Déclaration de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, à l'Assemblée nationale le 25 avril 2000.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques à l'Assemblée nationale le 25 avril 2000

Texte intégral

Ce projet de loi a une histoire. Il était un peu plus de 20 heures ce lundi 13 septembre 1999, quand Lionel Jospin, notre Premier ministre, s'exprimait sur France 2. Interpellé par les licenciements de l'entreprise Michelin qu'il n'avait pu éviter, pas plus qu'il n'avait su éviter les licenciements de Renault à Vilevorde au moment où il avait pris ses fonctions, voici que le chef du gouvernement se laissait à dire, je cite : "Il ne faut pas attendre tout de l'Etat et du gouvernement. Ce n'est pas par la loi, par les textes, que l'on va réguler l'économie".
Propos de bon sens, mais qui eurent pour effet de déclencher une tempête médiatique, alimentée par tout ce que la gauche compte de consciences politiquement correctes. Que n'a-t-on entendu ? Il suffit de lire les titres de la presse de l'époque :" La faute de Jospin " ; " Jospin déçoit les siens " ;" Il a raté son émission " ;" Il a manqué le lancement de sa deuxième étape ";" Le tournant libéral de la gauche " ; " La dérive libérale du gouvernement " dira-t-on même sur ces bancs . Pour ses détracteurs, avec de tels propos, le premier ministre venait de signer un aveu d'impuissance face à la mondialisation. C'était la fin du volontarisme socialiste.
Lionel Jospin se devait de réagir. Il le fit, à Strasbourg, deux semaines plus tard, le 27 septembre. Dans un véritable discours de réarmement moral pour troupes socialistes dépitées, voici, qu'emphatique, il déclarait que face à la mondialisation débridée, c'était, je le cite, " la mission de la gauche d'inventer de nouvelles régulations ". Régulation, le mot était lâché. Et il fut répété plus de 20 fois dans son discours. Une seule solution, la régulation ! Et d'annoncer le prochain dépôt d'un projet de loi destiné "à corriger les excès du capitalisme triomphant ", un projet phare, un projet de société, la réponse socialiste à la mondialisation et au libéralisme, un projet de loi sur les régulations économiques. On allait voir ce que l'on allait voir !
J'attendais avec impatience de savoir quelle était la réponse socialiste au nouveau monde. Nous y voici.
Quel décalage entre l'ambition affichée et ce texte ! Quelle pauvreté ! Un patchwork de mesures sorties des fonds de tiroir de Bercy, et qui ne méritait sûrement pas l'honneur d'un projet de loi, mais qui auraient du tout naturellement trouver sa place dans un DDOEF. Un texte amputé d'un volet que l'on disait essentiel, celui de l'épargne salariale. Je cherche la réponse socialiste annoncée aux défis du nouveau monde. Je cherche même un simple exposé des motifs qui donnerait un sens à tout ce bric à brac. Je cherche, en vain.
Je sais bien Monsieur le ministre de l'Economie et des finances que ce texte n'est pas le vôtre et je vous fais volontiers crédit que vous nous eussiez sans doute donné un texte de meilleure facture. Tout de même. On nous parlait de réponse au libéralisme, et nous voici avec des propositions qui, dans leur esprit du moins -j'en critiquerais plus tard la démarche et les modalités- relèvent de la saine défense d'une économie de marché. A défaut d'exposé des motifs, il s'agit, si j'en crois l'étude d'impact, " d'améliorer l'allocation des ressources et de stimuler l'innovation grâce à l'ouverture du marché à la concurrence ", " d'améliorer la transparence des autorités de régulations financières et des organes dirigeants des entreprises "," d'améliorer l'information sur le déroulement des opérations financières pour les acteurs de la vie économique, et notamment pour les actionnaires minoritaires ". Fort bien. On nous disait vouloir corriger les excès du capitalisme triomphant, voici quelques mesures destinées à accompagner les OPA.
Certes, ce texte contient des dispositions intéressantes, comme l'utilisation de la visioconférence dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance, ou l'étiquetage du chocolat. De telles dispositions ne sont pas inutiles, mais reconnaissez qu'elles n'ont pas la dimension d'un projet de société, ni de la réponse socialiste au capitalisme triomphant. Reconnaissez que l'ambition de Strasbourg n'est pas au rendez-vous. Il y a eu publicité mensongère, tromperie sur la marchandise. Et je sais que dans vos rangs mêmes, et pour des raisons bien entendues différentes des miennes, nombreux sont ceux qui pensent de même, qui se sont étonnés publiquement de la " modestie " de ce projet en disant qu'il n'était pas " le texte novateur attendu et qu'il ne pouvait être accepté en l'état ".Ce sont là les raisons, toutes les raisons de cette question préalable.
Le monde change. Le monde bouge. Il faut repenser le rôle de l'Etat. Imaginer de nouvelles règles. La démarche était la bonne. Avec ce texte elle ne débouche sur rien. Voilà pourquoi je vous propose de revoir la copie.
On dit le gouvernement en panne de réformes, condamné à l'immobilisme. Nous en avons l'explication aujourd'hui. S'il y a panne de réformes, c'est parce qu'il y a panne d'idées.
Paul Thibaud, cet intellectuel proche de vous, en a fait l'impitoyable constat cette semaine dans l'Express. Je livre à votre réflexion cette seule citation : " Lionel Jospin considère avec distance, avec réserve, et sans imagination, un monde qui ne l'inspire pas ". Si ce texte aujourd'hui marque une formidable évolution des idées socialistes depuis l'époque -c'était en 1983- ou Lionel Jospin disait : "pourquoi ne pas imaginer un modèle économique empruntant à la fois à Keynes, distribuez mieux, et à Marx, réformez les structures" , si ce texte signe votre ralliement au bon fonctionnement d'une économie de marché, il prolonge le passé plus qu'il n'ouvre l'avenir. Aujourd'hui, comme hier, vous êtes en retard sur le monde.
Dans les années 70, au bon vieux temps du programme commun, vous proposiez une rupture avec l'économie de marché. Absurde ! Dans les années 80, vous engagiez la France, à contre courant du monde, sur la voie des nationalisations, des recrutements massifs dans les entreprises publiques, du creusement des déficits budgétaires pour relancer l'économie. Au début des années 90 -après la chute du Mur de Berlin !- vous persistiez à proposer à la France le douteux modèle de l' " économie mixte " dont le symbole restera le Crédit lyonnais et qui permettait de justifier en toutes circonstances l'intervention de l'Etat. Le fait de vous être trompé avec constance sur tout depuis trois décennies, d'avoir toujours eu un temps de retard sur l'évolution du monde explique sans doute le vide de ce projet.
Ce projet de loi, il faut le reconnaître, relève en effet beaucoup plus de la vieille tradition réglementaire française que d'une nouvelle approche régulatrice. Nous aurons l'occasion d'y revenir en détail dans le débat (pour le cas, bien, sûr, où vous ne voteriez pas cette question préalable).
Je voudrais, sans attendre, survoler les principales dispositions des trois volets de ce texte.
D'abord les dispositions concernant la concurrence.
Comment ne pas s'interroger sur le fait que la France a le triste privilège d'avoir la législation et l'encadrement des relations commerciales la plus touffue et la plus détaillée de tous les pays développés et dans le même temps des relations exécrables entre producteurs et distributeurs;
Notre droit condamne à juste raison les ententes et les abus de position dominante. Mais l'application de ce droit, contenu dans l'ordonnance du 1er décembre 1986, laisse pour le moins à désirer. Pour éviter que les centrales d'achat exigent des avantages sans contrepartie sous forme d'engagements écrits, pour éviter le chantage au déréférencement, pour sanctionner la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la loi Galland du 1er juillet 1996 est venue renforcer ce dispositif. Mais, comme en matière de commerce, le propre du bon négociateur est d'arracher un avantage supplémentaire par rapport à ses concurrents, on a vu l'interdiction contournée par de douteuses innovations, conduisant à l'explosion de vraies et fausses coopérations commerciales.
Voici donc que l'on ajoute une couche de nouvelles interdictions. Avec, bien entendu -c'est une tradition française dès qu'un problème se pose-, l'inévitable création d'une commission, en l'occurrence la Commission des pratiques commerciales et des relations contractuelles (art.28), et en oubliant au passage les consommateurs qui sont pourtant les premiers intéressés au bon fonctionnement de la concurrence.
Si j'estime positif de proposer de juger de l'abus de dépendance économique non plus par rapport à ses effets sur les marchés mais comme un comportement fautif en soi, je pense que vous avez suivi une mauvaise méthode. Si l'on veut, en effet, vraiment répondre au souci d'équilibrer les relations producteurs-distributeur mieux aurait du valu suivre les recommandations du rapport Villain, ancien directeur général de la concurrence, et l'avis du Conseil de la concurrence sur le projet de loi de 1995. Curieusement ce dernier avis qui présentait l'avantage de proposer une loi nouvelle fondée sur l'abrogation des règles d'interdiction désuètes n'a pas été rendu public. Il est d'ailleurs symptomatique de constater que plusieurs des articles introduits aujourd'hui ne sont que la reprise d'amendements écartés lors des débats parlementaires de 1995 et 1996 pour cause de nocivité, d'inutilité ou d'effets pervers.
J'aurais pour ma part plus volontiers suivi la nouvelle démarche régulatrice proposée par le Conseil de la concurrence en renforçant son rôle et ses pouvoirs :
- En supprimant l'article 34 de l'ordonnance de 1986 interdisant à un producteur industriel d'imposer un prix de revente. Soit il choisi le bon prix et il trouvera des revendeurs, soit il impose un mauvais prix et il n'en trouvera pas, faisant ainsi l'affaire de ses concurrents.
- En s'assurant -c'est d'abord une affaire de moyens- du bon fonctionnement de la justice civile et commerciale pour faire en sorte que le principe qui veut que tout acte créant un préjudice engage la responsabilité de son auteur et entraîne réparation puisse s'appliquer aux relations commerciales producteur-distributeur.
- En engageant, enfin, un régime d'indemnisation pénalisant, s'inspirant du modèle américain des dommages au multiple afin de favoriser l'action en justice.
Quant au contrôle des concentrations, j'aurais plus volontiers proposé :
1/ de donner le pouvoir d'instruction et de décision au Conseil de la concurrence, le commissaire du gouvernement présentant ces observations comme en matière d'entente et d'abus de position dominante.
2/ d'aligner les critères d'interdiction sur ceux du droits communautaires car les critères proposés restent flou et source d'arbitraire.
3/ de transférer le contentieux du contrôle des concentrations à la cour d'appel de paris, comme pour les ententes et les abus de position dominante.
Les dispositions concernant la lutte contre le blanchiment, la régulation financière ou celle de l'entreprise appellent moins de commentaires à ce stade.
Oui, bien sûr, à la transparence des opérations financières ; et je vois dans votre souci de transparence aujourd'hui comme le remord de ce raid manqué sur la Société Générale, ou de ces délits d'initiés qui remontaient jusqu'au plus haut sommet de l'Etat.
Demander à une entreprise qui fait une offre publique d'achat sur une autre entreprise d'en informer son comité d'entreprise et de se rendre le cas échéant à sa convocation, vous donne sans doute à bon compte le moyen de vous poser en défenseur du personnel, mais reconnaissez que cela ne change pas grand chose. C'est là une démarche qui devrait aller de soi.
Quant à la disposition (art 71) prévoyant la présence systématique d'un administrateur représentant de l'Etat dans les entreprises privées dont l'Etat détient, même indirectement, 10% du capital, elle est le signe que vous croyez toujours à la présence éclairée de ces hauts fonctionnaires de l'Etat dans les entreprises, et que les scandales du Crédit Lyonnais et de bien d'autres affaires publiques ne sont pas venus entamer votre foi.
Je pense que, là encore, il s'agit d'un contre-sens. Car le problème aujourd'hui n'est pas de faire rentrer les administrateurs de l'Etat dans les entreprises, mais de faire sortir l'Etat de ces entreprises en achevant les privatisations.
Quant aux dispositions, enfin, relatives à ce qu'on appelle la " gouvernance d'entreprise ", il me semble, j'y reviendrai, qu'avant de donner des leçons, l'Etat ferait mieux de donner l'exemple d'une bonne gouvernance publique, du Ministère de l'Education nationale à la gestion de Bercy, l'exemple de la transparence en matière de rémunération ou en matière d'évaluation, ou encore le refus des monopoles, les abus de position dominante ou l'ouverture à la concurrence.
Cela étant, tout ce qui renforce la transparence et le rôle des actionnaires va dans le bon sens. Je le dis d'autant plus volontiers qu'il me semble avoir plus qu'à mon tour dénoncé un capitalisme de connivence qui a trop longtemps été celui de la France, avec ses privilèges, ses réseaux, ses dangereuses consanguinités, ses entreprises publiques qui après avoir fait le bonheur des serviteurs de l'Etat - à l'instar de ces évêché que l'on obtenait en approchant de près le roi-, faisaient parfois leur fortune à la faveur des dénationalisations. Renforcer le rôle des actionnaires va dans le bon sens, car des actionnaires bien organisés peuvent peser fortement sur la direction d'une entreprise, demander des comptes au patron, salaires, intéressement, indemnités de départ, dénoncer les turpitudes du management.
Le bon fonctionnement d'une économie de marché exige que les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises soient le résultat de décisions transparentes des actionnaires et non le produit d'un système opaque de connivence, de parachutes dorés et de stock options. D'ailleurs à propos de stock option, comment ne pas s'inquiéter, Monsieur le ministre, des velléités du président de notre Commission des finances, d'en alourdir la fiscalité. N'en doutez pas, Monsieur le ministre, vous serez jugé le moment venu, non pas sur votre art du compromis à l'intérieur de la famille socialiste, mais sur votre capacité à donner à notre pays une fiscalité moderne et compétitive en matière de stock options.
Je m'arrête là dans l'examen des dispositions de ce texte.
Il est clair que de telles dispositions relèvent d'une approche réglementaire classique et ne constituent en rien une nouvelle vision régulatrice face au nouveau monde, à la nouvelle société, à la nouvelle économie qui se dessinent.
Nouvelle économie, nouveau monde, nouvelles règles
S'il y a nécessité à repenser les règles du jeu de notre société aujourd'hui, c'est parce que confusément nous sentons bien que nous sommes en train de changer de monde. Sans doute, comme l'avait vu Marx -et d'autres avant lui-, les modes de production engendrent les modes d'organisation sociale. Dans l'histoire de l'humanité, il est arrivé deux fois que les hommes aient inventé une méthode de production de richesse nouvelle. Deux fois, ce bouleversement a provoqué l'apparition de nouvelles formes de gouvernement et de société.
La première grande révolution vers la fin du premier millénaire a été la généralisation d'une civilisation fondée sur le mode de production agricole. Elle a engendré la civilisation rurale, patriarcale et féodale.
La deuxième révolution, celle des 19ème et 20ème siècles, a été la révolution industrielle : production de masse, consommation de masse, pouvoir de masse, idéologie de masse, démocratie de masse. La révolution industrielle a changé toutes les habitudes des peuples concernés. Elle a été rude pour l'homme et pour l'environnement. Elle a suscité un mode d'organisation pyramidal des pouvoirs dans l'entreprise comme dans la société. Le 20ème siècle a été le siècle du pouvoir, de l'autorité et de la hiérarchie, avec le modèle industriel taylorien, le siècle des Etats nations qui se faisaient la guerre, le siècle du tout politique jusqu'aux idéologies totalitaires. Et les idées dominantes ont été tout naturellement celles de la confiance en l'Etat, celles du dirigisme, du socialisme et du marxisme.
Avec le 21ème siècle s'ouvre un nouveau monde, une nouvelle économie.Voici qu'intervient la troisième grande vague de l'histoire de l'humanité ; la civilisation de l'usine fait place à la civilisation du savoir. Internet est le symbole le plus évident, le plus spectaculaire de ce bouleversement planétaire.
Il n'y a pas de tour de contrôle à Internet. Et tout naturellement les idées libérales, celle de la confiance dans la personne et dans sa responsabilité, s'affirment comme les idées dominantes de ce nouveau monde.
Le vieux système hiérarchique où le chef a toujours raison, car il sait et agit mieux que les autres, se délite. Dans l'entreprise, le système " taylorien " d'organisation, où les hommes étaient considérés comme des robots, travaillant à la chaîne, effectuant des tâches plus ou moins machinales selon des ordres ou des règlements concoctés au sommet de la hiérarchie, et surveillés par des petits chefs, ce système là a vécu. Ce vieux principe hiérarchique correspondait à une période où l'on croyait que les choses, devenant de plus en plus complexes, seraient mieux maîtrisées, contrôlées, centralisées et dirigées " d'en haut ". Toutes les structures collectives traditionnelles sont remises en cause. A commencer par l'Etat, son appareil central, son administration et son fonctionnement. Voilà pourquoi il faut réorganiser l'Etat, repenser les règles du jeu.
Le vieux monde reposait sur une structure centralisée et pyramidale, le nouveau fonctionne de façon horizontale, il s'appuie sur des réseaux. Son organisation repose sur les principes de décentralisation et de subsidiarité, de liberté et de responsabilité individuelle.
Dans l'ancien monde, la société et l'économie étaient considérées comme des machines au fonctionnement mécanique; Dans le nouveau, elles constituent un système vivant, autonome, largement auto organisé, autorégulé.
Dans le vieux monde, la réglementation était coercitive et l'esprit administratif dominait. Dans le nouveau, la créativité et l'innovation prévalent. Dans le vieux monde, la réglementation était un cadre de contrôle, dans le nouveau, elle devient un cadre d'accueil.
Les deux conceptions de la régulation
La mondialisation de l'économie, l'interdépendance croissante des hommes dans une société de plus en plus complexe remettent en cause les systèmes nationaux de régulation étatique.
C'est là tout votre problème, car vous ne concevez la régulation qu'au travers de l'Etat et de la politique. Sans doute est ce là la tropisme naturel d'un gouvernement qui ne compte aucun représentants du secteur privé et dont les 33 ministres ou secrétaires d'Etat de votre gouvernement sont tous issus de la fonction publique ou des secteurs publics.
Vous parlez de régulation parce que le mot est à la mode. Il est moins compromettant que le terme de réglementation. Il fleure bon le nouveau monde. Vous écrivez régulation mais vous pensez réglementation.
S'agit-il du temps de travail ? Voici que vous imposez la même durée pour tous dans un texte de loi qui a vu Ministres et parlementaires discuter dans le détailler des temps de pause et de restauration, des temps d'habillage et de déshabillage. Ce n'est pas cela, pas cela du tout la régulation d'une société moderne.
La régulation moderne échappe à la logique purement politique, à la logique du Tout politique. Avec le nouveau monde, avec la mondialisation, avec la construction européenne, le droit ne change pas seulement de dimension il change aussi de nature. L'Etat a perdu le monopole de la production des normes juridiques. C'est là je reconnais un fait difficile à comprendre, à admettre pour des socialistes portés au volontarisme de l'Etat.
De même que vous avez du admettre la fin de la toute puissance de l'Etat sur la production économique, il va vous falloir admettre la fin de la toute puissance de l'Etat sur la production du droit.
Mettre la régulation à l'heure de l'Internet impose un changement de perspectives. Comme l'a excellemment dit notre collègue Christian Paul, député socialiste de la Nièvre, organisateur des rencontres parlementaires sur la société de l'information, " on ne peut pas regarder l'internet avec les lunettes jacobine et centralisatrices du 19ème siècle ", ou encore " la société de l'information a besoin de Justice, pas de l'Etat ". C'est aussi la conclusion du Commissariat au Plan dans son rapport sur le rôle de l'Etat dans les médias, qui supplie l'Etat " de résister à la tentation de réguler des services ou des réseaux qui sont loin d'avoir atteint leur maturité ". Et qui ajoute que " réglementer sans autre raison valable qu'un réflexe administratif pourrait brider le développement de services et de contenus innovants ".
Comme l'écrivait fort justement Zaki Laidi, dont j'apprécie le travail de réflexion qu'il joue à gauche, dans Libération du 19 avril : " il faut admettre une fois pour toutes que le système capitaliste est un système ouvert dont la régulation est indispensable, mais dont la régulation optimale ne passe pas nécessairement par l'Etat ".
Nous voici au cur du débat sur les nouvelles régulations. Il nous faut rompre avec cette conception du droit qui confond le droit et l'Etat.
On connaît le raisonnement. La politique c'est le pouvoir; le pouvoir c'est la souveraineté. La souveraineté s'incarne dans l'Etat. L'Etat fait la loi. Le droit se confond avec le pouvoir. Il échappe à la morale : " Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ". C'est là une erreur historique de la pensée politique, une horreur juridique, un vice conceptuel qui consiste ainsi à réduire le droit à la loi du plus fort ou à la loi du plus nombreux. C'est là le germe de toutes les constructions totalitaires.
Il existe un droit antérieur, extérieur et supérieur aux Etats. Un droit universel qui condamne les violations des droits de l'homme et qui ne met plus aujourd'hui les dictateurs à l'abris de la souveraineté des Etats. Un droit qui réside dans la conscience humaine. Un droit qui tire sa justification non pas du pouvoir mais de la morale et de l'idée que les hommes se font de la justice. C'est là une approche libérale et constitutionnelle du droit à laquelle il faudra bien se faire. Même si je reconnais qu'elle a sans doute plus de mal à se frayer un chemin en France tant est grande dans notre pays la tentation de confondre le pouvoir, la justice et la loi, au nom de l'Etat et la volonté souveraine.
Il a fallu attendre 1974 pour qu'un Conseil Constitutionnel puisse faire prévaloir un droit supérieur sur nos lois ordinaires. L'acceptation de son rôle, dont je ne suis pas sûr qu'elle soit encore partagée par tous, ne s'est pas faite sans heurts. N'est-ce pas Lionel Jospin qui disait en 1980 que "jamais la volonté du peuple ne s'est laissé arrêter par une cour constitutionnelle",empruntant en cela le chemin tracé par François Mitterrand qui, trois ans plus tôt, disait que le Conseil Constitutionnel était une institution dont il faudrait se défaire.
Oui, le nouveau monde a besoin de nouvelles règles. Elles ne passent pas toutes par l'Etat. Déjà la France voit s'imposer à elle un droit international et européen de plus en plus prolifique. Sans doute, un tel droit résulte-t-il directement ou indirectement d'une ratification politique. Mais il est composé à partir de sources de droit multiples et complexes, reflet de l'expérience d'une société qui échappe à la logique étatique nationale.
Certaines professions ont leurs propres règles édictées par leur propres autorités, auquel l'Etat vient donner son agrément à posteriori par un contrôle exercé par le Conseil d'Etat. Dans différents secteurs comme la franchise, la publicité, les séjours scolaires d'été à l'étranger, sont apparus des codes de bonne conduite, sorte d'auto contrôle. En cas de conflit, le juge ou l'arbitre aura l'occasion de juridiciser le code et de le rendre obligatoire. Le soin d'élaborer des normes techniques est laissé aux intéressés, même si c'est le plus souvent sous le contrôle des pouvoirs publics. Les autorités administratives indépendantes, du type de la COB, du Conseil de la Concurrence, de la commission bancaire, de la commission de contrôle des assurances, le CSA, l'ART, inspirées des commissions des agences anglo-saxonnes,viennent fixer les règles du jeu entre les acteurs économiques, définir les équilibres souhaitables, sanctionner les manquements à ces règles ; elles rendent des avis, des recommandations, des rapports qui ont une grande autorité. Elles se juridictionnalisent comme cela se manifeste par leur soumission croissante aux principes du contradictoire et du respect des droits de la défense, ainsi que par leur soumission soit à l'ordre administratif soit à l'ordre judiciaire.
Regardez cet exemple de Microsoft que nous fournit l'actualité. On parle de " démantèlement ". C'est là une décision lourde. Ce qu'il faut relever ce n'est pas ici de savoir si cette décision est justifiée ou injustifiée, c'est voir qu'une telle décision est une décision judiciaire qui échappe au politique, au Ministre américain et au président des Etats-Unis.
Avec 8000 lois, 100 000 décrets, 360 000 règlements, sans oublier 30.000 textes d'origine européenne et une trentaine de code de plus de 2000 pages, le problème n'est pas d'ajouter des lois aux lois, mais de simplifier, de clarifier, de codifier nos règles essentielles et de remplacer chaque fois que possible la loi, ou le détail de la loi, par le contrat ou la confiance en une autorité régulatrice.
Bien des questions de la vie économique et sociale régies autoritairement et uniformément par la norme générale de l'Etat pourraient être restituées aux contrat et à la négociations des intérêts communs dans le cadre des principes de la loi et sous le contrôle des tribunaux. Sans doute faudrait-il revenir à une lecture plus exigeante de l'article 28 de notre Constitution, -" la loi détermine les principes fondamentaux "- et laisser aux acteurs de la vie économique et sociale, aux pouvoirs locaux, aux partenaires sociaux, le soin de définir leurs propres règles du jeu, les conditions d'application de la loi au moyen d'autorégulation, d'autorités indépendantes ou d'espaces de liberté contractuelle.
On fixe les principes d'en haut. On règle les choses d'en bas. Voici, à mon sens, ce que devrait être une nouvelle approche.
Le nouveau monde, je le répète, a besoin de nouvelles règles. Aussi, épargnez-moi, dans ce débat, tous les clichés de l'anti libéralisme primaire selon lesquels le monde libéral serait une sorte de loi de la Jungle ou chacun pourrait faire ce qu'il veut.
Ne récitez pas, je vous prie, la formule de Jospin : "oui à l'économie de marché, non à la société de marché. Nous refusons la société de marché, car si le marché produit des richesses, il ne produit en soi ni solidarité, ni valeurs, ni projet, ni sens ". Bien sûr le marché n'est pas tout. Et tout n'est pas marchandise.
Contrairement aux caricatures auxquelles la majorité de cette assemblée cède parfois, la pensée libérale ne donne pas la priorité à l'économie. C'est d'abord une philosophie de la liberté et de la responsabilité personnelle. Ce n'est pas le primat de l'économie mais le primat du droit et de la justice.
A la différence de Lionel Jospin, qui nous dit qu' "être socialiste c'est affirmer qu'il existe un primat du politique sur l'économique", les libéraux vous disent qu'il existe un primat du droit et d'un certain nombre de valeurs sur la politique. Je crois à l'efficacité d'une économie de liberté. Elle constitue le meilleur moyen d'assurer la prospérité, la mobilité sociale, le progrès social. Mettre l'économie au service de l'homme mais ne pas réduire l'homme à l'économie, bien sûr Le marché est un moyen, non une fin. L'efficacité économique et sociale du marché est inséparable d'un ordre social et juridique fondé sur un ensemble de valeurs éthiques.
Prenez l'exemple du commerce international. Nous souhaitons remplacer les rapports de force par des rapports de droit, et c'est pour cela que nous souhaitons la réussite de l'OMC. Nous disons aussi clairement que le commerce n'est pas tout. Et qu'au dessus des lois du commerce, il y a les droits de l'homme. Nous condamnons clairement les violations des droits de l'homme, le non respect des droits sociaux, le travail industriel des enfants. Quelques promesses d'achat d'Airbus par la Turquie ne doivent pas nous empêcher de reconnaître le génocide arménien. Que l'entrée de la Chine dans le commerce mondial n'efface pas notre exigence de respect des droits de l'homme.
Au catalogue des clichés reçus ont trouve, à côté de la fin du travail, bien entendu, la vieille rengaine marxiste que l'on croyait disparue sur la paupérisation absolue. Certes la pauvreté existe, elle est même choquante dans les pays riches et dramatique dans les pays les moins avancés. Mais le libre échange et la mondialisation sont perçus partout dans le monde comme des chances de développement, de prospérité et de paix. Et le refus de l'ouverture, - comme c'est le cas en Algérie, en Corée du Nord, au Burundi ou au Rwanda- comme le plus sûr moyen d'enfermer les peuples dans la pauvreté. A la question "la mondialisation a accru les inégalités, considérez vous cette évolution comme inévitable ?", voici une réponse sans équivoque : "Je ne pense pas, ou plutôt je ne pense plus qu'il soit souhaitable d'avoir une société sans inégalité, cela se termine par l'écrasement de l'individu. Lorsque les sociaux démocrates parlent d'égalité, ils devraient penser à l'égalité des chances et pas à l'égalité des résultats. Cette égalité des chances ne doit pas être donnée une seule fois mais à chaque crise existentielle que rencontre l'individu, la solidarité doit être comprise comme la possibilité pour chacun de se voir offrir de nouvelles perspectives. Quant à savoir ce qu'il fait de cette chance, c'est à l'individu d'en décider".Cette réponse, c'est celle de Gerhard Schröder, (dans le Monde du 20 novembre), à la veille de la rencontre à Florence des sociaux démocrates et socialistes européens.
Car la pire des injustices ce n'est pas tant d'être pauvre à un moment de sa vie que de le rester et de transmettre cette pauvreté à ses enfants, comme c'est trop souvent le cas en France; et le moins que l'on puisse dire, n'en déplaise à l'ultra gauche, c'est que la France est loin de pratiquer cette politique " ultra libérale " tant décriée, comme en témoigne notre triple records de prélèvements publics, des dépenses publiques et de réglementations.
Oui il faut que la nouvelle prospérité profite à tous. A commencer par ceux qui sont exclus de l'emploi et pour lesquels vous devriez considérer avec plus d'intérêts les propositions des entreprises de nouvelles formes de contrat de retour à l'emploi.
Et voyez vous, si nous défendons les fonds de pension à la française ce n'est pas seulement pour prévenir le krach programmé de nos retraites. C'est parce qu'aussi et peut être avant tout, l'actionnariat populaire est le moyen d'une meilleure justice entre les revenus du capital et les revenus du travail ;le moyen de partager les fruits de la croissance boursière de nos entreprises.
J'ajoute enfin qu'un groupe d'actionnaires même très minoritaires mais très actif, peut prendre l'opinion à témoin, peser sur les choix et introduire dans la gestion de l'entreprise des critères sociaux-travail des enfants- des exigences politiques -les droits de l'homme-, ou encore la protection de la nature. C'est pourquoi je crois que l'actionnariat populaire, les fonds de pension, les salariés actionnaire ne sont pas seulement des moyens de sauver les retraites, de rendre une économie plus efficace, ou de développer un capitalisme populaire, ils constituent aussi le moyen de rendre l'économie plus morale.
Les chantiers que vous auriez du ouvrir
Oui j'aurais souhaité que vous preniez la dimension de ce nouveau monde, que vous ouvriez de vastes chantiers à de nouvelles régulations. Hélas, la modestie de ce texte ira nourrir tous ceux qui pensent que le politique est aujourd'hui impuissant face à ce nouveau monde.
Balivernes. L'impuissance politique elle est pour les conservateurs, elle n'est pas pour les réformateurs !
Le nouveau monde a besoin de nouvelles règles et d'un nouveau droit. La nouvelle société a besoin d'un nouvel Etat. La nouvelle économie a besoin d'une nouvelle fiscalité. Les nouvelles activités ont besoin de nouvelles relations sociales.C'est la voie tracée par tant de pays autour de nous. Je ne demande pas à Lionel Jospin de prendre modèle sur Ronald Reagan ou Margaret Thatcher. Je demande simplement que le gouvernement prenne exemple sur ceux qui en Europe relèvent de sa famille politique, Tony Blair, Massimo D'Alema, Gerhardt Schröder.
Tony Blair lorsqu'il dit : "Pour relever les défis économiques et sociaux il nous faut renouveler et modifier la conception même du gouvernement. L'Etat ne doit pas essayer de tout faire lui même mais collaborer avec les secteurs privés et associatifs. Il doit être décentralisé".
Massimo d'Alema lorsqu'il veut "moins d'Etat, mais un Etat plus efficace".
Blair Schröder lorsqu'ils affirment ensemble à l'intention de tous les socialistes européens : " Nous devons réaliser un processus de véritable libération de la société, de l'économie, du marché, de l'accession à l'emploi ". " Nous soutenons les syndicats modernes Ceux qui soutiennent et non entravent le changement économique ". " La qualité des services publics doit être rigoureusement surveillée et la mauvaise performance extirpée ".
Je pourrais poursuivre longtemps ce jeu des citations qui montrerait le retard des socialistes français par rapport au monde et par rapport à leurs propres amis en Europe. Oui, la nouvelle économie, la nouvelle société a besoin d'un nouvel Etat.
Transparence, concurrence, Justice, lutte contre les abus de position dominante, voilà bien des mots empruntés à votre projet de loi que l'Etat devrait s'appliquer à lui même disais-je.
C'est l'Etat qui, beaucoup plus que les entreprises, a aujourd'hui besoin de nouvelles règles. Avant de donner des leçons, l'Etat ferait mieux de donner l'exemple.
"Il y a un besoin de justification des interventions de l'Etat, un besoin de refondation de l'action publique. Le rapport qualité-coût de notre service public n'est pas optimal. Ses défauts ont été mis en évidence par les travaux d'analyse comparatives de l'Inspection Général des finances et le rapport de la Cour des Comptes récemment rendu public : "saupoudrage, cloisonnement excessif, absence de vision prospective, de gestion des ressources humaines et même d'indicateurs d'activités et de performances". Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le très sérieux Conseil d'Analyse Economique auprès du Premier ministre dans sa livraison du 11 février dernier.
Le chantier de la réforme de l'Etat est immense.
L'Etat viole allègrement ou contourne les lois qu'il impose aux particuliers ou aux entreprises.
Si vous êtes victime d'une erreur médicale dans une clinique privée vous avez 30 ans pour porter plainte, 4 ans seulement dans un hôpital public. Pourquoi ?
Si vous êtes fonctionnaires, vous pouvez bénéficier d'un avantageux système de fonds de pension, La Préfon, pour préparer votre retraite. Les salariés du secteur privé eux n'y ont pas droit. Pourquoi ? Je serais d'ailleurs curieux de savoir - transparence oblige- quels sont les ministres fonctionnaires de ce gouvernement si prompt à dénoncer le spectre des fonds de pension à l'américain, qui ont choisi pour eux-mêmes le système Préfon.
Si vous construisez, sans autorisation, une paillote sur une plage, on vous la fera détruire. Mais si l'on construit une route dans le Val de Marne, un pont à l'Ile de Ré, une tour à Paris, en violation de la loi et au mépris des décisions du tribunal administratif, bâtiment, route et pont bénéficient de part leur nature publique une exorbitante immunité. Pourquoi ?
On traque le travail noir et la fraude, très bien. Mais l'Etat distribue parfois des primes hors impôts à certains de ses serviteurs, dans l'opacité la plus totale.
Ou est la moralisation dont parle ce texte ?
On limite le temps de travail, mais il n'est pas rare de voir des internes des hôpitaux publics faire 80 à 90 heures par semaine. Ce qui conduirait ailleurs un chef d'entreprise devant la Justice. Vous dites vouloir combattre la précarité, mais l'Etat donne le plus mauvais exemple : Vacataires de la fonction publique sans droit à l'allocation chômage, CDD à répétition pendant 15 ans, 20 ans et plus interdit dans le privé.
Sans parler de cette préférence nationale appliquée par nombre d'administrations ou d'entreprises publiques.
Faite ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Voilà la devise du gouvernement.
Monsieur le premier ministre, comment peut on parler de nouvelles régulations et passer sous silence, laisser de côté l'immense chantier de la réforme de l'Etat ?
Pour illustrer l'urgence, je prendrais un seul exemple issu de l'actualité, le droit de grève dans les services publics. En quelques mois nous avons vu plus de 1500 mouvements de grève à la poste, une grève de 40 jours à Nice qui s'est heureusement achevée. Tout cela pour quoi ? Parce que l'Etat ne sait pas mettre en uvre pour lui même les 35 heures qu'il a exigé des entreprises. Il y a quelque chose de surréaliste à voir ceux qui vont bénéficier de cette mesure refuser les petits aménagements qu'elle nécessite et paralyser ce que vous appeler le service public de la poste qui me semble bien éloigné aujourd'hui dans la grande et belle tradition aéropostale. Que peuvent ressentir les artisans, les commerçants, les petits patrons qui voient leur activité paralysée par les grèves des 35 heures, eux qui vont payer par leurs impôts la facture des 35 heures, en travaillant eux 45 heures, 50 heures et plus. Croyez-moi, en matière de grève dans les services publics, une France moderne a besoin de règles du jeu modernes - comme pratiquement tous les pays autour de nous- et c'est plus important et plus urgent que la réglementation des visioconférences des conseils d'administration.
1. Un nouvel Etat
On connaît les chemins de cette réforme de l'Etat.
-L'audace dans la décentralisation par une ambitieuse redistribution des pouvoirs et une vraie réforme de la fiscalité locale.
-La transparence dans la gestion de l'Etat.
-L'évaluation permanente et contradictoire de l'action publique.
-Le développement d'autorités et d'agences indépendantes.
-Le développement des concessions de service public.
-La simplification et la recodification de notre droit.
-L'affirmation d'un vrai pouvoir judiciaire doté de vrais moyens.
-Le redéploiement des moyens de l'Etat et la modernisation de ses services, en intéressant les fonctionnaires à cette modernisation. Ils ont tout à y gagner : des responsabilités plus affirmées, une plus grande souplesse de gestion des carrières, une revalorisation de leur métier, une meilleure reconnaissance de leur effort et de leur mérite.
Je sais monsieur le premier Ministre que vous nous avez dit partager cette préoccupation lorsque président de l'Assemblée Nationale vous parliez de mieux contrôler et évaluer l'argent des contribuables et que vous exposiez ce que pourrait être le "nouvel âge de l'Etat". Vous voici maintenant au pied du mur.
2. Une nouvelle fiscalité
A la réforme de l'Etat s'ajoute la nécessité d'une réforme fiscale. L'une et l'autre vont de pair, car pour prélever moins il faut dépenser moins. Et pour dépenser moins il faut réformer l'Etat.
La part d'argent que l'on prélève et que l'on affecte à la dépense publique est, au fond, la ligne de partage, la délimitation entre ce qui relève des choix collectifs et des choix individuels. Avec le nouveau monde cette frontière doit se déplacer. Mais s'il faut prélever moins, il faut aussi prélever mieux.
La nouvelle économie a besoin que la France se dote d'une fiscalité compétitive en matière d'épargne comme en matière de revenu pour retrouver le plein emploi. Que l'on sache mieux récompenser le travail, l'effort, la création, l'esprit d'initiative.
Il faut réformer profondément l'impôt sur le revenu,
-intégrer la CSG pour en faire une première tranche d'impôt proportionnel payé par tous les Français,
-instaurer une forme d'impôt négatif, sorte de crédit d'impôt pour favoriser la reprise du travail de ceux qui sont aujourd'hui enfermé dans des revenus d'assistance.
- réduire le nombre de tranche, abaisser les taux, y compris bien entendu le taux marginal de l'impôt sur le revenu si l'on veut éviter de voir tant de talents partir à l'étranger.
3. De nouvelles relations sociales
Nouvel Etat, nouvelle fiscalité, nouvelles relations sociales. La nouvelle croissance qui permet d'espérer le retour du plein emploi passe par de nouvelles formes de travail et d'emplois. Elle a besoin de capacité d'adaptation et de souplesse. Elle a besoin de nouvelles règles du jeu.
Nous devons rompre tant avec les pratiques actuelles que celle des années antérieures, pour désétatiser les relations sociales et faire le choix clair de la confiance dans les relations contractuelles et paritaires.
Je souhaite que l'initiative de refondation sociale des partenaires sociaux réussisse et qu'on leur donne une véritable autonomie dans l'élaboration des règles qui les concernent. (La loi fixant toujours bien sûr les principes ou les règles applicables en l'absence d'accords).
Je souhaite que l'on renonce à l'étatisation de notre système d'assurance maladie et que l'on sauve le paritarisme. Là encore, de nouvelles règles de responsabilisation sont nécessaires. Les partenaires sociaux, responsables des grands équilibres et des principes de solidarité, pourraient procéder à des délégations de gestion à des caisses, des assurances ou des mutuelles selon un cahier des charges précis en veillant au respect des principes fondamentaux de notre sécurité sociale. Ces choix sont ceux d'une société moderne qui ne s'en remet pas pour tout à l'Etat ou à la loi, et qui fait d'abord confiance à la liberté et la responsabilité des personnes.
Voilà , Monsieur le premier ministre, quelques exemples de ce qu'aurait pu, de ce qu'aurait du être l'approche d'un gouvernement moderne abordant l'immense chantier des nouvelles régulations.
Monsieur le premier ministre, Croyez bien que je mesure l'épreuve qui vous attend avec ce texte.
Epreuve que je tente de vous éviter en proposant le vote de cette question préalable.
On a salué votre arrivée au gouvernement en disant de vous que vous étiez moderne et libéral. Et j'apprécie, croyez-le bien, que ces deux mots soient aujourd'hui considérés comme un compliment. Vous souhaitiez sans doute incarner un nouveau souffle pour le gouvernement. Nous attendions, nous, un texte fondateur. Voici une collection de mesures hétéroclites sans véritable sens et portée.
Je sais bien que ce texte n'est pas le vôtre, qu'il a été préparé par vos deux prédécesseurs et que vous en recevez l'héritage sans avoir eu le temps ou la liberté de le mettre à votre main. Mais il vous le faut défendre aujourd'hui et c'est pour vous un mauvais départ.
Permettez-moi de terminer par une citation : "le plus souvent, on se contente de mettre aux normes le vieux monument de l'Etat, on ravale plus qu'on ne refonde. C'est dommage". C'est ce que vous écriviez, monsieur le premier ministre, il y a un peu plus d'un mois dans le quotidien Le Monde. Quelle belle formule que la vôtre, "on ravale plus qu'on ne refonde". Elle s'applique si bien à ce texte. Permettez moi de vous emprunter les mots de ma conclusion. C'est dommage.
(source http://www.demlib.com, le 26 avril 2000)