de l'autre, ces coopérations renforcées qui sont une sorte de pont, de passerelle vers l'avenir, car nous savons que l'Europe à trente, celle qui nous attend demain, aura besoin que se dégage la possibilité pour certains Etats membres d'avancer. C'est la thèse de " l'avant-garde ", celle du coeur, tout en laissant bien sûr la porte ouverte aux autres pour les rejoindre. C'est dans l'esprit du traité. Et j'ai eu l'occasion de dire que cette question des coopérations renforcées serait une question bien sûr centrale pour la présidence française, au cours de la CIG qui se poursuit. Voilà quelques mots que je voulais d'emblée formuler. Mais j'imagine qu'il y a quelques sujets à développer dans l'actualité.
Q - Que pensez-vous des propos de votre collègue Jean-Pierre Chevènement sur l'Allemagne ? Qu'en pensez-vous, même s'ils ont été démentis ce matin ?
R - Je préfère, si vous le voulez bien, vous parler de la rencontre de Rambouillet. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ces propos et je vous renvoie à ce que j'ai pu dire ce matin. Je pense qu'il ne faut pas faire un drame de cette affaire là. Je crois que l'essentiel, c'est ce qui s'est passé à Rambouillet. C'est à dire une rencontre franco-allemande qui a été importante et qui fera, j'en suis sûr, date pour les relations franco-allemandes et aussi pour l'Europe puisque nous sommes à quelques semaines de la présidence française, que cette présidence intervient elle-même à un tournant de l'Europe. Nous avons en effet des sujets absolument essentiels à traiter : l'élargissement de l'Europe, son fonctionnement, et donc son avenir. Il est très important, quand on a de telles perspectives devant soi, que la France et l'Allemagne travaillent en bonne harmonie. Vous comprendrez que je n'ai pas envie d'insister sur les commentaires faits à propos des déclarations d'un collègue que, toutefois, il faut replacer dans leur contexte. Il s'agit d'une analyse qu'on peut comprendre, qui doit être prise en compte, même si on ne la partage pas, selon laquelle le texte de Joschka Fischer est une vision effectivement assez allemande de ce que doivent être les institutions de l'Europe de demain. La phrase sur le nazisme est une phrase malheureuse que, je crois, il a regretté. L'important, ce ne sont pas les commentaires là-dessus, mais le séminaire franco-allemand et les perspectives qu'il ouvre et qui sont importantes.
Q - A propos de ces perspectives, avez-vous commencé à Rambouillet à débattre de la façon dont pourrait se développer ce débat européen sur l'avenir de l'Europe : à quel moment ? Y aura-t-il un vrai débat franco-allemand, une vraie initiative, un document, quels seront la méthode et le calendrier ?
R - On aura l'occasion de la développer, j'allais dire, progressivement puisque, comme vous le savez, nous avons devant nous un certain nombre d'échéances franco-allemandes importantes : il y a le sommet franco-allemand de Mayence de juin. Il y a, ensuite, ce n'est pas que du franco-allemand, loin s'en faut, le Conseil européen de Feira au cours duquel nous serons amenés à défendre des positions très proches et, puis, il y a la visite d'Etat du président de la République à Berlin, avec notamment, son discours devant le Bundestag, et enfin l'ouverture de la présidence française et, notamment, la reprise des travaux de la CIG à un niveau politique dès le début de cette présidence.
L'intérêt de Rambouillet n'est pas de développer un calendrier. C'est, au fond, la chose suivante : nous avons traité, dans un contexte informel, des grandes questions du moment. Et nous avons, dans ce contexte, échangé sur l'avenir de l'Europe, en reconnaissant l'importance, je le répète, de la contribution de Joschka Fischer et l'intelligence du cheminement qui est proposé puisqu'il dit : premièrement, réussissons la présidence française et réussissons-la ensemble !
Deuxièmement, dans ce contexte, ce qui est fondamental, c'est la Conférence intergouvernementale parce qu'elle prépare l'avenir. Il faut nous concentrer et, il ne faut pas faire télescoper les deux exercices.
Troisièmement, dans ce contexte, les coopérations renforcées sont un sujet bien évidemment fondamental dans le double sens que je viens d'indiquer, c'est-à-dire à la fois pour le fonctionnement actuel de l'Union et pour jeter un pont vers l'avenir. Puis, nous aurons des réflexions sur l'avenir de l'Europe qui ne se présentera pas d'ailleurs exactement de la même façon si la CIG réussit ou non. Il est clair que la CIG peut représenter un modèle modulable, si on a un fort développement des coopérations renforcées. Dans d'autres cas, on peut avoir d'autres types de débats. Nous avons échangé nos positions sur tout cela. Notre perspective, c'est d'avoir des positions aussi communes que possible dans les temps qui viennent, avec les initiatives que vous découvrirez.
Q - Quand on voit les réactions au discours de M. Fischer, on a l'impression que les six membres fondateurs se retrouvent un peu autour de ce projet. N'est-ce pas quelque chose de préoccupant pour l'avenir car ceux qui sont entrés récemment ont du mal à s'y retrouver ?
R - Encore une fois, il s'agit d'une contribution, je viens de le dire deux fois, qui est très importante, mais pas unique non plus. Ne faisons pas comme si ces sujets arrivaient d'un coup dans l'agenda européen. Il y a la thèse de la fédération d'Etats-nations de Jacques Delors qui a déjà plusieurs années, au moins cinq ans, et qui est finalement assez proche de celle-là, il y a des réflexions qui ont été conduites par Helmut Schmidt, par Giscard d'Estaing, par d'autres encore. J'ai le souvenir, modestement quand j'ai écrit un livre il y a un an, d'avoir traité de ces sujets. Donc, il ne faut pas faire comme si un texte, qui date d'une semaine, avait tout à coup tout cristallisé. Laissons le débat se dérouler avant de le conclure, si vous le voulez bien !
Q - Oui, mais ce sont toujours les mêmes...
R - Non, j'ai entendu et lu des déclarations portugaises, des réactions espagnoles. Nous verrons. Encore une fois, il y aurait là une double erreur à faire comme si ce débat était conclu avant même d'avoir commencé ou penser qu'il n'y a qu'une seule formule envisageable. J'ai salué le cheminement de Joschka Fischer. Bien sûr, la finalité peut être débattue et cela peut ouvrir d'autres perspectives. Par exemple, il est clair, et cela a été rappelé lors du séminaire franco-allemand, que le mot fédéralisme, n'a pas exactement le même sens dans un contexte français que dans un contexte allemand.
Q - Si on revient sur la coopération renforcée il y a donc les six fondateurs et tous les autres ne veulent pas en entendre parler ?
R - Ce n'est pas exact, si je parlais comme la présidence portugaise, aujourd'hui, il y une majorité d'Etats qui sont favorables à une coopération renforcée mais on ne peut pas tout dire et son contraire. Quand les Français et les Allemands ne sont pas d'accord, c'est catastrophique il n'y a pas de moteur franco-allemand. Et quand ils sont d'accord, c'est un simple condominium qui ne convainc personne. Je parle des Français et des Allemands parce que, s'il n'y avait pas les Français et les Allemands, il n'y aurait pas les six. Et dans ce contexte là cela joue un rôle. Il faut laisser ce débat se dérouler, je pense que cette thèse va s'imposer. Il ne faut pas que le débat sur l'avenir de l'Europe soit un obstacle à la conclusion de la CIG, mais c'est exactement le contraire. La réussite de la CIG doit être un élément de la contribution au débat sur l'avenir de l'Europe. C'est dans ce sens là qu'il faut prendre les choses. Je ne vois pas dans le débat, tel qu'il a été lancé par M. Fischer, d'élément contradictoire. Je pense, au contraire, que c'est utile pour nous aider à terminer la CIG à temps avant la fin de la présidence française. Nous ne souhaitons pas, et nous l'avons dit avec nos amis allemands, un accord au rabais à Nice. Nous souhaitons une CIG qui ait un profil haut, une CIG qui permette de préparer l'avenir de l'Europe. Nous préférons remettre à plus tard la conclusion plutôt qu'aboutir à un mauvais accord à Nice. A Nice, il y aura un bon accord ou il n'y aura pas d'accord.
Deuxième chose, notre position depuis Amsterdam, c'est que la réforme des institutions doit être faite avant l'élargissement. Ce n'est pas une position nouvelle. Je crois qu'il n'y a aucun élément actuel qui permette de nourrir un pessimisme quelconque. On constate que la réflexion s'approfondissant, le niveau d'ambition de la réflexion sur la CIG va également croissant.
Q - La France a-t-elle l'intention de bloquer les négociations avec les pays candidats ? Quelle est votre position sur le chapitre JAI ?
R - Que les choses soient claires, je sais que ces inquiétudes existent chez nos amis polonais. Le président de la République polonaise était à Paris la semaine dernière, il a eu des entretiens nombreux. Cela a été une très bonne visite, chacun en convient.
Nous voulons favoriser l'élargissement, notamment l'élargissement à la Pologne. Il est aussi logique, que dans des réflexions qui sont techniques, nous ayons des exigences précises, ponctuelles qui ne sont en aucun cas des obstacles politiques. Ces exigences concernent la reprise de l'acquis Schengen par les pays candidats. Nous avons fait valoir ces exigences, ce qui n'est nullement un blocage de la négociation. Nous souhaitons que la négociation aboutisse, le plus tôt possible notamment avec nos amis polonais, mais, en même temps, nous avons des exigences d'ordre technique et politique qui doivent être satisfaites et c'est ce que nous avons présenté dans les groupes de négociations.
Q - Pourquoi maintenant ?
R - Parce que c'est à ce moment-là que c'est arrivé dans la négociation. Nous sommes en train de travailler à Paris pour parvenir à une position qui soit compatible avec la poursuite des négociations.
Q - Sur un autre sujet de l'actualité pouvez-vous réagir sur le " oui " de la Suisse et les conséquences sur les relations bilatérales ?
R - Pour avoir été associé aux négociations bilatérales dans mes fonctions actuelles comme ministre et aussi comme élu franc-comtois et frontalier de la Suisse, je m'étais gardé d'intervenir dans ce débat, mais je me réjouis de l'approbation extrêmement large en Suisse de ces fameuses négociations bilatérales. Il reviendra aux Suisses d'exploiter ce débat comme ils le souhaitent. Certains disent que ces accords bilatéraux sont un premier pas vers la candidature Suisse à l'Union européenne. D'autres disent, au contraire, "travaillons sur cette base , cela fonctionnera comme une sorte de moratoire et, à la fin, nous déciderons ou non d'une réactivation de la candidature à l'Union européenne". D'autres enfin envisagent des procédures parlementaires spécifiques. En attendant, il est clair que c'est une votation extrêmement importante, que nous accueillons très positivement.
Q - S'agissant de l'Autriche, quel est votre scénario avant la présidence française ?
R - Il y a, sur cette question, une bonne convergence de vues entre les Français et les Allemands qui ne se dément pas. Pour le reste, que sera l'attitude de la présidence française ? Nous estimons, que, dans cette affaire, ne sont pas intervenus d'éléments nouveaux. Et, notamment pour avoir étudié avec soin les différents textes qui nous ont été envoyés il n'est pas raisonnable de soutenir que la nature du "Parti de la Liberté" - pour parler comme M. Guterres - a évolué. A partir de là, la logique est de poursuivre dans la ligne de ce qui a été décidé par la présidence portugaise, sans rien ajouter, mais sans rien retrancher. Les sanctions oui, toutes les sanctions, rien que les sanctions. Au Conseil, l'Autriche doit pouvoir être associée dans toutes ses formations, qu'elles soient formelles ou informelles.
Q - Il a été demandé à la Commission de faire un rapport sur les sanctions ou de faire un geste. Peut-on envisager de renoncer à une partie des sanctions ?
R - Il y en a trois. Si on en enlève une ou deux, c'est un geste très sérieux. Pour ma part, je me suis prononcé pour le maintien des sanctions.
Q - A propos de l'élargissement, quels sont vos projets pour la présidence ? Faut-il mentionner la date des négociations ?
R - Je ne sais pas si c'est une idée de M. Verheugen, je le verrai tout à l'heure pour parler de cela et préparer l'attitude qui sera celle de la présidence française sur l'élargissement. Il faut que, sur l'élargissement, nous fassions d'abord avancer les négociations aussi bien avec les six, dits de Luxembourg qu'avec les six, dits d'Helsinki. Sans faire cette distinction, nous sommes sur le principe de la régate et la différenciation. Deuxièmement, il faut ouvrir de nouveaux chapitres et en conclure certains afin qu'au moment de la présidence française se dégage une vue d'ensemble du processus d'élargissement. On doit pouvoir notamment s'appuyer sur les fameux tableaux de bord, qui permettent de mesurer, pays par pays, là où on en est. Nous verrons s'il se dégage une date. Mais, compte tenu du fait que nous savons bien que nous ne pourrons pas ouvrir la totalité des chapitres pour tout le monde (et nous allons aborder des chapitres extrêmement complexes par exemple la libre circulation ou la PAC), je ne suis pas certain que la question de la date puisse être traitée de façon pertinente par la présidence française. En toute hypothèse, nous devons avoir une vue d'ensemble, une évaluation précise de la situation de chacun et aussi la vision ce que peut être un processus pour conclure les négociations, alors on verra si la date en est le parachèvement. Je ne suis pas, à l'heure où je vous parle, tout à fait certain que ce sera possible./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)