Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, à Europe 1 le 23 janvier 2003, sur la faillite de l'entreprise Metaleurop, la pollution du site par le plomb et sur la pollution due au naufrage du pétrolier Prestige.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Face au scandale de Metaleurop, dans le Nord, les ministres de J.-P. Raffarin, se disent à tour de rôle "révulsés", "écoeurés", "révoltés", "indignés". Soit. Des poursuites sont-elles lancées contre la direction et éventuellement les actionnaires ?
- "Effectivement, il ne faut pas se contenter de gémir, il faut agir. C'est d'abord un drame social, avec 830 salariés qui restent sur le carreau. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a constitué ce qu'on appelle une "task force", avec, à sa tête, J.-P. Delevoye, qui est d'abord un élu du secteur, ministre de l'Aménagement du territoire ; F. Fillon, le problème social, avec la prise en charge des salaires à travers l'Association de garantie des salaires, et des mesures exceptionnelles de reclassement destinées à ces salariés."
Des poursuites sont-elles lancées contre la direction et les actionnaires ?
- "J'ai pris contact, j'ai pris les conseils d'un cabinet d'avocats, le cabinet d'avocats Thiéfry [phon.] qui va donc être mandaté pour des poursuites contre le montage juridique, contre les sociétés en cause. La société Metaleurop Nord, qui a le site et se révèle totalement insolvable, a organisé son insolvabilité, elle est la propriété..."
Elle a organisé, préparé l'insolvabilité...
- "...Elle a organisé son insolvabilité. Elle est la propriété à 100 % de la Société Metaleurop SA. Et, ce qui est extrêmement troublant d'ailleurs - parce qu'on va peut-être parler du Prestige tout à l'heure et de marée noire -, c'est de voir que les mêmes voyous sont... on retrouve curieusement les mêmes noms, les mêmes voyous dans les deux cas ! On retrouve, par exemple, dans l'affaire du Prestige et dans l'affaire de Metaleurop, le nom de ce financier ce financier américain qui avait été amnistié par Clinton peu avant qu'il parte de la présidence des Etats-Unis. On retrouve aussi la société Glencor [phon.], qui est le principal actionnaire de Metaleurop SA. Et on retrouve Glencor [phon.] dans les voyous des mers : c'est une des sociétés les plus importantes dans le transport physique des produits pétroliers. Donc, on voit que les voyous des mers sont aussi les voyous des sols."
Est-ce que cela veut dire que le Gouvernement va utiliser tous les moyens pour que la justice intervienne et sanctionne ?
- "Et sanctionne ! Il faut que le principe pollueur-payeur s'applique. Il faut que nous puissions remonter la chaîne financière qui sera donc aussi une chaîne des responsabilités. Parce que, effectivement, devant un chantier de dépollution... le site Metaleurop, est le principal site pollué de France : c'est 100 à 300 millions d'euros pour dépolluer ce site. Bien sûr, si nous n'arrivons pas à impliquer ces voyous, l'Etat prendra ses responsabilités. Mais je veux d'abord faire payer - j'allais dire, "ces salauds" - mais je dirais ces voyous, c'est plus poli."
Vous pouvez le dire, mais qui contraindra les pollueurs à payer ?
- "La justice."
La justice ira jusqu'à chercher les actionnaires suisses ou peut-être américains, comme vous dites ?
- "C'est pour cela qu'il faut nous assurer les services d'un cabinet spécialisé dans ces affaires de droit international. Je crois que si nous allons au pénal, nous allons très vite nous arrêter sur des gens insolvables. Il faut donc très probablement, intenter une action en droit commercial."
Pour les salariés, on a vu que la paye de janvier est assurée. Vous dites que les salaires de février et de mars seront payés, peut-être par cette société-là, si elle fait un plan social, si elle est en mesure de le faire, ou bien ?
- "Il y a des mécanismes de protection des salariés par la structure de garantie des salaires. F. Fillon mettra sur la table des sommes très importantes, des sommes majorées pour le reclassement des salariés. Et puis, il faut, bien sûr, maintenant, réindustrialiser le site. Non pas avec une usine de plomb, qui sera fermée..."
C'est fini ?
- "C'est fini !"
Noyelles-Godault faisant du plomb, retraitant du plomb et du zinc c'est terminé ?
- "C'est terminé ! Et il faut mener..."
En revanche, vous cherchez des emplois ?
- "Voilà. Avec J.-P. Delevoye et avec N. Fontaine, qui a d'ores et déjà envoyé deux collaborateurs hautement spécialisés dans les processus de réindustrialisation..."
Est-ce vous allez prendre des précautions pour les autres sites ? Parce que j'ai vu une carte de France, il y a 3 000...
- "3 500, 3 600 sites pollués."
...dits "orphelins", c'est-à-dire que les responsables ou les propriétaires se sont sauvés ou pourraient se sauver. Que prenez-vous comme précaution ? Et est-ce qu'on ne peut pas éviter d'avoir à intervenir quand les entreprises font faillite, cèdent le terrain, ferment à clé et s'en vont ? Est-ce qu'il n'y a pas une action à faire en amont ?
- "D'abord, l'Etat prend chaque fois ses responsabilités et prend à sa charge - c'est-à-dire le contribuable prend à sa charge - ces sites pollués. Mais au travers de l'affaire exemplaire, au mauvais sens du terme, de Metaleurop, on peut voir un vide juridique. C'est-à-dire que, finalement, l'industriel pollue tranquillement son site, sans vérification des années durant. Et que l'affaire ne se révèle qu'au moment de la cession."
Alors ?
- "Alors, c'est la raison pour laquelle, je travaille à une mesure. J'ai un texte législatif sur la sécurité industrielle qui est examiné au Sénat dans quelques jours, et j'y ajouterai une mesure qui permettra de pallier cette carence, ce vide juridique."
La fonderie de Noyelles-Godault pollue depuis 108 ans, 1894. Comment, aucun gouvernement n'a utilisé jusqu'à présent les lois ou les décrets, par exemple ceux de 1977, pour éviter les drames de cette région ? Cela concerne les gouvernements mais probablement aussi tous les élus de toutes tendances de cette région !
- "C'est-à-dire que nous sommes invités à une révolution culturelle du développement durable. Parce que pendant un siècle, on a dit aux responsables politiques, aux associations, etc., que rien ne vaut plus que l'emploi. On a joué, on a abandonné les problèmes sanitaires, de santé, en disant "il y a de l'emploi". Et on a dit aux gens, en quelque sorte "on va vous prendre votre santé, vous aurez de l'emploi". Et maintenant, ils n'ont ni la santé ni l'emploi. C'est ça le développement durable !"
Maintenant, clairement, devant le choix dépollution ou emplois, ou risques de pollution et de grave atteinte à la santé publique et emplois, que dites-vous ? Il faudrait dire quoi ?
- "Je mets en premier la santé. C'est la raison pour laquelle je suis arrivée avec comme héritage, 36 incinérateurs hors normes qui émettaient de la dioxine. On m'a dit "vous n'arriverez pas à les fermer !". Je peux vous dire, qu'au 31 décembre, les 36 incinérateurs ont été fermés."
Il y a deux problèmes au moins : dépolluer l'usine abandonnée. Qui va s'en charger ?
- "Il y a une organisation qui est sous ma responsabilité, qui s'appelle l'ADEME et qui se charge de ces dépollutions. Il y a l'intérieur de l'ADEME des personnels hautement spécialisés qui mènent ces entreprises, qui conçoivent ces entreprises de dépollution."
Ce que vous avez dit tout à l'heure m'a choqué et va en choquer beaucoup : on retrouve les mêmes actionnaires parfois dans l'affaire de Metaleurop et du Prestige... Alors le Prestige : au gré de la tempête, la pollution est en train de dériver, elle va, elle vient, et elle atteint massivement les côtes de Vendée, de Charente-Maritime, de Gironde...
- "Je rectifie : il n'y a pas encore de pollution en Vendée. Ca s'arrête en Charente-Maritime."
Il y a encore combien de fioul au fond de l'eau dans l'épave du Prestige ?
- "50 000 tonnes de fioul à peu près dans l'épave du Prestige. Il y en avait 77 000 au départ, on en a pompées, on en a recueillies à peu près 24 000 tonnes, au milieu de cette semaine. Nous avons donc une véritable bombe explosive au fond de la mer."
Qu'est-ce qu'on va faire avec le contenu de l'épave ?
- "Avec le contenu, les Espagnols, qui sont responsables de cette épave ont lancé un appel d'offre internationale à des sociétés spécialisées dans l'off shore, qui vont pouvoir faire plusieurs choses. Soit, bien entendu, faire un colmatage plus fort que celui qui est actuellement effectué par le bathyscaphe de l'Ifremer ; mettre sous sarcophage l'épave, ou faire une technique de pompage profond, avec des poches qui recueilleraient ce fioul qui serait sous l'effet de la poussée d'Archimède et qui serait remonté à la surface et récupéré par des bateaux, et entreposé dans des dépôts d'hydrocarbures spécialisés pour être retraités."
Chez les Espagnols ou en France ?
- "Chez les Espagnols, d'abord."
Vous n'êtes pas sûre apparemment ?
- "C'est pour cela qu'il y a l'appel d'offres à ces sociétés spécialisées dans le traitement off shore. Je veux dire que je suis cette affaire avec une particulière attention ; nous avons eu une réunion de travail au secrétariat général à la Mer la semaine dernière, et je souhaite que notre société océanographique, l'Ifremer, soit entendue à titre d'expert quand on ouvrira les enveloppes de traitement de l'épave, le 15 février."
On a entendu le président de la République, le Premier ministre dire que la France veut prendre le leadership dans la lutte contre la pollution marine. Allez-vous vraiment interdire les vieux navires inadaptés, les armateurs marrons ? Et par exemple, est-ce qu'on a atteint le quota des 25 % d'inspecteurs réclamés dont on disait qu'on n'était pas fichus de les avoir ?
- "Oui, le taux de 25 % de navires inspectés, a été atteint grâce à l'action à marche forcée de G. de Robien et de D. Bussereau. On était partis à 6 % avant les vacances..."
Et maintenant ?
- "Et maintenant, ça y est, on est à 25 %. Nous nous étions engagés à atteindre ces 25 % en avril prochain. Ca y est, en janvier nous sommes aux 25 % !"
Et les maires des petites villes de la côte, qui ont avancé de l'argent, qui les rembourse ?
- "Ca y est : fonds Polmar, fonds délégués auprès du préfet de la région Aquitaine. Les fonds sont là, ils peuvent présenter leurs factures. J'ai envoyé un comptable sur place pour traiter directement et sans retard le problème des factures des maires des petites communes."
Je vais vous poser une question qui n'est pas de votre ressort, peut-être, mais vous avez une réaction : D. Rumsfeld, le secrétaire d'Etat à la Défense des Etats-Unis, s'en est pris à Paris et à Berlin, hier, avec une certaine arrogance. Il a dit que de toute façon, tout cela, c'était "la vieille Europe". Que dites-vous, qu'est-ce qu'on dit à D. Rumsfeld ce matin ?
- "Si vous saviez ce que j'ai envie de lui dire à monsieur Rumsfeld... Vous savez, je suis des Pays de la Loire, et il y a dans ces Pays de la Loire, une célébrité qui s'appelle Cambronne..."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 janvier 2003)