Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 1er, 8,15, 22 et 29 octobre 1999 et lettre à Robert Hue du 22 octobre, sur les 35 heures, la politique du PCF et sur l’interdiction des licenciements.

Prononcé le 1er octobre 1999

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

(Editorial du 1er octobre 1999)
La scandaleuse décision de Michelin de supprimer 7 500 postes alors que ses énormes profits sont largement en hausse n'avait pas ému Jospin qui avait déclaré que le gouvernement n'y pouvait rien et que c'était aux travailleurs de se débrouiller.
Mais la simple annonce de différentes manifestations, syndicales ou des partis politiques, pour limitées qu'elles soient et, qui plus est, indépendantes les unes des autres, ont cependant amené Jospin à réviser au moins son langage.
Il est vrai que prétendre que l'Etat ne peut pas intervenir dans la vie économique était un mensonge trop grossier. Les subventions, les exonérations de charges, les cadeaux fiscaux ne sont donc pas des interventions de l'Etat ? Martine Aubry vient même de déclarer que Michelin a touché de l'Etat entre 4 et 5 milliards de francs au cours des dernières années pour... financer ses plans de suppressions d'emplois ! Et combien de milliards versés à Peugeot-Citroën, à Renault et à tant d'autres ? Martine Aubry aurait pu ajouter que, pour faire accepter sa loi, faussement dite des " 35 heures ", elle prévoit 110 milliards pour les patrons, financés par l'Etat ou par les caisses de chômage. Ce cadeau financier vient en supplément de l'annualisation et de la flexibilité, c'est-à-dire du droit accordé aux patrons de varier à leur gré les horaires du travail. Et ils ne sont même pas tenus d'embaucher !
Et les 110 milliards prévus par Aubry ne représenteraient qu'un cinquième du montant des cadeaux de toutes sortes faits aux patrons sous prétexte de leur faire créer des emplois qu'ils ne créent pas.
Le seul Daewoo a touché 450 millions de francs d'aides de l'Etat, de la Région, de l'Europe pour s'installer en Lorraine. Une fois l'argent touché, le voilà qui annonce vouloir mettre la clé sous la porte, se débarrasser de ses ouvriers, sans même que l'Etat exige le remboursement de l'argent indûment encaissé !
Ces cadeaux accordés au patronat sont d'autant plus révoltants que, pour les faire, l'Etat fait des économies sur le personnel des services publics, de la Sécurité sociale, des écoles, des hôpitaux, des transports publics ! Pour financer les patrons du privé, c'est donc l'Etat lui-même qui supprime des emplois. Alors, l'Etat intervient tout le temps dans l'économie, mais toujours en faveur du patronat et pas en faveur des travailleurs et des chômeurs !
Jospin promet maintenant d'obliger les patrons à négocier l'application de la loi Aubry avant de licencier, et des sanctions contre les licenciements abusifs.
Mais rien dans les mesures annoncées par Jospin n'empêchera les patrons de licencier : au pire pour eux, ils devront s'acquitter d'une contravention.
Pourtant, étant donnée la gravité du chômage, toute suppression d'emploi par des grandes entreprises qui font des bénéfices devrait être gravement sanctionnée, c'est-à-dire interdite sous peine d'expropriation ! Les propositions de Jospin ne sont que de la poudre aux yeux. Que veut donc dire pénaliser le " recours excessif " au travail précaire ? Qui jugera ce qui est " excessif " sans la transparence des finances des grandes entreprises ?
Il faut que les travailleurs, que la population aient un droit de contrôle sur la comptabilité des grandes entreprises afin de ne pas laisser le patronat libre de disposer de son pouvoir économique au détriment de la population.
Des manifestations sont prévues par les syndicats le 4 octobre. Le PCF de son côté a pris l'initiative d'une manifestation le 16 octobre à laquelle Lutte Ouvrière appelle à participer, pour y défendre l'interdiction des licenciements et le contrôle de la population sur les finances des grandes entreprises.
Il est de l'intérêt de tous les travailleurs que toutes les manifestations prévues soient des succès. Car le gouvernement et le patronat doivent craindre les réactions des travailleurs et de la population. Ils doivent craindre que ces actions soient suivies par d'autres et craindre qu'elles soient des étapes dans la mobilisation du monde du travail contre la dictature du patronat et de la finance !
(Editorial du 8 octobre 1999)
A l'occasion de l'ouverture du débat parlementaire sur la deuxième loi Aubry, la CGT et un certain nombre de syndicats appartenant à d'autres confédérations ont appelé à manifester dans tout le pays contre le contenu de cette loi. De son côté, le MEDEF (le patronat) a organisé un rassemblement à Paris contre cette même loi. Mais travailleurs et employeurs n'avaient pas les mêmes raisons de la contester.
Les patrons crient, parce qu'ils trouvent que le gouvernement Jospin n'en fait pas assez pour eux. La loi Aubry leur offre la possibilité de mettre en place encore plus de " flexibilité ", comme ils disent, l'annualisation du temps de travail. C'est-à-dire la possibilité de ne plus avoir à payer de majorations pour les heures supplémentaires, de pouvoir imposer l'organisation des horaires de travail selon leurs seuls besoins, de nuit, quand ils le veulent, le samedi quand ils le souhaitent, sans tenir aucun compte de la vie de famille de leurs salariés. Mais les patrons en veulent encore plus. Ils voudraient de nouveaux cadeaux, de nouvelles subventions, sous prétexte de compenser les quelques frais que cela pourrait leur occasionner.
Mais pour la grande majorité des travailleurs, la loi Aubry signifie un renforcement de l'exploitation. C'est un nouveau pas dans le processus qui a vu, depuis que le chômage s'est développé, le patronat, avec la bénédiction de tous les gouvernements, remettre en cause tous les acquis de la classe ouvrière, développer le travail précaire, imposer des charges de travail toujours plus grandes, et de " plan social " en " plan social ", multiplier ses profits en supprimant des emplois par millions.
La classe ouvrière ne peut pas accepter indéfiniment que des millions de ses membres soient réduits au chômage, aux emplois précaires ou au temps partiel imposé, que ceux qui ont conservé un emploi se voient imposer des conditions de travail et de vie chaque jour plus difficiles. Il lui faut réagir.
Et cette classe ouvrière a les moyens de contraindre le patronat à reculer, le gouvernement à changer de politique.
Au lendemain des milliers de suppressions d'emplois annoncées par la direction de Michelin, alors même que cette entreprise affichait des profits en hausse considérable, il a suffi d'une manifestation réussie à Clermont-Ferrand, de l'annonce de la manifestation syndicale du 4 octobre, de l'initiative du Parti Communiste Français appelant à organiser une manifestation nationale contre le chômage, pour amener Jospin à changer de langage et à renoncer aux discours à la Ponce-Pilate dans lesquels il déclarait ne rien pouvoir y faire.
Il faudrait certes être bien naïf pour croire qu'il est décidé du même coup à changer de politique, et ce ne sont pas les vagues mesures qu'il a annoncées qui feront trembler les patrons. Mais ce changement de langage prouve au moins qu'il craint les réactions de la classe ouvrière.
Et c'est parce que la classe ouvrière doit se faire entendre le plus fort possible que Lutte Ouvrière a répondu positivement à l'invitation que lui a adressée, comme à d'autres partis ou mouvements, le Parti Communiste Français de co-organiser la manifestation du 16 octobre.
Cette manifestation n'aura évidemment un sens que si elle n'est pas sans lendemain, comme l'ont été tant de " journées d'action " en tous genres, que si elle est une étape dans un processus visant à redonner à la classe ouvrière, après tant d'années de recul, confiance dans ses forces, et dans sa capacité à changer le cours des choses, que si elle prépare la nécessaire riposte générale de la classe ouvrière qu'appelle la situation.
C'est pourquoi nous appelons tous les travailleurs, et tous ceux qui se sentent solidaires du monde du travail, à manifester à Paris, le 16 octobre, pour réclamer des mesures réelles contre le chômage, à commencer par l'interdiction de tous les licenciements collectifs, en particulier dans les entreprises qui font des bénéfices, sous peine de réquisition de celles-ci, d'expropriation sans indemnités.
Il faut retirer au grand patronat la possibilité de condamner à la misère des milliers d'hommes et de femmes, des régions entières, pour satisfaire les intérêts égoïstes d'une petite minorité.
(Editorial du 15 octobre 1999)
Quelles que soient les modifications apportées lors des débats parlementaires sur la deuxième loi des 35 heures, il est évident que cette loi ne sera pas un progrès pour les travailleurs, mais une régression sociale favorable aux patrons.
Cette loi offre au patronat plus de possibilités encore de faire varier les horaires de travail à sa guise, d'introduire le travail de nuit et le travail du samedi, de faire sauter les temps de pause, de faire travailler plus de quarante heures certaines semaines, sans avoir à payer d'heures supplémentaires. Dans beaucoup d'entreprises, l'application de la loi se traduit par une baisse de salaire. Et l'obligation de négocier entreprise par entreprise morcelle la force collective des travailleurs et favorise l'arbitraire du patronat.
Le fait que le gouvernement socialiste présente cette loi comme la grande oeuvre sociale de la gauche plurielle montre seulement qu'il ne faut pas compter sur le gouvernement pour améliorer le sort des travailleurs.
Et le plus cynique, c'est que cette loi prévoit un cadeau supplémentaire de 110 milliards pour les patrons, sans même que ceux-ci aient la moindre obligation d'embaucher en contrepartie. Ainsi, pendant que le Parlement débat d'une fausse loi des 35 heures, rien n'est prévu pour mettre fin aux licenciements et au chômage, le problème majeur pour les travailleurs comme pour toute la société.
Les travailleurs ne peuvent pas accepter que plus de cinq millions d'entre eux soient condamnés à la précarité ou au chômage total ni que le chômage permette au patronat de croire que tout lui est permis pour aggraver leurs conditions de travail.
C'est dans la rue, c'est dans les entreprises que les travailleurs changeront le rapport de forces. Ils ont les moyens de contraindre le patronat à reculer et le gouvernement à changer de politique.
La manifestation du 16 octobre à elle seule ne changera pas ce rapport de forces mais elle peut, si elle est puissante, y contribuer largement car elle peut être le début d'une contre-offensive du monde du travail. En décidant de ne pas appeler à la manifestation du 16 octobre, les confédérations syndicales agissent contre l'intérêt des travailleurs. Mais si cette manifestation est un succès, elles emboîteront le pas aux luttes qui suivront. Souhaitons que les militants syndicaux soient nombreux à y participer malgré l'absence d'appel central.
Invoquer comme l'ont fait certains dirigeants syndicaux ce qu'ils appellent le " caractère politique " de cette manifestation est un faux-fuyant. Interdire à Michelin et à tous ses semblables le droit de supprimer des emplois alors qu'ils font des bénéfices juteux, est-ce donc politique ou est-ce syndical ?
Contester au grand patronat le pouvoir de fermer une usine et de ruiner une région, est-ce politique ou syndical ?
Il faut pourtant imposer ces mesures, pour ne pas crever de chômage et de misère !
Et la manifestation du MEDEF la semaine dernière, était-ce de la politique ou du syndicalisme patronal ? Les patrons n'ont pas fait cette distinction. Ils se sont fait entendre, alors qu'ils ont bien d'autres moyens qu'une manifestation pour faire prévaloir leurs intérêts, à commencer par la puissance que leur donnent leur argent et la complicité des gouvernements, quelle que soit leur étiquette.
Les travailleurs, eux, n'ont pas d'autres moyens que leur nombre, leur force collective et leur place irremplaçable dans l'économie. Il faudra s'en servir pour ne pas subir la dictature de la finance.
Pour nous faire entendre, soyons nombreux le samedi 16 octobre pour manifester à paris, de la Madeleine à la République.
Rejoignez le cortège de Lutte Ouvrière pour revendiquer :
- l'interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit
- le contrôle de la collectivité sur les comptes des grandes entreprises.
(Editorial du 22 octobre 1999)
L'annonce des 21 000 suppressions d'emplois chez Nissan (sans compter ceux qui vont disparaître chez les sous-traitants et fournisseurs de Nissan, et pas seulement au Japon, mais aussi en Europe) décidées par Renault, le nouvel actionnaire majoritaire de l'entreprise japonaise, évoque le précédent de Vilvorde. Mais un Vilvorde à grande échelle.
Et pas seulement Vilvorde, ni Renault d'ailleurs, car tous les grands trusts, sans exception, agissent de la même façon. Hier, les projecteurs de l'actualité se portaient sur Michelin. Un peu avant, on parlait des suppressions d'emplois dans le groupe constitué par Hoechst et Rhône-Poulenc. En fait, on pourrait faire figurer dans ce sinistre catalogue tous les grands noms, et les moins grands, du monde de la finance et de l'industrie. Ils se rachètent à qui mieux-mieux les uns les autres, et à chaque fois cela se traduit par des milliers de suppressions d'emplois annoncées. Et si l'on en fait la somme, ce sont des centaines de milliers de sans-emploi qui viennent s'ajouter aux millions qui existent déjà.
Car la principale activité de ces grandes sociétés, celle qui motive leur choix, ça n'est pas tant de fabriquer des pneus, des automobiles, des médicaments, mais de fabriquer des profits, toujours plus de profits, et du même coup de fabriquer des chômeurs, toujours plus de chômeurs.
Qu'importe aux capitalistes, aux grands patrons ou à leurs commis, que leurs décisions se traduisent par des hommes et des femmes qui risquent de sombrer dans le dénuement et la misère ! Que leur importe que cela provoque la ruine de villes, de régions entières, pourvu que cela se traduise par une rentabilité encore meilleure de leurs capitaux ! N'est-il pas à la fois révoltant, mais en même temps significatif, de constater que les actions des entreprises montent à la Bourse dès que l'on annonce des compressions de personnel ?
On veut nous faire croire qu'il s'agirait des effets de la mondialisation, c'est-à-dire d'un phénomène venu d'ailleurs, contre lequel les travailleurs, les victimes seraient impuissantes face à un adversaire lointain et anonyme. Ce qui se produit ces derniers temps vient démentir ces propos. Edouard Michelin, ça n'est pas un individu des antipodes. Il vit ici, en France, comme une partie des travailleurs dont il tire ses profits à Clermont-Ferrand, Bourges, Cholet ou Vannes. Renault, par l'intermédiaire de son PDG, Louis Schweitzer, il se trouve lui aussi ici, en France, à la tête d'une entreprise " française ". Il a été nommé par le gouvernement et c'est, paraît-il, un proche du PS. Il en est de même pour tous les fabricants de chômeurs qui tiennent aujourd'hui le haut du pavé, dans ce pays.
Les travailleurs n'ont donc nul besoin d'aller chercher on ne sait où leurs ennemis, les responsables de leur sort, ceux qui, après leur avoir fait suer sang et eau à produire leurs profits, en jettent froidement une partie d'entre eux à la rue.
Et face à un tel déferlement de plans sociaux, Jospin répète benoîtement que l'Etat n'y peut rien. Tout au plus " réguler ", pour reprendre la formule utilisée à Strasbourg, après son prétendu " lapsus " de France 2. Comme si Renault ne régulait pas à sa façon, comme si Michelin et d'autres faisaient autre chose ! D'ailleurs, en ce qui concerne Renault, l'Etat aurait le pouvoir d'intervenir, non seulement par des mesures gouvernementales, mais en tant qu'actionnaire principal de l'entreprise. Il est significatif qu'il ne le fasse pas.
Ce qui donne la mesure de sa volonté - de son absence de volonté devrait-on plutôt dire - face à un patronat qui se sent tout permis, d'autant qu'on lui laisse les mains libres.
Chaque jour, la nécessité se fait plus impérieuse de mettre un coup d'arrêt à cette situation qui voit une dégradation continue des conditions d'existence de la classe ouvrière et des classes populaires.
Ça n'est pas vrai qu'on ne peut rien faire. Et puisque le gouvernement laisse faire, il reste aux travailleurs à s'occuper de leur sort.
Il est nécessaire d'imposer l'interdiction des licenciements et la réquisition des entreprises qui licencient, à commencer par celles qui suppriment des emplois tout en faisant des profits.
Et puisque toutes les grandes entreprises de ce pays agissent de la sorte, elles ne nous laissent plus d'autre choix.
(Editorial du 29 octobre 1999)
Le recul de Martine Aubry devant le chantage du MEDEF, menaçant de se retirer des organismes paritaires dans lesquels il siège, si l'on puise dans les budgets de la Sécurité sociale et de l'Unedic pour financer les 35 heures, a fait beaucoup jaser les commentateurs et réjoui les milieux patronaux. Il y a recul, c'est vrai, mais un recul tout symbolique. C'est peut-être un signe fort donné au patronat - un de plus -. Mais cela fait partie d'une comédie ente deux comparses.
Car le recul, le vrai, se situe à un tout autre niveau, et date de bien plus longtemps. Il n'est nullement question, en effet, d'abandonner le financement des 35 heures, tout juste d'aller chercher ailleurs l'argent nécessaire pour le faire. Le gouvernement prendrait désormais dans les fonds provenant de la taxe sur les alcools, destinés jusqu'alors à financer en partie les retraites, et sur la taxe imposée sur les heures supplémentaires. La belle affaire. Car quelle que soit l'origine de ces fonds, quel que soit le tour de passe-passe réalisé in extremis par Martine Aubry pour complaire au patronat, cela se réduit, comme à chaque fois, par un transfert de fonds de la poche des contribuables dans les coffres des patrons. La vraie reculade est là. Elle est inscrite dans la logique de la loi Aubry.
Car ce sont au bas mot autour de 65 milliards, qui tomberont dans l'escarcelle des patrons " au nom de l'aide aux 35 heures ", selon les chiffres fournis par la presse financière afin de financer la mise en place des 35 heures, et plus de 100 milliards dans les années à venir. Ça n'est pas rien. D'autant que cela s'ajoute à d'autres faveurs à l'égard des riches et de leurs commis hauts de gamme. Ce n'est pas Jaffré, l'ex-PDG de Elf qui pourra dire le contraire.
C'est d'ailleurs la seule mesure concrète, chiffrable, concernant la prochaine loi sur les 35 heures. Pour ce qu'il adviendra aux salariés, la seule certitude, c'est qu'ils seront exploités dans des conditions plus dures, pour des salaires qui resteront bloqués. Martine Aubry a beau répéter que dans cette opération, il s'agirait du " donnant-donnant ", qu'il y aurait échange, équilibre ; on voit bien à qui on donne, et généreusement : aux patrons ; on voit du même coup à qui on s'en prend : aux travailleurs. Et durement.
Quel que soit l'angle sous lequel on examine cette seconde loi Aubry, on n'y trouve rien, absolument rien qui puisse y être considéré comme un avantage pour les salariés. Même pas la garantie d'avoir une semaine de travail moins pénible, car rien n'y impose que les horaires quotidiens et hebdomadaires soient réduits, puisque la baisse des horaires s'effectuera, dans nombre de cas, par l'ajout variable selon les entreprises de jours de congés supplémentaires, dont la plupart seront à prendre au gré du patron. A cela s'ajoute la flexibilité et l'annualisation qui feront que les 35 heures hebdomadaires ne seront qu'une moyenne qui permettra aux patrons de faire travailler chaque semaine dans une fourchette allant de 0 à 45 heures, voire plus. Là encore, cela se fera en fonction des besoins de la production, donc au gré des patrons.
Quant à la création d'emplois, prétexte, rappelons-le, de la mise en place des lois Aubry, personne n'ose plus guère en parler. Parce qu'aucune contrainte ne s'impose aux patrons en contrepartie de l'argent qu'ils percevront au titre de la loi. Ce n'est pas la dérisoire clause, introduite au dernier moment, qui demanderait aux patrons de s'engager dans la négociation pour la réduction à 35 heures, ou même qu'il suffira qu'ils aient montré la volonté d'en discuter " sérieusement " que l'on peut considérer comme une contrainte. D'autant que cette clause ne concerne pas des embauches, mais le nombre, plus ou moins grand de suppressions d'emplois.
En fait la loi Aubry n'est pas destinée, quoi qu'elle dise elle-même, relayée par des comparses complaisants, à créer des emplois, puisqu'elle a pour objectif de mieux rentabiliser le travail existant au travers de la flexibilité et de l'annualisation. Cela se traduira par la détérioration des conditions de travail de ceux qui en ont, qui devront travailler plus, avec le même effectif, ou même avec des effectifs réduits. Et si la durée du travail est réduite pour certains d'entre eux, ce sera pour assurer la même production dans un laps de temps plus court.
La reculade du gouvernement devant la grogne factice du patronat n'est donc qu'une ridicule péripétie.
Pourtant la réduction du temps de travail, une vraie réduction est à l'ordre du jour, afin de diminuer la peine des femmes et des hommes durement exploités par les capitalistes. C'est une impérieuse nécessité de partager le travail entre tous, sans réduire les salaires. Mais pour cela, il faut que se manifeste une volonté puissante de prendre sur les richesses des patrons, au lieu de leur accorder des dizaines de milliards pour diminuer les emplois et du même coup accroître leurs immenses richesses. Ca n'est pas la voie que prennent les Jospin, Strauss-Kahn et autre Aubry. La classe ouvrière, collectivement, a les moyens de l'imposer.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 30 août 2005)
(lettre adressée à M. Robert HUE)
Je tiens à vous féliciter du succès de la manifestation du 16 octobre dont vous avez pris l'initiative le 12 septembre lors de la Fête de l'Humanité.
Comme tous les commentateurs l'ont remarqué, le Parti Communiste a fait à cette occasion, la démonstration de sa capacité de mobiliser et de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de travailleurs, de chômeurs, de licenciés, représentant une partie importante de la fraction la plus combative des classes laborieuses.
Mais, selon moi, c'est aussi la preuve que les travailleurs et les classes populaires répondent, positivement, en masse, lorsqu'on leur offre, clairement, la possibilité de réagir aux attaques dont ils sont victimes.
Bien sûr, les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté samedi étaient en majorité des militants mais ils ne seraient pas venus aussi nombreux s'ils n'avaient ressenti autour d'eux, dans leur milieu, dans leurs entreprises ou leurs quartiers, que cette manifestation avait le soutien moral de la majorité des classes populaires. Et il est évident que tous ces militants, du Parti Communiste ou syndicalistes, plongés dans les problèmes des classes populaires étaient heureux, libérés, d'être enfin appelés à agir contre le patronat et les politiques ne prenant pas en compte leurs intérêts vitaux, voire s'y opposant.
La presse tente de nous présenter, vous et nous, comme défendant au travers de cette manifestation, des objectifs opposés. Vous dites que le gouvernement doit tenir plus compte des intérêts populaires et je dis qu'il faut contraindre Jospin à le faire.
Votre politique est de participer à ce gouvernement pour le changer de l'intérieur ce que je crois impossible, tandis que je pense qu'il ne changera que sur une pression extérieure du monde du travail. Mais malgré cette divergence, nous devrions pouvoir pour l'avenir, envisager des actions communes.
Pour en revenir à cette manifestation du 16 octobre, je suis heureuse que l'organisation que je représente, Lutte Ouvrière, ait pu contribuer, dans la mesure de ses moyens et de ses forces à son succès et cela appelle de ma part une troisième conclusion. Lutte Ouvrière représentait près de dix pour cent des manifestants mais le gros de ces derniers était des militants du PCF et cela traduit le rapport des forces militant, sur le terrain, entre Lutte Ouvrière et le Parti Communiste. Par contre, sur le plan électoral, Lutte Ouvrière a représenté entre la moitié et les deux tiers des voix du PCF. A mon sens cela démontre que si le PCF tenait un langage plus offensif, plus radical et plus clair, il retrouverait ses scores électoraux du passé et ne serait pas contraint de se limiter à être la béquille populaire du gouvernement socialiste Jospin-Aubry. J'en profite pour rajouter que, contrairement à ce que la presse me fit dire nous ne sommes pas à Lutte Ouvrière, des adversaires du Parti Communiste ou de ses militants mais de la politique suicidaire qui le conduit à perdre des voix et à être le soutien d'un gouvernement où figurent à des postes clé pour ne citer qu'eux, Aubry, ancien cadre dirigeant de Péchiney et Strauss-Kahn, soutien affiché de la bourgeoisie.
L'objet principal de cette lettre, avant la réunion des initiateurs de cette manifestation et des ralliés de la dernière heure, certains malgré eux, est de vous féliciter, je l'ai déjà dit, d'avoir pris cette initiative mais aussi de vous redire ce que je vous écrivais en septembre dans ma réponse à votre invitation sur la déclaration de Lionel Jospin selon laquelle c'était aux travailleurs d'agir contre les licenciements envisagés par Michelin :
" (...) Lionel Jospin, à propos de l'attitude provocante de Michelin, redécouvre en paroles la lutte de classes qu'il était le seul à croire disparue, car le grand patronat - Michelin comme tous les autres - n'a jamais cessé de mener une lutte permanente contre le monde du travail avec, pour résultat, le chômage que l'on sait, le développement de la précarité et l'aggravation des conditions d'existence de l'ensemble du monde du travail. (...) Voilà pourquoi je considère et je souhaite que la manifestation que vous envisagez ne soit pas sans lendemain. Nous savons tous qu'une manifestation d'un jour, dont le patronat sait qu'elle n'aura pas de suite, n'est pas de nature à I'impressionner. La manifestation n'aura de véritable signification qu'en étant une première étape dans un plan de mobilisation de l'ensemble du monde du travail, qui, en lui redonnant confiance dans les luttes, conforterait la conviction qu'ensemble, les travailleurs ont la force de faire reculer le patronat. "
Je crois plus que jamais, que vous devez renouveler de telles initiatives, peut-être une nouvelle journée de manifestations dans toutes les villes du pays pour imposer des mesures coercitives, comme l'interdiction des licenciements dans les entreprises qui en annoncent tout en ayant le cynisme d'afficher d'énormes profits. Journée d'action à laquelle il faudrait inviter les organisations syndicales à s'associer y compris en faisant campagne auprès d'elles pour que ces manifestations soient assorties d'une grève interprofessionnelle de 24 heures. Les centrales syndicales et, malheureusement, la CGT y seront peut-être à nouveau opposées. Malgré cela, comme la manifestation du 16 octobre l'a prouvé, les militants communistes qui en animent bien des sections ou des syndicats et des Fédérations, y appelleront sûrement. Ils tiendront à démontrer qu'eux-mêmes comme les travailleurs, partout dans le pays, sont prêts à réagir et de plus en plus fort si on les y appelle de façon déterminée.
Cela montrera que la manifestation du 16 octobre n'est pas un simple feu de paille sans lendemain en acceptant la continuation de la même politique. Vous avez dit qu'après cette manifestation plus rien ne serait pareil et j'espère que cette phrase a bien le sens que je lui donne et que nombreux parmi vos militants, sympathisants et électeurs ont dû lui donner.
En tout cas, nous répondrons favorablement à toute initiative dans ce sens de votre part.
Veuillez agréer mes salutations communistes.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 30 août 2005)