Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à "Public Sénat" le 30 janvier 2003, sur la sensibilisation de l'opinion sur l'Europe et l'élargissement de l'Union européenne, les propositions franco-allemandes sur les présidences du Conseil européen et de la Commission européenne, la réforme du mode de scrutin des élections européennes et la question de la légalisation du clonage thérapeutique.

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Média : Emission Face à la presse - Public Sénat - Télévision

Texte intégral

Q - La presse vous présente comme la ministre VRP de l'Europe en France car vous parcourez les régions afin de convaincre de l'utilité de l'Union européenne et pour expliquer ce qu'est aujourd'hui l'Europe à des Français inquiets. Est-ce que vous pouvez nous préciser cette feuille de route que vous aurait donnée le Premier ministre ?
R - Cela peut paraître un peu insolite d'être aujourd'hui en 2003 le VRP de l'Europe alors que l'Union européenne, autrefois appelée communauté, existe depuis maintenant plus de cinquante ans. Nous, Français, nous sommes vis-à-vis de l'Europe un peu comme M. Jourdain était vis-à-vis de la prose, profondément européens. Nous sommes d'ailleurs, en tant que nation, fondateurs de l'Europe. La plupart de nos législations sont européennes ou d'inspiration européenne. Et pourtant, il y a encore une grande distance entre les institutions de l'Europe et le citoyen. Mon rôle est d'essayer de réduire cette distance, en allant sur le terrain parler d'Europe, ce que j'ai déjà fait. Et je peux vous dire que l'Europe intéresse énormément, les jeunes d'abord, mais aussi les moins jeunes, qui posent beaucoup de questions pertinentes.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment que cette distance que vous évoquez va grandissant avec la perspective de l'élargissement qui inquiète certains de nos compatriotes ?
R - Au contraire, je pense que l'élargissement est une chance pour mobiliser les Français et les Françaises autour d'une question qui est : qu'est-ce que l'Europe, qu'est-ce qu'être Européen ? C'est une Europe multiséculaire, qui a été à la source de toutes les grandes théories philosophiques démocratiques d'aujourd'hui. Cette Europe aujourd'hui se reconstruit sur des bases nouvelles avec de nouveaux pays, des jeunes démocraties qui reviennent vers nous après avoir été séparées de l'Europe occidentale pendant des décennies. C'est l'occasion, non seulement de rajeunir l'Europe, mais aussi d'expliquer le cadre qui est le nôtre, car c'est un cadre que nous avons choisi.
Q - Donc ce n'est pas une gageure que vous a confiée le Premier ministre, puisque vous essayez d'anticiper une adhésion encore plus grande à l'Europe en passant par une explication des textes et des institutions, vous avez un sujet forcément "barbant" ?
R - La sécurité alimentaire, même si elle a subi quelques failles, ne serait pas ce qu'elle est si, en Europe, compte tenu de la circulation des produits agricoles et alimentaires sur tout le territoire européen, nous ne nous étions pas outillés assez pour effectuer des contrôles sérieux. Il est très facile d'expliquer aux gens que la lutte pour l'environnement, c'est l'Europe, les pots catalytiques, l'absence de plomb dans l'essence pour les véhicules automobiles, c'est l'Europe. Il est très facile aussi d'expliquer que, sans l'Europe, nous n'aurions pas pu construire de grandes industries à la dimension du monde et aussi, que finalement, l'objectif de départ était la paix. La réconciliation franco-allemande, c'est grâce à la construction permanente de cette union. Nous sommes aujourd'hui un continent pacifié, en dehors de zones comme les Balkans qui, hélas, ont connu des conflits très malheureux.
Q - Les Français sont les derniers à pouvoir citer les pays de l'élargissement. Alors l'Europe à vingt-cinq c'est un peu du "chinois". Il y a une affiche qui a été publiée d'ailleurs "dessine-moi l'Europe" que nous avons vu fleurir dans nos villes avec la carte des dix qui vont nous rejoindre en 2004, des deux supplémentaires et avec cette mention : Turquie en jaune "autre candidat". Est-ce que les Français n'ont pas peur qu'elle aille trop loin ? Jusqu'où doit-elle aller pour vous ? La Turquie étant bien sûr un cas en suspens ?
R - C'est la première fois, depuis que l'Europe a été mise en place, que l'on se pose la question des frontières de l'Europe, c'est-à-dire du cadre dans lequel on a envie de construire une communauté politique et de vivre ensemble en tant qu'européens. C'est très sain. Il est vrai que les Français ont peu voyagé vers les pays de l'Est, dont ils étaient séparés par ce fameux mur de Berlin. Ils ont eu une certaine méconnaissance. Il faut sans doute du point de vue du système scolaire réaliser des efforts encore très importants pour que l'on puisse sensibiliser nos concitoyens à la géographie de l'Europe, à l'histoire de l'Europe, à la signification politique de l'Europe. C'est ma mission que de promouvoir, disons, cette sensibilisation à l'Europe, cette popularisation de l'Europe.
Q - Alors comment est-ce que vous parlez de la Turquie, qui, elle, revendique son appartenance à l'Europe ?
R - Il est très sain que des pays frappent à notre porte. Le problème de la Turquie n'est pas un problème récent. La Turquie est membre du Conseil de l'Europe, l'autre organisation européenne depuis sa création en 1949. La Turquie frappe à la porte de l'Europe depuis 50 ans. En 1963, elle s'est vu reconnaître une vocation européenne dans un accord d'association qui était essentiellement économique avec la Communauté européenne. En 1995, on a créé une union douanière. La Turquie a été reconnue comme candidate en 1999 mais on lui a dit, et c'est d'ailleurs le fruit d'un accord franco-allemand qui a permis de lui adresser ce message de l'Union européenne tout entière, qu'elle n'était pas prête. Elle ne remplit pas les critères démocratiques fixés au Conseil européen de Copenhague, qui sont en quelque sorte le ticket d'entrée pour pouvoir négocier avec l'Union européenne, dans une perspective d'adhésion. On s'intéressera à sa situation du point de vue de l'Etat de droit et de la protection des Droits de l'Homme à la fin de 2004. Mais la vocation européenne de la Turquie n'a pas été remise en cause.
Q - Vous avez mentionné, à propos de la Turquie, l'accord franco-allemand sur cette question. Il semble que Français et Allemands se soient décidés à propulser l'Europe et à se mettre d'accord pour dégager des consensus qui, après, peuvent être défaits par les autres pays. Quelle est cette proposition franco-allemande au niveau des institutions d'une double présidence? Est-ce que vous ne craignez pas que cela puisse créer une confusion : deux présidents, deux présidences fortes, on ne va plus savoir qui représente l'Europe et qui fait quoi ?
R - Je voudrais, à propos de cette question, essayer de clarifier un peu les choses et d'écarter les fausses interprétations. Il n'y a pas deux présidences nouvelles. En réalité, il y a déjà trois présidents. Il y a trois institutions fortes de l'Union. Chacune remplit une mission particulière et a un rôle très spécifique.
Vous avez d'abord le concert des Etats, intitulé Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, qui a déjà un président, changeant tous les six mois. C'est ce qu'on appelle une présidence tournante, une rotation, qui n'est pas viable parce que ce Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement donne toute l'impulsion politique à la construction européenne, arrête les grands choix, comme, par exemple, sur l'avenir de la politique agricole commune. Nous, Français, avec nos partenaires Allemands, avons pensé qu'il fallait donner plus de cohérence quand la famille sera élargie à 25. Il y aura autour de la table vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement. Il faut un président stable pour pouvoir animer ces travaux, donner plus de cohérence et aussi donner plus de visibilité politique, de personnification à l'Europe sur la scène internationale au travers de cette volonté des Etats de construire une Europe politique.
Et puis, il y a la Commission, organe tout à fait original, qui n'existe pas dans une autre configuration politique. Elle est unique au monde, comme l'est d'ailleurs la construction européenne elle-même. Cette Commission s'appuie sur une base administrative, on dit parfois bureaucratie, avec des commissaires nommés par les gouvernements, avalisés par le Parlement européen, mais qui ont leur indépendance par rapport à leur gouvernement et qui ont un pouvoir de proposition. Ce sont eux qui canalisent les initiatives des Etats et lancent les grandes propositions qui donneront lieu à des législations européennes. Ils surveillent la discipline entre les Etats membres, notamment la fameuse discipline budgétaire et le respect du pacte de stabilité. Nous demandons que le président de la Commission, actuellement M. Prodi, lui ou son successeur, ait plus de pouvoir de direction politique dans cette commission, pour renforcer aussi ce pôle, qui est un pôle essentiel pour incarner l'intérêt général communautaire et lancer les grandes législations européennes.
Et enfin, il y a le Parlement européen. C'est-à-dire ceux qui sont désignés par les citoyens de l'Europe. Nous voulons renforcer le Parlement européen, son pouvoir législatif. La réforme du mode de scrutin en cours, qui va être présentée au Parlement, a été approuvée ce matin en Conseil des ministres. Nous souhaitons un mode de scrutin plus proche des citoyens, des électeurs, avec non plus une liste nationale, mais des listes régionalisées pour que les différentes régions de France puissent s'identifier à des élus, à une représentation européenne. Une réforme qui avait déjà été proposée par Michel Barnier, l'un de mes prédécesseurs et qui a aussi été esquissée par le précédent gouvernement.
Q - Il y a quand même des critiques de certains partenaires de la majorité, de l'opposition, sur la réforme du mode de scrutin européen, avec l'absence d'un grand leader national pour chaque camp, avec cette réforme.
R - La réforme est simple. D'abord, nous devons nous plier à la règle commune qui est la représentation proportionnelle. Tous les Etats membres de la communauté européenne, aujourd'hui 15, demain 25, devront adopter la représentation proportionnelle, parce que le Parlement européen n'est pas un parlement bipolaire avec deux grands partis, c'est un parlement qui est l'expression de la diversité des opinions publiques en Europe. Deuxièmement, nous voulions néanmoins que ce Parlement soit plus proche, plus identifiable sur le terrain, d'où l'idée d'une régionalisation. Et c'est cette régionalisation qu'il fallait organiser de sorte que l'on puisse respecter néanmoins la représentation proportionnelle. Si on avait retenu des régions trop petites, à ce moment-là, certaines circonscriptions régionales n'auraient eu que deux candidats et cela privait quasiment d'effet la représentation proportionnelle, parce que seuls les deux grands partis auraient pu espérer avoir des élus. Donc, on a essayé de concilier à la fois le souhait qui était le nôtre, qui est un souhait de démocratisation, de rapprocher les parlementaires européens du terrain sans priver d'effet la représentation proportionnelle. Il faut dire qu'en Europe, à peu près la moitié des Etats ont adopté un scrutin régional, et la moitié des Etats restent attachés au mode de scrutin actuel, c'est-à-dire avec des listes nationales. Le scrutin régional fonctionne bien dans ces Etats.
Q - Vous faites beaucoup de pédagogie, vous êtes au cur de l'action politique. Néanmoins il y a toujours des arrière-pensées politiques qui sont prêtées derrière chaque réforme électorale. Comment vivez-vous cela au quotidien ?
R - Un ministre vit au quotidien en se projetant dans l'avenir et en essayant de faire avancer les choses.
Q - Je voulais revenir au rapport des Français à l'Europe. Vous avez parlé de la difficulté de lire l'Europe aujourd'hui. Je m'interroge sur une sorte de fracture culturelle par rapport à l'Europe. Autant les jeunes étudiants sont déjà européens dans les faits parce qu'ils font leurs études partout, autant il y a un certain nombre de gens qui s'inquiètent de l'Europe. Ils sont déstabilisés par cet élargissement, par la concurrence des pays de l'Est pour leurs usines, comment faire pour que cette fracture se réduise ?
R - Le mot fracture me paraît un peu fort. Vous avez raison, il y a un déficit d'information et de compréhension, qui est d'abord tout à fait logique dans la mesure où l'Union européenne est une entité politique qui ne fonctionne pas comme un Etat. C'est une construction tout à fait originale, comme était originale d'ailleurs la construction de l'Etat-Nation au 16ème siècle, au 17ème siècle. L'Europe, c'est entièrement nouveau. Cela implique le maintien des Etats-Nations auxquels on s'identifie, mais, en même temps, un niveau de décision bien supérieur parce que l'union fait la force. La paix ne peut-être maintenue que de cette façon-là. C'est inédit et difficile à comprendre.
Il faut simplement expliquer que cet élargissement a pour vocation première de répondre à la finalité essentielle de l'Europe : la paix. Il n'est pas possible d'imaginer laisser ces pays qui avaient été privés de démocratie et avaient vécu dans des conditions extrêmement difficiles et douloureuses, privés de liberté d'expression, avec des systèmes économiques en faillite, des problèmes majeurs de sécurité, y compris nucléaire. On ne pouvait pas laisser ces pays derrière une porte fermée avec, d'un côté les pays au niveau de développement élevé et les autres restant à la traîne. Il fallait les accueillir pour le bien de tous, pour les stabiliser, pour les ancrer dans cette démocratie qui, pour certains, est assez nouvelle, et en tout cas, dont ils ont été privés pendant de longues années. C'est le premier but de la stabilité.
Deuxièmement, la prospérité. Il faut savoir que depuis une dizaine d'années, voire quinze ans, puisque ce processus d'adhésion n'a pas été brusque, on a fait du commerce, on a supprimé toutes les barrières douanières pour les produits industriels. Nos échanges commerciaux avec ces dix pays ont été multipliés par 12 depuis 1990. Le taux de croissance moyen de ces pays est de 4 %, un peu supérieur au nôtre. Ils achètent nos voitures, ils achètent nos appareils électroménagers. Ils ont privatisé. Donc, ceci a favorisé les investissements étrangers, dont les nôtres. Nous sommes les premiers investisseurs par exemple en Pologne. C'est un appel d'air formidable, ce grand marché domestique qui va représenter 455 millions d'habitants, et bientôt peut-être 500. Cela ne fait pas rêver quand on ne parle que d'économie. Ce qui fait rêver, c'est simplement que le continent européen devient, à travers l'histoire, le seul exemple d'un continent où les pays ont souhaité construire une uvre politique de paix.
Q - Alors on parle beaucoup de la guerre aujourd'hui, la guerre en Iraq, et on voit très nettement deux camps en Europe. Il y a les pays qui s'affirment hostiles à la guerre, la France et l'Allemagne, et puis de l'autre des pays notamment de l'Est qui se proclament "atlantistes". Est-ce que Donald Rumsfeld n'avait pas raison, lorsqu'il opposait en termes vifs deux Europe : la vieille et puis la jeune où se trouve aujourd'hui le centre de gravité avec les nouvelles adhésions ?
R - Je vois les choses de manière positive par rapport à une situation très difficile. Le 11 septembre a généré des nouvelles menaces dans le monde : le terrorisme, la dissémination des armes de destruction massives, la criminalité qui s'organise et qui s'est remarquablement bien adaptée à ce monde global. Tout cela est en jeu avec, à la clé, la question de la guerre.
Et je retiens qu'on est en train de voir l'émergence d'une Union européenne, qui devient une véritable union politique. C'est vrai qu'il y a des débats, des discussions. Je retiens que, lors du Conseil Affaires générales d'avant-hier, qui a réuni tous les ministres des Affaires étrangères des Quinze, on est parvenu à un accord intitulé "respect de la légalité internationale". Il ne faut pas qu'à l'occasion de cette crise majeure, la communauté internationale implose. La règle internationale prône le respect de la règle du jeu, l'entente entre des nations qui ont le sens des responsabilités historiques.
Q - Cet accord purement formel sur le fond ne cache pas des divergences. Il y a des pays atlantistes comme l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie. L'Allemagne est plus pacifiste que la France. Est-ce que la France peut se situer au centre de gravité de l'Union européenne ?
R - La France a des responsabilités mondiales. Nous avons un siège permanent au Conseil de sécurité. La politique étrangère de la France du temps du général de Gaulle et dans sa continuité a toujours voulu contribuer aux équilibres mondiaux. Quand nous vivions dans un monde bipolaire, on a voulu que la France participe à cet équilibre. Nous sommes aujourd'hui dans un monde multipolaire et nous considérons qu'il est de notre responsabilité historique de contribuer à ce nouvel ordre mondial. Le Conseil de sécurité est vraiment le lieu incontournable des débats sur ces conceptions des équilibres mondiaux, qui sont en voie de reformation à la suite de la chute du mur de Berlin et du 11 Septembre. Et tout ce qui se fait au niveau de l'Union en termes de discussions, de compromis, contribue bien à la naissance d'une Union politique.
Q - Quand vous dites que tout se fait au niveau du Conseil de sécurité, c'est antithétique avec l'idée d'une diplomatie européenne qui est en train de se former. Que deviennent M. Solana, M. Patten, si tout se fait au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement ? Appelez-vous à une vraie diplomatie européenne ?
R - M. Solana a un mandat très clair. Il vient d'être chargé d'une mission en Corée du Nord.
M. Patten gère l'action extérieure, mais il y a un Conseil affaires extérieures, auquel j'ai participé avec les ministres des Affaires étrangères et européennes. A la base de la politique étrangère, il y a le volontarisme des Etats. Nous, Français avec nos amis Allemands, nous souhaitons que cette politique étrangère s'ancre dans l'Union européenne. Nous avons, dans notre contribution déposée à la Convention, fait une proposition audacieuse. Nous proposons que toutes les décisions prises par l'Union européenne en matière de politique étrangère, le soient, non plus à l'unanimité mais à la majorité qualifiée. Ce qui veut dire que nous acceptons, pour construire une Europe qui pèse sur la scène internationale, des négociations entre les Etats-membres pour se mettre d'accord.
Q - Sur les questions internationales, vous avez parlé du poids de l'Europe sur la scène internationale. Que dire de la Côte d'Ivoire ? Ne serait-on pas plus efficace en travaillant dans le cadre de l'Union européenne ?
R - Les pays africains ont été associés pour prendre en charge ce conflit. Cette question est évoquée dans le cadre de l'Union européenne. Nous pensons important que les Africains eux-mêmes puissent finaliser le règlement de ce conflit.
Q - L'Union européenne s'est beaucoup impliquée au Proche Orient du côté palestinien. On a vu que la voie de la paix n'a pas été retenue. Avec le succès du Likoud, pensez-vous que c'est le camp de la guerre qui a gagné ?
R- Je ne vais pas qualifier l'option du peuple israélien qui a voté. C'est un peuple qui aspire profondément à la sécurité. La violence qui règne dans cette région du monde est insupportable pour les deux parties. C'est un vote qui, en tout état de cause, n'exclut pas un règlement politique de ce conflit. Dans le cadre du Quartette qui réunit les Nations unies, la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne, nous avons présenté une feuille de route. Nous souhaitons maintenant qu'elle soit le mode d'emploi pour parvenir à la paix, à la création d'un Etat palestinien, à la fin des violences et à la démocratie dans les deux camps.
Q - Vous avez rappelé l'importance des critères de Maastricht, qui sont essentiels à la bonne tenue économique de l'Union européenne. Or, la France s'éloigne de ces critères avec l'accroissement de ses déficits. On a vu Bruxelles adresser un avertissement à la France. Vous vous êtes présenté comme la VRP de l'Europe. Ne pourriez-vous pas également être la VRP de l'Europe au sein de l'Europe ?
R - La France n'a jamais remis en cause le pacte de stabilité et de croissance. Le gouvernement a pris les rênes de ce pays en milieu d'année. Il y avait donc un arriéré à gérer. Nous avons fait le choix de l'Europe, c'est-à-dire de renforcer nos capacités militaires et de renforcer les secteurs d'autorité de l'Etat pour ancrer ce pays dans une stabilité avec la police et la justice. Nous sommes engagés dans une réduction des déficits. Nous parviendrons à l'objectif en 2007.
Q - Ne pensez-vous pas que l'Europe a besoin de réformes sur l'économie ?
R - Il y a des réformes en cours. Elle ne vont pas assez vite. Nous avons proposé avec nos partenaires allemands que tout ce qui intéresse la fiscalité de l'entreprise et de l'épargne puisse être décidé au niveau communautaire pour harmoniser la concurrence suivant la règle de la majorité qualifiée. Nous nous heurtons à un veto britannique et luxembourgeois à cet égard. Mais nous maintenons cette proposition. Nous voulons une harmonisation et l'instauration d'un marché unique des services financiers avec des normes comptables harmonisées.
Q - On critique beaucoup G.W. Bush en ce moment, mais il a décidé d'un plan de relance colossal pour l'économie américaine.
R - Les Etats-Unis sont un Etat, l'Union européenne, ce sont plusieurs Etats qui décident ensemble. Nous insistons sur une meilleure harmonisation économique. C'est indispensable. L'euro est un grand progrès. C'est vraiment l'Europe dans sa poche, c'est l'Europe du concret. Il n'y a pas de dérapage des prix.
Q - Arrivez-vous à penser en euro ?
R - Je fais encore la conversion.
Q - Deux pays comme la France et l'Allemagne qui se veulent les piliers de l'Europe, se retrouvent mauvais élèves du pacte de stabilité. Est-ce qu'on donne le bon exemple à des pays comme la Suède, la Grande-Bretagne qui se préparent à nous rejoindre ?
R - Nous sommes sérieux. L'Allemagne a organisé des réformes importantes et impopulaires. Le gouvernement a renoncé à ses baisses d'impôts. Nous engageons des réformes structurelles importantes. Il y aura un gel de certaines dépenses budgétaires. C'est un effort que nous demandons à nos concitoyens. Mais il y a toujours le souci de la croissance. La FED a le pouvoir de lutter contre l'inflation mais en tenant compte des objectifs de croissance et d'emploi. C'est ce que nous essayons aussi de faire.
Q - Nous allons maintenant parler de la bioéthique. Vous avez joué un grand rôle en la matière. Les lois sont en ce moment révisées au Sénat. Le clonage reproductif est qualifié de crime contre l'espèce par M. Mattei. Mais au sujet du clonage thérapeutique, il y a des divergences au sein du gouvernement. Le ministre de la santé le condamne, la ministre de la Recherche estime dangereux de l'interdire. Les Américains et les Anglais sont déjà en train de travailler sur le clonage thérapeutique. Qu'en pensez-vous ?
R - Sur le clonage reproductif, il faut un consensus international. Fabriquer des bébés à la chaîne de manière hasardeuse ne peut pas être considéré comme un signe d'une civilisation très avancée. Nous avons avec nos partenaires allemands proposé une convention internationale pour interdire le clonage reproductif au niveau mondial. J'ai eu récemment un entretien avec le ministre des Affaires européennes de l'Allemagne pour que tous les Etats acceptent cette interdiction. Par ailleurs, il y a les recherches. Ces recherches passent par l'intervention d'une technique que nous voulons voir bannir au plan mondial dès lors que la technique conduit à la naissance d'un bébé. Il s'agit de fabriquer un embryon par clonage pour utiliser les cellules qui sont intéressantes dans un objectif thérapeutique pour soigner une maladie. On peut greffer des cellules neuves sur des organes malades pour les régénérer. C'est une vue à long terme. Quand j'étais présidente du Comité d'éthique européen, nous avions rendu un avis qui rejoint exactement la législation française. Le clonage reproductif est à bannir. Le clonage thérapeutique est pour l'instant interdit. Cette loi 2003 est une bonne loi.
Q - Mais par rapport à ses voisins, la France va accuser un retard ?
R - La loi française propose d'admettre, à titre dérogatoire, les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Il ne faut pas ouvrir les vannes au clonage thérapeutique. Le seul pays à autoriser le clonage thérapeutique est la Grande-Bretagne. Mais ils n'ont pas encore engagé de recherches dans ce domaine.
Q - Sur des questions éthiques, comme l'euthanasie, le clonage thérapeutique, il y a des différences entre les pays de l'Union européenne. Pensez-vous que, pour ce domaine, chaque pays doit avoir la maîtrise de sa législation ou faut-il une législation commune européenne ?
R - Je pense qu'en matière de recherche, il faut une législation commune. Sur des sujets, qui touchent aux convictions intimes ou à des identités nationales très fortes, comme l'IVG, il faut que cela reste au niveau national. L'Europe a pris des positions fermes. Dans la Charte des Droits fondamentaux des citoyens européens, qui sera intégrée dans la Constitution européenne, se trouve l'interdiction du clonage reproductif. Par ailleurs, sur le clonage thérapeutique, la recherche sur l'embryon et les cellules souches, il va y avoir cette année, un grand débat européen financé par la Commission, à la demande des Etats.
Q - On voit apparaître l'expression "acharnement procréatif". Comment réagissez-vous à cette remise en cause de la procréation médicalement assistée ? On a toujours présenté cela comme une technique miraculeuse. Est-elle remise en question aujourd'hui ?
R - C'est une technique simple dans son principe mais qui touche à la vie humaine. Il est normal que le gouvernement ait le souci que ces techniques soient contrôlées et qu'il n'y ait pas d'abus.
Q - On dit que ce sont ces débats fondamentaux sur la bioéthique qui vous ont permis de rencontrer Jacques Chirac durant la cohabitation et qui vous valent aujourd'hui votre portefeuille de ministre. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
R - J'ai un engagement européen de longue date. J'ai d'ailleurs enseigné le droit européen aux Etats-Unis et en Angleterre. Les secrets de la composition d'un gouvernement ne me sont pas livrés. Un ministre, lorsqu'il est nommé, regarde droit devant lui et ne s'interroge pas. Il pense plutôt à ce qu'on pensera de lui en fin d'exercice et non pas à ce qu'on a pensé de lui lorsqu'on l'a désigné.
Q - Comment vous sentez-vous au poste des Affaires européennes ? Il n'est pas facile de trouver sa place par rapport au ministre des Affaires étrangères.
R- C'est un poste passionnant. L'Europe est une valeur d'avenir que l'on construit actuellement. C'est une fonction d'animation du travail de synthèse qui se réalise à Bruxelles ou à Strasbourg. On est porteur des positions gouvernementales en appui des ministres qui gèrent les dossiers sectoriels. Il y a ce lien permanent avec toutes les instances européennes. Ces négociations permanentes sont le propre de l'Europe. L'Europe est un lieu où on essaie de s'entendre autour de compromis, qui transcendent l'intérêt national des différents Etats.
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Q - Aujourd'hui vous endossez parfaitement la politique de M. Raffarin ?
R - J'interviens parfois sur d'autres sujets, qui sont connexes aux sujets de ma responsabilité. J'évite d'interférer dans des domaines dans lesquels je n'ai pas vocation à intervenir.
Q - Quel rôle pensez-vous que les jeunes peuvent jouer en Europe ?
R - Je suis frappée de constater que parmi les jeunes, il y a un souci d'engagement politique. Je trouve que la dépolitisation ou plutôt la distanciation entre la jeunesse et le monde politique n'est pas bonne. L'Europe est une façon de rentrer en politique. C'est un engagement gratifiant. Ils ont un espace de libre circulation. Je viens du lycée franco-allemand de Buc dans les Yvelines. Ce sont des jeunes bilingues. C'est le seul lycée franco-allemand du pays. Ils sont plus axés sur l'idée de l'amitié entre les peuples. Les étudiants lisent la presse.
Q - La semaine dernière vous aviez annoncé votre intention ferme de commencer des cours d'allemand. Est-ce chose faite ?
Jawohl.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2003)