Déclarations de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, à Palaiseau le 10 octobre 1996 et à Paris le 9 décembre, et interview sur le site Web du ministère de l'industrie de la poste et des télécommunications (Evariste), sur la politique gouvernementale en matière d'aide à l'innovation en entreprise et sur la réforme de l'ANVAR.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Franck Borotra - Ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications

Circonstance : Journée débat à l'Ecole Polytechnique sur le thème "Entreprise Innovation et Croissance", Palaiseau le 10 octobre 1996.Réunion de l'Association nationale de la Recherche Technique (ANRT) le 9 décembre

Texte intégral

(Interview du 9 octobre 1996)
1. - Quel premier bilan pouvez-vous tirer de la politique d'innovation technologique menée par le gouvernement ? 
Il nous faut encore accentuer notre effort, dans ce domaine qui est effectivement une priorité absolue pour le Gouvernement. Elle seule permettra de sortir l'économie française de la crise et de renouer avec la création d'emplois. 
Nous allons mettre en place systématiquement en 1997, aux cotés des industriels, souvent désemparés devant la multiplicité des intervenants en matière d'innovation (DRIRE, ANVAR, DRRT) un interlocuteur unique pour les procédures d'aide technologique. Des expériences sont en cours dans quatre régions. Les entreprises apprécient le fait d'avoir un interlocuteur unique pour leur information, mais aussi pour l'instruction de leurs dossiers. Le rapprochement géographique des interlocuteurs du chef d'entreprise, sur le terrain, sera mené à bien. J'ai dû le rappeler fermement à Nantes. Il fallait défier les clivages et les cloisonnements dictés par les "chefs de bureau" parisiens. J'ai le plaisir de m'apercevoir que j'ai été entendu. 
2. Vous voulez donc mettre en place des commandos de l'innovation ? 
Toutes les initiatives sont les bienvenues. Mon approche est tout à fait différente. L'innovation ne peut progresser que par une action en profondeur, touchant un très grand nombre d'entreprises avec des moyens importants. C'est trois milliards de francs que les pouvoirs publics mobilisent chaque année, et nos DRIRE contactent 10.000 entreprises par an. 
3. - En quoi consiste la nouvelle réforme de l'ANVAR ? Pourquoi un nouveau Président ? 
La réforme de l'ANVAR permettra d'accroître son impact économique et son efficacité par un recentrage de ses actions autour de quelques priorités. 
L'agence contribuera activement à la maîtrise des technologies-clés par le tissu des PMI. Un appel à propositions a été lancé par le Ministère sur ces technologies qui permettront de créer les produits de demain. 
Elle participera à la mobilisation des financements nécessaires à la croissance des entreprises, en apportant notamment son expertise. 
Elle valorisera les résultats de la recherche publique, notamment dans les domaines prioritaires identifiés par le comité interministériel de la recherche. 
Ces objectifs se traduisent par quatre décisions renforçant l'action régionale : chaque délégation disposera d'un budget autonome, ce qui lui permettra de négocier plus facilement avec ses partenaires régionaux et européens ; tous les dossiers d'aides seront examinés au niveau régional et non plus au niveau national ; l'ANVAR va renouer avec les laboratoires de recherche ; enfin les moyens humains des délégations régionales seront renforcés. Je me fixe comme objectif, par l'effet conjugué des redéploiements d'effectifs du siège de l'ANVAR et de l'administration centrale de mon département, d'avoir 100 ingénieurs de plus sur le terrain d'ici deux ans. Mon objectif, à cette échéance, c'est trois fois plus d'entreprises contactées chaque année, c'est à dire, en trois ans, la moitié des PMI. 
Je voudrais du reste profiter de cette occasion pour rendre un hommage sincère à Monsieur Henri Guillaume, qui a accompli un septennat entier à la tête de l'ANVAR et a mené à bien les nombreux chantiers qui lui ont été confiés. Le Gouvernement lui proposera dans les prochaines semaines une importante responsabilité. 
4. - François d'AUBERT a dit que l'action de l'ANVAR allait s'orienter davantage vers les entreprises que vers les projets. Qu'en pensez-vous ? 
C'est la proposition que nous avons arrêtée en commun, lors du Conseil des Ministres du 10 avril et qui a été réaffirmée le 3 octobre dernier au Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique. Nous œuvrons dans la même direction : François d'Aubert en rapprochant la recherche scientifique des entreprises, moi-même en encourageant l'innovation tournée vers les débouchés industriels les plus prometteurs. 
Un bon exemple de cette coordination, ce sont les fonds communs de placement pour l'innovation, qui vont permettre aux investisseurs privés de financer le développement des entreprises innovantes, qui seront identifiées par l'ANVAR. Je note d'ailleurs que les chefs d'entreprises et les acteurs économiques l'ont bien compris. J'en veux pour preuve le succès remarquable rencontré par Evariste, aujourd'hui piloté par l'ANVAR. Créé il y a moins de six mois, le serveur est consulté au rythme de 2.000 connexions par jour et sa bourse d'échanges technologiques, véritable forum virtuel des technologies, commence à fonctionner. 
5. - Est-ce que cette réforme générera de nouveaux moyens ? 
Je m'y emploie dans deux domaines : d'abord en demandant à l'ANVAR de se rapprocher des régions pour nouer des partenariats avec les conseils régionaux et mobiliser les fonds européens. Il faut bien voir que l'ANVAR, aujourd'hui, ne contractualise que 1 % de ses aides avec l'Union européenne ou avec les régions. 
De plus j'ai décidé de mobiliser le réseau d'experts de nos organismes publics pour qu'ils apportent leur savoir-faire aux banques. C'est la condition pour ces derniers soutiennent davantage l'innovation. Des conventions viendront préciser ce partenariat dont j'attends beaucoup. 
6. - Au niveau du ministère, que faites-vous pour favoriser le décloisonnement ? 
Je crois que nous vivons une révolution fondamentale au cœur de l'Etat lui-même. Nous sommes en train de passer de l'Etat administratif classique à l'Etat en réseau. 
Nous nous y employons au Ministère de l'Industrie, en généralisant l'usage des moyens électroniques, comme mode de travail habituel. L'avenir est à l'utilisation massive des technologies de l'information dans les relations avec les usagers et les citoyens et au sein même de l'administration. Ainsi une loi sera préparée plus efficacement par les Ministères s'ils utilisent d'une manière optimale les réseaux électroniques internes. La publication officielle de cette loi sur Internet présenterait un certain nombre d'avantages considérables sur le journal officiel papier, notamment l'hypertexte, qui permet de passer d'une loi à une autre ou d'une loi à un décret, en quelques secondes. 


(Journée débat sur le thème : entreprise innovation et croissance, le 10 octobre 1996)
C'est pour moi un grand plaisir de m'exprimer dans un cadre aussi solennel que l'Ecole Polytechnique. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour exprimer ma gratitude à cette prestigieuse école : mon Cabinet bénéficie en effet de la compétence et de l'esprit d'innovation de 7 polytechniciens. Du reste, cela ne facilite pas toujours la vie quotidienne. 
Conclure un colloque aussi intéressant n'est pas chose facile. Je le ferai en m'efforçant de répondre à la question que doit se poser le Ministre de l'Industrie, celui qui est en charge de la politique de l'innovation, celui qui défend les crédits d'innovation dans les arbitrages financiers : l'action du Gouvernement est-elle optimale dans ce domaine ? 
Ma réponse est claire : nous avons beaucoup fait, beaucoup plus reste à faire. L'innovation est une priorité absolue pour le Gouvernement. Elle seule permettra de sortir l'économie française de la crise et de renouer avec la création d'emplois. 
La France est une grande nation industrielle, riche grâce à son industrie. Sans industrie, pas de développement économique, pas de bien-être, pas d'emplois. Le développement de l'industrie, et plus particulièrement des 23.000 P.M.I., de 20 à 500 salariés, constitue donc la priorité du gouvernement. La moitié d'entre elles ont moins de 10 ans, et c'est vers elles qu'il faut faire porter l'effort le plus important, quand on sait qu'une entreprise sur deux disparaît au bout de cinq ans d'existence. 
Mais les 160.000 emplois créés chaque année par les PMI ne sont pas suffisants pour remplacer les emplois détruits. Avec une structure des entreprises comparable à celle de l'Allemagne, les P.M.I. françaises compteraient aujourd'hui 400.000 emplois supplémentaires. 
Nous manquons d'entreprises innovantes, ce qui explique la faiblesse de la croissance industrielle française par rapport aux Etats-Unis et à l'Allemagne. 
L'innovation est le meilleur allié de l'emploi. Elle permet notamment d'inventer des produits nouveaux, en générant de nouveaux marchés, en répondant mieux aux attentes des consommateurs, en améliorant les procédés de production. Elle rend les entreprises plus compétitives et contribue à relancer la consommation. Elle permet de remplacer les emplois d'hier par ceux de demain. En bien des sens, l'innovation est l'un des leviers sur lequel agir pour répondre au problème du chômage. 
Je tiens à rappeler que les crédits d'aide à la recherche et à l'innovation inscrits au budget du Ministère de l'Industrie, vont représenter plus de 2,7 milliards de francs en 1997, soit près de 20 % du budget du Ministère. 
Toutes les études menées font apparaître que ces crédits permettent la création en moyenne de plus de cinq emplois par million d'aide, et que les entreprises qui en ont bénéficié ont une meilleure croissance, une meilleure longévité, et qu'elles exportent davantage. 
1 million de francs d'aide génère un chiffre d'affaires cumulé de 28 millions de francs pour Atout Puce et 57 millions de francs pour les grands projets innovants. 
1 million de francs d'aide génère 18 emplois directs et induits, tant pour la procédure des grands projets innovants que pour la procédure Atout. 
Dans un contexte de rigueur et alors que le poids croissant des dépenses de fonctionnement et des salaires risque d'hypothéquer les investissements, nous devons aller plus avant dans la démarche d'innovation. Je voudrais devant vous, esquisser les actions que nous mènerons dans ce sens en 1997, avec mon collègue François d'Aubert. 
1 - Il nous faut d'abord développer l'innovation en entreprise et, pour cela, améliorer le financement des entreprises innovantes. 
Il faut bien comprendre que nous sommes ridicules par rapport aux américains sur le plan du financement de l'innovation. Il est donc nécessaire d'opérer des arbitrages politiques. J'ai été pendant de nombreuses années chef d'entreprise. Je crois beaucoup plus en leur action, en leur efficacité, en leur imagination, que dans toutes les actions administratives du monde. Mon objectif est de leur donner davantage de liberté pour agir, et d'abord sur le plan financier. 
Une masse plus importante de l'épargne doit être orientée sur l'innovation. L'opération lancée le 10 avril dernier a franchi une étape supplémentaire au Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique, le 3 octobre dernier, avec le bénéfice offert aux particuliers qui investissent dans des entreprises innovantes des avantages de la Loi Madelin. 
Jusqu'ici, le système financier a été insuffisamment associé au processus d'innovation. D'une part parce que l'innovation, peu tirée par le marché, inspirait de la méfiance aux investisseurs qui craignaient d'y réaliser des pertes. D'autre part, parce que des partenariats dans ce domaine n'ont jamais véritablement été tissés. 
Les établissements financiers ont, effectivement, trois problèmes face à l'innovation : évaluer son coût, sa durée, sa rentabilité. Pour y remédier, il est important d'associer les financiers à la démarche d'innovation. 
Leurs capitaux sont en effet indispensables pour la financer et l'Etat n'a ni la vocation, ni les moyens budgétaires de s'y substituer. Le Ministère souhaite, dans certains secteurs particulièrement essentiels (santé,...) aider les sociétés de capital-risque ou de capital-développement pour les études préalables à l'investissement ou le suivi des dossiers, afin de partager l'expertise et de diminuer les coûts de gestion de ces organismes. 
J'ai donc décidé de lancer l'opération "Capital Innovation" en mobilisant le réseau d'experts de nos organismes publics pour qu'ils apportent leur savoir-faire aux banques. C'est la condition nécessaire et suffisante pour que ces derniers soutiennent davantage l'innovation. Des conventions viendront préciser ce partenariat, dont j'attends beaucoup. 
Nous pouvons mobiliser davantage de moyens publics. J'ai donc décidé de demander à l'ANVAR de se rapprocher des régions pour nouer des partenariats avec les conseils régionaux et mobiliser les fonds européens. Il faut bien voir que l'ANVAR, aujourd'hui, ne contractualise que 1% de ses aides avec l'Union européenne ou avec les régions. 
Les moyens apportés par ces partenariats nouveaux viendront en complément des deux actions que nous conduisons par ailleurs avec François d'Aubert : réduire les dépenses de fonctionnement des grands organismes publics pour financer davantage les entreprises et redéployer les crédits apportés aux grands groupes pour financer davantage les PMI. 
2 - Nous devons faciliter l'accès aux informations. 
L'Etat désormais doit être avant tout un centre et un diffuseur d'informations. C'est pourquoi le thème de l'intelligence économique est essentiel, et le Ministère est en train de s'y investir fortement. L'Etat ne doit pas se substituer aux entreprises dans leur gestion quotidienne ; ceci n'est pas son métier. Il doit par contre veiller à l'accès de toutes les entreprises au savoir, à l'information, et aux différents services publics existants (CCI, CTI...). 
EVARISTE est à votre disposition dans ce but. Il comporte toutes les informations susceptibles d'intéresser une entreprise innovante. EVARISTE, accessible sur INTERNET, permet aux entreprises de disposer en temps réel d'informations technologiques constamment mises à jour. Le site est consulté plus de 2 000 fois par jour. 
On y trouve des informations sur l'offre nationale de compétences dans le domaine de la recherche et de l'innovation technologique, une présentation ordonnée des acteurs institutionnels de l'innovation et de leurs partenaires. 
On trouve également sur EVARISTE, bientôt accessible sur Minitel (36-14 Evariste) des informations sur les politiques publiques d'aide aux petites et moyennes entreprises, notamment le texte intégral des 50 fiches techniques associées au nouvel appel à projet de technologies-clés lancé cet été par le Ministère de l'Industrie. 
J'ai mis en place sur Evariste, un "Forum virtuel des technologies", une bourse d'échanges ouverte et qui reçoit ses premières offres et demandes de technologie. C'est une première étape vers davantage de solidarité entre les entreprises et les centres de recherches, et entre les entreprises grandes et petites, dans les démarches d'innovation. 
La bourse d'échanges vient compléter l'initiative "Références" lancée par le Ministère, qui comprend désormais deux nouveaux volets : Ressources Humaines, Design qui viennent s'ajouter aux précédents thèmes : qualité, intégration par l'informatique, prototypage rapide, échange de données informatisées. 
3 - Nous devons simplifier l'action de l'Etat 
C'est l'objet de la réforme de l'ANVAR qui permettra d'accroître son impact économique et son efficacité par un recentrage de ses actions autour de quelques priorités. 
Ces objectifs se traduisent par quatre décisions renforçant l'action régionale : chaque délégation disposera d'un budget autonome, ce qui lui permettra de négocier plus facilement avec ses partenaires régionaux et européens ; tous les dossiers d'aides seront examinés au niveau régional et non plus au niveau national; l'ANVAR va renouer avec les laboratoires de recherche ; enfin, les moyens humains des délégations régionales seront renforcés : mon objectif est de mettre 100 ingénieurs de plus sur le terrain, en région, d'ici deux ans. 
Mon objectif, à cette échéance, c'est trois fois plus d'entreprises contactées chaque année, c'est à dire, en trois ans, la moitié des PMI. 
De même, nous allons mettre en place systématiquement en 1997, aux côtés des industriels, souvent désemparés devant la multiplicité des intervenants en matière d'innovation (DRIRE, ANVAR, DRRT) un interlocuteur unique pour les procédures d'aide technologique. Des expériences sont en cours dans quatre régions. Les entreprises apprécient le fait d'avoir un interlocuteur unique pour leur information, mais aussi pour l'instruction de leurs dossiers. Le rapprochement géographique des interlocuteurs du chef d'entreprise, sur le terrain, sera mené à bien. J'ai dû le rappeler fermement à Nantes. Il fallait défier les clivages et les cloisonnements dictés par les "chefs de bureau" parisiens. J'ai le plaisir de m'apercevoir que j'ai été entendu. 
Ce ne sont pas pour autant des commandos de l'innovation. A vrai dire, l'expression "commando" ne correspond pas à l'image que je me fais de l'innovation. Les entreprises attendent des partenaires, pas des parachutistes. Le terme de commando implique une action ponctuelle, alors que nous avons besoin d'une action dans la durée, d'une course de fond. 
4 - Nous devons enfin réorienter l'effort européen. 
Il est nécessaire d'assurer la coordination et la cohérence des interventions publiques et des efforts privés européens, et de mobiliser la panoplie des instruments disponibles selon une approche coordonnée. 
L'objectif est de donner, dans le cadre du programme cadre de recherche et développement, une priorité absolue au soutien de la recherche industrielle. 
Les financements des projets communautaires sont partagés entre la Commission d'une part et les industriels ou les laboratoires publics qui les présentent de l'autre. La Commission pourrait par ce moyen rechercher une taille européenne pour la recherche européenne de base et le développement des technologies clés. 
Les "task-forces" créées à l'initiative de Mme Cresson et de M. Bangemann, pourraient aider les Etats membres à coordonner les efforts des industriels sur des priorités concertées et des projets de développement plus proches de l'industrialisation, en finançant des projets issus de l'industrie, soutenus par les Etats membres dans des réseaux souples et adaptatifs tels qu'Eureka. 
Conclusion
Les grands axes de cette politique sont en train de se mettre en place. Nous avons franchi une étape importante, avec le premier Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique, qui s'est tenu sous la Présidence du Premier Ministre. 
L'innovation technologique dans ses dimensions industrielles et commerciales y a été reconnue comme une priorité pour la recherche publique. 
Il nous faudra de la persévérance, compte tenu des contraintes de la rigueur, des programmes pluriannuels en cours et des dépenses de fonctionnement. Certains organismes sont un peu comme ces paquebots qui mettent des kilomètres pour changer de cap, alors que nous souhaiterions les voir virer comme des hors-bord. L'innovation est une urgence, mais c'est aussi une oeuvre de longue haleine. 
La France possède aujourd'hui dans ses laboratoires des compétences scientifiques excellentes. Elle possède des entreprises fortes et des cadres de qualité, formés notamment par cette école. Aussi, c'est avec bon nombre d'atouts qu'elle peut relever le défi de l'innovation. Elle les valorisera d'autant mieux que tous les acteurs collaboreront activement : les clients, les laboratoires, les entreprises, les banques. Le Ministère de l'Industrie, responsable de la politique de l'innovation, se doit d'être le fédérateur de ces actions et leur animateur. 
(source http://www.ensmp.fr, le 23 janvier 2003)


Allocution à l'association nationale de la recherche technique - 9 décembre 1996
Monsieur le Ministre,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs, 
C'est un grand honneur pour moi de m'exprimer devant une telle assemblée, qui rassemble l'essentiel des gens qui comptent dans le domaine de l'innovation et de la recherche au sein des entreprises, des laboratoires ou des administrations. De très hautes personnalités parmi lesquelles plusieurs Premier Ministres se sont exprimés dans cette enceinte. Après André GIRAUD en 1980, je serai le troisième Ministre de l'Industrie à me rendre à votre invitation. 
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'intervention de Francis MER. Je souhaite comme lui que nous bâtissions ensemble la politique de l'innovation. Cette démarche commune a existé et existe déjà, dans le domaine des technologies clés identifiées, grâce à l'apport d'expertises de notre industrie et de nos chercheurs, par une étude de mon Ministère, et qui fait aujourd'hui l'objet d'un appel à propositions. 
Nous allons retrouver le même état d'esprit à la section Innovation de la Commission Permanente de Concertation pour l'Industrie, dont Francis MER est le très actif Président. 
Les enjeux
L'Innovation est un enjeu National. C'est ma priorité. Pourquoi innover ? Parce que l'innovation est la meilleure alliée de l'emploi. Elle permet d'inventer des produits nouveaux, en générant de nouveaux marchés, en répondant mieux aux attentes des consommateurs, en améliorant les procédés de production. 
L'innovation rend les entreprises plus compétitives et contribue à relancer la consommation. Elle permet de remplacer les emplois d'hier par ceux de demain. L'innovation est donc l'un des leviers sur lequel agir pour répondre au problème du chômage. 
Il n'y a pas de fatalité à faire moins bien qu'Israël en matière de financement de l'innovation ou que les Etats-Unis en matière de créations d'entreprises, dans les domaines les plus porteurs comme les sciences du vivant ou les technologies de l'information. Il n'y a pas plus de fatalité dans ce domaine qu'il n'y en avait à perdre la Coupe Davis. C'est un Borotra qui parle... 
L'innovation a été reconnue comme une priorité gouvernementale sur ce thème lors de ma communication en Conseil des Ministres le 10 Avril 1996 et, avec François d'AUBERT lors du Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique (CIRST). 
Les axes stratégiques
Je souhaite développer ma politique autour de quatre axes stratégiques : 
1 - Encourager les Créateurs et les Innovateurs
Il n'est pas normal qu'en France les ingénieurs cherchent d'abord à travailler pour l'Etat et les grands groupes alors qu'aux Etats Unis, ils pensent d'abord à créer des start-up. 
Je souhaite faire de nos écoles d'ingénieurs et en premier lieu celles qui dépendent du Ministère de l'Industrie, les fers de lance de l'innovation, y favoriser la qualité de la recherche, orienter vers celles-ci les meilleurs chercheurs, et ceci est déterminant, obtenir la reconnaissance académique de leurs travaux de recherche et de leurs activités de transfert technologique ; et puisqu'une recherche ne peut plus être menée en autarcie je m'attacherai à développer des partenariats entre les établissements d'enseignement qui relèvent de mon Département et les grands organismes de recherche concernés. 
Je considère comme vous qu'une proportion, trop faible, d'ingénieurs et de diplômés des écoles commerciales se lance dans la création de leur propre entreprise. Il est impératif de redonner le goût d'entreprendre aux jeunes diplômés, en mettant en place des formations capables de déclencher des vocations de bâtisseurs, de réalisateurs de projets, d'entrepreneurs au sens le plus large. 
J'ai donc demandé aux Ecoles des Mines, d'inclure, dans le cursus, une formation générale à la création d'entreprise, en organisant dans les six écoles une option commune. En la matière, une pédagogie originale existe à HEC. Mon objectif est de mettre en place à grande échelle, ce type de formations au sein des Ecoles des Mines, pour faire de celles-ci des viviers d'entrepreneurs. Ces enseignements tirés de ces nouvelles formations seront diffusés à l'ensemble des écoles d'ingénieurs. 
2 - Améliorer l'environnement de l'entreprise innovante 
La réforme de l'ANVAR, définie et formalisée en 1996 sera mise en oeuvre au début d'année 1997. Elle permettra d'accroître son impact économique et son efficacité par un recentrage de ses actions autour de quelques priorités. L'ANVAR n'a pas vocation à faire elle-même le métier de capital-risqueur, de prêteur ou d'assureur. Elle bénéficiera en plein de la création de la BDPME. 
Ces objectifs se traduisent par quatre décisions renforçant l'action régionale : chaque délégation disposera d'un budget autonome, ce qui lui permettra de négocier plus facilement avec ses partenaires régionaux et européens ; tous les dossiers d'aides seront examinés au niveau régional et non plus au niveau national, traduction de la volonté de déconcentration de ce Gouvernement ; l'ANVAR va renouer avec les laboratoires de recherche ; enfin, les moyens humains des délégations régionales seront très significativement renforcés. 
Le coeur du métier de l'ANVAR c'est la technologie. La réforme va s'organiser autour de ce métier d'origine. Nous devons mettre sa capacité d'expertise technologique au service d'un meilleur financement des entreprises. 
Je souhaite mettre 100 Ingénieurs pour l'innovation sur le terrain en région, d'ici deux ans. Ceux qui travaillent pour les PMI doivent se situer à leurs côtés, avec des moyens de l'ANVAR, de mon administration. 
Les CCI, dont la réforme va s'engager, l'INPI, (j'y reviendrai), et les DRIRE participeront à cette amélioration de l'environnement de l'entreprise innovante. Comme dans les entreprises, l'Etat et les Etablissements Publics doivent réexaminer leurs missions, leur organisation. Il nous faut évaluer systématiquement l'impact des politiques publiques, notamment en terme d'emplois. 
Le site internet EVARISTE comporte toutes les informations susceptibles d'intéresser une entreprise innovante. Il permet aux entreprises de disposer en temps réel d'informations technologiques constamment mises à jour. Le site est consulté plus de 2.000 fois par jour. Il est désormais accessible sur le minitel au 36-14 code EVARISTE. 
On trouve également sur EVARISTE le texte intégral des 50 fiches techniques associées au nouvel appel à projet de technologies-clés lancé cet été par le Ministère de l'Industrie et un "Forum virtuel des technologies", une bourse d'échanges qui reçoit ses premières offres et demandes de technologie. C'est une première étape vers davantage de solidarité entre les entreprises et les centres de recherches, et entre les entreprises grandes et petites, dans les démarches d'innovation. 
3 - Mieux financer l'innovation
Jusqu'ici, le système financier a été insuffisamment associé au processus d'innovation. J'ai donc lancé l'opération "Capital-Innovation" en mobilisant le réseau d'experts de nos organismes publics pour qu'ils apportent leur savoir-faire aux banques. Nous pouvons mobiliser davantage de moyens publics. J'ai également décidé de demander à l'ANVAR de se rapprocher des régions pour nouer des partenariats avec les conseils régionaux et mobiliser les fonds européens. Au cours des dix dernières années, l'ANVAR n'a contractualisé qu'une part infime de ses aides avec les Conseils Régionaux. 
L'opération lancée le 10 avril dernier a franchi une étape supplémentaire au Comité Interministériel de la Recherche Scientifique et Technique, le 3 octobre dernier, avec le bénéfice offert aux particuliers qui investissent dans des entreprises innovantes, via des Fonds Communs de Placement, des avantages de la Loi Madelin. 
Ces moyens viendront en complément des deux actions que nous conduisons par ailleurs avec François d'Aubert : protéger l'investissement en maîtrisant les dépenses de fonctionnement des grands organismes publics pour financer davantage les entreprises et redéployer les crédits de recherche et développement apportés aux grands groupes pour financer davantage les PMI. 
Au niveau public, il nous faut mieux financer notre Industrie par le PCRD. C'est pourquoi j'ai demandé, avec François d'Aubert, à Monsieur GUILLAUME, Président d'honneur de l'ANVAR, d'étudier les mécanismes européens de financement de la recherche, leur impact réel sur l'industrie et de faire les propositions sur l'amélioration de leur organisation. 
4 - Simplifier radicalement les procédures.
Il nous faut réduire la logique des prés carrés et des corporatismes. Eviter les déménagements à l'autre bout de la ville d'interlocuteurs, qui travaillent ensemble sur l'innovation. 
Nous allons rapprocher systématiquement les locaux des Drire et de l'Anvar. J'ai pris cette décision dans deux régions supplémentaires : Limousin et Pays de Loire. Ceci sera réalisé en janvier 1997 
Suivant les conclusions du rapport Carayon, j'ai également décidé la généralisation, en 1997, après les expérimentations dans les quatre régions, de l'Interlocuteur Unique. Pour éviter la multiplications de formulaires, le dossier unique des aides ANVAR et DRIRE sera expérimenté dans ces quatre régions-pilotes. 
Pour éviter de répéter les demandes d'informations aux entreprises, nous allons également mettre en place en 1997 un accès réciproque aux banques de données sur les entreprises et sur les projets d'innovation de l'ANVAR et du Ministère de l'Industrie, qui actuellement sont accessibles uniquement par leur organisme. 
Les objectifs à court terme
Avec François d'AUBERT, nous allons développer les interfaces Recherche-Industrie. C'est également le rôle de l'ANRT, et je voudrais saluer la qualité de son action dans ce domaine. 
Sur la Propriété Industrielle, je partage votre analyse. La stagnation du nombre des brevets déposés par des entreprises françaises est un signe inquiétant pour notre capacité d'innovation. Par ailleurs, le système de propriété industrielle national et européen apparaît complexe, coûteux et d'une efficacité discutable. J'ai donc confié une mission à M. Didier Lombard, Directeur Général des Stratégies Industrielles au Ministère de l'Industrie. Cette réflexion devra déboucher sur des actions concrètes, afin de provoquer les évolutions nécessaires du dispositif européen et national de propriété industrielle. 
Dans le cadre de la réforme de l'Etat et de l'adaptation des missions du Ministère de l'Industrie, j'ai l'intention de renforcer la capacité et les moyens de la future Direction Générale de l'Industrie pour définir une véritable politique de propriété industrielle, qui réponde aux besoins des entreprises et permette de peser sur les décisions au niveau européen, l'INPI assurant la mise en oeuvre de cette politique. A ce titre, le rôle et les missions de l'INPI devront être réexaminés de façon à rendre l'Office plus efficace dans un système en pleine mutation. 
Sur les Centres Techniques Industriels, dont je connais le rôle majeur, il est possible d'améliorer encore l'efficacité de l'impact sur les entreprises des 3 500 personnes qui y travaillent. C'est le sens de l'enquête qui à été lancée, mi-septembre par le Ministère de l'Industrie, et qui concerne aussi les CCI, auprès de l'ensemble des entreprises industrielles sur les actions collectives actuellement mises en place pour répondre à leurs besoins. Cette enquête rencontre un succès significatif : plus de 9500 d'entre-elles (soit plus de 41 % des entreprises industrielles) nous ont déjà transmis leurs réponses. 
Les entreprises nous font également connaître leurs besoins en la matière selon divers domaines d'intervention comme, par exemple, la recherche-développement, la formation professionnelle, l'innovation technologique ou encore l'ouverture sur les marchés extérieurs. Cette enquête, actuellement en cours de dépouillement, va nous permettre de mieux évaluer l'efficacité du dispositif en place et d'y apporter ensemble les améliorations nécessaires. 
J'ai également confié à Monsieur Serge GROSS la mission d'évaluer l'offre technologique des CTI en les comparant aux technologies-clés identifiées par mon Ministère. 
De nombreux chantiers pour l'avenir
Les propositions de Francis MER ouvrent de nouvelles pistes pour la CPCI, et je le remercie pour son rôle d'éclaireur et de défricheur. 
Je suis notamment favorable à approfondir l'idée du crédit d'impôt Innovation, à une amélioration du système des Marchés Publics au profit de l'innovation, et à une réforme de la Taxe professionnelle dans un sens plus favorable aux entreprises. 
Ce sont autant de chantiers pour l'avenir, sur lesquels je souhaite que s'ouvre la plus large concertation. Le Ministère apportera tout son concours à ces travaux. 
Conclusion
L'innovation est une cause nationale qui engage notre avenir et nos emplois. Il n'y aura pas d'industrie française au XXIème siècle, si nous ne nous battons pas aujourd'hui sur ce terrain. Le Ministère de l'Industrie ne ménage pas ses efforts et prendra des initiatives. 
Nous avons besoin de rassembler toutes les énergies, publiques ou privées. Notre priorité à tous doit être de combattre les cloisonnements stériles et les corporatismes nuisibles au développement des entreprises. 
Mon objectif c'est de privilégier les créateurs, les innovateurs, d'encourager les financements privés pour l'innovation et de parvenir à une meilleure performance de nos dispositifs publics. 
Mon Ministère montrera l'exemple dans cette direction. Pour reprendre l'expression de Francis MER : Ensemble, construisons notre avenir par l'innovation. 
(source http://www.ensmp.fr, le 23 janvier 2003)